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PROGRAMME D’UNE TRADUCTION DES LIVRES SACRÉS D’ORIENT.
Je joins ici le programme dans lequel j’avais initialement émis l’idée d’une traduction des Livres sacrés de l’Orient, et par lequel j’avais sollicité la coopération des érudits orientaux pour cette entreprise. La difficulté de trouver des traducteurs, à la fois désireux et compétents, s’est avérée bien plus grande que je ne l’avais prévu. Même après avoir obtenu l’aide de plusieurs excellents érudits et obtenu leurs promesses de prompte coopération, la maladie, les afflictions domestiques et même la mort ont pris le dessus sur toutes les affaires humaines. Le professeur Childers, qui avait manifesté le plus vif intérêt pour notre travail et dont je dépendais principalement pour la littérature pali des bouddhistes, nous a été enlevé, une perte irréparable pour l’érudition orientale en général, et pour notre entreprise en particulier. Parmi les érudits autochtones, dont j’avais été particulièrement sollicité pour la coopération, Rajendralal Mitra, qui avait promis une traduction du Vâyu-purânâ, a été empêché par une grave maladie de tenir son engagement. Dans d’autres cas, le chagrin et la maladie ont causé, en tout cas, de sérieux retards dans la traduction des livres qui devaient inaugurer cette collection. Cependant, de nouvelles offres d’aide ont été reçues, et j’espère que d’autres savants orientaux, tant en Inde qu’en Angleterre, en feront encore davantage, afin que le délai initialement prévu pour la publication des vingt-quatre volumes ne soit pas, je l’espère, trop dépassé.
LES LIVRES SACRÉS DE L’ORIENT, TRADUIT AVEC INTRODUCTIONS ET NOTES PAR DIVERS ÉTUDIANTS ORIENTAUX, ET ÉDITÉ PAR F. MAX MULLER.
Outre l’intérêt que les Livres sacrés de toutes les religions présentent aux yeux du théologien, et plus particulièrement du missionnaire, pour qui une connaissance précise est aussi indispensable que celle du pays ennemi l’est à un général, ces ouvrages ont récemment pris une importance nouvelle, perçue comme des documents historiques anciens. Dans tous les pays où des Livres sacrés ont été conservés, que ce soit par tradition orale ou par écrit, ils constituent les documents les plus anciens et marquent le début de ce que l’on peut appeler l’histoire documentaire, par opposition à l’histoire purement traditionnelle.
Il n’y a rien de plus ancien en Inde que les Védas ; et, si l’on excepte les Védas et la littérature qui leur est associée, il n’existe aucune œuvre littéraire en Inde qui, à notre connaissance actuelle, puisse être attribuée avec certitude à une date antérieure à celle du Canon sacré des bouddhistes. Quel que soit l’âge que l’on attribue aux différentes parties de l’Avesta et à leur arrangement final, aucun livre en langue persane ne soit plus ancien que les Livres sacrés des disciples de Zarathoustra, et même que leur traduction en pehlevi. Il se peut qu’il y ait eu une abondante littérature ancienne en Chine bien avant Khung-fû-ʓze et Lâo-ʓze, mais parmi tout ce qui en a été sauvé et préservé, les cinq Rois et les quatre Shû revendiquent la plus haute antiquité. Quant au Coran, il est connu pour être la source de la religion et de la littérature des Arabes.
Français Cela étant, il était naturel que l’attention des historiens ait été récemment davantage attirée par ces Livres sacrés, susceptibles de fournir des informations précieuses, non seulement sur la religion, mais aussi sur les sentiments moraux, les institutions sociales et les maximes juridiques de certaines des nations les plus importantes de l’Antiquité. Peu de nations ont conservé des écrits sacrés, et nombre de ceux qui l’ont été ne nous sont devenus accessibles que récemment dans leur forme originale, grâce aux progrès rapides de l’érudition orientale en Europe. Ni les Grecs, ni les Romains, ni les Germains, ni les Celtes, ni les Esclaves ne nous ont laissé quoi que ce soit qui mérite le nom de Livres sacrés. Le [p. xli] Les poèmes homériques sont des épopées nationales, comme le Râmâyana et le Nibelunge, et les hymnes homériques n’ont jamais reçu cette reconnaissance ou sanction générale qui seule peut conférer aux effusions poétiques de la piété personnelle le caractère sacré ou canonique qui est le trait distinctif des hymnes védiques. La littérature sacrée des premiers habitants de l’Italie semble avoir été de nature liturgique plutôt que purement religieuse, et quelles que soient les traditions sacrées que les Celtes, les Germains et les Esclaves aient pu posséder concernant leurs dieux et leurs héros, ayant été transmises principalement par tradition orale, elles ont péri sans espoir de récupération. Certaines parties des Eddas nous donnent à elles seules une idée de ce qu’a pu être la poésie religieuse et héroïque des Scandinaves. Les Égyptiens possédaient des Livres sacrés, et certains d’entre eux, comme le Livre des Morts, nous sont parvenus sous diverses formes. Il existe une traduction du Livre des Morts par le Dr Birch, publiée dans le cinquième volume de l’Égypte de Bunsen. On peut s’attendre à une nouvelle édition et traduction de cet important ouvrage, fruit des travaux conjoints de Birch, Chabas, Lepsius et Naville. À Babylone et en Assyrie également, d’importants fragments de ce que l’on pourrait appeler une littérature sacrée ont récemment été mis au jour. Cependant, l’interprétation de ces textes hiéroglyphiques et cunéiformes est encore si difficile qu’ils n’intéressent pour l’instant que les érudits et sont difficilement accessibles à des fins historiques.
