Strophe 1.—Le premier vers de ce chant, le premier poème du Divan, est emprunté à un poème arabe de Yezid ibn Moawiyah, le second calife de la lignée ommiade. Ce prince était tenu en abomination par les chiites persans, à la fois comme chef des sunnites et parce qu’il fut la cause de la mort de Hussein, fils d’Ali, que les chiites considéraient comme le successeur légitime du calife. On reprochait souvent à Hafiz d’avoir mis en tête de son livre une citation des œuvres de l’abhorré Yezid, reproche auquel il aurait répondu que c’était une bonne politique de voler aux hérétiques tout ce qu’ils possédaient de valeur.
« Dans ce pays (c’est-à-dire dans le nord-est de la Chine) se trouve le meilleur musc du monde, et je vais vous dire comment on le produit. Il existe dans cette région une espèce d’animal sauvage qui ressemble à une gazelle. Elle a des pieds et une queue comme ceux de la gazelle, un poil de cerf d’une espèce très grossière, mais sans cornes. Elle a quatre défenses, deux en bas et deux en haut, longues d’environ trois pouces, et de forme grêle, une paire poussant en bas et l’autre en haut. C’est une très jolie créature. Le musc se trouve de cette manière : quand on a pris la bête, on trouve au nombril, entre la chair et la peau, quelque chose comme un imposthume rempli de sang, qu’on découpe et qu’on enlève, avec toute la peau qui y est attachée ; et le sang qui est au-dedans de cet imposthume est le musc qui produit ce puissant parfum. Il y a un nombre immense de ces bêtes dans le pays dont nous parlons. La chair est très bonne à manger. Messer Marco apporta avec lui à Venise la tête et les pieds séchés d’un de ces animaux. » — Voyages de Marco Polo.
Il y a un jeu de sens sur le musc qui s’obtient au prix du sang du cerf et des larmes de sang que l’amant pleure pour sa maîtresse.
Strophe 2. — Le titre que Hafiz donne au tavernier est Pir-i-Maghan, littéralement, le Vieil Homme des Mages. L’histoire de ce titre est un résumé de l’histoire des religions persanes. Il désignait d’abord le prêtre de la première des religions persanes, celle de Zoroastre. Lorsque les musulmans envahirent la Perse et que les prédicateurs du Prophète supplantèrent les prêtres de Zoroastre, leur titre tomba en discrédit et fut dégradé au point de ne désigner plus que le tavernier ou le caravansérail. Mais dans ce sens, il retrouva peu à peu la place honorable qu’il avait perdue ; car les tenanciers de ces lieux de villégiature étaient, pour la plupart, des hommes bien au courant des « chemins de la route et de l’hôtellerie ». Il se peut qu’à leur époque ils aient eux-mêmes servi les voyageurs en voyage ; Ils avaient beaucoup entendu et appris des voyageurs qui s’arrêtaient à leurs portes, et ils étaient capables de guider les autres dans leur voyage, les renvoyant rafraîchis et réconfortés dans leur corps. Et ici, les soufis ont repris l’ancien nom et l’ont utilisé pour désigner ce vieil homme sage qui fournissait aux voyageurs fatigués sur la route de la vie la boisson spirituelle de la doctrine soufie qui rafraîchit et réconforte l’âme.
Strophe 1. — Ce poème m’a été présenté comme une description de la quête du poète pour l’amour. Dans une allégorie, il montre comment il l’a cherché en vain auprès de cette image de la dévotion terrestre, le rossignol ; il avertit les hommes qu’il ne vient que par l’humiliation et la douleur ; il interroge le jardin magique, mais ses brises ne peuvent lui répondre ; enfin, il conclut que l’amour n’est pas ce qui est sur les lèvres des hommes, et il demande à l’échanson de faire taire leurs vains bavardages avec le vin de la connaissance divine.
Strophe 2. — Le jardin d’Irem fut planté par le roi mythique Shedad, fils d’Ad, petit-fils d’Irem, qui était lui-même fils de Sem. La tribu d’Ad s’installa dans les déserts sablonneux près d’Aden, où Ad commença la construction d’une grande ville que son fils acheva. Autour de son palais, Shedad planta un merveilleux jardin qui devait rivaliser en beauté avec le jardin d’Eden. « Quand il fut terminé, il partit avec une grande foule pour l’admirer, mais quand ils furent arrivés à une journée de marche de l’endroit, ils furent tous détruits par un bruit terrible venu du ciel. . . . La ville, nous dit-on, est encore debout dans le désert d’Aden, conservée par la Providence comme un monument de la justice divine, quoiqu’elle soit invisible, à moins que Dieu ne le permette très rarement, une faveur que Colabah prétend avoir reçue sous le règne du calife Moawiyah, qui, l’envoyant chercher pour savoir la vérité, Colabah lui raconta toute son aventure : qu’alors qu’il cherchait un chameau qu’il avait perdu, il se trouva tout à coup aux portes de cette ville, et y entrant, n’y vit pas un seul habitant, ce dont, terrifié, il ne s’arrêta que pour prendre avec lui quelques belles pierres qu’il montra au calife. — Coran de Sale.
Sudi dit que Hafiz a composé ce poème dans un beau jardin appartenant à Shah Shudja, et appelé par lui le Baghi-Irem, d’après le légendaire Paradis de Shedad.
« Il y avait jadis en Perse un grand roi nommé Djem ou Djemshid. Il régna sept cents ans ; je ne saurai vous dire à quelle date au juste, mais ‘tant qu’il regna, il n’y eut dans son empire ni mort, ni maladie, ni vicilesse, et tous les hommes marchaient dans la taille de jouvenceaux: de quinze ans ; it n’y avait ni chaleur, ni froideur, et jamais ne se desséchaient les eaux ni les plantes.’ Mais le pauvre Djem n’avait point la tête solide, et, comme il faisait des immortels, il se crut Dieu et voulait être. adorer. Aussitôt, le Fari Yazdan, c’est-à-dire la gloire royale qui vient de Dieu, l’abandonna ; un serpent à trois têtes, nommé Zohab, vint de l’Arabie et lui prit son tréne ; il s’enfuit dans l’Inde et y resta chaché mille ans durant ; puis un beau jour, s’étant aventuré hors de sa retraite, il fut livré au serpent, qui le scia en deux avec une arête de poisson. Entre autres splendeurs, le roi Djemshid, au temps de sa splendeur, possédait une coupe magique où il voyait tout l’univers et tout ce qui s’y passe. Certains savants prétendent que cette coupe était le soleil qui voit toute chose ; d’autres, que c’était un globe terrestre mis au courant, et il me souvient qu’il y a deux ans, prenant le thé dans un café de Stamboul avec un sage d’Ispahan, nommé Habib, la conversation tomba de la tasse de thé à la coupe de Djemshid, et Habib, me mettant le doigt au front, me dit : Djam-i-Djemshid, dil-i-agah : ”la coupe de Djemshid c’est le cœur de l’homme de science. « —Darmsteter, »Lettres sur l’Inde."
A quelques kilomètres de Peshawar, raconte Darmsteter, il y a un étang asséché appelé Talab i Djemshid, dans lequel le roi aurait jeté sa coupe magique. Le chef du village a raconté au voyageur français qu’on y avait découvert un couteau portant cette inscription : « Cet étang a été creusé par moi, Djemshid, cinq cents ans avant l’Hégire. » « Elle n’a pas été retrouvée, la coupe de Djemshid, ajoute Darmsteter, non plus que la coupe du roi de Thulé, c’est pour ça qu’il n’y a plus parmi les hommes ni science, ni amour. »
Djemshid aurait construit Persépolis. La légende raconte que sa coupe aurait été retrouvée enfouie dans ses fondations et qu’elle aurait été formée d’une énorme turquoise. On dit qu’il aurait été le premier à boire du vin et qu’il le recommandait à ses sujets comme boisson salutaire. Il fut aussi le père de la chimie et le possesseur de la pierre philosophale.
