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RESTEZ ! Pleurons au souvenir de notre bien-aimée, à la vue de la station où sa tente a été dressée, au bord de ces sables courbés entre Dahul et Haumel,
2. « Tudam et Mikra ; une station dont les traces ne sont pas entièrement effacées, bien que le vent du sud et du nord aient tissé le sable tordu. »
3. Ainsi parlais-je, lorsque mes compagnons arrêtèrent leurs coursiers à côté de moi, et dirent : « Ne péris pas par désespoir : sois seulement patient. »
4. « Une profusion de larmes, répondis-je, est mon seul soulagement ; mais à quoi sert-il de les verser sur les restes d’une maison abandonnée ? »
5. « Ta condition, » répondirent-ils, « n’est pas plus pénible que lorsque tu quittas Howaira, avant ta passion actuelle, et sa voisine Rebaba, sur les collines de Masel. »
6. « Oui, » répondis-je, « lorsque ces deux demoiselles partirent, du musc se répandit de leurs robes, comme le vent d’est répand le parfum des giroflées ;
7. « Alors les larmes jaillirent de mes yeux, par excès de regret, et coulèrent le long de mon cou, jusqu’à ce que ma ceinture d’épée soit trempée dans le ruisseau. »
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8. « Pourtant tu as passé de nombreux jours en douce conversation avec la belle : mais aucun n’était aussi doux que le jour que tu as passé près de l’étang de Daratjuljul. »
9\ Ce jour-là, j’ai tué mon chameau pour donner un festin aux vierges, et, oh, comme c’était étrange qu’elles portent ses harnachements et ses meubles !
10. Les demoiselles continuèrent jusqu’au soir à se servir les unes les autres de la chair rôtie et de la graisse délicate, comme une frange de soie blanche finement tissée.
11. Ce jour-là, je montai dans la voiture d’Onaiza, qui me dit : « Malheur à toi ! tu veux m’obliger à voyager à pied. »
12. Elle ajouta (tandis que le véhicule était penché sur le côté sous notre poids) : « Ô Amriolkais, descends, ou ma bête aussi sera tuée ! »
13. Je répondis : « Avance, et lâche sa bride ; ne me refuse pas les fruits de ton amour, qui peuvent être goûtés encore et encore avec ravissement.
14. « J’ai visité de nuit bien des belles femmes comme toi, quoique pas comme toi, vierges, et j’ai détourné bien des mères charmantes des soins de leur jeune enfant, orné d’amulettes.
15. « Quand le nourrisson qui était derrière elle criait, elle se tournait vers lui avec la moitié de son corps ; mais l’autre moitié, pressée sous mon étreinte, ne se détournait pas de moi. »
16. Ce fut aussi un jour délicieux où Fatima me repoussa pour la première fois au sommet de cette colline de sable et prêta un serment qu’elle déclara inviolable.
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17. « Ô Fatima ! dis-je, éloigne-toi de tant de coquetterie ; et si tu avais résolu de m’abandonner, reviens enfin !
18. « Si vraiment mon tempérament et mes manières te déplaisent, déchire aussitôt le manteau de mon cœur, afin qu’il soit détaché de ton amour.
19. « Es-tu si hautain, parce que ma passion pour toi me détruit, et parce que tout ce que tu commandes, mon cœur l’exécute ?
20. « Tu pleures ; mais tes larmes coulent simplement pour blesser mon cœur avec les traits de tes yeux – mon cœur, déjà brisé en morceaux et agonisant. »
21. Outre ceux-là, avec maintes vierges sans tache, dont la tente n’avait pas encore été fréquentée, j’ai entretenu de doux ébats en toute tranquillité.
22. Pour visiter l’une d’elles, je passai devant les gardes de son pavillon, et devant une tribu hostile, qui aurait été prompte à proclamer ma mort.
23\ C’était l’heure où les Pléiades apparaissaient au firmament, comme les plis d’une ceinture de soie diversement ornée de pierres précieuses.
24\ Je m’approchai : elle m’attendait près du rideau, et, comme si elle se préparait à dormir, elle avait ôté tout son vêtement, sauf sa chemise de nuit.