En laissant de côté les Écritures juives et chrétiennes, il apparaît que les seules grandes religions originales qui professent être fondées sur des Livres sacrés [1] et les ont conservés sous forme manuscrite sont :
1. La religion des Brahmanes.
2. La religion des disciples de Bouddha.
3. La religion des disciples de Zarathoustra.
4. La religion des adeptes de Khung-fû-ʓze.
5. La religion des disciples de Lâo-ʓze.
6. La religion des disciples de Mahomet.
Le désir d’une traduction fiable des Livres sacrés de ces six religions orientales a souvent été exprimé. Plusieurs d’entre eux ont été traduits en anglais, en français, en allemand ou en latin, mais dans certains cas, ces traductions sont difficiles à obtenir ; dans d’autres, elles sont chargées de notes et de commentaires, destinés uniquement aux étudiants professionnels. On a reproché aux orientaux de ne pas avoir encore répondu à un besoin si généralement ressenti et si fréquemment exprimé : une traduction complète, fiable et lisible des principaux Livres sacrés des religions orientales. Les raisons pour lesquelles ils ont jusqu’à présent reculé devant une telle entreprise sont pourtant évidentes. Dans bien des cas, il est très difficile de fournir des traductions complètes, et non seulement des extraits choisis. Il reste encore beaucoup à faire pour restaurer de manière critique les textes originaux, examiner leur grammaire et leur métrique, et déterminer le sens exact de nombreux mots et passages. Ce genre de travail est naturellement bien plus attrayant pour les érudits qu’une simple traduction, surtout lorsqu’ils ne peuvent s’empêcher de penser qu’avec les progrès de nos connaissances, bien des passages qui paraissent aujourd’hui clairs et faciles peuvent, une fois réexaminés, prendre une nouvelle signification. Ainsi, tandis que les érudits les plus compétents pour entreprendre une traduction préfèrent se consacrer à des recherches plus spécialisées, la traduction complète est remise à plus tard, et les historiens ont l’impression que l’érudition orientale est encore si insatisfaisante qu’il est extrêmement risqué de se fier aux traductions du Véda, de l’Avesta ou du Tao.
Il est donc clair qu’une traduction des principaux Livres sacrés de l’Orient ne peut être entreprise qu’au prix d’un certain sacrifice. Les érudits doivent abandonner pour un temps leurs propres recherches afin de rendre accessibles au grand public les résultats généraux déjà obtenus. Et même alors, des résultats réellement utiles ne peuvent être obtenus que viribus unitis. Si quatre des meilleurs égyptologues doivent s’associer pour produire une édition et une traduction satisfaisantes de l’un des Livres sacrés de l’Égypte ancienne, un nombre bien plus important d’égyptologues orientaux sera nécessaire pour traduire les Livres sacrés des brahmanes, des bouddhistes, des zoroastriens, des disciples de Khung-fû-ʓze, de Lâo-ʓze et de Mahomet.
Enfin, il y avait la plus sérieuse difficulté de toutes, une difficulté qu’aucun érudit ne pouvait surmonter : trouver les fonds nécessaires à la réalisation d’une entreprise aussi vaste. Il existe sans doute aujourd’hui un vif intérêt pour les questions liées à l’origine, à la croissance et au déclin de la religion. Mais cet intérêt est en grande partie théorique plutôt qu’historique. La manière dont les gens auraient pu, ou auraient dû, élaborer des idées religieuses est un sujet très discuté parmi les psychologues et les théologiens, mais l’étude des documents, seuls à même de retracer l’évolution réelle de la pensée religieuse, est largement négligée. [p. xliii] Une traduction en prose fidèle et sans fard des Livres sacrés de l’Inde, de la Perse, de la Chine et de l’Arabie, bien qu’elle puisse intéresser les étudiants attentifs, ne suscitera jamais, je le crains, un intérêt généralisé ni une diffusion suffisamment importante pour en faire un sujet d’entreprise privée et de spéculation commerciale.