Strophe 1. — Le roi Salomon envoya le vanneau ou huppe comme messager à Bilkis, reine de Saba. L’histoire est racontée ainsi par Al Ta’labi, dans ses Histoires des Prophètes. (Le vanneau avait déjà fait un voyage pour son propre compte et avait apporté à Salomon des nouvelles de la grande reine, et lui avait dit qu’elle n’était pas une adoratrice du vrai Dieu.) « Alors Salomon écrivit une lettre disant : De la part du serviteur de Dieu, Salomon, fils de David, à Bilkis, reine de Saba, au nom de Dieu le Miséricordieux, le Compatissant, que la paix soit sur celui qui suit le droit chemin. Après quoi il dit : Ne te comporte pas avec insolence envers moi, mais viens à moi humblement. Et il répandit du musc dessus et la scella de son sceau. Puis il dit au vanneau : Vole avec cette lettre et remets-la-leur, puis retourne-toi, mais reste près d’eux et écoute leur réponse. Le vanneau prit la lettre et s’envola avec elle vers Bilkis. Elle était dans le pays appelé Marib, à trois jours de marche de là. Elle était entrée dans son château, dont les portes étaient fermées. Car quand elle dormait, elle avait l’habitude de fermer les portes et de prendre la clé et de la mettre sous sa tête. Le vanneau vint donc vers elle, et elle dormait, couchée sur le dos. Il déposa la lettre sur sa poitrine. Wahb ibn Manabbih dit qu’il y avait une fenêtre en face du soleil, de sorte que les rayons du soleil tombaient à travers elle à l’aube, et quand elle voyait le soleil, elle avait l’habitude de se prosterner et de l’adorer. Le vanneau alla vers cette fenêtre et la boucha de ses ailes. Le soleil se leva, mais elle ne le savait pas. Elle pensa que le soleil était en retard, et se leva pour le chercher. Le vanneau jeta alors une feuille sur son visage. On dit que Bilkis prit la lettre et qu’elle put lire l’écriture. Mais quand elle vit le sceau, elle trembla et se prosterna à cause de la puissance de Salomon qui était dans son sceau, car elle savait que la puissance de celui qui avait envoyé la lettre était plus grande que la sienne, et elle dit : Voici un roi dont les messagers sont les oiseaux, c’est vraiment un roi puissant.
Strophes 5 et 6. — L’explication admise de ces vers est que par le miroir Hafiz entend son propre cœur, qu’il envoie à sa maîtresse pour qu’elle voie que sa propre image s’y reflète ; mais je préfère ici (et en fait pour tout le poème) une interprétation mystique. La voix céleste lui dit de chercher du réconfort dans le soufisme, et lui ordonne de regarder le miroir, car il verra Dieu lui-même reflété en lui – ce qui n’est qu’une autre façon d’exprimer la doctrine selon laquelle l’homme et Dieu ne font qu’un. La réputation du poète lui a valu d’être admis dans la compagnie des soufis, qu’il se hâte vers eux, car ils lui donneront ce qu’il recherche.
Un cheval et une robe sont les cadeaux d’honneur orientaux. Lane, dans une de ses notes pour les « Mille et Une Nuits », cite une histoire significative concernant ces cadeaux : « Une personne qui a regardé par hasard un registre tenu par l’un des officiers de Harun al Rashid, y a vu l’inscription suivante : « 400 000 pièces d’or, le prix d’une robe d’honneur pour Jafar ibn Yahya, le vizir. » Quelques jours plus tard, il a vu en dessous écrit : « Dix kerits, le prix du naphta et des roseaux pour brûler le corps de Jafar ibn Yahya. » (Le kerit de Bagdad valait un vingtième de pièce d’or.)
Ne mettez pas votre confiance dans les princes orientaux !
Couplet 3.—Les Perses décrivent la fossette au menton de leur maîtresse comme un puits dangereux rempli des larmes de son amant, dans lequel, lorsqu’il s’approche de sa bouche, il peut tomber et se noyer.
Couplet 6.—« Oh rose, déchirant ta robe en deux » : c’est-à-dire éclatant en fleur sous le souffle chaud du vent qui souffle d’où tu es.
Strophe 1.-Lorsque le conquérant Timur entra à Shiraz, on raconte qu’il convoqua Hafiz devant lui et lui dit : « De tout mon empire, Boukhara et Samarkand sont les plus beaux joyaux ; comment se fait-il que dans ta chanson tu aies déclaré que tu les échangerais contre le grain de beauté noir sur la joue de ta maîtresse ? » Hafiz répondit : « C’est à cause de cette générosité que je suis maintenant aussi pauvre que tu le vois. » L’empereur ne fut pas en reste dans la répartie : il renvoya le poète plus riche de quelques centaines de pièces d’or.
«Cest du Molière renversé», dit Darmsteter à propos de ces lignes, et cite
« Si le roi m’avait donné
Paris est une grande ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris,
J’aime mieux ma mie, ô gué,
J’aime mieux ma mie!”
Dans le jardin de Mosalla, Hafiz est enterré : le ruisseau Ruknabad coule à proximité.
Strophe 2. — Les Luli ou bohémiens, comme on les appelait avec mépris, étaient un peuple de la tribu des Keredj, d’origine indienne, qui habitait le pays entre Shiraz et Ispahan. Leurs jeunes gens et jeunes filles étaient célèbres pour leur beauté et leurs talents musicaux, et fournissaient des ménestrels et des danseuses aux riches habitants de Shiraz. Sir Henry Layard rencontra une tribu semblable près de Bagdad. « Ils ont, dit-il, une très mauvaise réputation au point de vue de la moralité, et, d’après le rapport général, mènent une vie très dissolue. Les garçons et les filles qui dansent fréquemment à Bagdad, et qui sont notoirement de mauvaise réputation, viennent principalement de cette région. Pendant que nous nous reposions au caravansérail, un groupe d’entre eux vint exécuter leurs danses indécentes devant nous, comme ils avaient l’habitude de le faire à l’arrivée des voyageurs. » — Premières aventures.
Au Turkestan, il existait autrefois une institution appelée la Fête du Pillage. Quand arrivait le jour de la paye des soldats, on préparait des plats de riz et de grandes quantités de nourriture cuite et on les déposait sur le sol. Les soldats montaient alors, armés comme pour la bataille, et emportaient la nourriture avec une violence simulée. Ils se réparaient ainsi la conscience d’avoir accepté une paye légalement gagnée, et se rappelaient que la rapine était leur véritable profession.
Strophe 3. — Joseph est le type oriental de la beauté parfaite. L’histoire de ses relations avec Zuleikha, femme de Potiphar, est une des histoires d’amour les plus célèbres de l’Orient ; Jami en a fait le thème d’un long poème métaphysique. Le rôle joué par Zuleikha dans les contes persans est bien plus honorable que celui qui lui est attribué dans la Bible ou le Coran.
Tous les traducteurs de Hafiz ont essayé de traduire cette chanson, qui est l’une des plus célèbres du Divan.Il est juste d’informer le lecteur que l’original est d’une grande beauté.
L’ensemble du poème a reçu une interprétation mystique qui me semble ajouter peu à sa valeur ou à son intelligibilité ; mais au cas où quelqu’un voudrait en tirer une sagesse supérieure, je puis mentionner que le grain de beauté, la poudre et le fard, dont un beau visage n’a pas besoin, représentent l’encre, la couleur, les points et les lignes du Coran ; et c’est l’explication donnée au distique concernant Joseph et Zuleikha par un mystique occidental convaincu : « En raison de cette beauté qui augmentait chaque jour que Joseph (l’existence absolue, le véritable bien-aimé, Dieu) avait, j’ai (le premier jour) su que l’amour pour lui ferait sortir Zuleikha (nous, les choses possibles) de l’écran de la chasteté (la pure existence de Dieu). » Le savant traducteur semble avoir senti que sa version présentait quelques difficultés, et il ajoute à l’usage de ses frères plus faibles le commentaire suivant : « Dans le monde de la non-existence et de la possibilité, lorsque j’ai contemplé la splendeur de la vraie beauté avec des qualités différentes, j’ai su avec certitude que l’Amour nous sortirait de l’embuscade. » Cela rend tout clair.
