'Isâ Ibn Hisham nous raconta ce qui s’était passé et nous dit : J’ai parcouru le monde jusqu’à ce que j’atteigne l’Irak. J’avais feuilleté les pages des livres des poètes jusqu’à ce que je me dise que je n’avais pas laissé dans mon carquois une flèche victorieuse. Et je suis descendu à Bagdad. [2] Or, alors que j’étais sur la rive du fleuve, soudain apparut devant moi un jeune homme aux vêtements usés qui mendiait auprès des gens qui l’avaient déçu. Son éloquence m’étonna, alors je me levai, j’allai vers lui et je lui demandai d’où il venait et où il habitait. Il dit alors : « Je suis d’origine ‘Abs [3], et Alexandrie est ma patrie. » Je dis : « Quelle est cette langue et d’où vient cette éloquence ? » Il répondit : « De la science dont j’ai dompté la réfractarité et dans les mers de laquelle je me suis plongé. » Je demandai : « De laquelle des sciences es-tu orné ? » Il dit : « J’ai une flèche dans chaque carquois. Laquelle d’entre elles préfères-tu ? » Je [114] répondis : « De la poésie. » Il dit : « Les Arabes ont-ils prononcé un vers qui ne peut être paraphrasé ? Ont-ils composé un éloge dont le sujet est inconnu ? Ont-ils un vers inconvenant dans son intention originale mais rendu convenable par la ponctuation ? Quel est ce vers dont les larmes ne cessent de couler ? Quel est ce vers dont la chute est lourde ? Quel est ce vers dont le dernier pied de la première moitié du vers blesse et le dernier pied de la seconde moitié guérit ? Quel est ce verset dont l’intimidation est redoutable et dont le sujet est insignifiant ? Quel verset est plus sablonneux que le désert ? Quel verset est comme la bouche de l’homme aux dents de perle et à la scie dentelée ? Quel verset est-ce dont le début te plaît et dont la fin te déplaît ? Quel verset est-ce dont l’intérieur te gifle et dont l’extérieur te trompe ? Quel verset est-ce dont l’auditeur n’est pas sûr jusqu’à ce qu’il soit mentionné dans son intégralité ? Quel verset est-ce qu’on ne peut pas toucher ? Quel verset est-ce dont la transposition est facile ? Quel verset est plus long que son homologue, comme s’il n’était pas de son genre ? Quel verset est rendu méprisable par une lettre et établi par son omission ? » 'Isá ibn Hishám dit : « Par le ciel ! Je n’ai pas osé lui répondre [4] et je n’ai pas été guidé vers une réponse correcte autre que « Je ne sais pas ».
Il dit : « Et ce que tu ne sais pas est encore plus grand. » Alors je dis : « Comment se fait-il qu’avec cette excellence tu consentes à ce mode de vie vil ? » Il récita :
« Un fléau sur cet âge pour un âge, [5]
Merveilleux sont les cours de ses affaires.
C’est hostile à tout homme de culture,
Comme si la culture était coupable d’une inconvenance avec sa mère.
Alors je déplaçai mon regard sur lui et je regardai de nouveau son visage et voici que c’était Abú’l-Fatḥ al-Iskanderí. Je dis : Que Dieu te prospère ! Et te relève quand tu tombes ! [6] Si tu juges bon de m’obliger avec un commentaire sur ce que tu as révélé, [7] et avec une explication complète de ce que tu as résumé, tu le feras. » Il dit : « Voici l’explication [115] : Quant au verset qui ne peut pas être paraphrasé [8], il y en a beaucoup. Un exemple en est le verset d’al-A’ashá [9] :
« Tous nos dirhems sont bons, [10]
Ne nous retardez donc pas en les mettant à l’épreuve.
Quant à l’éloge funèbre, dont le sujet est inconnu, il y en a beaucoup. Un exemple en est la parole d’Al-Hudhalli :
« Je ne savais pas qui avait jeté son manteau sur lui [11]
Sauf qu’il était vraiment d’une lignée illustre et pure.
Mais quant au verset qui est inconvenant dans son intention originelle [12], mais qui est rendu convenable par la ponctuation, c’est le verset d’Abú Núwás [13] :
« Et nous passâmes la nuit, [14] Dieu nous considérant comme la plus vile compagnie,
Traînant les jupes de la méchanceté, et sans vantardise.
Mais quant au verset dont les larmes ne cessent de couler, c’est le verset de Dhú al-Rumma
« Qu’est-ce qui fait mal à ton œil [15] pour que l’eau en coule
Comme si c’étaient des reins fendus et qui couraient ?
