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BEATRICE [Su’ād] est partie. C’est pourquoi mon cœur était ce jour-là égaré, furieux après elle, irrémédiablement enchaîné.
2. Le lendemain de notre séparation, quand elle sortit, Béatrice n’était plus qu’une antilope bêlante, le regard baissé et les yeux rehaussés de collyre.
3. Quand elle sourit, elle montre [une rangée de] dents d’une blancheur éclatante, comme s’il s’agissait d’une lame d’épée damasquinée, une fois trempée, puis trempée une seconde fois dans du vin,
4. Parsemé, par un jour froid, d’eau d’un ruisseau sinueux, clair et coulant dans un large canal caillouteux, attisé par un vent du nord quand le jour est haut ;
5. D’où les vents bannissent tous les bâtons et toutes les pailles, et sur lequel les bulles argentées soulevées par une pluie matinale apparaissent en grand nombre.
6. Que Dieu bénisse sa mère ! Car elle aurait été chérie si elle avait tenu sa promesse et si les conseils lui avaient été agréables !
7. Mais c’est une chérie, dans le sang même de qui se mélangent la douleur, l’anxiété, la déception et le changement !
8. Elle ne reste pas constante dans aucun état qu’elle a pu adopter, même si le démon des régions sauvages varie dans son costume !
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9. Elle ne tient aucune promesse qu’elle a faite, sauf comme les tamis retiennent l’eau !
10. [L’expression proverbiale,] « les promesses d’Urqūb » est [comme si] une parabole la concernant ; et ses promesses n’étaient que mensonges !
11\ Je souhaite et je désire qu’ils deviennent présents dans une éternité : mais qu’ont-ils donc ? Je sens toute la durée du temps une impatience !
12. Que ce qu’elle a donné ou promis ne te trompe donc pas. En vérité, les désirs et les rêves ne sont qu’illusion.
13. Béatrice est aujourd’hui dans un pays où rien ne peut permettre de l’atteindre, sauf les chamelles nobles, généreuses et libres.
14\ Et certes rien ne pouvait porter quelqu’un jusqu’à elle, sauf une chamelle énorme et intrépide, possédant, contre la fatigue, rapidité et endurance ;
15. De ceux qui mouillent la racine de leurs oreilles quand ils transpirent, et dont l’énergie inconnue brouille tous les repères routiers ;
16. Qui regarde les hautes terres avec les yeux d’un addax blanc isolé, quand les plaines rocheuses et les dunes de sable sont [pour ainsi dire] en feu ;
17. Dont le cou est épais là où repose son collier, dont le paturon est dodu, dont la constitution est supérieure à celle des filles de l’étalon-chameau ;
18. À grosse tête, à grosse mâchoire, fortement formé ; dans le côté duquel il y a de la capacité ; dont le cou est un obélisque ; [314] 19. Dont la peau est celle d’une tortue de mer, sur laquelle les tiques, minces dans les reins et maigres, ne peuvent faire aucune impression ;
20. Une créature gracieuse, dont le frère est son père issu d’une mère pure race, et dont l’oncle paternel est aussi son oncle maternel, qui est longue dans le dos et agile ;
21. Sur qui rampent les tiques, qui sont ensuite déposées par une poitrine et par des flancs qui sont lisses ;
22. Un âne très sauvage, qui, à cause de son embonpoint, pourrait être accusé d’avoir trop de chair, dont le coude est tordu hors de ses côtes thoraciques ;
23. Nez aquilin, dans les oreilles duquel, pour un observateur, il y a une noblesse manifeste, dans les joues duquel il y a une douceur ;
24\ Comme si ce qui se dresse devant ses deux yeux et à l’endroit perçant de sa gorge, comme son museau et les côtés de sa mâchoire, était un pic de meule ;
25. Qui fouette [une queue] semblable à une branche de palmier, garnie de touffes de poils, contre un pis plat, que les mamelles n’ont jamais fait rétrécir ;
26. Qui, en jouant, se pose sur des jambes agiles et fines, dont la chute sur la terre n’est qu’une tape ;
27. Sombres dans leurs parties tendineuses, qui laissent les cailloux épars, et qu’aucune chaussure de cuir ne protège des pierres noires basaltiques des collines,
28. Sur lequel, pendant le jour, le caméléon reste en alerte, comme si son dos, exposé au soleil, était réduit en cendres dans le feu,
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29. Quand le chef d’un groupe leur a dit — les sauterelles pies ayant déjà commencé à frapper les cailloux — « Faites votre sieste » ;
30. Le jeu alterné des pattes antérieures dont [elles ayant déjà transpiré, et les mirages ayant déjà brillé sur les rochers]
31. C’est comme le mouvement alternatif des mains d’une femme en deuil, grizzly, hurlante, se levant, et à laquelle répondent d’autres femmes en deuil souffrant de lait non tété ;
32. Se lamentant, les bras pendants, privée de raison lorsque les porteurs de mauvaises nouvelles annonçaient la mort [menacée] de son premier-né ;
33. Qui déchire sa poitrine avec ses deux mains, son corset étant éclaté en lambeaux loin de ses côtes thoraciques ;
34. Aux côtés de qui marchent les désinformateurs, leurs paroles étant : « Ô toi, fils d’Abū Sulmà, en vérité tu es déjà tué ! »
35. Et chaque ami fidèle, de qui j’avais nourri l’espoir d’une protection contre les émissaires de Mahomet, me dit : « Je ne te tromperai pas, je suis occupé avec d’autres choses que toi. »
36. Alors je dis : « Ouvrez-moi la voie, que vos pères périssent ! Car tout ce que le Tout Miséricordieux a prévu s’accomplira.