Strophe 1. Ceux qui ont vu un jardin persan comprendront sans peine pourquoi il joue un si grand rôle dans la poésie persane. Souvent, on passe d’un seul pas d’un désert aride de poussière et de pierres à l’un de ces lieux verts et fertiles, pleins de violettes au printemps, de roses et de lis au début de l’été, et de l’éclat aveuglant d’un soleil persan à un abri frais et ombragé planté de grands platanes. L’eau qui coule en ruisseaux innombrables à travers le jardin et jaillit en d’innombrables fontaines a fait tout le miracle. Le passage du désert au paradis fleuri est un de ces contrastes forts si communs en Orient qui saisissent l’imagination de tous ceux qui les voient.
Strophe 3. C’est-à-dire, ne tentez pas d’allumer les torches d’un monastère musulman avec la lampe d’une synagogue juive. L’une des paroles les plus célèbres du Prophète est : il n’y a pas de monachisme en Islam. Néanmoins, à partir de l’époque d’Abou Bekr et d’Ali, de telles associations religieuses se sont développées et ont prospéré. Presque tous les docteurs célèbres dont se vantent les soufis dans les six premiers siècles de l’Hégire en faisaient partie.
« En vérité, nos messagers écrivent ce que vous inventez par tromperie », dit le Coran (chapitre X). Deux anges gardiens accompagnent chaque homme et écrivent ses actions ; ils sont remplacés quotidiennement et un nouveau couple prend leur place. Les livres qu’ils ont écrits seront produits le Jour du Jugement.
Strophe 4.—C’est ce vers qui a décidé du droit de Hafiz à recevoir une sépulture honorable.
Strophe 3. — Quand Dieu eut créé l’homme et l’eut rendu plus sage que les anges, il le lia à lui par un traité solennel. « Ne suis-je pas ton Seigneur qui t’a créé ? » demanda-t-il, et l’homme répondit : « Oui. » Mais le mot arabe bala, qui signifie assentiment, signifie aussi tristesse, et on dit que le premier de nos pères savait très bien quel don terrible était la vie qu’il avait reçue de son Seigneur, et il scella le traité du sceau de la douleur. C’est pourquoi depuis les premiers jours, la vie et la tristesse vont de pair, liées par le premier grand pacte entre Dieu et l’homme.
Strophe 4.—Comparez le traitement brutal et puissant du même thème par François Villon :—
«Où sont de Vienne et de Grenoble
Le Dauphin, les preux, les senés ?
Où de Dijon, Sallin et Dolles,
Les sires et les fils aînés ?
Où autant de leurs gens privés,
Hérauts, trompettes, poursuivants ?
Ont-ils bien bouté sous le nez ? . . .
Autant en emporte le vent !
Salomon, type de la grandeur humaine, est le Roi dont la maîtrise n’a rien laissé derrière lui. Il attela le vent comme un coursier à son char, il parla aux oiseaux dans leur propre langue, et le sage et magnifique Assaf fut son ministre. Sur son sceau était gravé le nom de Dieu qui est inconnu des hommes et devant lequel les djinns et les anges doivent se prosterner. C’est avec ce sceau qu’il ferma les bouteilles dans lesquelles il emprisonnait les djinns, ces bouteilles que les pêcheurs des « Mille et Une Nuits » remontent dans leurs filets.
Strophe 1. — Ce poème est adressé au vizir du sultan Oweis de Bagdad, Hadji Kawameddin, qui fonda un collège pour Hafiz à Shiraz. Avec une véritable exagération persane, le poète doit nécessairement écrire à son patron à peu près dans les mêmes termes qu’un amant écrirait à sa maîtresse ; mais ses mots, bien qu’ils sonnent étrangement à nos oreilles, ne sont rien de plus que la façon orientale de dire : « Réveille-toi, mon Saint-Jean ! »
L’interprétation mystique des premières lignes est la suivante : Comme le vin brille dans la coupe comme le reflet d’une joue rougeoyante, ainsi dans la coupe de mon cœur j’ai vu le reflet de Dieu, le véritable Bien-Aimé.
Strophe 6. On raconte qu’à une certaine occasion, alors que Hafiz festoyait avec le vizir dans le jardin de celui-ci, un serviteur lui tendit une coupe de vin et, tandis qu’il la prenait, il vit dans celle-ci le reflet du croissant de lune au-dessus de sa tête. L’incident lui suggéra ce vers. Je dois dire que l’anecdote était d’une authenticité douteuse.
Cette chanson ne se trouve pas dans les meilleures éditions du Divan et on la croit fausse, mais elle est imprimée dans la plupart des éditions populaires et est aussi largement connue que n’importe lequel des poèmes qui passent avec plus de droit sous le nom de Hafiz. Elle est chantée sur un air doux et presque sans mélodie qui ressemble à une musique de rêve ou à l’écho de quelque chose de très beau venant de très loin, le chanteur terminant sur une répétition presque chuchotée de la première phrase exquise. On m’a dit que les bateliers du Gange la chantent en ramant et l’accompagnement monotone de l’eau sous les rames doit être encore plus approprié à la mélodie que celui des cordes du luth.
Strophe 2. — Je n’ai trouvé aucune explication à ces vers difficiles, et, faute d’une meilleure, je me permets de suggérer la suivante : le jardin d’Irem, comme il a été dit dans la note du poème II, était un paradis factice construit par un certain roi fabuleux Shedad, qui voulait être considéré par ses semblables comme un rival de son Créateur, et pour cette témérité un jugement rapide et sévère tomba sur lui ; le fleuve de la vie est l’un des nombreux ruisseaux qui arrose le paradis divin. À mon avis, Hafiz prend l’un comme un type de l’ambition humaine la plus folle, l’autre comme une partie de la plus belle vision que l’esprit humain ait conçue. Et à quoi tout cela se résume-t-il ? demande-t-il. Seulement à ceci : que nous ressemblons à quelqu’un qui s’assoit et rêve sur les rives d’un fleuve puissant et irrésistible, alimenté par de nombreuses sources, et chante, s’il est sage, son chant de louange, puis s’en va.
Strophe 4. — Le fleuve Kausar est un autre des cours d’eau du Paradis ; on dit même qu’il est la source centrale d’où tous les autres jaillissent. Une partie de ses eaux se déversent dans un grand lac carré, dont le périmètre est d’un mois de marche. Sur les bords de ce lac, les âmes des bons musulmans se reposent et se rafraîchissent après avoir traversé le pont terrible, plus tranchant que le tranchant d’une épée, qui est posé au milieu de l’Enfer. Les eaux du lac sont plus blanches que l’argent et plus douces que le musc. Autour de lui sont placées autant de coupes qu’il y a d’étoiles au firmament, et celui qui en aura bu n’aura plus soif.
Strophe 1.—Hafiz a écrit ce poème à la mort de son fils.
Strophe 3. — Rosenzweig, dans son édition du Divan, dit que l’allusion est à la poussière et à l’eau que Dieu a pétries dans le corps d’Adam, et que, par dérision, Hafiz appelle le corps humain une maison de joie.
La lune, selon la superstition perse, a une influence néfaste sur la vie humaine.
Strophe 4. — Rosenzweig dit que « je n’avais pas roqué » signifie que Hafiz n’avait pas pris la précaution d’épouser son fils, et de s’assurer ainsi des petits-enfants qui lui auraient été une consolation à la mort de leur père. Pour cette raison, il n’avait plus rien à perdre et il était indifférent à ce qu’il allait faire ensuite.
Strophe 3.—« La nuit est enceinte »—un proverbe persan qui évoque extraordinairement le ciel clair et profond de l’Orient. La vision semble se glisser entre les étoiles et pénétrer une obscurité pleine de possibilités.
Strophe 2.—Ces vers sont extrêmement mystérieux, comme l’est en fait le poème tout entier. J’ai cherché une explication à leur sujet dans d’autres éditions de Hafiz, mais je n’ai trouvé guère plus qu’une simple traduction des mots persans. Pour la signification de cette strophe, voir Introduction, p. 74.