Car il comprend ou de l’eau, ou un œil, ou un déversement, ou de l’urine, ou un nuage, ou le fond d’une gibecière, ou une fente, ou un torrent.
[p. 116]
Mais quant au verset dont la chute est lourde, il est comme le verset d’Ibn al-Rúmí [16] :—
« Lorsqu’il donne [17], il ne fait pas de son don une obligation,
Et il dit à mon âme : Ô âme, accorde-moi du répit :
Mais quant au vers dont le dernier pied de la première moitié blesse, et le dernier pied de la seconde moitié guérit, il est comme le vers du poète :
« J’avançais [18] avec une épée mashrafi [19] étincelante ;
Comme quelqu’un qui serre la main et s’approche pour saluer.
Mais quant au verset dont l’intimidation est redoutable, mais dont le sujet est insignifiant, un exemple en est le verset de 'Amr ibn Kulthúm [20] :
« Comme si nos épées, les nôtres et les leurs, [21]
Il y avait des lames de bois dans les mains des joueurs.
Mais quant au verset qui est plus sablonneux [22] que le désert, il est comme le verset de Dhu al-Rumma
« S’aventurant sur [23] la chaleur véhémente des cailloux, les frappant avec son pied.
[p. 117]
Quand le soleil de midi tourne [24] comme s’il était perplexe dans sa course.
Quant au verset qui ressemble à la bouche de la personne aux dents de nacre [25] ou à une scie dentelée, il ressemble au verset d’al-A’ashá :
« Je me rendis de bonne heure au cabaret [26] tandis que là me suivait,
Un homme vif, actif, vif, agile, rapide.
Quant au verset dont le début te plaît mais dont la fin te déplaît, il est comme le verset d’Imr al-Qais :
« Attaquer, fuir, avancer, se retirer, simultanément,
Comme une masse de rocher lancée d’une hauteur [27] par le torrent.
Quant au vers dont l’intérieur te gifle et dont l’extérieur te trompe, il est comme le vers du poète
« Je lui ai fait des reproches, [28] elle a crié et a dit, ô jeunesse,
Que le Seigneur de l’empyrée te délivre de mon opprobre.
Mais quant au verset dont l’auditeur n’est pas sûr jusqu’à ce qu’il soit mentionné dans son intégralité, il est comme le verset de Ṭarafa
« Mes compagnons, arrêtant leurs chameaux près de moi, [29]
En disant : Ne meurs pas de chagrin, mais sois patient.
Car l’auditeur s’imagine que tu récites le verset d’Imr al-Qais.
Mais quant au verset qui ne peut être touché, il est comme le verset d’Al-Khubzuruzzí [30] :
[p. 118]
« Le nuage de séparation [31] s’est dissipé de la lune de l’amour,
Et la lumière de la paix s’est levée des ténèbres de l’opprobre.
Et aussi comme le vers d’Abd Núwás :
« La brise parfumée au safran [32] dans un vêtement aqueux,
Une stature de lumière sur un parchemin éthéré.
Mais quant au vers dont la transposition est facile, il ressemble au vers de Ḥassán [33] :—
« De beaux visages, [34] leurs pedigrees sont nobles,
Hautain, de la plus noble extraction.
Mais quant au verset qui est plus long que son homologue comme s’il n’était pas de son genre, c’est comme la folie d’Al-Mutanabbí [35] :—
« Jouir, [36] vivre, être exalté, être un chef, être généreux, être un leader, commander, interdire, être viril, parler, être demandé, être en colère, tirer, frapper, protéger, attaquer, faire prisonnier, terrifier, arrêter, donner le sang-esprit, gouverner, détourner, obtenir. »
Quant au verset qui est rendu méprisable par une lettre et établi par son omission, il est comme le verset d’Abú Núwás :
[p. 119]
« Mon vers est perdu à ta porte [37]
Comme les perles sont perdues sur Khaliṣa. [38]
Ou, comme le vers d’un autre :
« En vérité, la phrase que tu perçois comme une louange, [39]
C’était une phrase qui
C’est-à-dire que lorsque « lost » est lu, c’est de la satire, mais lorsque « shone » est récité, c’est de la louange.
Said ‘Isá ibn Hishám : « Par le ciel ! J’ai été étonné de son discours et je lui ai donné ce qui l’aiderait à surmonter son changement d’état. Puis nous nous sommes séparés. »
Abú Khirásh al-Hudhallí, l’auteur de l’élégie dont cette ligne est citée, a prospéré pendant le califat de 'Umar ibn al-Khaṭṭáb. Ḥamása, (édité par Freytag) pp. 365-6.
