‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : Nous étions un jour à la cour de Saif ad-Daula ibn Ḥamdán, [2] et on lui amena un cheval – « quand l’œil le regarde vers le haut [3], il veut à nouveau regarder vers le bas afin d’admirer toute sa beauté. » La compagnie le regarda et Saif ad-Daula dit : « Celui d’entre [120] vous qui le décrira le mieux, je lui en ferai cadeau. » Chacun fit donc de son mieux et dépensa ce qu’il possédait. L’un de ses assistants dit : « Que Dieu fasse prospérer l’Émir ! Hier, j’ai vu un homme qui mettait l’éloquence sous ses pieds [4] et sur lequel les yeux des hommes se posaient. Il sollicitait les gens et n’obtenait rien. [5] Si l’Émir le convoque, il les surpassera dans sa répartie. » Saif ad-Daula dit : « Amenez-le-moi tel qu’il est. » Les serviteurs volèrent alors à sa recherche et l’amenèrent aussitôt, mais ils ne lui dirent pas dans quel but il avait été convoqué. Alors on le fit approcher et on le fit approcher. Il portait une paire de vêtements usés sur lesquels le temps avait longtemps mangé et bu. [6] Lorsqu’il atteignit le premier rang, il embrassa le tapis et s’arrêta. Saif ad-Daula dit : « Le bruit de ton éloquence nous est parvenu, alors expose-le sur ce cheval et sa description. » Il dit : « Que Dieu fasse prospérer l’Émir ! Comment cela peut-il être fait avant de le monter et de voir son saut, et de révéler ses défauts et ses qualités cachées ? » Il dit : « Montez dessus. » Il le monta donc, le fit avancer et dit alors : « Que Dieu fasse prospérer l’Émir ! Il est long des deux oreilles, peu nombreux à deux, spacieux au rectum, mou à trois, épais au jarret, déprimé à quatre, haletant, fin à cinq, étroit au gosier, mince à six, aigu à l’ouïe, épais à sept, fin à la langue, large à huit, long aux côtes, court à neuf, large à la mâchoire, éloigné à dix. Il saisit avec ses pattes de devant, donne des coups de pied avec ses pattes de derrière, apparaît avec un visage radieux [121] et rit en exposant sa pince de coin permanente. Il fend [7] la surface de la terre avec des sabots de fer, [8] il s’élève comme l’océan quand il est agité, ou le torrent quand il fait rage. » Saif ad-Daula dit : « Tu es le bienvenu auprès du cheval. » Il dit : « Puisses-tu ne cesser de te procurer des choses précieuses et de donner des chevaux ! » Puis il se détourna et je le suivis et dis : « Je me chargerai de te fournir l’équipement nécessaire à ce cheval, si tu m’expliques ce que tu as décrit. » Il répondit : « Demande ce que tu désires. » Je dis : « Que veux-tu dire par « éloigné de dix » ? » Il répondit : « éloigné de la vue, de l’allure, de l’espace entre les deux orbites, et entre les deux quartiers arrière, et éloigné de l’espace entre les deux extrémités des hanches, entre les narines, large dans l’espace entre les deux pattes arrière, [9] et entre le nombril [10] et le point d’opération. [11] Loin du but dans la course. » Je dis : « Que tes dents ne soient pas cassées ! Et que signifie ton dicton : « Moins de neuf ans » ? [12] Il répondit : « Cheveux courts, cheveux courts au paturon, coccyx court, bras courts, paturons courts, sciatiques courts, dos courts, jarrets courts. » Je dis : « Comme c’est excellent ! Et que signifie ton dicton : « Large de huit ans » ? Il répondit : « Large de front, large de hanche, large de dos, large d’omoplate, large de flanc, large de tendon, large de poitrine, large de cou. » Je dis : « Bien joué ! Et que signifie ton dicton : « Épais de sept » ? Il répondit : « Épais de la patte avant, épais de la circonférence, épais de la base de la queue, épais de la peau de la tête, épais du paturon, épais des cuisses, épais du dos. » Je dis : « Comme c’est merveilleux ! Et que signifie ton dicton : « Mince de six » ? Il répondit : « Mince de la paupière, mince de la partie antérieure du cou, mince de la lèvre, [p. 122] mince de la peau, mince au bout des oreilles, mince sur les