Sidreh et Tuba sont deux arbres du Jardin du Paradis. Le premier est la demeure de l’ange Gabriel. Concernant le second, Sale dit : « Ils racontent qu’il se trouve dans le palais de Mahomet, bien qu’une branche de celui-ci atteigne la maison de chaque vrai croyant ; qu’il sera chargé de grenades, de raisins, de dattes et d’autres fruits d’une taille surprenante et d’un goût inconnu des mortels. Ainsi, si un homme désire manger un fruit particulier, il lui sera immédiatement présenté ; ou s’il choisit de la viande, des oiseaux tout préparés lui seront présentés, selon son désir. Ils ajoutent que les branches de cet arbre se courberont spontanément vers la main de la personne qui voudra cueillir ses fruits, et qu’il fournira aux bienheureux non seulement de la nourriture, mais aussi des vêtements de soie et des bêtes à monter, déjà sellées et bridgées et ornées de riches harnachements, qui jailliront de ses fruits ; et que cet arbre est si grand qu’une personne montée sur le cheval le plus rapide ne serait pas capable de galoper d’un bout à l’autre de son ombre en cent ans. » — Introduction au Coran.
Strophe 4. — Il veut dire soit facilis descensus Averni, soit, plus probablement, qu’un grand nombre de ceux que les orthodoxes regardent de travers se trouveront avoir un droit égal à une récompense, puisque la distinction entre soufi et orthodoxe n’est en fait rien.
Strophe 5. — « Les amoureux du vin » — c’est-à-dire les soufis, qui seront également indifférents qu’il vienne à eux avec ou sans traînées de nuages d’approbation humaine, puisqu’ils jugeront de sa valeur selon un critère différent.
Strophe 3.—L’allusion est à l’expulsion d’Adam du jardin d’Eden.
Strophe 4.—Concernant le jugement dernier, une belle tradition rapporte qu’il y a sept degrés de châtiment, mais huit de béatitude, parce que la miséricorde de Dieu surpasse sa justice.
Strophe 1.—Le bleu est la couleur persane du deuil. Hafiz compare les amants en pleurs, vêtus de robes de deuil, à un lit de violettes, et comme les violettes inclinent la tête quand le vent passe sur elles, elles s’inclinent quand leur maîtresse passe avec des boucles flottantes.
Strophe 3.—« Erghwan », le Syringa Persica ou lilas de Perse. Au début du printemps, avant qu’il ne pousse des feuilles, il se couvre de boutons d’une belle couleur rouge pourpre.
« Khizr », prophète que les musulmans confondent avec Phinées, Élie et saint Georges, disant que son âme passa successivement par les trois par la métempsycose. Il découvrit la fontaine de vie et y but, se rendant ainsi immortel. On dit qu’il guida Alexandre jusqu’à la même fontaine qui se trouvait dans le pays des ténèbres. C’est lui aussi que Moïse partit à la recherche lorsque Dieu lui apprit qu’Al Khizr était plus sage que lui. Il le trouva assis sur un rocher, au confluent des deux mers, et le suivit quelque temps, apprenant de lui la sagesse, comme il est rapporté au dix-huitième chapitre du Coran. Son nom signifie Vert ; partout où ses pieds reposaient, la terre était couverte d’herbes vertes.
Hafiz considérait le prophète Al-Khizr comme l’un de ses protecteurs particuliers. A environ quatre milles persans de Chiraz, il y a un lieu appelé Pir-i-Sabz, le Vieil Homme Vert ; quiconque y passait quarante nuits sans dormir, la quarantième nuit, Al-Khizr lui apparaissait et lui conférait le don immortel du chant. Hafiz, dans sa jeunesse, tomba amoureux d’une belle jeune fille de Chiraz appelée Shakh-i-Nahat, et pour conquérir son cœur, il résolut de rencontrer Al-Khizr et d’apprendre de lui l’art de la poésie. Pendant trente-neuf matins, il se promena sous les fenêtres de Shakh-i-Nahat, mangea à midi, puis dormit et veilla la nuit, sans se laisser troubler par l’apparition terrible d’un lion féroce qui était son compagnon nocturne. Enfin, le quarantième matin, Shakh-i-Nahat le fit venir chez elle et lui dit qu’elle était prête à devenir sa femme, car elle préférait un homme de génie au fils d’un roi. Elle aurait voulu le garder avec elle, mais Hafiz, bien qu’il ait atteint son but initial, était maintenant rempli du désir de devenir poète et insista pour faire sa quarantième veille. Cette nuit-là, un vieil homme vêtu de vêtements verts vint à lui et lui apporta une coupe d’eau d’immortalité.
Strophe 2.—Voir note sur la strophe 1 du poème III.
Strophe 5. — « L’étroitesse d’esprit » est la traduction exacte du mot persan pour avidité, et il y a par conséquent, dans l’original, un jeu de sens entre les attributs physiques et moraux des Tartares.
Il est significatif que Hafiz ait choisi les brigands tartares « aux yeux bridés » comme types de cruauté. De même que les Anglo-Saxons priaient pour être délivrés des Danois, une phrase de la litanie persane des XIIIe et XIVe siècles aurait pu être : « Du pouvoir des Tartares, bon Dieu, délivre-nous ! » D’abord sous Hulagu, puis sous Tamerlan, ils envahirent et dévastèrent la Perse. Les destructions qu’ils provoquèrent furent très semblables à celles des conquérants arabes dans les provinces romaines d’Afrique du Nord. Ils rasèrent de grandes villes ; ils réduisirent des régions peuplées et fertiles en un désert aride en détruisant les anciens réservoirs et en détruisant le système d’irrigation, changeant complètement les conditions physiques de certaines parties du pays. Dans les montagnes au nord de Téhéran, par exemple, il existe des villages dont l’étymologie indique qu’ils étaient situés à la sortie d’un réservoir dont il ne reste aucune trace, et l’on dit que le pays qui entoure la ville était beaucoup mieux irrigué avant l’invasion tartare et abritait une population plus nombreuse. Les envahisseurs détruisirent complètement l’ancienne ville de Rhages, qui se trouvait à environ trois milles de la capitale moderne. Le même phénomène se produisit en Afrique du Nord. On trouve les ruines de villes romaines dans un pays qui devait être fertile autrefois, mais qui est aujourd’hui reconquis par les sables du Sahara.
« Une pauvre robe. » Le persan dit « man dervish-i-yek kaba » - c’est-à-dire moi, un pauvre homme d’une seule robe - derviche signifie dans son sens premier, il est à peine nécessaire de dire, pauvre. Je pense que le double sens est significatif. Dans son sens mystique, le poème décrit comment Hafiz a trouvé une consolation dans l’ivresse extatique des soufis, dans le chant du ménestrel, ou message divin, qui lui apportait une parole de Dieu ; et quand finalement le dernier lambeau de son orthodoxie lui a été arraché, quand dans sa lutte désespérée avec l’existence il a été forcé d’abandonner même sa robe de derviche, le Ciel miséricordieux lui a montré un refuge sûr dans les doctrines soufies.
