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Nec omittendum est Caab Ebni Zoheir carmen, cujus hoc est initium admirabile:
«Abiit (amica mea) Soâda, et cor meum hodiè dolore percitum (relinquitur),
«Amore confectum, et vinculis constrictum, à quibus nulla est redemptio.»
— Poeseos Asiaticæ commentariorum libri sexe ; Auteur Gulielmo Jones, A.M. Lipsiæ, 1777.
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KA’B, le poète, et Mahomet, le législateur, descendaient, chacun par dix-sept et quinze degrés de descendance respectivement, d’un ancêtre commun, Ilyas, fils de Mudhar, fils de Nizâr, fils de 'Adnân. Ce dernier, 'Adnân, était lui-même un descendant, à un degré et dans une lignée très incertains, d’Ismaël, le fils d’Abraham, ancêtre des Enfants d’Israël par son autre fils Isaac. La plupart des Arabes, mais pas tous, font remonter leur généalogie à cet 'Adnân. Mahomet descendait de Mudrika, fils d’Ilyâs, tandis que Ka’b prétendait descendre de Tâbikha, un frère de Mudrika.
Ka’b était le fils de Zuhayr, fils d’Abū Sulmà. Il avait un frère nommé Bujayr, et, comme leur père, ces deux frères étaient des poètes de haut rang. Ka’b avait deux fils, également paroliers.
Zuhayr est l’auteur d’un des poèmes préislamiques connus sous le nom de Mu’allaqāt, dont les traductions, par Sir William Jones, font partie du présent volume. Ce poème était une production de sa vieillesse. On dit qu’il fréquentait la société des hommes érudits dans les diverses religions alors existantes, et qu’il a ainsi pris conscience de l’attente générale, à cette époque, chez les plus pieux et les mieux informés, de l’apparition d’un grand apôtre, qui devrait réconcilier toutes les divergences et unir l’humanité dans un culte pur du Dieu unique, qui avait révélé la vérité aux prophètes d’autrefois. On dit qu’il a eu une vision, peu avant sa mort, d’une corde descendue du ciel, qu’il a essayé de saisir, mais qu’il a découvert qu’elle était hors de sa portée. Il l’a interprété pour lui-même comme une révélation que l’avènement de l’apôtre tant attendu était proche, mais [308] que le poète lui-même ne vivrait pas assez longtemps pour le voir et l’entendre. Il raconta sa vision et son interprétation à ses deux fils, à qui il conseilla de rester vigilants et d’accepter les enseignements du nouvel apôtre, s’il devait apparaître à leur époque. Zuhayr mourut alors.
Ainsi, lorsque la renommée des enseignements de Mahomet se répandit parmi les villes d’Arabie et les enfants de ses déserts, ainsi que la nouvelle de ses diverses victoires, culminant avec la soumission de sa ville natale, La Mecque, et de ses alliés à son empire, il arriva que Ka’b et son frère Bujayr furent amenés, en conduisant leurs troupeaux vers les pâturages d’été, dans le voisinage des districts nouvellement conquis. Naturellement, les deux frères poètes conversèrent ensemble et avec leurs voisins sur la nouvelle doctrine et la nouvelle domination. Ces consultations aboutirent à la proposition de Bujayr d’aller voir Mahomet et d’apprendre par lui-même la vérité sur cette affaire. Il chercha donc l’Apôtre, en conséquence, et embrassa bientôt la foi de l’Islam.
La nouvelle de l’abandon de son frère par la religion de leurs ancêtres parvint à Ka’b, qui en fut très irrité. Il composa un pamphlet sur son frère et le Prophète, ainsi que sur leur nouvelle religion. Il l’envoya à son frère par la bouche d’un messager. Bujayr jugea de son devoir d’exposer la situation à Mahomet, qui était maintenant de retour à Médine. Il récita le pamphlet au conquérant, qui commenta ses paroles, les transformant toutes en louanges de la nouvelle foi et en lui-même, en condamnation de Ka’b. Puis, comme il semble avoir été une règle chez lui envers tous ses satiristes harcelants, Mahomet prononça une sentence de mort contre son nouvel assaillant, qui ne devait recevoir aucun quartier s’il tombait entre les mains de futurs musulmans expéditionnaires.
Bujayr, qui savait que plusieurs pamphlétaires des Qurayshites, autrefois dénoncés, avaient été massacrés par les vainqueurs furieux, dès les premiers instants de l’occupation de La Mecque, tandis que d’autres n’avaient sauvé leur vie que par la fuite et l’exil, et que d’autres encore avaient été généreusement pardonnés par le Prophète [309] lui-même, après avoir sollicité sa protection personnelle et adopté la foi, fut profondément alarmé du danger dans lequel il avait placé son frère. Il composa donc à son tour un poème qu’il envoya oralement à Ka’b, et lui conseilla de faire ce que faisaient les plus éminents : renoncer à ses erreurs et venir repentir auprès du Prophète, l’avertissant de ce qui serait autrement son sort certain.
