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Le contenu des troisième et quatrième livres du Satapatha-brâhmana constitue un chapitre important de son explication dogmatique du cérémonial sacrificiel. Cette partie de l’ouvrage traite des formes ordinaires du plus sacré des rites sacrificiels védiques, le « sacrifice du Soma ». L’exposé du rituel du Soma comprend également un récit de l’offrande animale qui, bien qu’elle puisse être accomplie comme un sacrifice indépendant, constitue plus généralement une partie intégrante du Saumya-adhvara.
Depuis que F. Windischmann, dans son traité « Ueber den Somacultus der Arier » (1846), a souligné la remarquable similitude des conceptions répandues chez les anciens Indiens et Iraniens concernant le Soma, tant d’un point de vue sacrificiel que mythologique, ce sujet a régulièrement retenu l’attention des chercheurs. Dans l’essai magistral d’A. Kuhn, « Die Herabkunft des Feuers and des Göttertranks » (1859), le mythe du Soma a été étudié en profondeur, et ses racines ont été retracées loin dans l’Antiquité indo-européenne. Ces dernières années, l’ensemble des conceptions rig-védiques concernant le Soma a été, pour la première fois, soumis à un examen approfondi dans « La Religion Védique » de M. A. Bergaigne. Cet ouvrage constitue une contribution importante à l’interprétation des hymnes védiques ; et bien que les combinaisons et les théories avancées par l’auteur ne soient pas toujours recommandées aux chercheurs en général, il ne fait aucun doute que ses recherches font preuve d’une faculté analytique rare et ont donné lieu à une masse de suggestions nouvelles et précieuses.
Parmi les nombreux traits communs aux Aryens védiques et à leurs parents iraniens, et dont on suppose qu’un lien intime a dû subsister [p. xii] entre ces deux branches les plus orientales de la souche indo-européenne pendant un certain temps après leur séparation de leurs frères occidentaux, le culte et le mythe du Soma ne sont pas les moins frappants. Le soma védique et le haoma Zend – dérivé de la racine su (Zend hu), « presser, produire » – désignent en premier lieu une liqueur spiritueuse extraite d’une certaine plante, décrite comme poussant sur les montagnes ; les mots s’appliquant alors naturellement à la plante elle-même. Mais le Rig-veda, tout comme l’Avesta, distingue un Soma terrestre d’un Soma céleste ; et c’est précisément la relation entre ces deux, ou la descente du Soma céleste dans le monde des hommes, qui constitue l’élément central du mythe du Soma. Pour l’intellect enfantin de l’Aryen primitif qui ne savait comment expliquer les multiples phénomènes étranges et impressionnants de la nature autrement qu’en peuplant l’univers de mille agents divins, le suc puissant de la plante Soma, qui dota le faible mortel de pouvoirs divins et le libéra pour un temps des soucis et des troubles terrestres, semblait un véritable dieu, non moins digne d’adoration que le porteur de la foudre, du vent rugissant ou de l’astre vivifiant du jour. Les mêmes pouvoirs magiques sont, dans l’ensemble, attribués à Soma par les bardes indiens et persans : pour tous deux, il est l’ami sage et le puissant protecteur de son fidèle, l’inspirateur d’exploits militaires héroïques ainsi que d’envolées imaginaires et de chants, le dispensateur de santé, de longue vie et même d’immortalité. La personnalité divine de Soma, il est vrai, est, même pour l’imagerie védique, d’un caractère extrêmement vague et obscur ; mais il est difficile d’imaginer quelle conception plastique on pourrait avoir d’une divinité dont l’activité principale consiste apparemment à mêler sa nature masculine ardente aux eaux bouillonnantes du ciel et à la sève florissante des plantes. Cependant, la principale cause du flou de la personnalité de Soma, et la source de difficultés considérables pour expliquer nombre des conceptions védiques de cette divinité, réside dans sa double nature de liqueur ardente, ou feu liquide, c’est-à-dire sa nature fluide et sa nature ardente ou lumineuse.
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Le Soma, qui intéresse principalement le fidèle, est la plante Soma et le jus qui en est extrait pour le service sacré. C’est le Soma terrestre, ou, pour ainsi dire, l’Avatar du Soma divin. Ce dernier, en revanche, est une divinité lumineuse, source de lumière et de vie. Chez les Brâhmanes, le Soma, à cet égard, a été complètement identifié à la Lune, dont les phases variables et l’obscurcissement temporaire au moment de la nouvelle lune ont favorisé les notions mystiques de son service de nourriture [1] aux Dieux et Pères (Mânes) ; et de ses descentes périodiques sur terre, en vue de son union sexuelle avec les eaux et les plantes, et de sa propre régénération [2]. Bien que cette identification apparaisse déjà clairement dans plusieurs passages du Rik, les érudits védiques semblent surtout enclins à rapporter cette conception à un stade secondaire de développement [3]. Selon le professeur Roth, en effet, cette identification n’aurait d’autre fondement mythologique que la coïncidence de notions qui trouve son expression dans le terme indu [4] (couramment utilisé pour Soma, et dans le langage ultérieur pour la lune), à savoir comme « une goutte » et « une étincelle (goutte de lumière) ». Cela n’est pas improbable, mais cela ne nous aide évidemment pas à déterminer comment ce terme en est venu à être finalement appliqué exclusivement à la lune parmi les luminaires célestes. Pour le poète védique, c’est plutôt le soleil qui apparaît, sinon identique, du moins étroitement lié, au divin Soma. Le fait a été souligné pour la première fois par Grassmann [5], qui a proposé d’identifier Pavamâna, le Soma « pur et étincelant », avec la divinité apparemment solaire Puemuno des tablettes iguviennes. M. Bergaigne a également soigneusement rassemblé les passages du Rik dans lesquels Soma apparaît soit comparé, soit identifié au soleil. Bien qu’une simple comparaison d’Indu-Soma avec le soleil puisse difficilement être considérée comme une preuve suffisante sur ce point, puisqu’une telle comparaison pourrait tout naturellement s’imposer même à quelqu’un qui aurait à l’esprit l’identité de Soma et de la lune, il reste encore de nombreux passages où une telle ambiguïté ne semble pas possible. Les relations entre Soma et la fille de Sûrya (probablement l’Aurore), évoquées à plusieurs reprises [6] dans le Rik, sont quelque peu singulières. Dans un passage (IX, I, 6), il est dit qu’elle fait passer Sûrya à travers le filtre perpétuel (sasvat vâra) ; tandis que dans un autre (IX, 113, 8), « la fille de Sûrya apporta le taureau (Soma ?), élevé par Parganya (le nuage) » ; Les Gandharvas le saisirent et le mirent, sous forme de sève, dans le Soma (plante ?). Une combinaison de cette porteuse de Soma avec l’aigle (ou le faucon) qui emporta le Soma (IV, 27, etc.) semble avoir fourni la forme du mythe, courant chez les Brâhmanes,selon laquelle Gâyatrî est allé chercher Soma au ciel. L’hymne X, 85 [7], d’autre part, célèbre la cérémonie de mariage de Soma et Sûryâ, au cours de laquelle les deux Asvins jouent le rôle de garçons d’honneur, et Agni celui de chef du cortège nuptial jusqu’à la maison du marié.
