‘ÍSÁ IBN HISHÁM nous a raconté : Bishr ibn ‘Awánah, l’Abdite, était un brigand, et il fit une incursion contre des cavaliers à dos de chameau parmi lesquels se trouvait une belle femme qu’il épousa. Et il dit : « Je n’ai jamais vu personne de pareil aujourd’hui. » [1] Elle récita alors :
« La noirceur intense de mon œil, [2] et un avant-bras blanc comme de l’argent ont ravi Bishr,
Tandis qu’il y a près de lui, à portée de vue, un homme à la taille fine marchant fièrement avec une paire de bracelets de cheville,
La plus belle de celles qui marchent sur deux pieds. [3]
Si Bishr nous réunissait, elle et moi,
Mon exil serait durable et ma séparation prolongée :
Et s’il devait mesurer sa beauté avec la mienne,
Le matin se manifesterait au possesseur de deux yeux. » [4]
[p. 186]
Bishr dit : « Fi de toi ! [5] De qui parles-tu ? » Elle répondit : « La fille de ton oncle paternel, Fátima. » Il demanda : « Est-elle aussi belle que tu l’as décrite ? » Elle répondit : « Plus encore, et bien plus encore. » Puis il récita en disant :
« Fi de toi ! Ô possesseur de dents de devant blanches, je ne pensais pas que je t’échangerais ;
Mais maintenant que tu l’as signifié par allusion, la vallée t’est ouverte, alors chante et ponds tes œufs. [6]
Mes paupières ne se fermeront pas dans le sommeil jusqu’à ce que j’élève mon honneur des degrés bas.
Alors elle dit :
« Plus d’un prétendant [7] a insisté avec insistance pour elle,
Tandis qu’elle est ta cousine, la fille d’un oncle paternel, étroitement apparentée. » [8]
Il envoya alors demander sa fille en mariage à son oncle, mais celui-ci le lui refusa. [9] Il jura donc de ne leur témoigner aucune considération s’il ne voulait pas lui donner sa fille en mariage. Il leur fit donc beaucoup de torts et les tourmenta continuellement. Alors les hommes de la tribu se rassemblèrent devant son oncle et dirent : « Sauve-nous de ton fou. » Il répondit : « Ne m’habille pas d’infamie, [10] mais accorde-moi un délai pour que je puisse le détruire par stratagème. » Ils dirent : « Fais ainsi. » Alors son oncle lui [187] dit : « J’ai juré de ne pas épouser ma fille, sauf à celui qui lui conduira mille chamelles en dot, et je ne me contenterai que des chamelles des Khuzá’ah. » [11] Or l’objectif de l’oncle était que Bishr traverse la route entre lui et les Khuzá’ah afin qu’un lion puisse le mettre en pièces ; car les Arabes évitaient ce chemin dans lequel il y avait un lion nommé Dadh et un serpent appelé Shuja’. L’un d’eux dit à son sujet
« Plus rapide pour tuer [12] que Dadh [13] et Shuja ».
Si Dadh est le roi des bêtes, elle est la reine des serpents.
Bishr suivit alors cette route, mais il n’en avait pas parcouru la moitié lorsqu’il rencontra le lion. Son poulain se cabra et frappa le sol de ses pattes arrières. Il descendit donc et lui coupa les jarrets. Puis il tira son épée sur le lion, l’attaqua et le coupa en deux dans le sens de la largeur. Puis il écrivit avec le sang du lion sur sa chemise à son cousin :
« Ô ‘Fáṭima, [14] si tu avais été présente dans la vallée de Khabt, [15] quand le lion rencontra ton frère Bishr,
Alors tu aurais vu un lion [16] visiter un lion, le lion victorieux en rencontrer un autre.
« Il avançait fièrement, [17] et mon poulain reculait timidement et je m’écriai : « Puisses-tu être abattu pour un poulain !
Que mes deux pieds touchent la surface du sol, car je perçois que la terre a un dos plus sûr que le tien.
[p. 188]
Et je lui ai dit [18] — et il avait montré des crocs aiguisés et un visage renfrogné ;
Par trahison, une de ses pattes agrippa le sol tandis qu’il tendait l’autre pour bondir sur moi,
Indiquant la force de ses griffes, la netteté de ses crocs et ses regards que tu considérerais comme des charbons ardents ;
Et dans ma main droite il y avait un tranchant acéré, sur la lame duquel demeure la trace des coups mortels—
N’est-ce pas ce que ses bords acérés ont fait à Káz̤ima, [19] le matin où j’ai rencontré 'Amr ?
Et mon cœur est comme le tien, il ne redoute pas l’attaque, alors comment devrait-il craindre l’intimidation ?
Et tu désires pour les petits de la nourriture, et je cherche pour la fille de l’oncle paternel une dot.