37. « Chaque fils d’une femme, aussi longtemps que puisse être sa sécurité, est un jour porté sur un instrument strié [une bière avec un couvercle strié]. »
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38. J’ai été informé que l’apôtre de Dieu m’a menacé, mais j’espère obtenir le pardon de l’apôtre de Dieu.
39. « Répit ! — Puisse-t-Il te guider sur le droit chemin, lui qui t’a donné le don gratuit du Coran, dans lequel se trouvent des exhortations et des détails ! —
40. « Ne me punissez donc pas à cause des paroles des calomniateurs : car je n’ai pas offensé, bien que les histoires se soient multipliées à mon sujet. »
41. En vérité, j’occupe une position telle que, si l’éléphant [d’Abraha] l’occupait, et voyait et entendait ce que j’entends [et vois],
42. Ses épaules trembleraient de distraction, si l’apôtre de Dieu ne faisait preuve de générosité.
43. Je n’ai cessé de traverser le désert, pénétrant les replis des ténèbres, les jupes de la nuit étant tombées sur tout,
44. Jusqu’à ce que j’aie placé ma main droite, que je ne retirerai pas, dans la paume de celui qui avait droit à la vengeance, - dont la parole est la parole.
45. Un simple jouet était pour moi l’objet le plus terrible, lorsque je lui parlais, et il me disait : « Tu es accusé et responsable ! »
46. Par un lion, dont la tanière est dans un endroit plat du terrain, dans le creux marécageux de 'Aththar, entouré de jungle sur jungle ;
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47. Qui sort le matin et donne de la nourriture à deux petits, qui se nourrissent de la chair des hommes souillée dans la poussière et déchirée en morceaux;
48. Qui, lorsqu’il attaque son égal, n’est pas autorisé à laisser cet égal autrement que mortifié ;
49. Devant qui fuient les ânes sauvages du désert, et dans la vallée duquel les troupes humaines ne peuvent marcher ;
50. Dans quelle vallée ne manque jamais un homme courageux, dont les armes sont souillées de sang, ses vêtements en lambeaux, et [lui-même] mangé !
51. En vérité, l’Apôtre de Dieu est une Lumière à partir de laquelle l’illumination est recherchée : une lame indienne dégainée — l’une des Épées de Dieu ;
52. Parmi un petit groupe de Quraysh, dont le porte-parole dit, dans la vallée de la Mecque, lorsqu’ils eurent embrassé l’Islam : « Partez ! »
53\ Et ils s’en allèrent, mais parmi eux ne s’en allèrent pas les poltrons, les lâches au moment de la rencontre, les chétifs et les sans armes.
54. Ils marchent avec la démarche des chameaux de couleur claire ; un coup les protège ; tandis que les hommes fauves nains [de Médine] s’enfuient :
55. Héros au nez aquilin, dont les vêtements, au combat, sont des chemises du tissu de David —
56. Lumineux et ample, entrelacé de liens comme les vrilles de la plante Qaf‘a, fermement tissés ensemble ;
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57. Qui ne sont pas joyeusement bruyants si leurs lances blessent un ennemi, et qui ne se lamentent pas piteusement lorsqu’ils sont blessés ;
58. Ceux que les coups de lance n’atteignent pas, sauf sur le devant de leur gorge : pour qui il n’y a pas de recul devant les étangs de la mort !