Il existe cependant d’autres passages du Rig-veda dans lesquels Soma, loin d’être identifié au soleil, semble être considéré comme une puissance souveraine qui engendre ou contrôle ce luminaire, ainsi que les autres lumières du ciel. Ainsi, dans le Rig-veda IX, 61, 16, Soma est représenté comme produisant (ganayan) la lumière éclatante appartenant à tous les hommes ; dans IX, 97, 41, comme produisant la lumière du soleil (aganayat sûrye gyotir induh) ; dans IX, 28, 5 ; 37, 4, comme faisant briller le soleil (rokayan) ; dans IX, 86, 22 ; 107, 7, comme le faisant s’élever (â-rohayan) dans le ciel ; dans IX, 63, 6 [p. xv] comme exploitant l’Etasa de Svar ; dans IX, 36, 3 ; 49, 5 comme faisant briller les lumières (gyotîmshi vi-rokayan ; pratnavad rokayan rukah) ; dans IX, 42, 1 comme produisant les lumières du ciel (et) le soleil dans les eaux (célestes) ; dans IX, 41, 5 comme remplissant les deux vastes mondes (rodasî), tout comme l’aube, comme le soleil, de ses rayons. Non, le poète de IX, 86, 29, « Tu es l’océan (céleste) (samudra) . . . à toi sont les lumières (gyotîmshi), ô Pavamâna, à toi le soleil », semble concevoir Soma comme l’éther brillant, la « mer de lumière » azur en général ; et une conception similaire est peut-être impliquée lorsque, dans IX, 107, 20, le barde chante : « Je suis à toi, ô Soma, de nuit comme de jour, par amour de l’amitié, ô fauve, dans le sein (du ciel [8]) : comme des oiseaux, nous avons volé bien au-delà du soleil brûlant de chaleur. »
D’autre part, il ne faut pas oublier que des fonctions similaires à celles mentionnées ici sont attribuées à d’autres divinités que Soma, sans qu’il y ait de raison valable de supposer un rapprochement intentionnel, et encore moins une identification de ces divinités avec Soma ; et, en réalité, les allusions dans les hymnes sont trop vagues pour nous permettre de déterminer les relations exactes entre Soma et la lumière céleste. On peut même se demander si ces relations étaient clairement appréhendées ; ou si, avant l’identification ultime de Soma à la lune, nous n’avons pas affaire à un ensemble d’idées flottantes plutôt qu’à une conception mythologique bien établie du divin Soma. Durant sa brève existence terrestre – de sa naissance dans la montagne à sa consommation finale en tant qu’« offrande suprême » (uttamam havis) –, la forme extérieure de Soma subit une succession de changements dont le poète tirera de nombreux traits pour doter l’objet divin de son imagination. Il pourrait ainsi représenter Soma tantôt comme un arbre brillant jaillissant des montagnes du ciel ; tantôt comme une goutte lumineuse ou une étincelle se déplaçant à travers les cieux et répandant de la lumière tout autour ; ou comme d’innombrables gouttes de lumière dispersées sur la vaste étendue aérienne [p. xvi] ; tantôt comme un ruisseau scintillant, ou encore comme une vaste mer de lumière liquide.
Les références de l’Avesta au divin Haoma sont encore moins précises et explicites que celles des hymnes védiques. Son lien avec la lumière céleste, bien que peut-être moins étroit que celui de Mithra et d’autres divinités, est suffisamment indéniable [9] ; mais nous cherchons en vain une indication claire quant à la nature exacte de ces relations. Il est certain, cependant, que nulle part dans l’Avesta ne se trouve de passage permettant d’identifier Haoma au Soleil ou à la Lune. Dans Yasna IX, 81-82, on nous dit que Haoma fut le premier à être investi par Ahura-Mazda de la zone, constellée d’étoiles et créée dans le ciel, conformément à la bonne loi Mazda-yasnique ; et que, ceint de celle-ci, il demeure sur les hauteurs de la montagne pour y maintenir les ordonnances sacrées. Il est difficile de voir à quoi d’autre la zone étoilée (la contrepartie céleste du Kusti ordinaire du Pârsî orthodoxe) pourrait se référer ici, si ce n’est à la voie lactée, ou peut-être au ciel étoilé en général ; à moins, en effet, comme c’est peu probable, qu’une constellation spéciale ne soit impliquée ; mais ni ce passage ni aucun autre ne nous permet de définir de quelque manière que ce soit la personnalité divine de Haoma.
La descente de Soma sur terre, telle que décrite dans les hymnes védiques, s’accompagne de violentes perturbations dans les régions du ciel, dans lesquelles Indra joue généralement le rôle principal. Il est admis de tous que nous devons considérer ces luttes célestes comme des impressions mythiques de phénomènes atmosphériques ordinaires, en particulier ceux de la mousson et de la saison des pluies indiennes, et des violents orages qui les accompagnent habituellement. Selon les besoins et les angoisses qui le submergeaient à ce moment-là, ces événements atmosphériques se présentaient à l’esprit du poète principalement sous deux aspects différents. Soit l’approche des masses de nuages apportait avec elle la pluie tant désirée et la perspective d’une nourriture abondante pour les hommes et les bêtes : dans ce cas, les dieux se disputaient la possession des eaux célestes, ou des vaches célestes, trop longtemps confinées par des démons malveillants dans leurs forteresses montagneuses ; ou bien, après un temps de tempête et de tristesse, on aspirait à revoir le ciel clair et la lumière dorée du soleil, à égayer la vie et à faire mûrir les récoltes : dans ce cas, il s’agissait d’une lutte pour retrouver la lumière céleste.