côtés du cou. » Je dis : « Bien fait ! Et que signifie ton dicton : « Fin de cinq » ? Il répondit : « Fin de la partie supérieure du cou, fin de la grenouille, fin du front, fin du genou, fin du tendon de la patte avant. » Je dis : « Que Dieu prolonge ta vie ! Et que signifie ton dicton : « Déprimé de quatre » ? Il répondit : « Déprimé au sommet des épaules, déprimé aux articulations du genou, déprimé aux sourcils, déprimé à l’os du bras. » J’ai dit : « Et que signifie ton dicton : « Doux de trois » ? Il dit : « Doux dans les parties supérieures des omoplates, doux de crinière, doux dans la bouche. » [13] Alors j’ai dit : « Et que signifie ton dicton : « Rare de deux » ? Il répondit : « Rare dans la chair du visage, rare en chair des deux côtés du dos. » J’ai demandé : « D’où vient cette excellence ? » Il répondit : « Des frontières des Omeyyades et de la ville d’Alexandrie. » Alors j’ai dit : « Avec cette excellence, exposes-tu ton amour-propre [14] à cette extravagance ? » Puis il a récité en disant :
« Trompe bien ton temps, car le temps est un fou, [15]
Laissez l’honneur à l’oubli et vivez dans le confort et l’abondance,
Et dis à ton esclave de nous apporter un gâteau. » [16]
119:4 Abdallah ibn Ḥamdán: Le nom du père de Saif ad-Dan. ↩︎
119:5 Saif al-Daula le Hamdanide : 333-66 A.H. (916-67 A.D.), se rendit maître d’Alep en 944 et fonda un royaume indépendant dans le nord de la Syrie.
Il était lui-même un érudit accompli et un poète, un amateur de belles poésies et un célèbre auteur de lettres. Pour des informations sur sa vie, voir Ibn Khallikan, ii, 334 et Tha’alibí, Yatíma, i, 88. ↩︎
119:6 Quand l’œil regarde vers le haut : Une allusion à la Qaṣída d’Imr al-Qais, p. 25, verset 69, édition de Lyall des Mu’allaqát. Le texte est incorrectement vocalisé, les ﻕ et ﻫ devraient être doublés.
J’ai varié la traduction de ces lignes en fonction des différentes interprétations suggérées par Tabrízí. Hamadhání a déjà cité cette ligne à deux reprises, mais c’est la première fois qu’il le fait de manière appropriée. ↩︎
120:1 Mets l’éloquence sous ses pieds : littéralement, la foule aux pieds, figurément parce qu’il a l’éloquence en soumission. ↩︎
120:2 Ne rien obtenir : Littéralement, il les fit boire le désespoir ; ceci est susceptible de deux explications :—
(a) Si nous prenons le verbe … pour signifier qu’il demandait quelque chose aux gens, … signifierait qu’il les faisait désespérer de lui donner suffisamment.
(b) … signifie qu’il interrogeait le peuple, alors … signifie qu’il les faisait désespérer de lui répondre. Je pense que la deuxième explication est plus en accord avec le contexte. ↩︎
120:3 Mangé et bu : Proverbes arabes, i, 61. Figure pour vieux et très utilisé. ↩︎
120:4 … Il craque : Encore une lecture … il marque. ↩︎
120:5 Sabots de fer : Littéralement, un pilon de fer. ↩︎
121:1 Large dans l’espace entre les deux pattes arrières : Un tel cheval est appelé … ↩︎
121:2 … Nombril : Le point sur le nombril où le maréchal-ferrant opère pour extraire un liquide jaune. ↩︎
121:3 … Le point opératoire : c’est-à-dire la peau fine à côté du nombril que le maréchal-ferrant perfore pour qu’un liquide jaune puisse en sortir. ↩︎
121:4 Moins de neuf : Seulement huit sont mentionnés, l’un ayant été omis pour des raisons de décence. ↩︎
122:1 Doux dans la bouche : littéralement, doux de, c’est-à-dire obéissant à, la rêne. ↩︎
122:2 Expose ton amour-propre : Littéralement, expose ton visage, une figure commune pour le risque d’amour-propre. ↩︎
122:3 Trompe ton temps : Mètre, mujtath. Cf. p. 128 du Texte. ↩︎
122:4 Saif ad-Daula mourut environ deux ans avant la naissance d’Hamadhání. Cette maqáma est donc basée sur un incident imaginaire ou une histoire populaire. Voir Ibn Khallikan, ii, 139, où il y a une description d’un cheval présenté par ce prince. Cf. aussi p. 124 du même volume. Pour un exemple d’énigme avec des nombres, voir Ecclésiaste, xi. 2. ↩︎