Mutanabbi: (303-354 A.H.). Le célèbre poète de la cour de Saif Al Daula est généralement reconnu comme le plus grand de tous les poètes islamiques. De même que les poètes des Mu’allaqát ont illustré l’esprit des fils du désert, Mutanabbí représente les sentiments des Arabes musulmans. Voir Yatíma, i, 78; Browne, Lit. Hist. of Persia, i, 369; Nicholson, Lit. Hist. of the Arabs, p. 304; Ibn Khallikan, i, 102.
113:2 'Iraq : nom donné depuis la conquête arabe au VIIe siècle à cette partie de la vallée du Tigre et de l’Euphrate connue dans la littérature ancienne sous le nom de Babylonie. Avec l’avènement des Arabes, l’‘Iraq entra dans une nouvelle période de prospérité, plusieurs villes importantes furent fondées : Kúfa, Baṣra et Bagdad, qui devinrent sous les califes abbassides non seulement la capitale de l’'Iraq, mais, pour un temps, la métropole du monde. Encyclopaedia Britannica, xiv, 740; Yaqút, iii, 628. ↩︎
113:3 Je suis descendu à Bagdad : Littéralement, Bagdad m’a fait descendre. ↩︎
113:4 ‘Abs: ‘Abs est le nom de la tribu à laquelle appartenait le poète ‘Antara. C’est la première fois que l’improvisateur mentionne sa tribu. ↩︎
114:1 Je n’ai pas osé lui faire confiance : littéralement, je n’ai pas mélangé une flèche de jeu. Une allusion au jeu bien connu du meisar (…) interdit par l’Islam. Voir Coran, v. 92. ↩︎
114:2 Une plaie sur ceci pour un siècle : Mètre, munsereḥ. ↩︎
114:3 Quand tu tombes : Littéralement, ta chute. ↩︎
114:4 Ce que tu as fait descendre: Voilà ce que tu as révélé comme, pour ainsi dire, le Coran qui est aussi appelé Tanzíl (…), la descente. ↩︎
115:1 Le verset qui ne peut pas être paraphrasé : Le fait est qu’il n’y a aucun moyen par lequel les trois premiers mots peuvent être tordus de manière à modifier le mètre, par exemple :
…
Voir p. 225 du texte. ↩︎
115:2 Al-A‘ashá: Le « doux chanteur des Arabes » (…) était contemporain de Muḥammad (ob. 6 ou 7 A.H.). On trouvera une biographie de ce poète dans De Sacy, Chrestomathie Arabe, ii, 471. Voir aussi Aghání, viii, pp. 74-84. ↩︎
115:3 Tous nos dirhems sont bons : Mètre, mutaqárib. ↩︎
115:4 _Je ne sais pas qui a jeté son manteau sur lui : _Mètre, tawíl. ↩︎
115:5 Le verset qui est inconvenant dans son intention originelle: C’est-à-dire, si nous prenons le verset jusqu’à la fin de la phrase, en ce qui concerne la « méchanceté », il est inconvenant, mais il est rendu convenable par les mots supplémentaires, « et aucune vantardise ». ↩︎
115:6 Abú Núwás: né à Ahwaz 145 A.H. et mort à Bagdad 195 A.H., le célèbre poète spirituel et talentueux mais prodigue de la cour de Harún al-Rashíd. Ibn Khallikan, i, p. 391. ↩︎
115:7 _Et nous avons passé la nuit : Mètre, tawíl. ↩︎
116:1 Abú’l Hasan ‘Ali ibis al-Rúmí est né à Bagdad en 221 A.H. Les vers de ce célèbre poète sont admirables pour leur beauté d’expression et l’originalité de leur pensée. Il fut empoisonné en 283 A.H. ou 284 à Bagdad sur ordre d’al-Qasim ibn ‘Ubeidalláh le vizir d’al-M‘utaḍid (279-89 A.H.). Ibn Khallikan, ii, 297. ↩︎
116:2 … Quand il donne: Le point quant au poids est la répétition du mot mann (…) qui signifie « il a accordé », et un certain poids qui est généralement considéré comme égal à deux livres troy. Mètre, tawíl. ↩︎
116:3 _J’avançais avec une épée mashrafi étincelante : Mètre, wáfir. ↩︎
116:4 Mashrafi: Appartenant à Mushárif, le nom d’un ensemble de villages arabes près de la partie cultivée de l’Iráq. On dit que … était un forgeron qui fabriquait des épées (Lane). Je pense que le mot devrait être vocalisé … Voir Yaqút, iv, 538. ↩︎
116:5 'Amr ibn Kúlthúm: L’auteur d’un des Mu’allaqát (No. 6 dans l’édition de Lyall). ↩︎