Strophe 1. — Sir Henry Layard donne le récit suivant d’un groupe de derviches avec lequel il voyageait, d’où il ressort que le mépris de Hafiz pour l’habit de derviche n’était pas tout à fait injustifié : « C’était une troupe pittoresque et bigarrée. Un ou deux d’entre eux étaient ce que les Perses appellent des luti, des jeunes hommes aux boucles bien teintes, aux longs vêtements et aux bonnets coniques brodés de plusieurs couleurs – des individus débauchés et dissolus qui, sous le couvert de la pauvreté et en affectant l’abstinence et la piété, s’adonnaient à toutes sortes de vices. D’autres étaient des sauvages à moitié nus, les cheveux pendant dans le dos et des peaux de gazelles sur les épaules – pieds nus, sales et couverts de vermine. Ils portaient de lourdes masses de fer et semblaient plus disposés à exiger qu’à demander la charité. En chemin, ils criaient : « Yah Allah ! yah Muhammad ! « Oui, Ali ! » Ils portaient tous en bandoulière la coque de noix de coco sculptée, indispensable au derviche, et qui sert à transporter la nourriture et à boire. Autour du cou, ils portaient des charmes et des amulettes, avec des perles, des cordons et des glands colorés. » Il poursuit : « La plupart des derviches persans, bien qu’ils aient de grandes prétentions à la sainteté, par laquelle ils s’imposent au peuple, haut et bas, sont sans aucune religion. On leur attribue cependant des miracles et la capacité de donner des charmes efficaces. . . . Bien que ces derviches soient de purs imposteurs et généralement de véritables scélérats, ils maintiennent leur influence sur les Perses ignorants et superstitieux de toutes les classes, qui les craignent beaucoup et n’osent pas les offenser. Aussi personne n’ose leur refuser l’entrée dans leurs maisons, et même dans les appartements des femmes, où ceux qui vont tout nus, et qui sont considérés comme des saints et protégés par Allah et Ali, peuvent entrer en toute impunité. Parfois, ils demandent une certaine somme d’argent à un homme riche, et s’il refuse de la payer, ils s’installent sous le porche ou le porche de sa demeure, ou à l’extérieur, près de celle-ci, et enferment un petit lopin de terre, sèment du blé ou plantent des fleurs, et restent jusqu’à ce qu’ils aient reçu le paiement de ce qu’ils demandent, en huant horriblement jour et nuit, en invoquant Mahomet, Ali et les Imams, ou en soufflant dans une corne de buffle pour troubler tout le voisinage. Le propriétaire et les habitants de la maison sont impuissants. Ils n’osent pas chasser de force les saints hommes. » — Premières aventures.
Strophe 2.—C’est-à-dire que le tapis de prière du musulman orthodoxe n’avait pas assez de valeur pour lui procurer ne serait-ce qu’un verre de vin soufi, et qu’il n’était pas digne de poser sa tête sur les marches poussiéreuses de la taverne, lieu d’enseignement de la doctrine soufie.
Strophe 3. — Etre vêtu d’une seule couleur est l’expression persane de la sincérité. Il veut dire que la robe pourpre du raisin vaut mieux que le vêtement hypocrite du derviche, tout déchiré et rapiécé par un long voyage sur la mauvaise route.
Strophe 5. — J’ai essayé jusqu’ici de donner une interprétation mystique du poème. Il y a cependant une histoire qui en fait un document historique plutôt que théologique. On raconte que le roi du Deccan, Mahmud Shah Bahmani, avait entendu parler de la renommée de Hafiz et, ayant un bon goût pour la littérature, désirait l’attirer à sa cour. En conséquence, il ordonna à son vizir, Mir Feiz Allah Inju, d’envoyer au poète une somme suffisante pour payer son voyage depuis Shiraz. Hafiz résolut d’accepter l’invitation. Il régla ses affaires dans sa ville natale, employa une partie de l’argent que le sultan lui avait envoyé à payer ses dettes et à faire des cadeaux aux enfants de sa sœur, et se mit en route. Mais lorsqu’il arriva à la ville de Lar, il y trouva une connaissance dans un état très grave, ayant été pillée par des brigands et réduite à l’état de mendiant. Hafiz fut pris de compassion et lui donna le reste de l’argent que Mahmud Shah lui avait envoyé. Il ne pouvait plus continuer son voyage faute de moyens, et peut-être fut-ce une amère expérience qui lui apprit que son tapis de prière ne lui rapporterait pas un verre de vin et que, sans les pièces d’argent nécessaires, il serait jeté dehors. Il fut sauvé de cette situation par deux marchands amicaux, qui étaient également en route pour l’Inde, et qui lui offrirent de payer ses frais jusqu’à Hormuz et de le placer là-bas sur un navire de Mahmud Shah qui venait les chercher. Hafiz accepta l’offre, se rendit à Hormuz et s’embarqua sur le navire. Mais avant qu’ils aient quitté le port, une violente tempête s’éleva et persuada le poète qu’aucun avantage qu’il pourrait tirer du voyage ne vaudrait la peine de traverser la mer. Sous prétexte de faire ses adieux à des amis, il débarqua et regagna en toute hâte Shiraz, envoyant ce poème à Feiz Allah comme excuse pour ne pas avoir tenu son engagement. Le vizir le lut à Mahmud Shah, qui fut transporté par la beauté des vers et la dignité philosophique sous laquelle Hafiz avait enveloppé ses craintes des dangers de la route et des désagréments du mal de mer. Avec une générosité singulière, il envoya au poète défaillant un nouveau présent, consistant au moins en une partie des richesses de ses terres et de ses mers.
On dit que ce poème a été écrit par Hafiz, à la mort de sa femme.
Strophe 5. — Shah Shudja, comme on l’a raconté dans l’introduction, n’était pas toujours en bons termes avec Hafiz, en partie parce qu’il était jaloux de la renommée de ce dernier comme poète, et en partie parce que Hafiz avait été le protégé de l’ancien rival de Shah Shudja, Abu Ishac. Le roi chercha donc un moyen de nuire au poète, et il ne tarda pas à trouver ce qu’il cherchait. Il accusa Hafiz de nier la résurrection, basant son accusation sur le dernier couplet de ce poème – les trois derniers vers de la présente traduction – et le cita devant les oulémas comme un infidèle. Mais Hafiz était trop pour lui. Avant le jour où il devait répondre à l’accusation portée contre lui-même, il inséra un autre couplet dans l’ode, dans lequel il déclarait que les vers dangereux n’exprimaient pas son opinion personnelle, mais celle d’un chrétien hérétique. Il s’en tira haut la main ; car non seulement il fut entièrement innocenté, mais il fut aussi reconnu qu’il avait porté un bon coup à la religion musulmane, puisqu’il avait dévoilé une des erreurs des infidèles.
Strophe 1. — Il existe plusieurs façons de présager qui sont encore pratiquées par les Perses. Au sujet de l’astrologie et de la géomancie, M. Browne interrogea un savant persan, qui lui répondit qu’il y avait une preuve positive de leur véracité. Le Persan ajouta cependant que l’étude de ces sciences était très difficile, et que beaucoup de ceux qui prétendaient les connaître n’étaient que de simples charlatans. Il ajouta aussi que de nombreux rêves étaient susceptibles d’interprétation et pouvaient fournir des indications sur des événements qui allaient encore se produire. M. Browne raconte qu’il consulta un géomancien, qui, au moyen de dés, lui donna beaucoup de renseignements sur son avenir, dont aucun n’a encore été justifié par l’événement ; mais, lorsqu’on lui demanda d’accomplir la tâche moins difficile de répondre à quelques questions sur son passé, il détourna la conversation. « J’ai discuté, dit le voyageur, des sciences occultes avec plusieurs de mes amis, pour découvrir autant que possible l’opinion dominante parmi eux. L’un d’eux fit valoir l’argument suivant pour prouver leur existence : « Dieu, dit-il, n’a pas de bukhl (avarice) ; il lui est impossible de refuser à quelqu’un une chose à laquelle il s’efforce avec suffisamment de sérieux. De même que si un homme consacre toutes ses forces à la poursuite de la connaissance spirituelle, il y parvient, de même s’il choisit de faire des sciences occultes et des pouvoirs magiques l’objet de ses aspirations, elles ne lui seront assurément pas refusées. » — Une année chez les Perses.