25. Elle dit : « Par Celui qui m’a créée », et elle me tendit sa belle main, « je ne puis te refuser, car je vois que l’aveuglement de ta passion ne peut être enlevé. »
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26. Alors je me levai avec elle, et tandis que nous marchions, elle tira sur nos pas la traîne de sa robe peinte.
27. Dès que nous eûmes dépassé les habitations de sa tribu et que nous arrivâmes au sein d’une vallée entourée de monticules de sable en spirale,
28. Je l’attirai doucement vers moi par ses boucles, et elle s’inclina doucement vers mon étreinte ; sa taille était gracieusement fine, mais gonflait doucement la partie entourée d’ornements d’or.
29. Sa silhouette était délicate, sa peau était belle et son corps bien proportionné : sa poitrine était aussi lisse qu’un miroir,
30. Ou, comme l’oeuf pur d’une autruche, d’une teinte jaunâtre mêlée de blanc, et nourri par un courant d’eau saine non encore troublée.
31\ Elle se détourna et dévoila sa joue douce : elle jeta un regard timide avec des yeux languissants, comme ceux d’une biche dans les bosquets de Wegera regardant tendrement ses petits.
32\ Son cou était comme celui d’une biche blanche comme du lait, mais, quand elle le soulevait, il ne dépassait pas la plus juste symétrie, et le cou de ma bien-aimée n’était pas aussi dénué d’ornements.
33. Ses longs cheveux noirs comme du charbon décoraient son dos, épais et épars, comme des grappes de dattes groupées sur le palmier.
34. Ses boucles étaient élégamment tournées au-dessus de sa tête, et le ruban qui les liait se perdait dans ses cheveux, en partie tressés, en partie échevelés.
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35. Elle découvrit une taille effilée comme un cordon bien torsadé, et une jambe à la fois aussi blanche et aussi lisse que la tige d’un jeune palmier ou d’un roseau frais, penchée sur le ruisseau.
36. Quand elle dort à midi, son lit est aspergé de musc : elle met sa robe de petite tenue, mais laisse le tablier à ses servantes.
37. Elle distribue des cadeaux avec de petits doigts délicats, aux extrémités délicieusement brillantes, comme le ver blanc et cramoisi de Dabia, ou des dentifrices en bois d’anguille.
38. L’éclat de son visage illumine le voile de la nuit, comme la bougie du soir d’un ermite reclus.
39. Sur une fille comme elle, une fille d’une taille moyenne, entre celles qui portent une robe et celles qui portent une robe, l’homme le plus timide doit regarder avec un œil amoureux.
40. Les passions aveugles des hommes pour les objets communs d’affection se dispersent bientôt, mais mon cœur ne peut être libéré de ton amour.
41. Oh, combien de fois ai-je rejeté les avertissements d’un conseiller morose, véhément à censurer ma passion pour toi, et je n’ai pas été ému par ses reproches !
42\ Souvent la nuit a tiré ses jupes autour de moi, comme les vagues de l’océan, pour mettre à l’épreuve ma force d’âme dans une variété de soucis ;
43. Et je lui disais, quand elle semblait étendre ses flancs, traîner sur sa longueur indisciplinée, et avancer lentement avec sa poitrine :
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44. « Dissipe ton obscurité, ô nuit ennuyeuse ! que l’aube puisse se lever ; bien que mes chagrins soient tels, que la lumière du matin ne me donne pas plus de réconfort que tes ombres.
45. « O nuit hideuse ! — une nuit où les étoiles sont empêchées de se lever, comme si elles étaient liées à une falaise solide par de solides câbles ! »
46\ Souvent aussi je me suis levé à l’aube, alors que les oiseaux étaient encore dans leurs nids, et j’ai monté un chasseur aux cheveux courts et lisses, d’une grande taille et si rapide qu’il a fait captiver les bêtes de la forêt ;
47. Prêt à tourner, rapide à poursuivre, hardi à avancer, ferme à reculer, et accomplissant le tout avec la force et la rapidité d’un énorme rocher qu’un torrent a poussé de sa base élevée ;
48. Un coursier bai brillant, du dos duquel glissent les ornements poli, comme des gouttes de pluie glissent à la hâte sur le marbre glissant.