116:6 Comme si nos épées, les nôtres et les leurs : Mètre, wáfir. ↩︎
116:7 Plus sablonneux que le désert : Le point ici est le jeu de mots … littéralement sable, et techniquement « poésie manquant de beauté et contenant des mots qui ne sont pas agréables à l’oreille. » (Freytag’s Arabische Verskunst, p. 530.) Notez la collection de ḍáḍs (ﺽ), la lettre la plus difficile à prononcer de tout l’alphabet, dans la première moitié du vers. ↩︎
116:8 … s’aventurer sur : Metre, basít. Littéralement, monter à dos nu. Dans ce vers, le poète fait référence à l’insecte appelé Jundak, une espèce de sauterelle. ↩︎
117:1 Tourne : Le soleil ne semble pas s’incliner vers l’horizon. ↩︎
117:2 Comme la bouche de la personne aux dents nacrées: j’ai donné la préférence au sens dérivé de …, Il brillait, par exemple … les dents de devant brillaient, à celui adopté par le commentateur, à savoir, « les dents de l’opprimé », qui ne donne pas un sens satisfaisant. Le point réside dans la répétition de la lettre six fois avec son sens premier implicite, une dent. ↩︎
117:3 Je suis allé de bonne heure au marchand de vin : Metre, basit. Ibn Qutaiba critique le poète pour avoir introduit dans ce vers quatre synonymes du mot actif. Sh‘ir wa Shu‘ará, p. 12. ↩︎
117:4 … Comme une masse de roche lancée d’une hauteur : La critique est que la deuxième moitié du verset ne suggère pas un cheval sous contrôle prêt « à attaquer, à battre en retraite, à avancer ou à se retirer. » ↩︎
117:5 _Je lui ai fait des reproches : Mètre, kámil. ↩︎
117:6 Mes compagnons arrêtant leurs chameaux près de moi : Metre, tawíl. ↩︎
117:7 Naṣr al-Khubzuruzzi (m. AH 317) le boulanger de riz était originaire de Baṣra. Ce poète ne savait ni lire ni écrire. Il faisait cuire du pain de riz dans une boutique située au Mirbad de Baṣra et il avait l’habitude de réciter là devant des foules d’admirateurs enthousiastes, des vers de lui, tous amoureux. Ibn Khallikan, iii, 530; Yatíma, ii, 132. ↩︎
118:1 Le nuage de séparation : Mètre, tawíl. ↩︎
118:2 La brise parfumée au safran : Mètre, tawíl. ↩︎
118:3 Ḥassán: (ibn Thábit) mort en 54 A.H. était l’un des poètes qui ont épousé la cause de Muḥammad. Il appartenait à une famille de poètes et on dit qu’il a vécu jusqu’à l’âge avancé de 120 ans. Son Diwán a été publié par les administrateurs du Gibb Memorial. Ibn Khallikan, iv, 259. ↩︎
118:4 De beaux visages : Mètre, kámil. ↩︎
118:5 Comme la folie de Mutanabbí : Vingt-trois impératifs en deux lignes ! Voir diwan de Mutanabbí, éd. par Dieterici, p. 495, et pour un exemple d’une autre collection de quatorze impératifs, p. 493. ↩︎
118:6 Profitez, vivez, etc. : Mètre, ṭawíl. ↩︎
119:1 Mon vers est perdu sur votre porte : Mètre, mutaqárib. ↩︎
119:2 Khaliṣa: Une jeune fille extrêmement mal vue dont Harlan al-Rashid était passionnément amoureux. Pour compenser ses défauts naturels, le Calife lui fournit de riches vêtements et des bijoux coûteux. Abú Núwás s’en rendit compte et écrivit ces lignes sur sa porte. La jeune fille se plaignit à Harún et Abú Núwás fut convoqué en présence du Calife pour expliquer sa conduite présomptueuse. En chemin vers la salle d’audience, il passa devant la porte sur laquelle étaient écrites les lignes offensantes et effaça la courbe inférieure du ‘ain de sorte que seule la courbe supérieure (ﺀ), le signe pour hamza, resta, de sorte que le mot lu brillait, au lieu de cela fut perdu. (Núfḥat al-Yemen. Histoire 13.) ↩︎
119:3 En vérité la phrase: Mètre, basít. La lettre ‘ain est manipulée de manière similaire dans cette ligne. Voir note 2 sur Kháliṣá. ↩︎