La relation entre Soma et Indra est principalement celle du breuvage ardent, dont les gorgées bienvenues donnent au dieu guerrier la force et le courage nécessaires pour combattre les démons de la sécheresse et des ténèbres. L’arme favorite d’Indra est la foudre aux mille pointes, en fer ou en or. Mais puisque c’est Soma qui permet à Indra de manier efficacement son arme, le poète pourrait, par une métaphore audacieuse mais parfaitement naturelle, identifier la puissante boisson à l’éclair terrible. Cette identification se retrouve en effet dans plusieurs passages du Rik [10], notamment au IX, 47, 3 : « Lorsque son chant de louange est chanté, alors Soma, la puissante liqueur (indriya), devient la foudre aux mille victoires ; » Français dans IX, 72, 7, ‘la foudre d’Indra, le taureau généreux (vibhûvasu), le Soma exaltant se clarifie d’une manière agréable au cœur ;’ et dans IX, 77, 1, ‘Ce doux (Soma) a rugi dans le baquet, la foudre d’Indra, plus belle que la belle [11].’ Non moins naturelle est la comparaison impliquée dans les épithètes, s’appliquant proprement à Indra, - telles que ‘vritrahan’ (tueur de Vritra), et ‘godâ’ (donneur de vaches), - lorsqu’elles sont appliquées à Soma, qui l’aide à faire valoir ces titres ; tout comme on peut comprendre qu’elles soient parfois appliquées à Agni, le feu sacrificiel, comme le moyen par lequel les libations parviennent à Indra. Français Un genre similaire de figure poétique est impliqué dans des passages représentant Soma comme exerçant une influence, non pas sur Indra lui-même, mais sur les armes qu’il manie [12] ; [p. xviii] tels que VIII, 76, 9, ‘O Indra, bois le Soma pressé, . . . aiguisant la foudre avec sa force ;’ ou IX, 96, 12, où Soma est appelé à rejoindre Indra et à produire des armes pour lui (ganayâyudhâni) ; ou VIII, 15, 7, où la coupe de Soma (dhishanâ) est censée aiguiser la puissance d’Indra, son audace et son intelligence, ainsi que la foudre désirable.
Mais, tandis que la plupart des érudits se contenteront probablement d’appliquer ce type d’interprétation aux cas d’identification apparente de Soma et du Vâgâra, tels que ceux mentionnés, M. Bergaigne est manifestement en faveur de leur identité pure et simple. Or, on ne peut nier que les auteurs de certains de ces passages aient réellement voulu représenter Soma comme virtuellement ou réellement identique à la foudre ; mais même si tel était le cas, nous serions difficilement fondés à supposer que cette identité ait été une conception établie et universellement acceptée à l’époque des hymnes. Il y a certainement un danger à traiter un recueil hétéroclite comme le Rig-Véda, comme s’il s’agissait d’une production uniforme et homogène, et à généraliser à partir d’un ou deux passages isolés. À cet égard, je ne peux m’empêcher de penser que M. Bergaigne est souvent allé plus loin que ce que beaucoup d’érudits sont prêts à le suivre. Ainsi, une autre de ses théories favorites semble être l’identité ultime de Soma et d’Agni. Mais si étroites que soient sans aucun doute les relations entre ces deux divinités, et même en admettant qu’elles aient pu occasionnellement être l’objet de ces tendances syncrétiques que l’on voit si souvent à l’œuvre dans les spéculations mythologiques des Rishis, je ne peux m’empêcher de penser que, pour la plupart des poètes védiques, Agni et Soma étaient des divinités parfaitement distinctes, aussi distinctes l’une de l’autre que les deux objets visibles qui les représentent sur terre. En effet, M. Bergaigne lui-même doit admettre (I, 167) que, « comme le feu et la boisson étaient en réalité distincts sur terre, cette distinction s’étendait inévitablement parfois à leurs formes divines ». Mais si tel est le cas, et s’ils sont effectivement invoqués ensemble dans un seul et même hymne, ne faut-il pas penser que, même sous ces formes divines, ils ont au moins dû être considérés comme deux manifestations différentes de la même divinité ?
Le Soma descend sur terre sous des averses de pluie, au milieu du tonnerre et des éclairs. Un nouveau problème se pose alors : dans cette lutte des éléments, quel est le phénomène exact par lequel nous devons reconnaître le divin Soma comme temporairement incarné ? On tenait autrefois pour acquis que la pluie de l’orage devait être considérée comme telle, étant en quelque sorte la contrepartie atmosphérique des gouttes de Soma terrestres, exprimées par la tige juteuse et s’écoulant dans la cuve. M. Bergaigne, cependant, a avancé la théorie selon laquelle ce n’est pas la pluie, mais la foudre, qui représente réellement le Soma ; et il a tenté de démontrer, avec une certaine ingéniosité, que plusieurs passages du Rik ne peuvent s’expliquer que, ou du moins de la manière la plus naturelle, à la lumière de sa théorie. Or, selon un vieux mythe, fréquemment évoqué dans les hymnes, le Soma fut descendu sur terre par un aigle ou un faucon (syena). Ainsi, nous lisons en I, 93, 6 : « Mâtarisvan a fait descendre l’un (Agni) du ciel, et la Syena a baratté l’autre (Soma) du rocher (céleste). » A. Kuhn ne voyait dans cet oiseau qu’une autre forme d’Indra qui, dans deux passages (I, 32, 14 ; X, 99, 8), est en effet directement assimilé à une Syena. En revanche, cette identification est rendue douteuse par deux autres passages (I, 80, 2 ; IV, 18, 13), dans lesquels la Syena est représentée comme apportant le Soma à Indra lui-même. Il y a donc là un véritable nœud. M. Bergaigne n’hésite pas à trancher le nœud en identifiant l’oiseau porteur du Soma à la foudre ; et l’éclair n’étant pour lui autre que Soma, le mythe se résume ainsi au fait assez banal que Soma se réfugie sur terre. Il lui suffisait d’aller plus loin en identifiant Soma, non seulement à Agni et à l’éclair, mais aussi à Indra lui-même, pour que la fantasmagorie soit complète. D’ailleurs, l’un des disciples de M. Bergaigne, M. Koulikovski, a déjà bien failli combler cette lacune lorsqu’il remarque (Revue de Linguistique, XVIII, p. 3) que dans l’hymne IV, 26 « nous avons affaire à un double personnage, composé des attributs d’Indra et de Soma ».
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Or, si ce mythe était purement indien, on pourrait se contenter de le reléguer dans la catégorie des « paradoxes » védiques à la justification desquels M. Bergaigne se déclare prêt à consacrer sa vie. Mais comme il ne fait aucun doute que ce mythe remonte à l’époque indo-européenne et qu’il vise simplement à rendre compte de l’effet mystérieux des liqueurs spiritueuses, ou de l’« eau-de-feu », pour ainsi dire, je trouve, pour ma part, impossible d’accepter l’explication de M. Bergaigne sur ce mythe, du moins en ce qui concerne l’identification du Soma et de la foudre [13]. En revanche, sa théorie est incontestablement largement corroborée par le fait que le Soma est fréquemment comparé à la Syène. Mais nous avons vu que le même terme s’applique à Indra, comme il l’est aussi aux Maruts (X, 92, 6), aux Asvins (IV, 74, 9 ; VIII, 73, 4) et à Sûrya (V, 45, 9) ; et rien, à mon avis, ne prouve que cette comparaison ait un lien avec le mythe qui fait descendre la liqueur ardente par un Syena. De plus, partout où cette comparaison apparaît, elle s’applique sans aucun doute au Pavamâna, ou aux gouttes ou ruisseaux de Soma s’écoulant à travers le filtre dans la cuve ; et je ne vois aucune raison de ne pas considérer les averses de pluie comme l’exacte contrepartie du Soma clarifiant. Mais, bien sûr, le véritable Soma divin n’est pas la goutte de pluie elle-même, pas plus qu’il n’est la goutte de jus extraite de la plante Soma ; mais il est l’étincelle de feu céleste enfermée dans la goutte. Il semblerait donc que, tandis que les masses de nuages recouvrent le ciel, Soma, la lumière céleste, soit conçue comme entrant en union avec les vaches célestes ou les eaux, libérées par la foudre de leur donjon de montagne, et descendant avec elles sur la terre.