Il ne fait aucun doute que ces livres anciens contiennent beaucoup de choses qui étonnent par leur simplicité et leur vérité, beaucoup de choses élevées et exaltantes, beaucoup de choses belles et sublimes ; mais ceux qui ont une vague idée de la sagesse primitive et de la splendeur de la poésie orientale seront bientôt profondément déçus. On ne saurait trop insister sur le fait que le principal, et souvent le seul intérêt des Livres sacrés d’Orient, est historique ; que beaucoup d’entre eux sont extrêmement puérils, fastidieux, voire répugnants ; et que seul l’historien sera capable de comprendre les importantes leçons qu’ils enseignent. Il aurait été impossible d’entreprendre une traduction même du plus important des Livres Sacrés de l’Orient, sans l’appui d’une Académie ou d’une Université qui reconnaît la nécessité de rendre ces œuvres plus généralement accessibles, pour les mêmes raisons qu’elle reconnaît le devoir de rassembler et d’exposer dans les Musées les pétrifications des âges passés, peu importe que le public admire la beauté des plantes fossilisées et des squelettes brisés, pourvu que les étudiants travailleurs y trouvent quelque lumière pour relire les pages les plus sombres de l’histoire de la terre.
Ayant eu la chance d’obtenir ce soutien, et ayant également reçu des promesses d’aide de la part de certains des meilleurs orientaux d’Angleterre et d’Inde, j’espère pouvoir, une fois les préparatifs terminés, publier environ trois volumes de traductions par an, en sélectionnant parmi les six « religions du Livre » les ouvrages actuellement traduisibles et les plus susceptibles de s’avérer utiles. Toutes les traductions seront réalisées à partir des textes originaux, et celles de bonne qualité seront soigneusement révisées par des savants compétents. L’importance de la littérature religieuse des brahmanes et des bouddhistes est telle qu’une génération de savants serait incapable d’en réaliser une traduction complète. Néanmoins, si l’intérêt pour ce travail se maintient, il n’y a aucune raison pour que cette série de traductions ne soit pas poursuivie, même après la fin des travaux de ceux qui l’ont entreprise.
Ce que j’envisage actuellement, et je crains qu’à mon âge, même cela puisse paraître trop optimiste, n’est rien de plus qu’une série [p. xliv] de vingt-quatre volumes, dont la publication s’étendra probablement sur huit ans. Dans cette série, j’espère comprendre les livres suivants, sans toutefois m’engager à respecter strictement ce plan :
1. Parmi les Livres sacrés des Brahmanes, j’espère donner une traduction des Hymnes du Rig-Véda. Tout en poursuivant ma traduction d’hymnes choisis de ce Véda, traduction raisonnée destinée aux seuls spécialistes du sanskrit, selon les mêmes principes que ceux suivis dans le premier volume [2], en expliquant chaque mot et phrase qui semble nécessiter une clarification, et en examinant attentivement les opinions des commentateurs précédents, tant autochtones qu’européens, j’ai l’intention de contribuer à cette collection par une traduction plus libre des hymnes, avec seulement quelques notes explicatives, indispensables pour permettre aux lecteurs non familiarisés avec le sanskrit de comprendre la pensée des poètes védiques. La traduction d’un autre Samhitâ, d’un ou deux Brâhmanes, ou de parties de ceux-ci, devra être incluse dans notre collection, ainsi que des principales Upanishads, traités théosophiques d’un grand intérêt et d’une grande beauté. Il y a fort à paraitre qu’une traduction de la Bhagavad-gîtâ, le plus important des livres sacrés de la Loi, et d’au moins un des Purânas paraîtra prochainement. J’aurais souhaité inclure une traduction de certains des livres de Gân, du Granth des Sikhs et d’ouvrages similaires illustrant l’évolution ultérieure de la religion en Inde, mais il n’y a guère de place pour elles à l’heure actuelle.
2. Les Livres sacrés des bouddhistes seront traduits principalement à partir des deux recueils originaux : le Sud en pali, le Nord en sanskrit. La sélection sera sans doute ici particulièrement difficile. Parmi les premiers livres à paraître figureront, je l’espère, des Sûtras du Dîgha Nikâya, une partie du Vinaya-pitaka, le Dhammapada, le Divyâvadâna, le Lalita-vistara, ou vie légendaire du Bouddha.
