[ p. 135 ]
Le Sanatsugâtîya est, comme la Bhagavadgîtâ, l’un des nombreux épisodes du Mahâbhârata [^577]. Il est vrai qu’il n’a jamais suscité la vénération sans bornes qui lui a toujours été accordée en Inde. Pourtant, il est parfois étudié, même de nos jours, et il a eu la grande distinction d’être commenté par le grand chef de l’école védantique moderne, Sankarâkârya [^578]. Le Dhritarâshtra se présente comme un dialogue principalement entre Sanatsugâta d’une part et Dhritarâshtra d’autre part. Sanatsugâta, dont il tire son nom, serait identique à Sanatkumâra, un nom familier aux étudiants de notre littérature Upanishad. Et Dhritarâshtra est le vieux père des Kauravas qui formèrent l’un des partis belligérants de la guerre civile relatée dans le Mahâbhârata. Le lien entre cet épisode particulier et le courant principal du récit de cette épopée est des plus lâches – beaucoup plus lâche, par exemple, que celui de la Bhagavadgîtâ. Concernant cette dernière, on peut raisonnablement soutenir qu’il est conforme à la justice poétique qu’Arguna se sente découragé et peu disposé à s’engager dans la bataille, après avoir vu « maîtres, pères, fils » et tous les autres, déployés en opposition à lui ; et qu’il était donc nécessaire pour le poète d’apporter une explication spécifique sur la façon dont Arguna a finalement pu surmonter de tels scrupules naturels. Mais en ce qui concerne les Sanatsugâtîya, même une telle controverse ne peut avoir [ p. 136 ] lieu d’être. Car voici où en est l’affaire. Au cours des négociations pour un arrangement à l’amiable [^579] entre les Pâriavas et les Kauravas, Sañgaya, à une occasion, revint à Dhritarâshtra avec un message des Pândavas. Cependant, lorsqu’il vit Dhritarâshtra, il dit qu’il transmettrait le message à l’assemblée publique des Kauravas le lendemain matin, et s’en alla après avoir sévèrement blâmé Dhritarâshtra pour sa conduite. Le suspense ainsi créé fut une source de grande vexation pour le vieil homme, qui fit donc venir Vidura afin, selon ses propres termes, que Vidura puisse, par son discours, apaiser le feu qui le brûlait. Vidura apparaît alors et se lance dans une présélection élaborée concernant des questions spirituelles, ou, plus exactement, quasi-spirituelles, et au début du Sanatsugâtîya, il est supposé avoir atteint un stade où…étant né Sûdra, il hésite à poursuivre. Après quelques discussions sur ce point entre Vidura et Dhritarâshtra, il est décidé de faire appel à Sanatsugâta pour expliquer les sujets spirituels que Vidura trouvait délicats à traiter ; et Sanatsugâta est donc introduit sur la scène d’une manière qui n’est pas inhabituelle dans notre littérature épique et purânique, à savoir par Vidura s’engageant dans un processus mystique de méditation, en réponse à quoi Sanatsugâta apparaît. Il est alors reçu avec toutes les formalités requises, et après s’être reposé, comme notre poème prend soin de le noter, il est catéchisé par Dhritarâshtra ; et à une ou deux exceptions près, tous les versets qui constituent le Sanatsugâtîya sont les réponses de Sanatsugâta aux questions de Dhritarâshtra [1].