Alors, à propos de quoi incites-tu quelqu’un comme moi à tourner le dos, et, par la force, à mettre sa vie entre tes mains ?
Je t’ai averti, ô lion, de chercher d’autres aliments que moi, car en vérité ma chair est amère.
Mais quand il a pensé que mon conseil n’était pas sincère et qu’il était en désaccord avec moi, comme si j’avais parlé en vain,
Il bougeait et je bougeais, comme deux lions désirant un objet, qui, lorsqu’ils le cherchaient, se révélaient difficiles à atteindre.
Je secouai l’épée vers lui et je crus vraiment que j’avais avec elle fait surgir l’aube dans l’obscurité.
Et je lui ai porté un coup mortel, qui lui a montré qu’elle lui disait faux quand elle lui promettait de me trahir.
J’ai lâché l’épée indienne dans ma main droite, et elle a tranché dix de ses côtes.
Il tomba donc à terre couvert de sang, et c’était comme si j’avais démoli en lui un haut édifice.
Et je lui dis : « C’est une chose dure pour moi [20] d’avoir tué mon égal en courage et en gloire.
[p. 189]
Mais tu désirais une chose que personne d’autre que toi ne désirait, c’est pourquoi, ô lion, je ne pouvais pas la supporter.
Tu as essayé de m’instruire à fuir ; par la vie de ton père, tu as tenté une chose difficile.
Mais ne sois pas triste, car tu as rencontré un homme ingénu qui prend soin de ne pas être blâmé, c’est pourquoi tu es mort honorablement.
Car, si tu es tué, il n’y a pas de honte, car tu as rencontré un homme libre des deux côtés ?
Or, lorsque ces lignes parvinrent à son oncle, il se repentit de lui avoir défendu de l’épouser, et il craignit que le serpent ne l’attaque tout à coup. Il se leva donc, continua sa route et le rejoignit lorsque la fureur du serpent s’empara de lui, mais, lorsqu’il vit son oncle, la rage des jours de sauvagerie [21] le saisit, de sorte qu’il mit sa main dans la gueule du serpent, enfonça son épée dans sa bouche et dit :
« Un Bishr, dont l’ambition [22] pour la grandeur est de grande portée ;
quand son oncle l’a vu dans la plaine ouverte,
C’était comme s’il était privé de lui-même et que sa mère était privée de lui ;
Elle attaqua avec une attaque qui lui causa de l’inquiétude. Alors il se leva contre la progéniture du désert et sa main et sa manche disparurent dans sa bouche.
Et sa vie est ma vie, et mon venin est son venin.
Quand il eut tué le serpent, son oncle dit : « Je t’ai exposé à un danger dont Dieu m’a détourné. Reviens donc, que je te marie à ma fille. » Lorsqu’il se retourna, Bishr se mit à se vanter, jusqu’à ce qu’apparaisse sur son cheval un jeune homme imberbe, pareil à un croissant de lune, enveloppé de ses armes. Il dit alors : « Ô oncle, j’entends le bruit d’une proie. » Il sortit et vit, à la longueur d’une lance, un jeune homme qui dit : « Que ta mère te quitte ! Ô Bishr, si tu as tué un ver et une bête, remplis-tu tes mâchoires de vantardise ? Tu es en sécurité si tu livre ton oncle. » Bishr dit : « [190] Que périsse ta mère ! Qui es-tu ? » Il répondit : « Le jour noir et la mort rouge. » [23] Bishr dit : « Que celle qui t’a excrété soit privée de toi. » Il répliqua : « Ô Bishr et celle qui t’a excrété. » Alors chacun attaqua l’autre, mais Bishr ne put rien lui faire, tandis que le jeune homme était capable de lui infliger vingt coups dans la région des reins, [24] mais, chaque fois que la pointe de la lance le touchait, il l’empêchait de blesser son corps, afin de l’épargner. Il dit : « Ô Bishr, qu’en penses-tu ? N’aurais-je pas pu, si je l’avais voulu, te donner en nourriture la pointe de la lance ? » [25]
Il jeta alors la lance, tira son épée et frappa Bishr vingt coups du plat de la lame, mais Bishr ne put lui en porter un seul. Alors il dit : « Ô Bishr, rends ton oncle et va en sécurité. » Il répondit : « Oui, à condition que tu me dises qui tu es. » Il dit : « Je suis ton fils. » Il [26] s’écria : « Mon Dieu ! Je n’ai jamais approché une femme digne, d’où vient donc ce cadeau ? » Il répondit : « Je suis le fils de la femme qui t’a dirigé vers la fille de ton oncle. » Alors Bishr dit :
« Ce bâton vient de ce bâton. [27]
Le serpent enfante-t-il autre chose que le serpent ? » [28]
Il jura de ne jamais monter un noble coursier ni d’épouser une belle dame, puis il maria la fille de son oncle à son fils.