On peut prédire un présage en ouvrant le Coran ou un autre livre reconnu (le Divan de Hafiz par exemple), en piquant une épingle dans la page et en suivant les indications que l’on peut tirer du verset ainsi indiqué. Cette méthode est fréquemment utilisée avant de partir en voyage. On consulte aussi les étoiles pour choisir le jour favorable à l’entreprise, certaines d’entre elles ayant une influence particulière sur les hommes : l’influence de la lune, par exemple, est dangereuse pour la vie, et une des étoiles de la constellation de Cassiopée est de mauvais augure. Outre ces présages, on peut tirer des divinations des mouvements et de la position de certains animaux et oiseaux, et de divers événements qui se produisent. Rencontrer un borgne est de mauvais augure, surtout s’il est aveugle de l’œil gauche, ou entendre une parole malheureuse en quittant sa maison le matin. Lane, dans une de ses notes pour les Mille et Une Nuits, raconte l’histoire d’un sultan qui se préparait à une incursion, quand l’un de ses étendards heurta par hasard un groupe de lampes (ou Pléiades, comme on les appelle en arabe). Il considéra cela comme un événement funeste et s’apprêtait à abandonner l’expédition. « Oh notre seigneur ! dit un de ses officiers, nos étendards ont atteint les Pléiades. » Le sultan, encouragé par cette heureuse suggestion, continua son chemin et revint victorieux.
Strophe 2. — Pour Djemshid, voir la note de la strophe 2 du poème II. Il fut le quatrième roi de la première dynastie ou dynastie pisdadienne, et on suppose qu’il a régné huit cents ans avant l’ère chrétienne. Firdusi dit qu’il a régné sept cents ans. Kaikobad fut le fondateur de la deuxième dynastie, la dynastie Kayanienne. Il fut placé sur le trône par le héros Rustum, fils de Zal. C’est sous son règne que Rustum vainquit l’armée d’Afrasiab, tuant son propre fils dans la bataille « près du grand cours d’eau Oxus, l’Oxus jaune », une histoire que tous les lecteurs de Matthew Arnold connaissent. Kaikobad aurait régné cent vingt ans. Bahman, un autre membre de la maison Kayanienne, est mieux connu des Perses sous le nom d’Ardisher Dirazdast, l’Artaxerxès Longue-Manus des Grecs. Il monta sur le trône en av. J.-C. 464. Il était le petit-fils de Darius, le Gushtasp persan. Il est censé avoir été l’Assuérus de l’Écriture qui épousa Esther. Les historiens persans lui attribuent aussi une longévité remarquable et affirment qu’il régna cent douze ans. Kaikaus, mentionné dans la strophe suivante, était le fils de Kaikobad, deuxième roi de la dynastie Kayanian; Kai pourrait être Kaikhusro, le troisième roi de la même dynastie.
Strophe 3. — Les amours de Ferhad et de Shirin sont célèbres dans la légende persane. Shirin est appelée par certains Marie, par d’autres Irène. Les Grecs la décrivent comme romaine de naissance et chrétienne ; les Turcs et les Perses disent qu’elle était fille de l’empereur Maurice et épouse de Khusro Parwiz, qui monta sur le trône de Perse en 591 après J.-C. C’est Khusro Parwiz qui conquit Jérusalem et emporta, disent les Perses, la vraie croix, qui avait été enfermée dans une boîte d’or et enterrée dans la terre. Il était profondément attaché à sa femme Shirin, mais elle avait donné son cœur à son humble amant Ferhad. Désespérant de jamais atteindre celle dont le rang la plaçait si haut au-dessus de lui, il erra à travers les déserts et les montagnes de Perse en invoquant son nom, et pour tromper ses heures de fatigue, il exécuta les sculptures sur le rocher de Behistun, dit la légende. Le roi lui fit dire que s’il parvenait à percer le rocher et à faire couler un ruisseau de l’autre côté des montagnes, il lui céderait Shirin. Ferhad se mit à la tâche et l’avait presque accomplie lorsque Khusro lui envoya la fausse nouvelle de la mort de Shirin. En l’apprenant, Ferhad se jeta du haut du rocher et mourut ainsi. La fin de Shirin ne fut guère moins tragique. Khusro Parwiz fut mis à mort violemment par son fils, qui fit des propositions de mariage à la veuve de son père. Shirin promit de l’épouser s’il lui permettait de revoir une fois de plus le cadavre de son mari. Elle fut conduite à l’endroit où gisait le roi assassiné et, tirant un poignard, elle se poignarda et tomba morte sur son corps.
Il est difficile de concevoir quelque chose de plus exquis que la petite tulipe écarlate poussant sur une colline aride de Perse. Au sommet d’un col désolé au-dessus des montagnes entre Resht et Téhéran, j’ai vu des groupes de minuscules tulipes briller comme des joyaux parmi la poussière et les pierres.
Il existe une tradition selon laquelle ce poème aurait été envoyé au roi de Golconde.
Strophe 1.—Selon la croyance orientale, le don de guérison de Jésus-Christ était dû à une qualité miraculeuse dans son souffle.
Strophe 3. — Maghilan, arbuste épineux qui pousse dans les déserts d’Arabie près de la Mecque. Quand les pèlerins le voient, ils savent qu’ils ont presque atteint leur but et oublient les difficultés du voyage et la stérilité des terres désolées à travers lesquelles passe leur route.
Strophe 1.—Khizr—voir Note à la troisième strophe du poème XVIII.
Strophe 2.—Le quartier de Jafrabad a cessé d’exister. Sa position était à l’est de la ville, en face des champs et de la mosquée en ruine de Mosalla. Entre Jafrabad et Mosalla passe la grande route d’Ispahan, traversant, à un mille de Chiraz, le col d’Allahu Akbar.
L’ange Gabriel, le Saint-Esprit, est le plus élevé de tous les anges. Il a pour mission d’écrire les décrets de Dieu; par lui le Coran fut révélé à Mahomet, et c’est lui qui, planant au-dessus du trône de Dieu, l’abrite de ses ailes. Hafiz réclame donc pour Shiraz la protection de celui qui est le gardien de la plus haute place du ciel.
Ibn Batuta, le voyageur arabe qui visita Shiraz vers 1340, a laissé une description charmante de la ville natale de Hafiz et des mœurs de ses contemporains. « Shiraz », dit-il, « est une ville bien construite, d’une grande taille, d’une grande célébrité et d’une place élevée parmi les villes. Elle possède d’agréables jardins, de vastes ruisseaux, d’excellents marchés, de belles rues et une population nombreuse. La ville est construite avec goût et admirablement agencée ; chaque commerce a son propre bazar. Les habitants sont d’une belle race et bien vêtus. Shiraz est située dans une plaine ; des jardins l’entourent de tous côtés ; et cinq rivières la traversent, parmi lesquelles l’une appelée Ruknabad, un ruisseau dont l’eau est excellente à boire, très froide en été et chaude en hiver. La mosquée principale s’appelle la Vieille Mosquée ; elle est aussi spacieuse et aussi bien construite que quiconque pourrait souhaiter la voir. La cour est vaste et pavée de marbre ; par temps chaud, elle est lavée à l’eau fraîche tous les soirs. Les citoyens riches y viennent chaque soir pour répéter les prières du coucher du soleil et de la nuit. Les habitants de Shiraz sont aisés, pieux et chastes ; les femmes surtout se distinguent par leur modestie. Elles vont entièrement voilées, donnent beaucoup d’aumônes et se rendent trois fois par semaine à la grande mosquée. Il y a souvent jusqu’à deux mille personnes qui s’y rassemblent, assises avec un éventail à la main à cause de la grande chaleur. Chaque jour, dans l’un des mausolées, on lit à haute voix tout le Coran et les lecteurs ont de très belles voix. Les gens apportent avec eux des fruits et des friandises, et lorsque l’assemblée a fini de manger, le prédicateur commence son discours. Cela a lieu entre la prière de midi et celle du soir. » Ibn Batuta fit la connaissance d’un cheikh qu’il trouva assis dans un petit ermitage au coin d’une mosquée. Le cheikh était occupé à lire le Coran. En réponse aux questions d’Ibn Batuta, il lui dit qu’il avait lui-même fondé la mosquée et que l’ermitage devait être son tombeau. Soulevant un tapis, il lui montra sa tombe, couverte de planches. Dans cette boîte, dit-il en montrant un coffre en face de lui, se trouvent mon linceul, des aromates dont mon cadavre sera parfumé, et quelques pièces de monnaie que j’ai gagnées en creusant un puits pour un homme pieux. L’argent servira à payer mon enterrement, et ce qui restera sera distribué aux pauvres. — J’admirai sa conduite, ajoute Ibn Batuta. L’un des mausolées hors de la ville, continue-t-il, contient le tombeau de cheikh Sa’di, le premier poète de son temps. Tout près se trouve un ermitage construit par Sa’di lui-même, entouré d’un charmant jardin. Il est situé près de la source du Ruknabad. Dans le jardin, cheikh Sa’di a construit plusieurs bassins pour le lavage des vêtements. Les citoyens de Shiraz font des fêtes de plaisir à ce mausolée ; ils mangent des aliments préparés dans l’ermitage, lavent leurs vêtements dans la rivière, et au coucher du soleil retournent à la ville. « Moi aussi, que Dieu ait pitié de Shiraz ! » conclut-il pieusement.