Ce bref exposé du plan de cette partie du Mahâbhârata montre, comme nous l’avons déjà souligné, que le lien entre le Sanatsugâtîya et le récit central de cette épopée est très ténu ; et qu’il aurait pu être entièrement omis sans que cela occasionne le moindre défaut, esthétique ou autre. Par conséquent, bien que rien de positif [ p. 137 ] ne tende à prouver que le Sanatsugâtîya soit un ajout ultérieur à l’épopée originale, les doutes souvent nourris sur ces points pourraient bien, dans ce cas, être plus forts que dans le cas de la Bhagavadgîtâ. Le texte du Sanatsugâtîya n’est pas non plus conservé dans un état aussi satisfaisant que celui de la Gîtâ. J’ai eu sous les yeux, pour établir mon texte, les éditions du Mahâbhârata respectivement imprimées et publiées à Bombay [2], Calcutta et Madras, et trois manuscrits, dont l’un a été très aimablement et volontiers mis à ma disposition par mon ami le professeur Râmkrishna Gopâl Bhâriârkar ; le second par un autre ami, le professeur Âbâgî Vishnu Kâthavate ; et le troisième était une copie faite pour moi à Sâgar dans les provinces centrales, grâce aux bons offices d’un troisième ami, M. Vâman Mahâdeva Kolhatkar. L’exemplaire prêté par le professeur Bhândârkar provient de Puna, et celui prêté par le professeur Kâthavate provient également de Puna. Ce dernier, ainsi que l’exemplaire de Sâgar et l’édition imprimée à Madras, contient le commentaire de Sankarâkârya. Le texte que j’ai adopté est celui indiqué par le commentaire comme étant celui que son auteur avait sous les yeux. Cependant, les différents exemplaires du commentaire diffèrent tellement les uns des autres que je doute encore d’avoir bien saisi le texte commenté par Sankarâkârya. Par exemple, l’exemplaire de Sâgar omet entièrement le chapitre V, tandis que les autres exemplaires contiennent non seulement le texte de ce chapitre, mais aussi un commentaire qui se présente comme le commentaire de Sankarâkârya [3]. Prenons encore les strophes entre crochets aux pages 167, 168 [4] de notre traduction. Aucune des copies dont nous disposons ne contient de commentaire de Sankarâkârya à leur sujet. Pourtant, ces strophes figurent dans le texte du Mahâbhârata, tel qu’il apparaît dans les copies contenant le commentaire de Sankara. La question mérite évidemment d’être approfondie. Je n’ai cependant pas pensé qu’il soit absolument [p.138] nécessaire pour effectuer une telle recherche aux fins de la présente traduction. Mais par mesure de sécurité, j’ai conservé dans la traduction tout ce qui se trouve dans les exemplaires du Sanatsugâtîya qui contiennent également le commentaire de Sankara. Quant aux autres strophes – et il y en a quelques-unes de cette description – dont d’autres manuscrits ou commentateurs se portent garants, mais dont on ne trouve aucune trace dans le manuscrit contenant le commentaire de Sankara [5], je les ai simplement omises.
Ces faits montrent que, dans le cas du Sanatsugâtîya, les matériaux nécessaires à un compte rendu historique fiable de l’ouvrage ne sont pas très satisfaisants. Les matériaux permettant de déterminer sa date et sa position dans la littérature sanskrite sont, en effet, si rares que, aussi pauvres que soient les matériaux de la Bhagavadgîtâ, ils doivent être qualifiés de superlativement riches en comparaison de ceux que nous avons à traiter maintenant. En ce qui concerne les preuves externes sur les points évoqués maintenant, le premier et presque le dernier fait relevant de cette catégorie est le fait que l’ouvrage est cité et commenté par Sankarâkârya. Dans son commentaire sur la Svetâsvatara-upanishad [6], Sankara cite le passage concernant le flamant rose à la p. 189, l’introduisant par les mots : « Et dans le Sanatsugâta aussi. » Dans le même commentaire [7], d’autres passages du Sanatsugâtîya sont également cités, mais sans nommer l’œuvre, sauf comme un Smriti, et en mélangeant des versets de différentes parties de l’œuvre.
