'Isâ Ibn Hisham nous raconta ce qui s’était passé : « Un jour, je me joignis à une troupe semblable aux fleurs du printemps ou aux étoiles de la nuit après la troisième veille, aux visages brillants et aux dispositions agréables. Ils se ressemblaient en apparence et étaient tous pareils dans leur condition. Nous commençâmes à tirer les bords de la conversation et à ouvrir les portes de la discussion. Or, il y avait au milieu de nous un jeune homme, de petite taille parmi les hommes, à la moustache taillée, qui ne prononça pas un mot et ne fit pas avec nous de description, jusqu’à ce que, finalement, la discussion nous conduisît à l’éloge de la richesse et de ses possesseurs, à la mention de la propriété et de son excellence, et à l’affirmation que c’est la parure des hommes et le but de la perfection. Alors, comme s’il s’était réveillé d’un sommeil ou s’était présenté après [183] une absence, il ouvrit son diwan, [1] délia sa langue et dit : « Silence ! En vérité, vous avez manqué à une chose qui vous manquait ; Vous avez manqué de la chercher et vous l’avez méprisée. Vous avez été trompés par le temporel, et le proche vous a préoccupés au détriment du lointain. Le monde est-il autre chose que le campement d’un chameau ou le repas hâtif du voyageur ? La richesse n’est-elle qu’un prêt à rembourser ou un dépôt à abandonner ? Elle se transmet d’un peuple à un autre, et ceux qui arrivent les premiers la thésaurisent pour ceux qui viennent après. Voyez-vous la richesse chez d’autres que les avares, à l’exclusion des généreux ? Ou chez les ignorants, à l’exclusion des savants ? Méfiez-vous de l’illusion, car il n’y a de gloire que dans l’une des deux directions, et de préséance que dans l’un des deux lots, noble ascendance ou éminent savoir. Et quelle excellente chose que celle dont le porteur est porté sur la tête des gens, et dont l’aspirant ne désespère pas ! Par les cieux ! Si je n’avais pas eu à préserver ma vie et mon honneur, j’aurais été l’homme le plus riche de la terre. Car je connais deux trésors, l’un est dans la région de Tarse [2] et les esprits des hommes le désirent ardemment. Il appartient aux trésors des Amalécites et aux magasins des Patriciens. [3] Il contient un poids de cent mille livres. Quant à l’autre, il est entre Sora [4] et Hilleh. [5] Il contient des trésors des rois perses [184] [6] et des trésors des tyrans suffisants pour les hommes et les djinns. La plupart de ces trésors se composent de rubis rouges, de perles et de pierres précieuses, de couronnes ornées de joyaux et de dix mille talents amassés. » Or, après avoir entendu cela, nous nous sommes approchés de lui, nous nous sommes penchés vers lui et avons commencé à considérer son jugement comme faible de se contenter d’un maigre moyen de subsistance malgré la connaissance de ces magasins. Il nous fit alors comprendre qu’il avait peur du Sultan et qu’il ne comptait sur aucun de ses frères. Nous lui dîmes donc : « Nous avons entendu ton argument et nous acceptons ton excuse. Maintenant, si tu veux nous faire une faveur, nous obliger et nous faire connaître l’un de ces trésors, à condition que les deux tiers soient à toi, fais-le. » Il tendit alors la main vers nous et dit : « Celui qui envoie quelque chose à l’avance le retrouvera, et pour celui qui sait ce qui est disponible, il est facile de donner généreusement de l’argent. » Chacun de nous lui donna donc ce qu’il avait sous la main et était impatient de recevoir ce qu’il avait mentionné. Maintenant, lorsque nous eûmes rempli sa paume, il leva les yeux vers nous et dit : « Nous devons nous procurer le strict nécessaire [7] de moyens de subsistance et de quoi maintenir nos forces. [8] Notre temps est court et, si Dieu le veut, exalté soit-Il ! le rendez-vous sera ici demain. »
Said ‘Isá ibn Hishám : Lorsque cette compagnie se dispersa, je m’assis un moment après eux. Puis je m’avançai vers lui et m’assis devant lui et dis – et en vérité je désirais faire sa connaissance et mon âme aspirait à converser avec lui – « C’est comme si je connaissais ton pedigree et t’avais rencontré. » Il dit : « Oui, une route nous unissait et tu étais mon compagnon de voyage. » Alors je dis : « Le temps t’a changé en moi et personne ne m’a fait t’oublier sauf Satan. » [9]
[p. 185]
Puis il récita en disant :
« Je suis le tyran du temps, [10] de la folie J’ai beaucoup d’idées
Et quand l’argent vient à manquer, je dépense dans la bourse des désirs.