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Mais s’il m’est impossible, en ce qui concerne le mythe de l’oiseau porteur de Soma, d’identifier avec M. Bergaigne le porteur ailé (probablement la foudre) avec son fardeau, le Soma, la descente du dieu de feu est représentée de diverses autres manières, et il se pourrait encore qu’un poète ait conçu le Soma taureau, comme la foudre, s’unissant aux vaches célestes dans leur course terrestre, de sorte qu’avant d’atteindre la terre, les gouttes de pluie seraient imprégnées de l’essence du Soma et seraient, en fait, de même nature que le jus du Soma. Je ne suis donc pas prêt à rejeter entièrement l’identification du Soma avec la foudre ; seulement, je ne pense pas qu’aucun des passages cruciaux invoqués par M. Bergaigne en faveur de cette identité ne nécessite nécessairement l’interprétation qu’il propose. Ainsi, dans IX, 41, 3, « Le son du puissant Pavamâna (le Soma clarifiant) s’entend comme celui de la pluie : les éclairs passent dans le ciel », il semble certainement tiré par les cheveux de prendre l’éclair, plutôt que la pluie, pour objet de comparaison du Soma, simplement parce que dans le même hymne, le Soma est aussi comparé au soleil et au fleuve céleste Rasa. On peut en dire autant de IX, 108, « Ce taureau aux mille ruisseaux, déversant la joie (mada-kyut), ils ont tiré du ciel son lait », et de plusieurs autres passages. Français Le verset IX, 87, 8, divo na vidyut stanayanty abhraih, somasya te pavata indra dhârâ, « Ton courant de Soma, ô Indra, se clarifie, comme (le fait) l’éclair tonnant du ciel au moyen des nuages », est plus favorable à la vision de M. Bergaigne, comme peut l’être aussi le passage douteux, V, 84, 3, yat te abhrasya vidyuto divo varshanti vrishtayah, « Quand les pluies des nuages te font pleuvoir (ô terre) des éclairs du ciel (?). » Quant à VII, 69, 6, adressé aux Asvins : « Venez, vous deux, à nos libations aujourd’hui, comme deux taureaux assoiffés à l’éclair », M. Bergaigne (I, 168) pense que l’identification de Soma à l’éclair peut à elle seule expliquer ce passage ; car il serait impossible d’imaginer que les deux taureaux puissent anticiper la pluie dès l’apparition de l’éclair. Bien qu’une telle figure poétique supporte difficilement un tel traitement critique, M. Bergaigne me permettra peut-être de demander si, si le passage avait été ainsi : « Venez ici à nos libations, comme deux taureaux au tonnerre [14] », il aurait trouvé cette figure si audacieuse pour un poète védique.
Français Le plus important de tous les passages est cependant sans doute le IX, 84, 3 : â yo gobhih srigyata oshadhîshu . . . â vidyutâ pavate dhârayâ sutah, indram somo mâdayan daivyam ganam. M. Bergaigne traduit (I, 172) le premier pâda par « Lui qui est répandu avec les vaches (ie the raindrops) dans les plantes », ce qui, bien entendu, convient aussi bien à l’une qu’à l’autre conception ; la seule question étant de savoir si Soma est déjà uni aux gouttes de pluie quand elles sont déversées par les nuages, ou si, sous la forme de l’éclair, il en est encore séparé. Le troisième pâda, remarque M. Bergaigne (I, 170), peut être hardiment traduit par « Il se clarifie, exprimé en un torrent qui est l’éclair ». Cette traduction, si elle était correcte, réglerait sans doute la question ; mais à mon avis, c’est une explication non seulement très douteuse, mais hautement improbable. Ce que je crois être la véritable interprétation du passage avait été donnée par le professeur Ludwig deux ans avant la publication du volume de M. Bergaigne, à savoir : « Exprimé en un torrent, il se clarifie par l’éclair – Soma qui exalte (ou enivre) Indra et la race divine. » On verra que cela change complètement la situation. L’éclair serait comparé au filtre de laine de mouton blanche, à travers lequel le jus de Soma s’infiltre dans la cuve. La même comparaison, à mon avis, est implicite partout où la formule pavate (â) vrishtim, « il se clarifie en pluie », est utilisée (IX, 49, I ; 3 ; 65, 3 ; 24 ; 96, 14 ; 108, 10). Et, en vérité, la comparaison me semble très frappante ; mais nous ne devons pas, bien sûr, penser à des éclairs isolés tels que nous en avons l’habitude dans nos climats nordiques (et tels qu’ils sont sans doute impliqués dans la conception védique du Vagra ou coup de foudre), mais à cette illumination électrique continue et généralisée (vi-dyut) qui constitue un trait caractéristique de la mousson, lorsque les averses de pluie semblent couler à travers un immense espace de lumière [15].