Voilà, à ma connaissance, tous les éléments extérieurs concernant la date du Sanatsugâtîya. Il y a cependant un autre point qu’il convient de souligner, non pas tant parce qu’il est d’une grande valeur en soi, mais parce qu’il pourrait s’avérer utile ultérieurement, si des recherches plus approfondies sur le Mahâbhârata et d’autres ouvrages apportaient les informations nécessaires. Il y a donc huit strophes dans les trente-sixième, trente-septième, trente-neuvième et quarantième chapitres de l’Udyoga Parvan du Mahâbhârata (le Sanatsugâtîya commençant au quarante et unième [ p. 139 ] chapitre), dont sept sont citées dans le Pañkatantra [8] et la huitième dans le Mahâbhâshya [9] de Patañgali. Bien sûr, il va presque sans dire que ni le Pañkatantra ni le Mahâbhâshya ne mentionnent la source d’où ils tirent les vers en question. Mais je ne pense pas qu’il soit inadmissible de supposer provisoirement qu’ils proviennent du Mahâbhârata, tant que nous ne pouvons produire aucune autre source plus vraisemblable. Il est vrai que le professeur Weber a, à un autre égard, contesté la validité de cet argument. Il semble penser que la probabilité – dans le cas qui lui était soumis – que le Râmâyana ait emprunté au Mahâbhâshya est tout aussi forte que celle que le Mahâbhâshya ait emprunté au Râmâyana [10]. Et sans doute, par parité de raison, il soutiendrait, dans le cas qui nous occupe, que les probabilités, entre le Mahâbhârata d’une part, et le Mahâbhâshya et le Pañkatantra d’autre part, entretiennent la même relation mutuelle. Je ne peux accepter ce point de vue. Je ne m’intéresse pas ici à discuter du bien-fondé de la conclusion à l’appui de laquelle le professeur Weber a avancé cet argument [11]. J’examine simplement dans quelle mesure elle affecte la question qui nous occupe. Et quant à cette question, je peux dire que le Pañkatantra introduit expressément les strophes ici considérées par une expression telle que « Car il a été dit », indiquant clairement qu’il citait les paroles d’un autre. Il en va de même pour le Mahâbhâshya, dont le passage auquel nous nous référons est ainsi rédigé : « (Il est) établi qu’il y a un péché chez un jeune homme de ne pas s’élever pour recevoir (une personne âgée), et qu’il y a du mérite à s’élever pour recevoir. Comment ? Ainsi, « Les vents de vie d’un jeune homme s’élèvent lorsqu’un homme âgé s’approche de lui. » En se levant pour le recevoir et le saluer, il les obtient à nouveau. Il me semble que les indications qu’il s’agisse d’une citation du Bhâshya sont très fortes. Mais à part cela, je m’oppose à la proposition suivante :que les probabilités sont égales pour qu’une œuvre comme le Mahâbhârata ou le Râmâyana emprunte un vers au Mahâbhâshya, et vice versa. Il me paraît parfaitement clair, je l’avoue, que la probabilité qu’une œuvre grammaticale comme le Bhâshya emprunte un vers à une œuvre de référence comme le Bhârata ou le Râmâyana à des fins d’illustration est de loin la plus forte des deux. Et cela, indépendamment de toute recherche visant à déterminer si le Bhâshya présente ou non d’autres indices de connaissance du Bhârata ou du Râmâyana.
Français Si ces arguments sont corrects, il me semble qu’ils nous mènent jusqu’ici dans notre enquête actuelle, à savoir que nous pouvons maintenant dire que nous avons des raisons de croire que certaines parties, en tout cas, des trente-sixième, trente-septième, trente-huitième et quarantième chapitres de l’Udyoga Parvan du Mahâbhârata ont probablement existé avant le sixième siècle après J.-C. [12] ; et que certaines parties du trente-septième chapitre existaient probablement à l’époque de Patañgali, c’est-à-dire au deuxième siècle avant J.-C. [13]. Or, les preuves internes ne fournissent aucune indication tendant à montrer que les différents chapitres mentionnés ici doivent avoir été antérieurs dans le temps aux chapitres composant le Sanatsugâtîya, qui viennent si peu de temps après eux dans le Mahâbhârata. Au contraire, il n’est pas exagéré de soutenir que, dans une certaine mesure, le style et le langage du Sanatsugâtîya sont plutôt révélateurs de sa priorité temporelle sur les cinq chapitres qui le précèdent immédiatement. Par conséquent, cet argument nous permet – provisoirement seulement, il faut le rappeler – de fixer le deuxième siècle avant J.-C. comme date limite pour la rédaction du Sanatsugâtîya.