Il semble que la nouvelle se soit répandue. Les ennemis de Ka’b l’assaillirent en vers, le noircissant de toutes les manières, comme c’est l’habitude dans de tels cas. Il apprit probablement aussi que certains d’entre eux se préparaient à l’attaquer avec des armes plus meurtrières. Il eut donc recours à une coutume arabe et se réfugia chez un puissant voisin et vieil ami. On lui dit alors que son ami ne pouvait pas oser le protéger contre le tout-puissant ennemi dont la colère avait été excitée, tandis que partout on l’accueillait avec des railleries comme s’il était déjà pratiquement un homme mort.
Ka’b prit alors la résolution d’un homme désespéré, mais sage et courageux. Il partit secrètement pour Médine, y trouva un vieil ami, réclama sa protection et fut conduit par lui, le lendemain matin à l’aube, au lieu de réunion le plus simple de l’époque où Mahomet et ses principaux disciples accomplissaient leurs dévotions et leurs louanges (pas de prières). Son ami désigna le Prophète à Ka’b, qui reconnut la personne et les traits dont il avait entendu la description. Le service terminé, Ka’b s’approcha de Mahomet et les deux s’assirent ensemble. Ka’b plaça sa propre main droite dans celle du Prophète, auquel il s’adressa en ces termes : « Apôtre de Dieu, si je t’amenais Ka’b, fils de Zuhayr, pénitent et professant la foi de l’Islam, le recevrais-tu et l’accepterais-tu ? » Le Prophète répondit : « Je le ferais. » « Alors, dit le poète, je suis lui. »
Aussitôt que cette nouvelle fut entendue par les témoins, un des hommes de Médine s’empara de Ka’b et demanda au Prophète la permission de le mettre à mort. Mahomet ordonna à son partisan zélé de renoncer ; mais l’incident souleva chez le poète un sentiment de ressentiment qu’il exprima immédiatement après. Car il improvisa alors, probablement avec [310] plus ou moins de préméditation, le poème dont nous donnons ici une traduction, dans lequel, à la mode arabe de l’époque, après un exorde à la louange d’une beauté réelle ou imaginaire, et du chameau sur lequel seul on pouvait l’atteindre dans sa lointaine demeure, il passe à une mention rapide de ce qui lui était arrivé depuis sa dénonciation par le Prophète, terminant, au trente-huitième vers, par une description de son entrevue actuelle, son espoir de pardon, sa crainte de la vengeance redoutable qu’il avait évoquée, un éloge habilement introduit sur les « Émigrants » de La Mecque, et une coupe cinglante aux « hommes fauves nains de Médine » qui « s’enfuirent ». On dit que lorsque Ka’b arriva au cinquante et unième verset : « En vérité, l’Apôtre est une Lumière d’où l’on cherche l’illumination : une lame indienne dégainée, l’une des épées de Dieu », Mahomet ôta de ses propres épaules le manteau qu’il portait et le jeta sur les épaules du Poète, en signe d’honneur et de protection. Cet incident a été la cause du titre donné désormais à l’effusion : Le Poème du Manteau.
On dit qu’après que Mu’âwiya, le premier calife de la maison des 'Umayya, eut fermement établi son autorité sur la Syrie et l’Egypte, il envoya un messager à Ka’b et lui offrit dix mille pièces d’argent pour le manteau sacré du défunt Prophète ; mais Ka’b refusa de céder la relique à qui que ce soit. Lorsque le poète mourut, le calife envoya un autre messager à ses héritiers et leur offrit vingt mille pièces pour le manteau, qui passa alors en sa possession. Il a depuis été conservé avec révérence par le chef du royaume de l’Islam. Dans le trésor du sultan-calife des Ottomans, à Constantinople, il y a un appartement, appelé la « Chambre du manteau sacré », dans lequel cette robe est religieusement conservée, ainsi que quelques autres reliques du grand législateur.
Comme exemple de la richesse extraordinaire de la langue arabe, on peut citer le « Poème du manteau » de Ka’b, vieux de près de treize cents ans, qui se trouve dans des manuscrits contenant un grand nombre de variantes de mots, tout en conservant toujours le même sens. On rapporte qu’un collectionneur, [311] curieux de la question, connaissait par cœur sept cents variantes du poème ; mais, peu de temps après, un chercheur plus habile a porté ce nombre à neuf cents. Avec une telle variété d’expressions, les commentateurs ont eu une tâche glorieuse ; et l’on peut facilement comprendre qu’il faudrait des volumes pour en donner tous les détails. Dans la présente traduction, on a suivi la version donnée dans l’édition de Westerfeld de « La Vie de Mahomet, basée sur Mohammed Ibn Ishak, par Abd El-Malik Ibn Hishām », publiée par MM. N. Trübner & Co., Londres, 1867. Je n’y ai apporté qu’une seule modification, d’un seul mot du verset 56, autorisée par deux commentaires, et sans laquelle la clause me paraît intraduisible.
J. W. REDHOUSE.
Londres, juillet 1880.