49. Même dans son état le plus faible, il semble bouillir pendant qu’il court, et le bruit qu’il fait dans sa colère est comme celui d’un chaudron bouillonnant.
50. Quand les autres chevaux qui nagent dans l’air sont languissants et donnent des coups de pied dans la poussière, il se précipite comme un fleuve et frappe la terre dure avec un sabot ferme.
51. Il fait glisser le jeune homme léger de son siège, et secoue violemment les jupes d’un cavalier plus lourd et plus têtu ;
52. Rapide comme le bois percé dans les mains d’un enfant joueur, qu’il fait tournoyer rapidement autour avec une corde bien attachée.
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53. Il a les reins d’une antilope et les cuisses d’une autruche; il trotte comme un loup et galope comme un jeune renard.
54\ Ses hanches sont fermes, et quand ses parties postérieures sont tournées vers vous, il remplit l’espace entre ses jambes avec une longue queue épaisse, qui ne touche pas le sol et ne s’incline d’aucun côté.
55. Son dos, quand il se tient debout dans sa stalle, ressemble à la pierre lisse sur laquelle on mélange les parfums pour une mariée, ou on écrase les graines de coloquinteda.
56. Le sang du gibier rapide, qui reste sur son cou, est comme le jus cramoisi du hinna sur des cheveux gris flottants.
57. Il nous emmène rapidement vers un troupeau de bétail sauvage, dans lequel les génisses sont belles comme les vierges en robes noires traînantes, qui dansent autour de l’idole Dewaar :
58\ Ils tournent le dos et apparaissent comme les coquillages bigarrés du Yémen sur le cou d’un jeune homme distingué dans sa tribu par une multitude de nobles parents.
59. Il nous amène bientôt au premier rang des bêtes et laisse le reste loin derrière, et le troupeau n’a pas le temps de se disperser.
60. Il court des taureaux sauvages aux génisses sauvages, et les domine en une seule chaleur, sans être baigné, ou même mouillé, de sueur.
61. Ensuite, le cuisinier occupé prépare le gibier, en rôtissant une partie, en cuisant une autre sur des pierres chaudes et en faisant bouillir rapidement le reste dans un récipient en fer.
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62\ Le soir nous partons, et lorsque l’œil du spectateur monte à la tête de mon chasseur, puis descend à ses pieds, il est incapable d’un seul coup d’embrasser toutes ses beautés.
63. Ses harnais et ses sangles sont encore sur lui : il se tient debout devant moi, pas encore lâché pour le pâturage.
64. O ami, vois-tu l’éclair, dont les éclairs ressemblent au regard rapide de deux mains, parmi les nuages, élevés au-dessus des nuages ?
65. Son feu brille comme les lampes d’un ermite, lorsque l’huile versée sur elles fait trembler le cordon par lequel elles sont suspendues.
66. Je suis assis à le contempler, tandis que mes compagnons se tiennent entre Daaridge et Odhaib ; mais très loin est le nuage sur lequel mes yeux sont fixés.
67. Son côté droit semble verser sa pluie sur les collines de Katan, et son côté gauche sur les montagnes de Sitaar et de Yadbul.
68. Il continue à déverser ses eaux sur Cotaifa jusqu’à ce que le torrent impétueux étende les bosquets d’arbres canahbel.
69. Il passe par le mont Kenaan, qu’il inonde dans son cours, et force les chèvres sauvages à descendre de chaque falaise.
70. Sur le mont Taima, il ne reste pas un tronc de palmier, ni un seul édifice, qui ne soit construit avec des pierres bien cimentées.
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71. Le mont Tebeir se dresse au sommet du déluge, comme un chef vénérable enveloppé dans un manteau rayé.
72. Le sommet du Mogaimir, couvert des décombres que le torrent a roulés, ressemble le matin à la pointe d’un fuseau cerclé de laine.
73. Le nuage décharge sa cargaison sur le désert de Ghabeit, comme un marchand du Yémen débarquant avec ses ballots de riches vêtements.
74. Les petits oiseaux de la vallée gazouillent au lever du jour, comme s’ils avaient pris leur première gorgée d’un vin généreux mêlé d’épices.
75. Les bêtes des bois, noyées dans les flots de la nuit, flottent, comme les racines des oignons sauvages, au bord lointain du lac.