Abû’l-Majd Majdûd b. Adam Sanâ’î [1] naquit à Ghazna et vécut sous le règne de Bahrâmshâh (512-548 A.H., 1118-1152 A.D.). Ouseley dit de lui qu’il « alors qu’il était encore jeune, il devint l’un des hommes les plus instruits, les plus pieux et les plus excellents de l’époque qu’il ornait. Ses éloges étaient sur toutes les lèvres ; car, en plus de ses réalisations dans la philosophie soufie, il possédait un cœur bon et bienveillant, des manières charmantes et un bon goût pour la poésie… Sanâî se retira très tôt du monde et de ses plaisirs, et la raison de son geste est censée provenir de la circonstance suivante.
"Il avait fréquenté les cours des rois et des princes, et célébré leur vertu et leurs actions généreuses. Lorsque le sultan Ibrahim de Ghazni résolut d’attaquer les idolâtres infidèles de l’Inde, Hakim Sanâî composa un poème à sa louange, et se hâta d’aller à la cour pour le présenter avant le départ de ce monarque. Il y avait à cette époque à Ghazni un fou connu sous le nom de Lâi Khûr (le mangeur de bœufs), qui souvent dans ses pérégrinations incohérentes exprimait des sentiments et des observations dignes d’un chapeau plus sain ; il buvait du vin et fréquentait les bains. Il arriva que Sanâî, en passant devant un jardin, entendit les notes d’une chanson, et s’arrêta pour [p. viii] écouter. Au bout de quelque temps, le chanteur, qui était Lâi Khûr, s’adressant à l’échanson, dit : « Saki, remplis-en un verre, que je puisse boire à la cécité de notre sultan Ibrahim. » Le Saki protesta et dit qu’il était injuste de vouloir qu’un roi aussi juste devînt aveugle. Le fou répondit qu’il méritait la cécité pour sa folie d’avoir quitté une ville aussi belle que Ghazni, qui exigeait sa présence et ses soins, pour aller faire une course folle dans un hiver aussi rigoureux. Lâi Khûr ordonna alors au Saki de remplir une autre coupe pour boire à la cécité de Hakim Sanaî. L’échanson protesta encore plus fortement contre cela, en invoquant le caractère universellement estimé du poète, que tout le monde aimait et respectait. Le fou prétendit que Sanâî méritait encore plus la malédiction que le roi, car malgré toute sa science et son érudition, il semblait pourtant ignorer les desseins pour lesquels le Tout-Puissant l’avait créé ; et lorsqu’il se présenta peu de temps devant son Créateur et qu’on lui demanda ce qu’il avait apporté avec lui, il ne put que produire des panégyriques sur des rois et des princes, des mortels comme lui. Ces paroles firent une si profonde impression sur l’esprit sensible du pieux. philosophe, qu’il s’est immédiatement retiré du monde et a abandonné tous les luxes et les vanités des cours.
« Sirâjuddin Ali, dans ses Mémoires des poètes, dit qu’à la suite de l’impression soudaine provoquée par les remarques de Lâi Khûr, Sanâî chercha instruction auprès du célèbre Cheikh Yusef Hamdani, dont la cellule était appelée la Kaabah de Khorâsân. »
« C’est à cette époque que Behrâm Shah lui offrit sa sœur en mariage, honneur qu’il déclina avec reconnaissance et partit presque aussitôt en pèlerinage à La Mecque et à Médine. C’est au refus de la fiancée royale qu’il fait allusion dans son Hedîkeh, en guise d’excuse au roi, dans les lignes suivantes : « Je ne suis pas un homme qui désire l’or, une femme ou une position élevée ; par mon Dieu, je ne les recherche ni ne les désire. Si par ta grâce et ta faveur tu m’offrais même ta couronne, je jure par ta tête que je ne l’accepterais pas. » Le récit de la conversion de Sanâ’î contenu dans l’extrait précédent n’a probablement, comme le dit Browne, que peu de valeur historique.
Sanâ’î composa l’ouvrage présent après son retour du pèlerinage ; selon la plupart des copies, il l’acheva en 525 H. (1131 ap. J.-C.), bien que certains manuscrits mentionnent 534 ou 535 H. (1139-1141 ap. J.-C.).
Sanâ’î fut attaqué de son vivant à cause de sa prétendue non-orthodoxie; mais une fatwa fut publiée par la cour du Calife à [p. ix] Bagdâd, justifiant son orthodoxie contre ses calomniateurs. Son commentateur 'Abdu’l-Latîf, dans sa préface (v. post.) mentionne les soupçons des différentes sectes au sujet des hérésies des Hakîm.
Plusieurs dates sont données pour la mort du Hakîm. Son disciple Muhammad b. Ali al-Raffâ (Raqqâm), dans une préface à l’ouvrage conservée dans un des manuscrits de la Bodleian Society, donne un dimanche, le 11 Sha’bân de l’an 525 de l’Hégire (1131 après J.-C.). Cette date tombait cependant un jeudi ; le 11 Sha’bân de l’an 545 de l’Hégire (1150 après J.-C.), qui est la date donnée par Taqî Kâshî et l’Âtashkada, était cependant un dimanche. Daulatshâdh et Hâjî Khalfa donnent 576 après J.-C. (1180, 1181 après J.-C.). Le poète ayant achevé sa Tarîqu’t-Tahqîq en 528 après J.-C., la plus ancienne des trois dates est impossible ; la seconde semble être la plus probable.
Outre le Hadîqatu’l-Haqîqat, dont le premier chapitre est présenté ici, Sanâ’î a écrit le Tarîqu’t-Tahqîq (« Chemin de la Vérification »), le Gharîb-nâma (« Livre de l’Étranger »), le Sairu’l-'ibâd ila’l-Ma’âd (« Pèlerinage des serviteurs [de Dieu] vers l’au-delà »), le Kâr-nâma (« Livre des Actes »), le Ishq-nâma (« Livre de l’Amour ») et le Aql-nâma (« Livre de la Raison »), ainsi qu’un Dîwân, ou recueil de poèmes plus courts en différentes métriques. Tous ces ouvrages, à l’exception de la Haqîqa et du Dîwân, sont considérés par le professeur Browne, dont est tirée la liste ci-dessus, comme très rares.
vii:1 Pour les faits contenus dans l’esquisse suivante, je suis redevable à Sir Gore Ouseley, « Biographical Notices of the Persian Poets », Londres, Or. Trans. Fund, 1846 ; aux catalogues de Rieu et d’Ethé ; et à « A Literary History of Persia » du professeur Browne, vol. II. ↩︎