[p. 142]
Khushhal Khan, célèbre chef de la puissante tribu afghane des Khattak, à la fois guerrier et poète, naquit en 1022 de l’Hégire (1613). Son père, Shâh-bâz Khan, ayant été blessé lors d’une bataille contre les Yusufzîs, l’une des tribus afghanes les plus nombreuses et les plus puissantes, des suites de cette blessure, il mourut peu après. Khushhal, qui avait également été grièvement blessé à la tête et au genou lors de la même bataille, en 1050 (1640), devint, avec le consentement unanime et l’approbation de ses parents et amis, chef de sa tribu. Le fief de son père lui fut confirmé par l’empereur moghol Shāh Jahān, ainsi que la charge de protéger la route royale d’Attak, sur l’Indus, à Pes’hāwar, et d’autres tâches lui furent confiées par ce souverain, dans l’estime duquel Khushḥāl était très apprécié. Il accompagna Ṣult̤ān Murād Baksh, le fils de ce monarque, dans son expédition au Badakhshān en 1645, et fut également engagé dans d’autres guerres de cette période.
À la mort de Shāh Jahān, Khushḥāl continua à servir son fils et successeur, Aurangzeb, dans la même capacité qu’auparavant ; mais après quelque temps, à cause des machinations de ses ennemis, parmi lesquels se trouvait Amīr Khān, Ṣūbah-dār, ou gouverneur de la province de Kabūl, il tomba sous le mécontentement, ou plutôt la suspicion du monarque, et fut envoyé prisonnier dans la forte forteresse de la colline de Gwalior, dans le Haut-Inde, où il resta en captivité environ sept ans ; et c’est là que furent écrits bon nombre des poèmes suivants. Enfin, sur la recommandation de Muḥabbat Khān, le deuxième du nom, Aurangzeb libéra [p. 143] Khushḥāl et l’envoya, avec le noble dont il vient d’être question - qui avait été récemment nommé Ṣūbah-dār de Kabul - pour régler les affaires du district de Pes’hāwar, qui était tombé dans un état très perturbé. Mais le fer avait pénétré l’âme de Khushḥāl, et en arrivant dans son pays natal, il se tint aussi retiré que possible, cessa d’avoir des relations avec le gouverneur de la province et d’autres officiers subalternes et refusa de prêter la moindre assistance aux troupes de l’empereur.
La tribu de Khushhal était depuis longtemps en conflit avec de nombreux autres Afghans des environs de Pes’hâwar, parmi lesquels se trouvaient les Yûsufzîs, contre lesquels son père perdit la vie, comme nous l’avons déjà dit. Elle était généralement en conflit avec l’un ou l’autre d’entre eux. Mais avec les Afrîdis, qui étaient également puissants, les Khattaks maintenaient une étroite alliance. Les choses finirent par aller si loin entre le chef Khattak et les autorités mogholes qu’une rupture ouverte se produisit. Khushhal ceigna alors ses reins de l’épée du courage et, de concert avec Ae-mal Khân et Dar-yâ Khân, chefs des Afrîdis, mena, pendant sept ou huit ans, une guerre déterminée et destructrice contre les Moghols, dans laquelle ces derniers furent généralement vaincus.
Les tribus afghanes, de Banu à Jalalabad, voyant le succès remporté par leurs compatriotes sur les Moghols qu’ils haïssaient, s’étaient peu à peu ralliées à la confédération, qui ne visait plus qu’à expulser totalement les Moghols d’Afghanistan. Mais les Yusufzīs, qui auraient pu apporter une aide aussi efficace, restèrent à l’écart et ne voulurent prêter aucune assistance à leurs compatriotes, par hostilité envers les Khattaks, bien que Khushḥāl se soit rendu en personne, même jusqu’à la vallée de Suwāt, pour tenter de leur inculquer un peu de son esprit patriotique et de celui de ses confédérés, mais sans succès – ils étaient sourds à la voix du charmeur. Il fait allusion à ces événements dans le premier des poèmes suivants, écrit à cette occasion.
[p. 144]
Les affaires de Pes’hāwar avaient pris un aspect si sérieux qu’Aurangzeb jugea nécessaire de se présenter en personne sur la scène du conflit. Il resta environ deux ans à camper à Attak, surveillant la poursuite de la guerre. Ce monarque rusé, ne trouvant pas de force disponible dans un pays aussi difficile, commença à essayer l’effet de l’or. Il y rencontra le succès qu’il désirait. Certains des petits clans de la confédération furent fascinés par l’or des Moghols et se soumirent au gouvernement, tandis que d’autres amis de Khushḥāl commencèrent soit à l’abandonner, soit à lui donner des raisons de douter de leur sincérité. et Ae-mal Khān et Dar-yā Khān, ses plus puissants et plus fidèles partisans, ayant été auparavant écartés de la scène par la mort, un tel effet fut produit sur le bel esprit de Khushḥāl — comme en témoignent les pages suivantes — qu’il en fut dégoûté et chercha à trouver la paix dans la retraite.