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Les coïncidences frappantes entre l’Agnishtoma védique et la cérémonie Homa des Pârsîs, soulignées par Martin Haug (Ait. Br. I, p. 59 et suiv.), ne laissent aucun doute quant au développement complet du rituel Soma dans ses caractéristiques essentielles avant la séparation des Indo-Iraniens. L’identité exacte de la plante à partir de laquelle leur liqueur sacrée était préparée reste quelque peu incertaine. Une enquête officielle, ouverte à la suite de deux articles publiés par le professeur Roth (Journal of Germ. Or. Soc. 1881 et 1883), et traduits par M. C.J. Lyall, secrétaire du commissaire en chef de l’Assam, et qui, semble-t-il, est actuellement menée, pour le compte du gouvernement indien, par le Dr Aitchison, botaniste à la Commission des frontières afghanes, réglera probablement la question d’ici peu une fois pour toutes. Français La parution du premier livre bleu officiel sur le sujet a déjà donné lieu à une nouvelle discussion sur le sujet, dans les colonnes d’un journal hebdomadaire [16], à laquelle ont participé les professeurs Max Müller et R. v. Roth, ainsi que plusieurs botanistes éminents, en particulier les docteurs J.G. Baker et WT Thiselton Dyer. Un intérêt particulier dans cette discussion est accordé à une lettre [17], de M. A. Houttum-Schindler, datée de Téhéran, le 20 décembre 1884, dans laquelle il est fait état de la plante dont les Pârsîs actuels de Kermân et de Yezd tirent leur jus de Hûm, et qu’ils affirment être la même [p. xxv] que le Haoma de l’Avesta. L’arbuste Hûm, selon cette description, atteint une hauteur de quatre pieds et se compose de tiges charnues circulaires (la plus épaisse mesurant environ un doigt) de couleur blanchâtre, avec des stries brun clair. Le jus était laiteux, d’un blanc verdâtre, et avait un goût sucré. M. Schindler apprit cependant qu’après quelques jours de conservation, il tournait au vinaigre et, comme les tiges, prenait une couleur brun jaunâtre. Les tiges se cassent facilement aux articulations et forment alors de petits morceaux cylindriques. Elles avaient perdu leurs feuilles, qui seraient petites et de forme similaire à celles du jasmin. Cette description, selon les naturalistes mentionnés ci-dessus, semblerait concorder assez bien avec celle du Sarcostemma (apparenté à l’asclépiade commune), ou d’un autre groupe d’Asclépiades, comme le Periploca aphylla qui, comme l’indique M. Baker, a été repéré par le Dr Haussknecht jusqu’à 900 mètres d’altitude dans les montagnes de Perse et, selon le Dr Aitchison, est également commun en Afghanistan. Une citation d’un ouvrage médical sanskrit, sur lequel le professeur Max Müller avait attiré l’attention il y a de nombreuses années, précise que « la plante grimpante, appelée Soma, est sombre, acide, sans feuilles, laiteuse, charnue en surface ; elle détruit (ou provoque) les mucosités, provoque des vomissements et est mangée par les chèvres. » L’odeur nauséabonde et aigre du jus de Sonia est également évoquée dans notre Brâhmana (voir le présent volume, p. 266). Selon le professeur Spiegel [18],les Pârsîs de Bombay obtiennent leur Homa de Kermân, où ils envoient de temps à autre leurs prêtres pour le chercher. La plante actuellement utilisée par les prêtres hindous du Dekhan, en revanche, selon Haug, n’est pas le Soma des Védas, mais semble appartenir au même ordre. « Elle pousse (nous informe-t-il, Ait. Br. II, 489) sur les collines des environs de Poona jusqu’à une hauteur d’environ quatre à cinq pieds, et forme une sorte de buisson, composé d’un certain nombre de pousses, toutes issues de la même racine ; leur tige est solide comme du bois ; l’écorce grisâtre ; elles sont sans feuilles ; la sève apparaît blanchâtre, a un goût très piquant, est amère, mais pas acide : c’est une boisson très désagréable et a un effet enivrant. Je l’ai goûtée plusieurs fois, mais [p. xxvi] il m’était impossible de boire plus de quelques cuillerées à café.’ En fait, plusieurs variétés de Sarcostemma ou Asclepiads [19], quelque peu différentes de celles de Perse et d’Afghanistan, qui ne se trouvent pas si loin au sud, semblent avoir été, et semblent en fait encore être, utilisées pour le sacrifice du Soma. Et malgré les objections soulevées par le Dr G. Watt, dans ses utiles « Notes », annexées à la traduction des articles du professeur Roth, toute probabilité me semble être en faveur de l’identité de la plante Soma originale avec l’arbuste dont les tiges sont utilisées par les Pârsîs pour préparer leur jus de Hûm, ou avec une autre plante du même genre. Il semblerait certainement qu’il s’agissait d’une plante aux tiges tendres et succulentes. Le Dr Watt remarque : « Nous ne connaissons aucun exemple de plante succulente conservant sa sève pendant des semaines ou des mois dans des rameaux isolés, et, en effet, nous ne connaissons que peu de plantes capables de résister, ne serait-ce qu’un jour ou deux, au climat sec de l’Inde, de manière à conserver la sève dans leurs rameaux isolés et coupés. » Mais, si à l’époque des hymnes védiques, des plantes fraîches et juteuses étaient probablement utilisées pour la préparation de la boisson sacrée, plus tard, lorsque les plantes durent être transportées sur de longues distances en Inde, on trouva apparemment des plantes flétries et ratatinées, mélangées à de l’eau et d’autres ingrédients, pour servir au même usage. Car nous savons, d’après la description donnée dans les Sûtras, que de l’eau était versée sur les plantes avant de les battre avec les pierres à presser. Cette humidification ou trempage est appelée âpyâyanam, ou « faire gonfler (les plantes) ». Après avoir été bien battues et meurtries, elles étaient jetées dans une cuve, ou plutôt une auge, partiellement remplie d’eau, et pressées à la main. Le Dr Watt pense que le professeur Roth aurait plutôt dû publier brièvement les principaux passages des hymnes décrivant la plante, dont les naturalistes auraient pu tirer leurs propres conclusions. Autant demander à un hébreu [p.xxvii] érudit à donner des descriptions précises du « muguet » pour permettre au botaniste d’identifier et de classer la belle fleur qui ravissait le cœur du roi Salomon. C’est précisément le manque de connaissance précise de la nature de la plante Soma qui empêche l’érudit védique de comprendre certaines des rares allusions matérielles à celle-ci. Ainsi, le terme amsu, communément appliqué à la plante Soma, était autrefois interprété comme signifiant simplement « plante » ou « brin, pousse » ; mais le professeur Roth semble maintenant enclin, peut-être à juste titre, à le considérer comme faisant référence à l’entre-nœud, ou pièce cylindrique entre deux articulations de la tige. Les substituts approuvés par le Satapatha-brâhma, au cas où il serait impossible de se procurer de véritables plantes Soma, sont énumérés aux pages 421-422 du présent volume. Une description de ces plantes, telles qu’elles ont été identifiées, est donnée dans l’article du professeur Roth.
Je ne saurais conclure ces remarques sans exprimer mes sincères remerciements aux érudits qui m’ont fait l’honneur de relire le premier volume de cet ouvrage. Je suis particulièrement reconnaissant au professeur Whitney pour son examen minutieux de ma traduction et pour la critique à la fois perspicace et appréciative qu’il a bien voulu lui apporter. Je serai satisfait si ce volume trouve au moins un lecteur aussi consciencieux et méticuleux. Bien que je sois d’accord avec la plupart des suggestions du professeur Whitney [20], il y a un ou deux points qu’il a soulevés, et peut-être parmi les plus importants, sur lesquels je n’ai pas pu partager son avis ; et comme certains de ces points concernent des traductions reprises dans le présent volume, je saisis l’occasion ici pour les aborder brièvement.