Voilà les seuls éléments externes disponibles pour une discussion [ p. 141 ] de la question : quand le Sanatsugâtîya a-t-il été composé ? Passons maintenant aux éléments internes. Pris isolément, ces éléments ne sont pas, à mon avis, très convaincants. Cependant, pour établir, du mieux que nous pouvons, l’histoire de notre littérature ancienne, même ce type de preuve ne doit pas être dédaigné ; il faut seulement l’utiliser et l’accepter avec prudence. Sous cette rubrique, nous pouvons donc d’abord noter les personnes censées prendre part au dialogue. Sanatsugâta [14]\—ou Sanatkumâra—comme déjà souligné, est un nom déjà familier aux lecteurs de l’une de nos plus anciennes Upanishads : le Khândogya. Dhritarâshtra n’est pas connu dans les Upanishads, mais il est un personnage important de la littérature épique. Il est à noter que son caractère, tel qu’il est révélé dans le Sanatsugâtîya, ne ressemble en rien à celui qui s’est attaché à son nom, ni dans la littérature ultérieure de notre pays, ni dans l’opinion populaire qui s’en est probablement inspirée. Dans le dialogue qui nous occupe, il apparaît comme un chercheur sérieux de la vérité ; il est décrit comme le « roi talentueux Dhritarâshtra » et Sanatsugâta s’adresse à lui en ces termes : « Ô sire perspicace ! » « Ô homme instruit ! » Il est vrai que Nîlakaria, à un endroit, comme nous l’avons noté dans notre note [15], s’efforce de faire ressortir la vision ultérieure du caractère de Dhritarâshtra [16] ; mais il me semble que cette tentative, fondée sur une interprétation forcée et tirée par les cheveux d’un seul mot de notre poème, est infructueuse. Aucune des questions que Dhritarâshtra pose à Sanatsugâta au cours de leur dialogue, ne désigne le vieil homme avare qui souhaitait priver ses neveux innocents de leurs justes droits dans l’intérêt de ses propres fils méchants et égarés. Ils indiquent plutôt l’étudiant de bonne foi en matière de savoir spirituel, et pointent ainsi vers ce qui est peut-être une vision antérieure du caractère de Dhritarâshtra.
Si nous examinons ensuite le style général de ce poème, nous constatons qu’il ne présente aucune de ces élaborations qui marquent ce que j’ai appelé l’âge des Kâvyas et des Nâtakas. Les remarques sur ce sujet dans l’Introduction à la Gîtâ s’appliquent assez précisément à cette œuvre également. Nous observons ici la même pauvreté de composés longs, la même absence d’adjectifs purement ornementaux, la même absence de figures et de tropes [17] ; en un mot, la même franchise et la même simplicité de style. De plus, la syntaxe de notre poème est un peu plus lacunaire que celle de la Gîtâ. De telles constructions que nous trouvons entre autres au chapitre II, strophe 2 ou 25, ou au chapitre III, strophe 14, ou au chapitre IV, strophe 12, ou dans les premiers versets du dernier chapitre, indiquent une période dans l’histoire de la langue, où probablement les règles de la syntaxe n’étaient pas encore complètement établies dans la pratique.
Si nous examinons la métrique du poème, un phénomène analogue nous frappe. Des irrégularités similaires dans la collocation des syllabes longues et brèves, des superfluités et des lacunes similaires de syllabes, se retrouvent dans le Sanatsugâtîya et la Bhagavadgîtâ. Et dans la première œuvre, comme dans la seconde, les irrégularités sont moins observables dans l’Anushtubh [18] que dans les autres mètres utilisés. L’explication probable, outre la grande élasticité de ce mètre, est que l’Anushtubh a été davantage utilisé et est par conséquent devenu comparativement plus stable dans son schéma, même dans la composition pratique.