Finalement, il renonça à la chefferie de la tribu Khattak en faveur de son fils aîné Ashraf et se consacra aux livres et à la littérature. Lorsque Ashraf devint chef du clan, Bahram, un autre fils, qui semble avoir toujours été considéré avec aversion par son père pour ses actes dégénérés, réussit à gagner à sa cause un parti considérable et semblait déterminé à porter malheur à son frère. Ils se rencontrèrent plusieurs fois au combat ; une fois, Bahram fut fait prisonnier, mais réussit, par sa ruse et sa duplicité, à exciter la pitié de son frère blessé, qui le libéra. Khushhal, bien au courant des dispositions de Bahram, fut très irrité contre Ashraf de lui avoir permis de s’échapper si facilement, et, comme il s’avéra, non sans raison ; car à peine Bahram fut-il libre qu’il recommença ses intrigues contre Ashraf ; et finalement, en l’an n. En 1093 (1681), il réussit à le livrer aux Moghols. Aurangzeb l’envoya prisonnier dans la forteresse de Bejāpūr, dans le sud de l’Inde, où il mourut après avoir passé environ dix ans en captivité. On trouvera un autre récit de ce malheureux chef [p. 145] au début de ses poèmes, car, comme d’autres fils de Khushḥāl, ainsi que nombre de ses descendants, il était poète aussi bien que son père.
Afẓal Khān, le jeune fils d’Ashraf, prit alors les armes pour la cause de son père et fut installé à la tête de la tribu par son grand-père, qui était toujours considéré comme leur chef naturel et légitime par la majorité de la tribu ; mais la jeunesse et l’inexpérience d’Afaal - car il n’avait que dix-sept ans - ne pouvaient pas encore faire face au rusé Bahrām, qui était également aidé et soutenu par les Moghols. Khushḥāl, prenant donc en considération la jeunesse d’Afaal et afin d’empêcher les membres de son clan de verser le sang des uns des autres, intervint entre les parties en conflit, craignant que la tribu n’hésite à obéir à un homme aussi inexpérimenté, et permit à Bahrām de jouir de la chefferie, conseillant à Afẓal d’attendre son heure et de ne pas prolonger la captivité de son père par une opposition pour le moment. Afẓal se retira donc avec sa famille dans le pays ami des Afrīdīs.
Non content de ce succès dans tous ses projets, Bahram ne voulut pas permettre à son vieux père de finir ses jours en paix. Il attente à sa vie à plusieurs reprises. Il envoya un jour son fils Mukarram Khan avec un corps de troupes pour tenter de s’emparer de la personne du vieil homme. Mukarram partit, comme il lui avait été ordonné, contre son grand-père ; mais le brave vieux chef, qui avait atteint sa soixante-dix-septième année, ayant découvert le groupe depuis le lieu de sa retraite, s’avança à leur rencontre, l’épée nue à la main, et, pour citer les paroles d’Afazal Khan, son petit-fils, auquel nous avons déjà fait allusion, qui écrivit plus tard une histoire de ces événements, s’écria en même temps : « Quiconque est un homme parmi vous, venez à l’épée, si vous l’osez ; mais la vénération pour le vieux chef était si prédominante dans le cœur de chacun, que personne ne tenta de mettre la main sur lui. » Et Mukarram, honteux, revint [p. 146] en partant. Bahram, son père, furieux de l’échec de son fils, lui ordonna de revenir avec l’ordre de tuer Khushhal de sa propre main, s’il refusait de se rendre. Au retour de Mukarram, pour exécuter cet ordre inhumain d’un fils dégénéré, le vieux chef sortit de nouveau de son abri et, se postant sur la crête de la colline, son bon sabre à la main, les défia de nouveau d’approcher ; et on dit qu’il resta ainsi en alerte pendant plusieurs jours. Mais personne dans le groupe n’eut l’envie ou le courage de l’affronter, qu’ils considéraient toujours comme leur chef naturel.