3. Les Livres Sacrés des Zoroastriens se situent dans un périmètre plus restreint, mais ils nécessiteront des notes et des commentaires plus complets afin de rendre une traduction intelligible et utile.
4. Les livres qui jouissent de la plus haute autorité auprès des disciples de Khung-fû-ʓze sont le Roi et le Shû. Du premier, le Roi Shû ou Livre d’Histoire ; les Odes du Temple et [p. xlv] l’Autel, ainsi que d’autres pièces illustrant les anciennes vues et pratiques religieuses des Chinois, dans le Roi Shih ou Livre de Poésie ; le Roi Yî ; le Lî Kî ; et le Roi Hsiâo ou Classique de la Piété Filiale, seront tous donnés, espérons-le, dans leur intégralité. Du second, la série contiendra le Kung Yung ou Doctrine du Milieu ; le Tâ Hsio ou Grande Érudition ; toutes les paroles de Confucius dans le Lun Yü ou Entretiens confucéens, qui sont de nature religieuse et se réfèrent aux principes de son système moral ; et la doctrine de Mang-ʓze sur la bonté de la nature humaine.
5. Pour le système de Lâo-ʓze, nous n’avons besoin que d’une traduction du Tâo-teh King avec certains de ses commentaires, et peut-être d’un ouvrage faisant autorité pour illustrer le fonctionnement réel de ses principes.
6. Pour l’Islam, tout ce qui est essentiel est une traduction fiable du Coran.
Je m’efforcerai de répartir les vingt-quatre volumes envisagés dans cette série de manière aussi équitable que possible entre les six religions. Mais cela dépendra en grande partie de l’aide que je recevrai des érudits orientaux, ainsi que de l’intérêt et des souhaits du public.
F. MAX MÜLLER.
OXFORD, octobre 1876.
Français Les éminents érudits suivants, tous occupant le premier rang dans leurs propres départements spécialisés de littérature orientale, sont actuellement occupés à préparer des traductions de certains des Livres sacrés de l’Orient : S. Beal, RG Bhandarkar, G. Bühler, A. Burnell, EB Cowell, J. Darmesteter, TW Rhys Davids, J. Eggeling, V. Fausböll, H. Jacobi, J. Jolly, H. Kern, F. Kielhorn, J. Legge, H. Oldenberg, EH Palmer, R. Pischel, KT Telang, EW West.
Les œuvres qui ont été sélectionnées pour la traduction sont les suivantes :
1. ANCIENNE RELIGION VÉDIQUE.
Hymnes du Rig-veda.
Le Satapatha-brâhmanap xlvi
Les Upanishads.
Les Grihya-sûtras de Hiranyakesin et autres.
II. LIVRES DE DROIT EN PROSE.
Les Sûtras d’Âpastamba, Gautama, Baudhâyana, Vasishtha, Vishnu, etc.
III. LIVRES DE LOIS EN VERS.
Les lois de Manu, Yâgñavalkya, etc.
IV. LE BRAHMANISME POSTÉRIEUR.
La Bhagavad-gîtâ.
Le Vâyu-purânna.
V. BOUDDHISME.
1. Documents Pali.
Le Mahâparinibbâna Sutta, le Tevigga Sutta, le Mahasudassana Sutta, le Dhammakakkappavattana Sutta ; le Suttanipâta ; le Mahâvagga, le Kullavagga et le Pâtimokkha.
2. Documents sanskrits.
Le Divyâvadâna et le Saddharmapundarîka.
3. Documents chinois.
Le Roi Phû-yâo, ou la vie de Bouddha.
4. Documents Prakrit Gaina.
Le Âkârâṅga Sûtra, le Dasavaikâlika Sûtra, le Sûtrakritâṅga et l’Uttarâdhyayana Sûtra.
VI. RELIGION PARSI.
1. Documents Zend.
Le Vendîdâd. [p. xlvii] 2. Documents Pehlevi et Parsi.
Les Bundahis, Bahman Yasht, Shâyast-lâ-shâyast, Dâdistâni Dînî, Mainyôi Khard.
VII. LE MUSULMANISME.
Le Coran.
VIII. RELIGION CHINOISE.
1. Le confucianisme.
Le roi Shû, le roi Shih, le roi Hsiâo, le roi Yî, Lî Kî, Lun Yü et Măng-ʓze.
2. Taoïsme.
Le roi Tâo-teh, Kwang-ʓze et Kan Ying Phien.