Le plus important de ces points est probablement ma traduction du terme kapâla par « tesson », au lieu de « tasse, plat », comme le propose le professeur Whitney. Au lieu de parler d’un gâteau sacrificiel sur onze ou douze tessons, nous devrions l’appeler un gâteau sur autant de tasses ou de plats. Le terme [p. xxviii] « tesson » est sans doute quelque peu maladroit, et, si cela avait été possible, j’aurais préféré utiliser le simple terme désuet de « tesson » ou de « tesson » ; mais je m’oppose résolument à « tasse » ou à « plat ». Je déduis de sa suggestion que nous avons des points de vue totalement différents sur la fonction et la nature du kapâla. Je dois rejeter les traductions proposées pour la raison même pour laquelle elles s’imposent au professeur Whitney, à savoir parce qu’elles impliquent autant de récipients complets en eux-mêmes. Il demande si je suppose que les brahmanes faisaient leurs offrandes sur des fragments de poterie brisée. Eh bien, je crois certainement que les kapâlas sont censés représenter les fragments d’un plat brisé. Le gâteau sacrificiel doit être cuit sur un plat, mais pour des raisons symboliques, ce plat est censé être brisé en plusieurs morceaux ou kapâlas. La signification symbolique de cela semble être double. D’une part, le plat doit ressembler au crâne humain. C’est pourquoi nous lisons Sat. Br. I, 2, I, 2, « Le gâteau est la tête de Yagña (le sacrifice, et symboliquement le sacrificateur lui-même) ; car ces tessons de poterie (kapalâni) sont ce que sont les os du crâne (sîrshnah kapâlâni), et le riz moulu n’est rien d’autre que le cerveau. » Français D’autre part, les kapâlas sont généralement disposés (voir Partie I, p. 34, note) de manière à produire une ressemblance imaginaire avec la carapace (supérieure [21]) de la tortue, qui est un symbole du ciel, comme la tortue elle-même représente l’univers. Ainsi, avec des gâteaux sur un seul kapâla, ce dernier est en effet un plat complet. De la même manière, le terme kapâla, au singulier, est parfois appliqué au crâne, ainsi qu’aux parties supérieure et inférieure de la tortue, par exemple Sat. Br. VII, 5, I, 2 : « Ce kapâla inférieur d’elle (la tortue) est ce monde, car ce (kapâla) est fermement établi, et fermement établi est ce monde ; et ce (kapâla) supérieur est le ciel là-bas, car il a ses extrémités tournées vers le bas, et ainsi ce ciel a ses extrémités tournées vers le bas ; et ce qui est entre les deux est cette atmosphère : en vérité, cette même (tortue) représente ces mondes. Plus généralement, cependant, le terme est appliqué aux os individuels du crâne (et aux plaques de la boîte de la tortue). C’est pourquoi le Medinî dit (lânta 71), kapâlo 'strî siro-'sthni syâd, ghatâdeh sakale, vrage,—kapâla peut être utilisé dans le sens de « tête-os », dans celui de « fragment de pot », etc., et dans le sens de « collection ».
Le professeur Whitney s’offusque que je traduise parfois âtman par « corps » – une inexactitude, remarque-t-il, qui pourrait facilement être évitée. Je ne comprends pas très bien sur quoi il s’appuie pour s’opposer à cette traduction. Le sens originel d’âtman est sans doute (souffle) « soi, âme » ; mais il ne fait aucun doute qu’il signifie aussi couramment « corps, tronc », par opposition aux membres, aux ailes, etc. Ainsi, nous lisons Sat. Br. IV, 1, 2, 25, « Le sacrifice est façonné comme un oiseau : l’Upâmsu et l’Antaryâma sont ses ailes, et l’Upâmsusavana est son corps [22]. »
Ma traduction de « videgho ha mâthavah » (I, 4, I, 10) par « Mâthava le (roi de) Videgha », au lieu de « Videgha (le) Mâthava », est à juste titre contestée. J’avais d’ailleurs déjà profité de l’occasion, dans l’introduction du même volume (I, p. xli, note 4), pour apporter cette correction.
Les remarques du professeur Whitney sur « yûpena yopayitvâ » sont mentionnées à la p. 36, note 1 du présent volume ; de même que celles sur « ed » à la p. 265, note 2. Concernant ce dernier point, il me fait plutôt erreur en supposant que j’ai apparemment considéré la particule (ou les particules) « ed » (pour laquelle le texte Kânva semble lire « â hi ») comme une forme verbale issue de la racine « i », aller. Le fait est que j’ai suivi le professeur Weber (Ind. Stud. IX, p. 249) en considérant qu’il s’agissait d’une expression populaire, avec un verbe de mouvement compris, un peu dans le sens de l’allemand « hin » ; par exemple « Allons-nous y aller ? » — « Hin denn ! » c’est-à-dire « Allons-y alors ».
Ma traduction de II, 4, 2, 19 n’est pas tout à fait approuvée par [p. xxx] le professeur Whitney. L’offrande y est faite séparément au grand-père et à l’arrière-grand-père du sacrificateur avec la formule « NN, ceci pour toi ! » à laquelle certaines autorités ajoutent « et pour ceux qui viendront après toi ». Cet ajout est rejeté par l’auteur au motif que « svayam vai teshâm saha yeshâm saha », que j’ai traduit par « puisqu’il est lui-même l’un de ceux à qui [cela serait offert] en commun ». Le professeur Whitney s’y oppose, remarquant que dans ce cas, l’expression « et ceux qui (viendront) après toi » pourrait être ajoutée, sans aucune raison contraire. Mais il oublie un point important : il serait fatal pour le sacrifiant de s’associer ainsi aux ancêtres défunts, voire de s’offrir à lui-même avec eux : cela signifierait simplement qu’il « s’en irait aussitôt dans l’au-delà », qu’il ne vivrait pas la plénitude de ses jours. La proposition en question est elliptique, sa traduction littérale étant : « Il est certainement de ceux avec qui il est. » Cela peut être pris au sens où je l’ai compris (voir aussi St. Petersb. Dict. sv saha) ; ou de manière générale : « Il est certainement de ceux avec qui il s’associe », c’est-à-dire qu’il serait lui-même un homme mort.
