Ici le Hâjî termine son étude pratique de l’humanité. L’image du Destin jouant avec les hommes comme des pièces est une vision commune chez les Orientaux. Son idée de la sagesse est une fois de plus celle de Pope :
Et toute notre connaissance, c’est nous-mêmes qui la connaissons.
(Essai IV—398.)
Le regret, c’est-à-dire le repentir, était l’un des quarante-deux péchés capitaux des anciens Egyptiens. « Tu ne consumeras pas ton cœur », dit le Rituel des Morts, la justification négative de l’âme ou du fantôme (Lepsius « Alteste des Todtenbuchs »). Nous avons emprunté l’examen compétitif aux Chinois ; et, en ces jours morbides d’introspection et de rétrospection faibles, nous pourrions apprendre la sagesse des vieux Khémites robustes. Quand il chante « Abjure le Pourquoi [p. 127] et cherche le Comment », il se réfère à la vieille différence scolastique de la Demonstratio propter quid (pourquoi une chose est-elle ?), par opposition à la Demonstratio quia (c’est-à-dire qu’une chose est). Le « grand Homme » finira par devenir immortel, comme le dit Shakespeare dans son noble sonnet :
Et la Mort une fois morte, il n’y a plus de mort alors !
Comme les grands païens, le Hâjî soutient que l’homme est né bon, tandis que le chrétien, « tourmenté par les choses divines », adhère à la doctrine réconfortante de la nature pécheresse innée. D’où le principe universel selon lequel l’homme doit faire le bien afin d’en tirer un profit ici ou dans l’au-delà ; l’« égoïsme éclairé » qui dit : « Agis bien et obtiens un intérêt composé dans un état futur. » L’allusion au « mot théiste » signifie apparemment que les fidèles d’une Déité personnelle doivent croire à la prescience absolue de l’Omniscient dans les détails comme dans les généraux. La règle de la Loi émancipe l’homme ; et ses exceptions sont les lacunes laissées par son ignorance. La plainte sur la fleur tombée, etc., nous rappelle les Pulambal (Lamentations) de l’écrivain anti-brahmanique, « Pathira-Giri yâr ». L’allusion à Mâyâ est tirée de Dâs Kabîr :
[p. 128]
Mâyâ jument, na man jument, mar mar gayâ, sarîr.
L’illusion meurt, l’esprit ne meurt pas, bien que mort et disparu soit la chair.
Le Nirwâna, ai-je dit, est une extinction partielle par fusion dans le Suprême, à ne pas confondre avec le Pari-nirwâna ou annihilation absolue. Dans le premier aussi, la mort donne naissance à un nouvel être, l’incarnation du karma (actes), bons et mauvais, accomplis dans les innombrables âges de transmigration.
Ici se termine ma part du travail. Dans l’ensemble, il a été considérable. J’ai omis, comme on l’a vu, quelques strophes et j’en ai changé l’ordre. Le texte n’a été traduit mot pour mot; en fait, on a donné une tournure européenne familière à beaucoup de sentiments jugés trop orientaux. Le mètre adopté par Hâjî Abdû étant le Bahr Tawîl (vers longs), j’ai cru devoir conserver cette particularité et le border de la rime grossière et discrète de l’original.
Vive, valeque!