En examinant plus particulièrement la langue de l’ouvrage qui nous occupe, nous trouvons un mot très fréquent : vai, que nous avons rendu par « en vérité ». Ce mot n’est pas courant dans la littérature ultérieure, tandis que dans les Upanishads, on rencontre très fréquemment non seulement vai, mais aussi les mots qui, je pense, lui sont apparentés : vâ et vâva. Le premier mot me semble en effet remplacer vai dans certains passages des Upanishads par des altérations euphoniques. Ainsi, dans le passage tvam [ p. 143 ] vâ aham asmi bhagavo devate, aham vai tvam asi, il est difficile de ne pas supposer que le vâ de la première partie de la phrase est le même mot que le vai de la deuxième partie, seulement modifié selon les règles du Sandhi en sanskrit.
Un deuxième point de similitude entre le langage des Upanishads et celui des Sanatsugâtîya réside dans la phrase : « Celui qui sait cela devient immortel. » Cette phrase, ou une phrase de même signification, est, comme on le sait, courante dans les Upanishads et dans les Brâhma. Dans la Bhagavadgîtâ, les versets de la fin, qui suivent le résumé de l’enseignement de Krishna, semblent être de nature quelque peu analogue, quoique différente à certains égards. Et dans les Purân, on rencontre parfois des passages élaborés vantant les mérites d’un rite particulier, d’un pèlerinage particulier, etc. Cette forme du Phalasruti, comme on l’appelle, semble s’être développée au fil du temps à partir du minuscule germe existant dans les Brâhmanas et les Upanishads. Dans le Sanatsugâtîya, cependant, nous sommes presque au début de ces développements ; en effet, la forme que nous avons devant nous est identique à celle que nous voyons dans les ouvrages où elle apparaît pour la première fois. C’est une courte phrase qui, bien que complète en elle-même, n’apparaît qu’à la fin d’un autre passage, et presque comme une partie de celui-ci.
Il y a un autre point de même nature qu’il convient de souligner ici. Comme dans la Gîtâ, on rencontre dans le Sanatsugâtîya un nombre considérable de mots employés dans des sens inconnus dans la littérature ultérieure. Ils sont rassemblés dans l’Index des mots sanskrits de ce volume ; mais quelques remarques sur certains d’entre eux ne seront pas, pensons-nous, totalement déplacées ici. Le mot mârga [19] — au sens de « vie mondaine » — est assez remarquable. Sankara le rend par « le chemin du samsâra » ou vie mondaine. Et il cite en parallèle le passage du Khândogya-upanishad qui parle du retour au « chemin ». Cependant, Sankara l’explique comme signifiant le « chemin par lequel [ p. 144 ] le soi retourne à la vie terrestre », à savoir, de l’espace au vent et ainsi de suite aux légumes et à la nourriture, apparaissant finalement comme un fœtus. Un autre mot remarquable est « varga », qui apparaît deux fois dans le Sanatsugâtîya. Sankara et Nîlakantha diffèrent dans leurs explications, et Nîlakantha donne en effet deux sens différents au mot dans les deux passages où il apparaît. Nous pouvons également nous référer ici spécifiquement à utsa, ritvig et matvâ. Dans le Lexique de Boehtlingk et Roth, les seuls passages cités sous le terme « utsa » proviennent d’ouvrages védiques, à l’exception de deux extraits respectivement de la Susruta et du Dasakumârakarita. Un passage, cependant, cité ici, à savoir « Vishnoh pade parame madhva utsah », est manifestement l’original du passage que nous examinons maintenant. Quant à ritvig, au sens qu’il prend ici, nous voyons, je crois, quelle était sa signification antérieure avant qu’il ne prenne le sens quelque peu technique qui lui est aujourd’hui familier. Quant à matvâ, au sens de « méditer sur », on le trouve dans les Upanishads, mais pas, je crois, dans aucun ouvrage de la littérature classique. Ces mots semblent donc indiquer que le Sanatsugâtîya a été composé à un stade du développement de la langue sanskrite qui est bien antérieur au stade que nous voyons complètement atteint dans la littérature classique.