Quiconque désire une nourriture abondante et une boisson profonde, au son [11] du luth, [12]
Et préfère les visages lisses, inconscients de tel et tel, et tel et tel,
Tu le verras à l’abri de la richesse et de la prospérité.
182:4 Son diwán : Au sens figuré pour son stock de prose et de poésie, son répertoire. ↩︎
183:3 … Tarse : Une cité antique bien connue dans la plaine fertile de Cilicie. Elle fut prise par les Arabes peu après 660 apr. J.-C. Pendant plus d’un siècle après sa conquête, elle fut en ruines. Mais Hárún al-Rashíd reconstruisit ses murs en 787 apr. J.-C. et en fit la capitale du nord-ouest de la puissance arabe dans les longues guerres contre l’empire byzantin. Le calife Mamúm mourut et fut enterré ici en 218 apr. J.-C. (août 833 apr. J.-C.). Les ruines de la cité antique sont vastes mais profondément enfouies. (Encyclopædia Britannica, xxvi, 433). L’affirmation selon laquelle un trésor était enterré ici n’était donc pas inappropriée. ↩︎
183:4 … Patriciens : Pluriel de … chef d’une armée, celui qui compte plus de dix mille hommes. Il est arabisé à partir du latin patricius. À partir de l’époque de Constantin (288-337 après J.-C.), le patricien est devenu le titre d’une personne occupant un poste élevé à la cour. ↩︎
183:5 Sora: En Babylonie, tout près de Hilleh et de Waqf, siège d’une célèbre académie juive fondée au troisième siècle après J.-C. par le célèbre érudit Abba Arika, qui joua un rôle dominant dans le judaïsme babylonien pendant plusieurs siècles. Elle était connue pour le vin. Jewish Encyclopædia, i, 145, et Yaqút, iii, 184. ↩︎
183:6 … Hilleh: de Banú Mazyad, une ville de la Turquie asiatique entre Kúfa et Bagdad et à soixante milles au sud de cette dernière ville. Elle est située sur les deux rives de l’Euphrate. Beaucoup de maisons de la ville sont construites en briques, pas mal d’entre elles portant une inscription de Nabuchodonosor, obtenue des ruines de Babylone qui se trouvent à moins d’une heure de route au nord. Encyclopædia Britannica, xiii, 467; et Yaqút, ii, 10 et 322. ↩︎
184:1 … Les trésors des rois perses: Les trésors royaux qui tombèrent entre les mains des Arabes lors du renversement de la monarchie perse sous le califat d’Umar (634-644 après J.-C.) étaient énormes ; voir al-Fakhrí, p. 101. Le terme devint par conséquent synonyme d’immense richesse. Cf. Persian ↩︎
184:2 … Une simple suffisance : littéralement, cela suffit au bétail de ce qu’il obtient des arbres ou des plantes ; donc de la nourriture suffisante pour maintenir la vie. ↩︎
184:3 … Ce qui maintiendra la force : littéralement, ce qui arrêtera les restes (…) de la vie. ↩︎
184:4 Nul ne m’a fait t’oublier sauf Satan: Une allusion au Coran, xviii, 62. ↩︎
185:1 Je suis le tyran du temps : Mètre, ramal. ↩︎
185:2 … Le son : Littéralement, un bourdonnement ou un grondement. ↩︎
185:3 … Le luth : Littéralement, l’accord (d’un luth) composé de deux cordes, ou, comme certains disent, le deuxième accord. Voir Ḥarírí, i. 244. ↩︎