Dans la légende de Manu et du Déluge (I, 8, 1, 1 seq.), je trouve impossible d’accepter la conjecture du professeur Delbrück, que le professeur Whitney considère comme la meilleure et la seule acceptable, à savoir que (au par. 4) la phrase « sasvad ha ghasha âsa, sa hi gyeshtham vardhate » est une glose interpolée. La raison pour laquelle je ne l’accepte pas est le fait que le passage apparaît également dans la recension de Kânva, et est donc authentifié pour une période si relativement ancienne que la difficulté d’expliquer l’interpolation pourrait être encore plus grande que celle de l’interprétation du passage lui-même. Le professeur Ludwig, dans son aimable notice parue dans « Göttinger Gel. Anz. » 1883, propose de prendre sasvat dans le sens de πάντως : « Il devint tout à fait (c’est-à-dire conformément à la prédiction) un gros poisson. » Le professeur Max Müller a de nouveau traduit cette légende dans son ouvrage « India, what can it teach us? » p. 134 seq., où il rend ce passage par « Il devint bientôt un gros poisson [p. xxxi] (ghasha), car un tel poisson devient plus grand. » Je suis toujours enclin à prendre ghasha comme le nom d’une sorte de poisson, réel ou mythique.
Le professeur Whitney aborde une fois de plus la question controversée de la véritable signification de « Gâtávedas » et estime que la traduction « Wesen-kenner », « être-connaissant », ou « celui qui connaît tous les êtres », est inacceptable. Il remarque que « ce mot peut, en effet, être considéré à juste titre comme obscur : il est donc très étrange qu’une appellation si fréquemment appliquée à Agni ne voie pas sa signification clairement indiquée, soit par son applicabilité, soit par des expressions parallèles employées dans les descriptions du même dieu ou dans les attributions qui lui sont faites ; mais aucune explication de ce type n’a été trouvée dans les écrits védiques. » Il est indéniable qu’à l’époque de Yâska – qui (7, 19) propose cinq dérivations différentes du terme, la première étant celle donnée ci-dessus, à savoir : gâtâni veda, « il connaît (les choses) qui naissent » – le sens réel du mot composé était inconnu ; et même à l’époque des hymnes, l’épithète semble avoir été comprise de différentes manières. Que le sens de « connaisseur des êtres » fût, en tout cas, l’un de ceux communément attribués à Gâtavedas » par les poètes védiques me semble cependant suffisamment évident à partir de plusieurs expressions parallèles utilisées en référence à Agni, telles que Rig-veda VI, 15, 13, visvâ veda ganimâ gâtavedâh [23], « Gâtavedas connaît toutes les races (ou existences) » ; Français I, 70, 1, â daivyâni vratâ kikitvân â manushyasya ganasya ganma, ‘celui qui se soucie des ordonnances divines et de la race du genre humain’ ; ib. 3, devânâm ganma martâms ka vidvân, ‘connaissant la race des dieux et des hommes’ ; I, 189, 1, visvâni vayunâni vidvân, ‘connaissant toutes les œuvres’ ; ib. 7, tvam tân agna ubhayân v vidvân veshi, etc. D’autre part, dans Sat. Br. IX, 5, I, 68, le terme est expliqué par gâtam gâtam vindate ; il prend possession de l’être après l’être, ou de tout ce qui est né. La facilité avec laquelle des termes tels que Gâtavedas et Wesenkenner [p. xxxii] (connaisseur des êtres) peuvent prendre des significations différentes, peut être démontrée par la remarque de M. Peile (Notes sur le Nalopâkhyânam, p. 23) : « Gâtavedas, l’épithète védique d’Agni, est décrit comme le « connaisseur de l’essence » (gâta), Grassmann, Dict. sv »
Pour le premier chapitre du troisième livre, traitant de la cérémonie de consécration, j’ai eu l’avantage de me servir de la traduction allemande, publiée par le Dr B. Lindner dans sa brochure, « Die Dîkshâ », Leipzig, 1878.
xiii:1 Ou, comme le récipient contenant le divin Soma, la boisson conférant l’immortalité. ↩︎
xiii:2 Voir, par exemple, Sat. Br. I, 6, 4, 5 seq. Il est possible aussi que la forme de la « lune cornue » ait facilité l’attribution à cet astre de nature semblable à une coque, tel qu’il est attribué à Soma ; bien qu’une attribution similaire, il est vrai, soit faite dans le cas d’autres objets célestes dont l’apparence extérieure n’offre pas de tels points de comparaison. ↩︎
xiii:3 MA Barth, The Vedic Religions, p. 27, d’autre part, est d’avis que cette identification remonte à l’époque indo-européenne. ↩︎
xiii:4 St. Petersburg Dict. sv Selon A. Kuhn, les deux mythes de la descente du Feu et de la Liqueur divine proviennent d’une seule et même conception, d’où l’étincelle de feu est conçue comme une goutte. ‘Herabkunft’, p. 161. ↩︎
xiii : 5 Zeitsch de Kuhn. f. Vergl. Spr. XVI, p. 183 suiv. ↩︎
xiv:1 M. Bergaigne, II, p. 249, identifie à la fille de Sûrya la jeune fille (? Apâlâ) qui, se rendant à l’eau, trouva Soma et le ramena chez elle en disant : « Je te presserai pour Indra ! » Sur cet hymne, voir Prof. Aufrecht, Ind. Stud. IV, 1 seq. ↩︎
xiv:2 Sur cet hymne, voir A. Weber, Ind. Stud. V, 178 suiv.; J. Ehni, Zeitsch. der DMG XXXIII, p. 166 suiv. ↩︎
xv:1 Udhani, lit, dans ou sur le pis (d’où le Soma est trait, c’est-à-dire le ciel). ↩︎
xvi:1 Cf. Spiegel, Eranische Alterthumskunde, II, p. 114. ↩︎
xvii:1 Cf. A. Bergaigne, Religion Védique, II, 253. Chez les Brâhmanas, ce n’est pas le Soma, mais la pierre à presser, qui est identifié au Vagra. ↩︎
xvii:2 Le professeur Ludwig propose de lire ‘va’grât’ au lieu de ‘vagro’, donc ‘plus beau que le magnifique coup de foudre d’Indra’. Mais même si nous conservons la lecture reçue, ‘vapushah’ pourrait se référer au (vrai) coup de foudre ; bien que, bien sûr, il puisse également être pris comme se référant soit au soleil, soit à Agni, soit à une autre divinité ou à un objet céleste. ↩︎
xvii:3 Cf. A. Bergaigne, II, 251. ↩︎
xx:1 Pour la même raison, je trouve impossible d’accepter l’interprétation que M. Bergaigne donne de l’hymne IV, 27, à la fin de son ouvrage (vol. iii, p. 322 seq.). Selon cette interprétation, Soma, dans le premier vers, déclare qu’il s’est lui-même envolé de sa prison sous la forme d’un aigle ; puis, dans le second vers — comme pour réprimander ceux qui pourraient imaginer que l’aigle est un être différent de lui — il ajoute : « Ce n’est pas lui (l’aigle) qui m’a emporté avec facilité, mais j’ai triomphé par ma propre habileté et ma propre bravoure ! » Je crains que ce spécimen critique de la tribu à plumes ne trouve pas beaucoup d’admirateurs parmi les sanskritistes prosaïques de la p. xxi. Français Je préférerais, avec le professeur Roth, lire « nir ádîyat » au lieu de « nir adîyam », à moins qu’il ne soit possible de lire « syenagavásâ » au lieu de « syenó gavásâ ». M. Koulikovski, dans l’article cité, rassemble les hymnes IV, 26 et 27 et les considère comme une sorte de controverse mytho-critique entre le dieu Soma et une autre personne (peut-être l’auteur lui-même), défendant deux versions différentes du mythe de Soma, à savoir Soma affirmant que c’est lui qui a apporté la plante divine, tandis que son interlocuteur (« qui a le dernier mot dans l’hymne ») soutient qu’elle a été apportée par un faucon. Ainsi, selon ce chercheur, le faucon était déjà (!) distingué de Soma ; et ces deux hymnes « sont, pour ainsi dire, l’écho d’une dispute religieuse, ou plutôt mythologique, qui avait divisé les théologiens de l’époque védique. » Peut-être que la théorie du professeur Oldenberg sur les hymnes Âkhyâta, ou morceaux de poésie détachés reliés par des récits en prose, pourrait avoir une chance avec ces hymnes. ↩︎
xxii:1 Cp. IX, 100, 3: ‘Envoyez la pensée liée à l’esprit, comme le tonnerre envoie la pluie.’ ↩︎
xxiii:1 Pour une description de ce phénomène dans les districts où nous devons imaginer que les poètes védiques ont composé leurs hymnes, voir Elphinstone, Account of the Kingdom of Cabool, p. 126 seq.