Pour en venir maintenant à la question du Sanatsugâtîya, il me semble que nous y voyons des indications pointant, de manière générale, vers la même conclusion que celle à laquelle nous sommes arrivés ici. Il y a, en premier lieu, un manque de rigueur et de rigueur dans la manière de traiter le sujet, semblable à ce que nous avons déjà observé comme caractérisant la Bhagavadgîtâ. Il n’y a aucun lien évident entre les différents sujets abordés, et ces sujets eux-mêmes ne sont pas traités selon une méthode scientifique ou rigoureuse. De plus, si le quatrième chapitre est une partie authentique du Sanatsugâtîya, nous avons une répétition élaborée, dans une partie, de ce qui a été dit dans une autre partie de l’ouvrage, avec seulement quelques variations de mots, et peut-être encore moins de signification. Cependant, comme je ne suis pas prêt pour l’instant à affirmer définitivement l’authenticité de ce chapitre, je ne considère pas souhaitable d’approfondir cet argument [ p. 145 ] plutôt que de souligner que des répétitions similaires, à une échelle plus petite peut-être, ne sont pas rares dans notre littérature plus ancienne [20].
Pour en venir maintenant à la manière dont les Védas sont évoqués dans l’ouvrage qui nous occupe, nous trouvons un ou deux éléments notables à considérer ici. Tout d’abord, nous trouvons la référence aux quatre Védas, ainsi qu’aux Âkhyânas, comme cinquième Véda. Ceci est conforme à la tradition ancienne rapportée dans les différents ouvrages auxquels nous avons fait référence dans notre note sur ce passage. La mention de l’Atharva-Véda, implicite dans ce passage et expressément contenue dans un autre, pourrait être considérée comme une marque d’une époque moderne. Mais sans insister sur le fait que l’Atharva-veda, bien que probablement moderne comparé aux autres Védas, est encore assez ancien pour dater de plusieurs siècles avant l’ère chrétienne [21], il suffit d’attirer l’attention ici sur le fait que le Khândogya-upanishad mentionne ce Véda, et il n’est pas soutenu ici que le Sanatsugâtîya soit plus ancien que le Khândogya-upanishad. Nous devons ensuite considérer la référence aux hymnes Sâman comme « vimala », ou purs. Le point impliqué par cette référence a déjà été suffisamment discuté dans l’Introduction à la Gîtâ [22] ; et il n’est pas nécessaire d’en dire plus ici que, des deux catégories d’ouvrages que nous y avons rédigés, le Sanatsugâtîya semble, d’après le passage en question, se classer parmi les plus anciens.
L’estimation de la valeur des Védas, implicite dans le Sanatsugâtîya, semble coïncider de très près avec celle que nous avons montrée comme étant implicite dans la Bhagavadgîtâ. Les Védas ne sont pas ici rejetés comme inutiles, pas plus qu’ils ne le sont dans la Bhagavadgîtâ. Car je ne pense pas que le mot Anrikas, qui apparaît dans un passage de l’ouvrage, puisse être considéré comme désignant réellement ceux qui rejettent entièrement la révélation védique. Sans aller jusque-là, le Sanatsugâtîya semble certainement rejoindre la Bhagavadgîtâ dans sa protestation contre ces hommes aux vues extrêmes, qui ne voyaient rien au-delà des rites et des cérémonies enseignés dans les Védas. L’étude des Védas est, en effet, fortement recommandée dans divers passages du Sanatsugâtîya. Mais on soutient également que l’accomplissement des cérémonies prescrites dans les Védas n’est pas le véritable moyen d’émancipation finale. On soutient que toute action motivée par un quelconque désir est une cause d’asservissement à la vie terrestre ; que les dieux eux-mêmes sont des créatures ordinaires qui ont atteint une certaine position élevée grâce à la pratique des devoirs des Brahmakârins, mais que non seulement ils ne sont pas supérieurs à l’homme qui a acquis la véritable connaissance du soi universel, mais qu’ils sont réellement sous son contrôle. Sur tous ces points, le Sanatsugâtîya exprime des opinions qui établissent de manière concluante une identité de doctrine entre les Upanishads et la Bhagavadgîtâ [23] d’une part, et le Sanatsugâtîya d’autre part. Enfin, nous avons une déclaration explicite selon laquelle la simple étude des textes védiques est vaine et que le péché ne peut être éliminé par celui qui se contente d’« étudier les textes du Rik et du Yagü, ainsi que le Sâma-veda ». Il n’est pas nécessaire de répéter ici les déductions chronologiques qui peuvent être fondées sur cette relation entre le Sanatsugâtîya et les Védas. Nous avons déjà soutenu dans l’introduction à la Bhagavadgîtâ qu’une telle relation pointe vers une période de l’histoire religieuse indienne antérieure au grand mouvement du Bouddha Gautama [24].