Strophe 3. — Le mois de Sha’aban est le huitième mois de l’année arabe. Il est suivi par le mois de Ramazan, pendant lequel le Prophète a décrété que, de deux heures avant l’aube jusqu’au coucher du soleil, rien ne devait sortir des lèvres de ses disciples. Le jeûne est si strictement observé, surtout par les classes inférieures, que non seulement ils s’abstiennent de manger et de boire, mais ils ne fument même pas jusqu’à ce que le coup de feu du coucher du soleil mette fin à l’abstinence de la journée. La nuit, cependant, se passe en festins et en réjouissances, et les classes les plus riches dorment tard pendant le mois de Ramazan et raccourcissent les longues heures qui doivent s’écouler avant de pouvoir déjeuner.
Strophe 3.—D’après la science populaire de l’Orient, la coloration des pierres précieuses, même de celles qui sont enfouies profondément dans la terre, est due à l’action de la pluie, du vent et des rayons du soleil.
Strophe 4.—C’est une image persane favorite de décrire les cheveux de la bien-aimée comme s’emmêlant et piégeant l’amant malheureux. Ses longs cheveux sont souvent comparés à des serpents mortels et ses boucles à des crochets qui attrapent et déchirent le cœur de son amant. Il suffit d’aller voir le Marchand de Venise pour trouver la même image utilisée par un poète occidental : « Ces boucles dorées et croquantes comme des serpents », et encore : « Un filet doré pour piéger les cœurs des hommes plus vite que les moucherons dans les toiles d’araignées ».
Strophe 1. — L’histoire de la création d’Adam et du rôle joué par les anges dans cette création est racontée par Mahomet dans les termes suivants : « Quand ton Seigneur dit aux anges : Je vais placer un substitut sur la terre, ils dirent : Veux-tu y placer quelqu’un qui y fera le mal et versera le sang ? Mais nous célébrons ta louange et te sanctifions. Dieu répondit : En vérité, je sais ce que vous ne savez pas. Il enseigna à Adam les noms de toutes choses, puis les proposa aux anges et dit : Déclarez-moi les noms de ces choses si vous dites la vérité. Ils répondirent : Louange à toi, nous n’avons aucune connaissance que ce que tu nous enseignes, car tu es savant et sage. Dieu dit : Ô Adam, dis-leur leurs noms. Et lorsqu’il leur eut révélé leurs noms, Dieu dit : Ne vous ai-je pas dit que je connais les secrets du ciel et de la terre, et que je sais ce que vous découvrez et ce que vous cachez ? Et lorsque nous avons dit aux anges : « Adorez Adam », ils l’ont tous adoré, sauf Eblis qui a refusé, s’est enflé d’orgueil et est devenu du nombre des mécréants. » — Coran, chap. ii.
La tradition a amplifié et embelli cette histoire. On dit que les trois archanges, Gabriel, Michel et Israfil, reçurent chacun à leur tour l’ordre de prendre de la terre sept poignées d’argile de trois couleurs différentes, rouge, blanche et jaune, afin que Dieu puisse en faire les races humaines. Mais chacun fut ému par la prière de la terre de ne pas lui ravir sa substance, et chacun revint au ciel les mains vides. La quatrième fois, Dieu envoya Azrail, l’ange de la mort, qui arracha les sept poignées de la terre, mais entendant ses lamentations, lui promit que lorsque l’homme cesserait de vivre, sa substance retournerait à la terre d’où elle avait été prise. Avec l’argile qu’Azrail lui apporta, Dieu modela la figure de l’homme, et quand elle fut terminée, il la laissa sécher pendant quarante jours. Les anges venaient souvent la contempler, et Eblis, la frappant du pied, trouvait qu’elle sonnait creux. Lorsque la figure d’argile fut sèche, Dieu insuffla le souffle de vie dans ses narines et ordonna aux anges de se soumettre à l’homme qu’il avait créé. Mais Eblis refusa, disant qu’il avait été créé de feu pur et qu’il ne voulait pas servir à un moule creux d’argile ; c’est pourquoi Dieu le chassa du paradis. Les autres anges reconnurent la supériorité d’Adam après que Dieu lui eut fait dire les noms de toutes les créatures de la terre, bien qu’ils aient d’abord protesté qu’il n’était pas convenable qu’ils se prosternent devant lui, car leur amour pour Dieu était plus grand que le sien. C’est avec cette légende en tête qu’Hafiz parle des anges se tenant à la porte de la taverne, où l’homme peut entrer et recevoir des instructions sur la sagesse de Dieu, mais où il doit frapper en vain, et comme modelant une coupe de vin avec l’argile méprisée dont le corps humain a été moulé. Je pense qu’il veut dire que l’homme lui-même est le vase dans lequel l’amour et la sagesse divines sont versés ; et quand il dit que les anges lui apportèrent d’abord du vin, il entend que par leur exemple ils lui montrèrent ce que c’était que d’être enivré par la contemplation de Dieu.
Strophe 3. — « Concernant le fruit défendu », dit Sale dans une note au deuxième chapitre du Coran, « les musulmans, comme les chrétiens, ont des opinions différentes. Certains disent que c’était un épi de blé, d’autres un figuier, d’autres encore une vigne. »
Il existerait soixante-douze sectes en Islam, que de nombreux auteurs musulmans comparent aux soixante-douze branches de la famille de Noé après la confusion des langues à Babylone et la dispersion des enfants d’Adam.
Strophe 1.—La seconde ligne de ce poème est aussi souvent citée que n’importe quelle autre, peut-être, dans le Divan : « Yàd bàd àn ruz-i-gàràn, yàd bàd ! » On la mettra sur une lettre à un ami absent, même quand on ne tient pas particulièrement à ce que les jours passés soient préservés de l’oubli ; et combien de fois cette simple petite ligne a-t-elle dû être utilisée par ceux pour qui sa simplicité même la rendait plus poignante que des pages de sentiment !
Strophe 3. — Le Zindeh Rud était une rivière qui coulait près d’Ispahan. Il n’y a malheureusement plus de roseraies sur ses rives, car elle a complètement disparu lors du terrible tremblement de terre qui se produisit au printemps de l’année 1853. Je soupçonne, d’après des preuves internes, que ce poème fut envoyé à des amis de Hafiz vivant à Ispahan, sur lesquels cet appel passionné ne doit pas jeter le discrédit, car il se peut fort bien qu’il s’agisse simplement de la manière orientale d’écrire une lettre de remerciement. En même temps, malgré cette explication rationnelle, il faut reconnaître que la signification du nom Zindeh Rud est Rivière de Vie. Je tremble à l’idée de quel bourbier de mysticisme cet innocent petit ruisseau pourrait être amené à nous guider !
Strophe 2.—« L’amour et la foi », dit Rosenzweig, est le nom d’une histoire persane bien connue qui a été racontée par de nombreux écrivains.
Strophe 4.—Voir note sur la strophe 4 du poème XXXIII.
