A côté de cette sagesse, on trouvait partout la magie du sorcier, science qui s’authentifiait par la maîtrise des choses extérieures. Mais ce n’est que dans les cercles sacerdotaux de l’ancienne Babylone, sous quelles influences et dans quelle mesure, nous ne savons pas exactement, que les hommes s’élevèrent à une considération plus scientifique du monde. Leurs yeux se détournèrent de la confusion de l’existence terrestre pour s’intéresser à l’ordre des cieux. Ils ne ressemblaient pas aux Hébreux, qui ne dépassaient jamais le stade de l’étonnement [1] ou qui ne voyaient dans les innombrables étoiles qu’un emblème de leur propre postérité [2] ; ils ressemblaient plutôt aux Grecs, qui ne comprirent le Multiple et le Divers dans leurs formes sublunaires qu’après avoir découvert l’harmonie du Tout dans l’unité et la stabilité du mouvement des cieux. Le seul inconvénient était que beaucoup de jeux mythologiques et de prétentions astrologiques se mêlaient à ce qui était bon, comme c’était le cas aussi dans l’hellénisme. Cette sagesse chaldéenne, dès l’époque d’Alexandre le Grand, s’imprégna, en Babylonie et en Syrie, des idées hellénistiques et plus tard hellénistiques-chrétiennes, ou bien fut supplantée par elles. [p. 8] Dans la ville syrienne de Harran seulement, jusqu’à l’époque de l’Islam, le vieux paganisme s’est maintenu, peu affecté par les influences chrétiennes. (Cf. 1, 3, § 4).
La Perse est le pays du dualisme, et il n’est pas improbable que son enseignement religieux dualiste ait exercé une influence sur la controverse théologique dans l’Islam, soit directement, soit par l’intermédiaire des manichéens et d’autres sectes gnostiques. Mais l’influence exercée dans les cercles mondains par ce système qui, selon la tradition, fut même reconnu publiquement sous le Sassanide Yezdegerd II (438/9-457), à savoir le Zrwanisme (cf. III, 1, § 6). Dans ce système, la vision dualiste du monde fut remplacée par l’établissement du Temps sans fin (zrwan, arabe. dahr) comme principe suprême, et l’identifiant avec le Destin, la sphère céleste la plus extérieure ou le mouvement des cieux. Cette doctrine, qui plaît aux esprits philosophiques, a occupé, sous ou sans l’apparence de l’Islam, une place de choix dans la littérature persane et dans les opinions du peuple jusqu’à nos jours. Cependant, les théologiens et non moins les philosophes des écoles idéalistes la désavouèrent comme étant du matérialisme, de l’athéisme, etc.
Les spéculations logiques et métaphysiques des Indiens ne sont pas restées non plus inconnues des musulmans. Elles ont eu cependant beaucoup moins d’effet sur le développement scientifique que leurs mathématiques et leur astrologie. Les recherches des Indiens, associées à leurs livres sacrés et entièrement déterminées [10] par un but religieux, ont certainement eu une influence durable sur le soufisme persan et le mysticisme islamique. Mais, une fois pour toutes, la philosophie est une conception grecque, et nous n’avons pas le droit, par déférence au goût du jour, d’accorder une place excessive dans notre description aux pensées enfantines des pieux Hindous. Ce que ces pénitents méditatifs ont avancé sur la démonstration trompeuse de tout ce qui est sensible peut souvent avoir un charme poétique, tout comme cela s’accorde peut-être avec ces observations sur la fugacité de tout ce qui est terrestre, auxquelles l’Orient avait accès dans les sources néo-pythagoriciennes et néo-platoniciennes ; Mais elle n’a pas contribué autant que ces dernières à l’explication des phénomènes ou à l’éveil de l’esprit scientifique. Ce n’est pas l’imagination indienne, mais l’esprit grec qui a été nécessaire pour orienter le processus de réflexion vers la connaissance du réel. Le meilleur exemple en est fourni par les mathématiques arabes. De l’avis de ceux qui connaissent le mieux la matière, la seule chose indienne dans cette discipline est l’arithmétique, tandis que l’algèbre et la géométrie sont grecques, prépondérantes, sinon exclusives. A peine un seul Indien a pénétré dans la notion de mathématiques pures. Le nombre, même dans sa forme la plus élevée, est toujours resté quelque chose de concret ; et dans la philosophie indienne, la connaissance n’était en général qu’un moyen. La délivrance du mal de l’existence était le but, et la philosophie un chemin vers la vie de béatitude. De là la monotonie de cette sagesse, concentrée comme elle l’était sur l’essence de toutes choses dans son Unité, en contraste avec la science aux multiples branches des Hellènes, qui s’efforçait de comprendre les opérations de la Nature et de l’Esprit de tous côtés.
La sagesse orientale, l’astrologie et la cosmologie ont [11] livré aux penseurs musulmans des matériaux de toutes sortes, mais la forme, le principe formateur, leur est venue des Grecs. Dans tous les cas où l’on ne se livre pas à une simple énumération ou à un enchaînement fortuit, mais où l’on tente d’arranger le Divers selon des points de vue positifs ou logiques, on peut conclure avec toute probabilité que des influences grecques ont joué un rôle.