Français Il y a cependant une différence, peut-être à noter, entre la Gîtâ et la Sanatsugâtîya : à savoir que cette dernière œuvre semble fournir des indications plus certaines de la reconnaissance, à la date de sa composition, d’un Gñânakânda par opposition à un Karmakânda dans les Védas, que celles que contient, nous l’avons vu, la Bhagavadgîtâ [25]. Le passage, par exemple, qui parle des Khandas comme se référant « d’eux-mêmes » au Brahman, et le passage qui fait référence à une compréhension du Brahman au moyen des Védas, selon le principe de la lune et de la branche, semblent plutôt pointer vers une partie des Védas qui était considérée comme donnant un enseignement sur la vraie [ p. 147 ] la connaissance, par opposition à la simple mise en place de divers sacrifices et cérémonies à des fins particulières. En fait, un passage contient le germe de toute la théorie védantique telle qu’elle fut établie par la suite. Car il nous est dit que les sacrifices et les pénitences sont prescrits comme étapes préliminaires vers l’acquisition de la véritable connaissance. Par ces sacrifices, on est purifié de ses péchés et on acquiert alors la connaissance du soi suprême telle que décrite dans les Védas – ce qui, je suppose, doit désigner les Upanishads.
Il n’y a qu’un seul autre point sur lequel nous devons nous étendre. Il est lié à la définition du Brâhmane. Cette définition me semble indiquer un stade antérieur du progrès religieux à celui indiqué dans Âpastamba et Manu. Le véritable Brâhmane est celui qui est attaché au Brahmane. Cela marque peut-être un léger progrès par rapport à la doctrine plus générale de la Gîtâ, mais on est encore très loin de la doctrine pétrifiée, si je puis dire, des législateurs ultérieurs. Le Brâhmane n’a pas encore dégénéré en simple receveur d’honoraires et de présents, mais il est toujours en possession de la vérité.
Nous voyons donc que les preuves externes et internes concernant la position du Sanatsugâtîya dans la littérature sanskrite semblent indiquer une période et un lieu presque identiques à ceux de la Bhagavadgîtâ. Il est clair que les preuves sur ces deux points sont extrêmement rares et maigres. Mais telles qu’elles sont, elles nous semblent justifier une conclusion provisoire : le Sanatsugâtîya date d’une période antérieure à l’essor du bouddhisme et s’inscrit dans ce même mouvement de l’histoire religieuse de l’Inde ancienne, dont la Gîtâ est une autre incarnation. Nous ne sommes pas en mesure d’affirmer davantage pour l’instant. Dans cette mesure, les preuves nous permettent, je pense, d’aller plus loin. Et nous estimons donc qu’à moins que d’autres preuves supplémentaires ne justifient un renversement de ce jugement, le Sanatsugâtîya peut être considéré comme une œuvre presque contemporaine de la Bhagavadgîtâ et s’inscrivant globalement dans le même point de vue.