Je ne peux m’empêcher de citer ici quelques extraits d’une description graphique du début de la mousson en Inde proprement dite, donnée dans l’Oriental Annual du révérend H. Caunter (1834) : « Il y avait une légère brume sur les eaux lointaines qui semblait s’épaissir progressivement, bien que pas jusqu’à une densité suffisante pour réfracter les rayons du soleil, qui inondaient toujours la vaste mer d’une masse invariable de lumière rougeoyante… Vers l’après-midi, l’aspect du ciel commença à changer ; l’horizon s’assombrit, et le soleil, qui s’était levé si brillamment, avait manifestement culminé dans l’obscurité, et sa splendeur avait été voilée à la vue humaine par une longue et sombre période de tempête et de turbulence. Des masses de nuages lourds semblaient s’élever de la mer, noirs et menaçants, accompagnées de soudaines rafales de vent, qui s’éteignirent brusquement, succédant à un calme intense, presque mortel, comme si l’air était dans un état de stagnation totale et que ses propriétés vitales étaient arrêtées. » Il semblait ne plus circuler, jusqu’à ce qu’il soit à nouveau agité par les brèves mais puissantes rafales qui balayaient férocement, tels les géants annonciateurs du ciel. Pendant ce temps, le cercle inférieur du ciel paraissait d’un rouge cuivré profond, à cause du reflet partiel des rayons du soleil sur les épais nuages qui l’avaient maintenant partout recouvert… De la maison que nous occupions, nous pouvions contempler le début de la mousson dans toute sa majestueuse et terrifiante sublimité. Le vent, avec une force à laquelle rien ne pouvait résister, courbait les têtes touffues des grands et minces cocotiers presque jusqu’au sol, projetant le sable léger dans l’air en tourbillons tourbillonnants, jusqu’à ce que la pluie ait soit tellement augmenté sa gravité, soit l’ait tellement alourdi qu’il empêchait le vent de le soulever. Les éclairs pâles jaillissaient des nuages en larges nappes de flammes, qui semblaient encercler le ciel comme si chaque élément s’était transformé en feu, et que le monde était à la veille d’une conflagration générale, tandis que le carillon, qui suivit immédiatement, ressemblait à l’explosion d’une poudrière, ou à la décharge d’artillerie dans la gorge d’une montagne, où la répercussion des collines environnantes multiplie avec une énergie terrible ses échos profonds et stupéfiants. Le ciel semblait être un vaste réservoir de flammes, propulsé de son lit volumineux par une force invisible mais omnipotente, et menaçant de déverser sa ruine ardente sur tout ce qui l’entourait. Cependant, dans certaines parties de la vapeur noire qui enveloppait alors complètement le ciel, on ne voyait que de rares éclairs luire, comme s’ils luttaient sans succès pour s’échapper de leur prison, embrasant, mais trop faiblement pour éclater, les entrailles imperméables de ces vastes réserves où ils étaient à la fois engendrés et emprisonnés. La pluie était si forte et continue que l’on ne percevait presque rien, hormis ces éclats de lumière éclatants que rien ne pouvait arrêter ni résister…Jour après jour, la même scène se répétait avec un peu moins de violence, bien que par moments la puissance de l’ouragan fût véritablement effroyable… La fin de la mousson est souvent encore plus violente, si possible, que son arrivée, et ce fut le cas durant la première saison suivant mon arrivée en Inde. C’était véritablement stupéfiant, et je ne cesserai de m’en souvenir jusqu’à la fin de mes jours. ↩︎
xxiv:1 L’Académie, 25 octobre 1884—14 février 1885. ↩︎
xxiv:2 Ibid., 31 janv. 1885. ↩︎
xxv : 1 Eranische Alterthumskunde, III, p. 572. ↩︎
xxvi:1 Surtout Sarcostemma intermedium, S. brevistigma et S. viminale (ou Asclepias acida). Voir R. Roth, Zeitsch. der D.Morg. Ges. vol. xxxv, p. 681 suiv. ↩︎
xxvii:1 American Journal of Philology, vol. iii, pp. 391-410; Actes de l’American Oriental Society, 18 octobre 1882, p. xiv seq. ↩︎
xxviii:1 Ou peut-être la coquille inférieure qui représente la terre, étant en quelque sorte un symbole de fermeté et de sécurité. ↩︎
xxix:1 Le professeur Max Müller a eu la gentillesse de m’envoyer un certain nombre de passages des Upanishads et des Âranyakas, dans lesquels âtman a le sens de « corps, tronc », et est généralement expliqué dans les commentaires par sarîra (âtmânah = sarîrâvayavâh, Brihadâr. Up. I, 1, 2, 7). L’adverbe adhyâtmam, remarque-t-il, signifie toujours « en référence au corps » ; cf. Taitt. Up. I, 7 ; Sat. Br. IV, 1, 3, 1, le présent volume, p. 265, note 1. ↩︎
xxxi:1 Voir Grassmann, Wörterbuch sv; M. Bergaigne, III, 334, prend ce passage pour fournir l’étymologie du mot. ↩︎