185:4 Je n’ai jamais vu de semblable aujourd’hui: Cf. le dicton (1) d’al-Farazdaq, Ibn Qutaiba, Sh’ir wa Shu’ará, p. 49, et (2) de 'Amr ibn-Hind, lorsqu’il entendit 'Amr ibn Kúlthúm réciter sa qaṣida, Mu’allaqát, (édition de Lyall), p. 107. ↩︎
185:5 La noirceur intense dans mon œil : Mètre, rejez. ↩︎
185:6 Qui marchent sur deux pieds : Cf. Coran, xxiv, 44. ↩︎
185:7 Le matin se manifesterait au possesseur de deux yeux : Cf. une phrase similaire citée par Lane, p. 2647. Art. v., …. ↩︎
186:1 Fie sur toi ! Mètre, rejez, ↩︎
186:2 C’est ainsi que tu chanteras et que tu pondras tes œufs : Une variante de la ligne de Ṭarafa. Voir Freytag, Proverbes arabes, i, 432. ↩︎
186:3 Plusieurs prétendants : Mètre, rejez. ↩︎
186:4 … Étroitement apparenté : c’est-à-dire son cousin germain. ↩︎
186:5 L’oncle lui a refusé sa demande : Cf. Aghání, xii, 10. Ce refus était une violation de la loi Bedawín « qui reconnaît un droit aux cousins germains sur les mains des filles à marier. De nos jours, le consentement de tous les cousins germains du côté du père doit être obtenu pour le mariage d’une fille avec un étranger. » Traduction de Blunt du roman, Le vol de la jument, pp. 8 et 122. ↩︎
186:6 … Ne me revêtez pas d’infamie : En lui demandant de les sauver de son fou parce que (1) il était incapable de mettre fin à ses ravages par la force, et (2) s’il donnait maintenant son consentement au mariage, il s’exposerait à l’accusation d’avoir lui-même subi la force majeure. ↩︎
187:1 Khuzá‘ah : Le nom d’une tribu arabe. ↩︎
187:2 Plus rapide à tuer que Dadh : Mètre, rejez. ↩︎
187:3 … Dadh : Selon Dozy, les habitants de l’Afrique du Nord-Ouest appellent le caméléon blanc …, L’unique dadh. ↩︎
187:4 … O Fáṭima:_ Mètre, galette. Un exemple d’apocope. Ces versets sont attribués à 'Amr ibn M’adí Kariba, mais le commentateur considère qu’il s’agit simplement d’une coïncidence d’idées et que les lignes se réfèrent à deux épisodes distincts. Voir Hamasa, i, 73. Cf. al-Wasáṭa, pp. 109-111. ↩︎
187:5 Khabt: Il y a quatre endroits de ce nom: (1) le désert d’al-Jamísh, entre La Mecque et Médine. (2) Les oasis de Kalb. (3) Bazwá, entre La Mecque et Médine. (4) Un village au Yémen. Yaqút, ii, 397. ↩︎
187:6 … (féroce et robuste) lion : Selon Dozy, c’est le nom d’un animal qui ressemble au chat sauvage trouvé en Abyssinie. ↩︎
187:7 … Il avançait fièrement : Littéralement, il jouait le lion (…). Freytag dit que le mot signifie aussi un chameau obséquieux. Cf. Ḥarírí, p. 376, ligne 5. ↩︎
188:1 … À lui : C’est-à-dire au lion. ↩︎
188:2 Kaz__̤ima : Un désert en direction de la côte entre Baṣra et Bahreïn. ↩︎
188:3 C’est pour moi une chose dure: Cf. Lettres, p. 80. ↩︎
189:1 … Les jours de sauvagerie : Généralement appelés les « Jours de l’Ignorance », ou période de paganisme, en Arabie avant l’Islam. ↩︎
189:2 Un Bishr, dont l’ambition: Mètre, rejez. ↩︎
190:1 … Mort rouge : Mort par l’épée. ↩︎
190:2 Dans la région des reins : Littéralement, dans ses reins. ↩︎
190:3 … La pointe de la lance : Littéralement, les crocs de la lance. ↩︎
190:4 … Il (Bishr) s’est exclamé. ↩︎
190:5 … Ce bâton est de cette portée: Mètre, rejez. Freytag, Proverbes arabes, i, 17 et Meidání (Bulak), i, 12. On dit qu’Al-‘Asá était le nom d’un cheval célèbre appartenant à Jadhima’l-Abrash et ‘Auṣayyah’ celui de sa mère. Voir Journal Asiatique, Mars, 1838, pp. 245-51. Cf. English, ‘A chip of the old block’. ↩︎
190:6 Le serpent enfante-t-il autre chose que le serpent : Cf. Lettres, p. 165. ↩︎