Un mot, enfin, sur la traduction. Comme indiqué précédemment, le texte adopté est celui qui semble avoir été antérieur à Sankarâkârya. La traduction suit principalement ses interprétations dans son commentaire. Nous avons parfois suivi Nîlakanthâ, dont le commentaire a été consulté, ainsi qu’une copie très incorrecte d’un autre commentaire d’un certain Sarvagña Nârâyanâ, contenue dans le manuscrit de Puna que m’a prêté le professeur Bhânthârkar. À certains endroits, même les commentateurs n’ont pas réussi à éclaircir les obscurités, et nous avons alors donné la meilleure traduction que nous pouvions suggérer, en indiquant les difficultés. Français On s’est efforcé ici, comme dans le cas de la Bhagavadgîtâ, de garder la traduction aussi proche et fidèle au texte que les exigences de la langue anglaise le permettaient. « Les notes exégétiques sont pour la plupart tirées des commentaires, même lorsque le nom du commentateur n’est pas spécifié ; tandis que les références aux passages parallèles ont été collectées, principalement par moi-même, de la même manière que dans le cas de la Bhagavadgîtâ. »
135 : 1 Mahâbhârata, Udyoga Parvan, Adhyâya 41-46. ↩︎
135:2 Mâdhavâkârya, en parlant des œuvres de Sankara, le décrit comme ayant commenté le Sanatsugâtîya, qui est « loin des mauvaises (personnes) » [asatsudûram]. Sankara-vigaya, chapitre VI, strophe 62. ↩︎
136:2 Une fois ce dialogue terminé, l’aube se lève et Dhritarâshtra et les princes Kaurava se réunissent en assemblée générale. ↩︎
137:1 Ceci contient le commentaire de Nîlakantha, mais son texte inclut ouvertement le texte de Sankara, ainsi que des versets et des lectures contenus dans des copies plus modernes. ↩︎
137:2 Le commentaire du sixième chapitre reprend cependant le fil de la fin du quatrième chapitre. ↩︎
138:3 p. 252. Voir aussi, Sârîraka Bhâshya, p. 828. ↩︎
139:1 Cf. Pañkatantra de Kosegarten, p. 28 (I ,28, Bombay SC ed.), avec Udyoga Parvan, chap. XL, st. 7 (Bombay ed.) ; Pañkatantra, pp. 112 et 209 (II, 10 ; IV, 5, Bombay ed.), avec Udyoga Parvan, chap. XXXVIII, 9 ; p. 35 (I, 37, Bombay ed.) avec chap. XXXVI, st. 34 ; p. 140 (II, 40, Bombay ed.) avec chap. XXXVII, st. 15 ; p. 160 (III, 62, Bombay ed.) avec chap. XXXVII, st. 17, 18; p. 106 (II, 2, Bombay ed.) avec chap. XXXVI, st. 59. ↩︎
139 : 2 Udyoga Parvan, chap. XXXVIII, st. 1, et Mahâbhâshya VI, 1-4, p. 35 (Banaras éd.). ↩︎
139:3 Voir Indian Antiquary IV. 247. Le parallèle de Mâdhava que le professeur Weber cite n’est pas du tout concluant et, dans la mesure où il va, me semble aller à l’encontre du point de vue du professeur lui-même. ↩︎
139:4 Je puis cependant admettre d’emblée que je n’aurais pas dû m’exprimer aussi fortement que je l’ai fait dans la note que critique le professeur Weber. ↩︎
141:1 Voir Hall’s Sânkhyasâra, préface, pp. 14, 15. ↩︎
141:3 Nîlakantha lui-même, cependant, considère la question de Dhnthtarâshtra plus tard comme montrant qu’il était devenu indifférent aux préoccupations matérielles. Cette question n’apparaît pas dans le texte de Sankara, mais est donnée à la p. 158 infra. ↩︎
142:1 Les cinq comparaisons qui apparaissent, et qui sont presque toutes celles qui apparaissent, dans le poème, sont les plus primitives : le chasseur, l’eau sur l’herbe, le tigre de paille, la mort mangeant les hommes comme un tigre, les chiens mangeant ce qui est vomi, une branche d’arbre et la lune, et les oiseaux et leurs nids. ↩︎
142:2 Cf. à ce sujet le Nrisimha Tâpinî, p. 105. ↩︎
143:1 Je ne donne aucune référence ici, car elles peuvent être trouvées dans l’Index des mots sanskrits à la fin de ce volume. ↩︎