Le mot bézoard vient de deux racines arabes qui signifient « anéantisseur de poison ». Murray donne plusieurs exemples de son utilisation par des écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles dans le sens d’antidote, principalement contre les morsures de serpents. Topsell, par exemple, dans son livre sur les serpents (1607), remarque que « le jus de pomme bu et l’endive sont les bons bézoards contre le venin d’une phalange » – quel qu’il soit. Le mot était également appliqué à diverses substances considérées comme des antidotes, en particulier à une concrétion trouvée dans l’estomac de certains animaux, formée de couches concentriques de matière animale déposées autour d’une substance étrangère. Cette concrétion était appelée pierre de bézoard. La sorte originale était le lapis-lazuli oriental, obtenu à partir de la chèvre sauvage de Perse, qui fut plus tard appelée chèvre de bézoard ; également à partir de diverses antilopes, etc. Le lapis-lazuli occidental, obtenu à partir des lamas du Pérou, était moins prisé. Le chamois donnait le bézoard allemand. « La pierre », dit Frampton, dans ses « Joyful News », est appelée le Bezaar, étant approuvée bonne contre le venin » et Hawkins, dans son « Voyage aux mers du Sud », parle de « la becunia et d’autres bêtes qui engendrent la pierre de Beazer ».
Strophe 1. — On raconte que Ghiyasuddin Purabi, qui succéda à son père sur le trône du Bengale en 1367, tomba malade. Pendant sa maladie, il fut soigné par trois servantes fidèles qui s’appelaient Cyprès, Tulipe et Rose, et grâce à leurs soins il finit par guérir. Les autres dames du sultan étaient jalouses de la gratitude que Ghiyasuddin avait témoignée aux trois servantes et les surnommaient avec mépris « les trois femmes au bain », parce qu’elles avaient lavé le corps du roi pendant qu’il était malade. Il décida donc de leur rendre hommage en commémorant leur dévotion dans un poème, et à cette fin, il composa le premier vers d’un couplet et ordonna aux poètes de sa cour de terminer l’ode. Le vers était ainsi rédigé : « Sàki hadis-i-sarvo gul o làleh miravad » — Échanson, une histoire qui raconte l’histoire d’un Cyprès, d’une Rose et d’une Tulipe. Mais les poètes ne purent accomplir cette tâche à la satisfaction du roi, et finalement quelqu’un suggéra que le vers soit envoyé à Hafiz de Shiraz, dont la renommée de la grande habileté avait atteint le Bengale. Cela fut fait en conséquence, et Hafiz composa l’ode traduite ici, dont le sultan (dont le goût semble s’être tourné vers le discursif en poésie) fut très enchanté. Les trois coupes de vin sont une allusion aux trois jeunes filles qui lavèrent le corps du roi; les perroquets de l’Inde sont les poètes de la cour de Ghiyasuddin, et la friandise persane est l’ode que Hafiz envoya au Bengale.
Strophe 4. — Samir. Al Samiri appartenait, disent les musulmans, à une certaine tribu juive appelée les Samaritains, d’où son nom. En cela, les musulmans trahissent étrangement leur ignorance de l’histoire, car les Samaritains ne formèrent un peuple et ne portèrent ce nom que bien des siècles plus tard. Certains disent qu’il était un prosélyte, mais un hypocrite, originaire de Kerman ou d’un autre pays. Son vrai nom était Musa ibn Dhafar. Il était magicien et alchimiste. Pharaon l’employa comme rival de Moïse lorsque celui-ci fit des miracles avec sa main et son bâton, mais Al Samiri ne put montrer des prodiges aussi grands que ceux accomplis par Moïse. C’est lui et non Aaron, selon la tradition musulmane, qui fondit le veau d’or. Le veau fut fait avec les ornements d’or et d’argent et d’autres matières que les Israélites avaient empruntés aux Egyptiens ; car Aaron, qui commandait en l’absence de son frère, ayant ordonné à Al Samiri de recueillir ces ornements du peuple, qui faisait avec eux un commerce pervers, et de les garder ensemble jusqu’au retour de Moïse, Al Samiri, connaissant l’art du fondeur, les mit tous ensemble dans un four, pour les fondre en une seule masse, qui sortit sous la forme d’un veau. Les Israélites, accoutumés à l’idolâtrie égyptienne, rendant un culte religieux à cette image, Al Samiri alla plus loin, et prit de la poussière des pas du cheval de l’ange Gabriel, qui marchait à la tête du peuple, et la jeta dans la bouche du veau, qui aussitôt se mit à mugir et s’anima ; car telle était la vertu de cette poussière. (Sale, Notes aux deuxième et vingt-deuxième chapitres du Coran.) Al Simiri est nommément mentionné dans le vingt-deuxième chapitre du Coran : « Al Samiri les a égarés. »
Strophe 2.—Selon la superstition persane, la fumée de la rue en feu a le pouvoir de détourner le mauvais œil.
Strophe 1.—Khizr. Voir la note de la strophe 3 du poème XVIII.
Strophe 3. — Zohra est la planète Vénus, la musicienne du ciel et la protectrice de tous les musiciens et chanteurs de la terre. Zohra joua un rôle dans la mythologie très ancienne. Les musulmans empruntèrent et adaptèrent les légendes des mages à son sujet, et leur récit se résume comme suit : « Un jour, les anges s’étonnèrent de la méchanceté de l’homme et de la façon dont il s’égarait, malgré les avertissements qui lui avaient été envoyés par les prophètes. Mais Dieu, entendant leurs paroles, résolut de les exposer aussi à la tentation, afin qu’ils apprennent combien il était facile de tomber. C’est pourquoi il désigna deux d’entre eux, dont les noms étaient Harut et Marut, pour descendre sur la terre comme juges des hommes, et il leur enseigna une parole secrète par le pouvoir de laquelle chaque soir, une fois leur œuvre de jugement terminée, ils pouvaient retourner au ciel. Pendant quelque temps, les deux anges accomplirent fidèlement leur devoir. Mais enfin une femme nommée Zohra, plus belle que toutes les autres femmes de la terre, se présenta devant leur tribunal pour demander réparation contre son mari, et les deux anges conçurent pour elle une violente passion. Le lendemain, comme elle revint avec la même requête, ils la prirent à part et lui déclarèrent leur amour. Elle répondit qu’elle satisferait leurs désirs s’ils faisaient trois choses : détruire son mari, adorer les dieux qu’elle adorait et boire du vin. Les anges ne purent se résoudre à devenir des meurtriers et des idolâtres, mais ils consentirent à boire du vin, « ne sachant pas, dit le commentateur persan du Mesnavi de Jelaleddin Rumi, que le vin était la source du péché et la mère de la honte ». Alors Zohra dit : « Chaque nuit, par la puissance d’une parole divine, vous retournez au ciel. Enseigne-moi aussi cette parole. » Les anges lui confièrent le secret de Dieu, et dès qu’elle eut entendu la parole, elle la prononça à son tour et s’éleva au ciel, où Dieu changea sa forme et la transforma en étoile. Les anges tentèrent de la suivre au ciel, mais on leur refusa l’entrée. Sur l’intercession d’un homme très pieux, ils furent autorisés à choisir s’ils seraient punis dans ce monde ou dans l’autre ; ils choisirent le premier, et maintenant ils souffrent le châtiment dans le pays de Babel, où, si quelqu’un a envie d’apprendre la magie, il peut aller et l’apprendre d’eux, car ils sont maîtres dans tous les arts magiques. La tradition dit que Mahomet, chaque fois qu’il regardait la planète Vénus, avait l’habitude de s’exclamer : « Que Dieu maudisse Zohra ! car c’est elle qui a conduit les deux anges Harut et Marut au péché. »
La même histoire, dit Rosenzweig, se retrouve dans le Talmud, où les deux anges sont appelés Asa et Asail. Le Talmud raconte que les anges, après leur péché, furent emportés sur une grande montagne et suspendus par des chaînes au-dessus d’un abîme. Ce sont eux qui enseignèrent la sagesse à Salomon.
Strophe 4.—Pour la superstition concernant l’origine des pierres précieuses, voir la note de la strophe 3 du poème XXXIII.
Cette ode est inscrite sur la tombe de Hafiz.
LA FIN