Bahram, croyant avoir trouvé la proie dans ses filets, avait envoyé un message au gouverneur moghol de Pes’hāwar, lui disant que le vieux lion était enfin aux abois et lui demandait d’envoyer une escorte suffisante pour le prendre en charge et le conduire à Pes’hāwar. Khushḥāl, cependant, ayant été averti, dès la tombée de la nuit, s’échappa après que deux des hommes de Bahram eurent perdu la vie et, le lendemain matin, il réussit à atteindre la frontière de la tribu des Afrīdī, qui avait toujours été ses amis, à une distance de 90 milles d’Akorrah, théâtre des événements que je viens de raconter.
Khushḥāl s’installa dans le pays afrīdī et ne retourna plus jamais dans la maison de ses pères, qu’il aimait tant. Il mourut comme il avait vécu, libre, parmi les montagnes de son pays natal, à l’âge de 78 ans. Avant de quitter un monde où il avait bu si profondément la coupe amère de la trahison et de l’infidélité, il recommanda particulièrement à ses quelques enfants et amis qui lui étaient restés fidèles à travers toutes ses épreuves et ses malheurs, de l’enterrer là où – pour reprendre ses propres termes – « la poussière des sabots de la cavalerie moghole ne pouvait pas tomber sur sa tombe » ; et de « cacher soigneusement sa dernière demeure, de peur que les Moghols ne la recherchent et n’insultent les cendres de celui au nom duquel, de son vivant, ils tremblaient ; et par l’épée duquel, et celle des hommes de [p. 147] son clan, leurs meilleures troupes avaient été dispersées comme de la paille par la tempête ». Une troisième requête fut que, si l’un de ses fidèles enfants parvenait à mettre la main sur Bahram le Malin, ils diviseraient son corps en deux parties et brûleraient une moitié à la tête de sa tombe et l’autre au pied. Il fut enterré en conséquence à un endroit appelé I-surraey, un petit hameau dans les montagnes de Khattak, où son tombeau peut encore être vu ; et, selon sa dernière requête, son dernier lieu de repos fut gardé caché jusqu’à ce que tout danger d’insulte de la part des Moghols soit passé.
Khushḥāl Khān était le père de cinquante-sept fils, en plus de plusieurs filles ; mais, à l’exception de quatre ou cinq des premiers, ils ne semblent pas avoir été particulièrement dignes de l’affection de leurs parents.
Khushḥāl, d’après tous les témoignages, était un auteur volumineux, et l’on dit qu’il a composé environ trois cent cinquante ouvrages différents. Ceci, cependant, doit être grandement exagéré ; néanmoins, il est l’auteur de nombreux ouvrages que j’ai vus moi-même, à la fois en persan et en pus’hto, ou afghan, consistant en poésie, médecine, éthique, jurisprudence religieuse, philosophie, fauconnerie, etc., ainsi qu’un récit des événements de sa propre vie mouvementée. Il est cependant très regrettable que ses descendants, après sa mort, n’aient pas eu l’occasion de rassembler tous ses écrits ; le résultat est que beaucoup ne sont connus que de nom. Parmi ceux qui ont ainsi été perdus ou dispersés se trouve, je le crains, l’autobiographie à laquelle j’ai fait référence.
Certaines des effusions poétiques de Khushhal, écrites pendant son exil en Inde et pendant sa lutte contre le pouvoir d’Aurangzeb, seront, je pense, considérées comme hautement, même sous la forme d’une traduction littérale et sous une forme anglaise, comme provenant de la plume d’un chef afghan, contemporain de l’époque de notre Charles Ier, témoignant, comme [p. 148] elles le font, d’un esprit de patriotisme et d’amour de la maison et de la patrie, peu habituels dans le cœur oriental, mais tels que nous pourrions rechercher chez le Highlander écossais ou le montagnard suisse d’autrefois, auxquels les robustes Afghans ressemblent fortement. Un compte rendu plus détaillé des écrits de Khushhal et de ceux de ses descendants se trouve dans le chapitre introductif de ma Grammaire afghane, publiée l’année dernière, ainsi qu’un compte rendu des Afghans et de leur littérature.
Jusqu’à l’époque où Khushhal devint chef de tribu, les limites du pays de Khattak n’étaient pas bien définies, c’est-à-dire que chaque famille de la tribu n’avait pas de terres fixes qui lui étaient attribuées. Khushhal fit arpenter toutes les terres disponibles, fixa les limites, les inscrivit dans un registre et, selon le nombre de familles de chaque homme, assigna une quantité correspondante de terres à cultiver. Cet arrangement est toujours en vigueur et, jusqu’à présent, n’a pas été, à ma connaissance, dérogé ; de nombreuses petites tours de pierre, érigées pour marquer les différentes limites, subsistent encore.