TREIZIÈME CONFÉRENCE. KITRA ET SAMBHÛTA [^169].
Traité avec mépris à cause de sa naissance (en tant que Kândâla), Sambhûta prit, à Hastinâpura, [ p. 57 ] la résolution pécheresse (de devenir un monarque universel dans une naissance ultérieure) ; descendant de la région céleste Padmagulma, il naquit de Kulanî à Kâmpilya sous le nom de Brahmadatta ; Kitra, quant à lui, naquit dans la ville de Purimatâla dans la grande famille d’un marchand ; lorsqu’il eut entendu la Loi, il entra dans l’ordre. (1, 2)
Dans la ville de Kâmpilya, Sambhûta et Kitra (comme on les appelait dans une naissance antérieure) se rencontrèrent à nouveau et se racontèrent la récompense qu’ils avaient obtenue pour leurs bonnes et mauvaises actions. (3)
Le monarque universel Brahmadatta, le roi puissant et glorieux, adressa respectueusement les paroles suivantes à celui (qui avait été) son frère (dans une naissance antérieure) : (4)
Nous étions frères autrefois, gentils l’un envers l’autre, aimant l’un l’autre, nous souhaitant du bien l’un à l’autre. (5)
« Nous étions esclaves dans le pays des Dasârnas, puis antilopes sur le mont Kâlañgara, puis oies sur la rive du Miritagâgâ, et Svapâkas dans le pays de Kâsi. » (6)
« Et nous étions des dieux dotés d’un grand pouvoir, dans les régions des dieux. Ceci est notre sixième naissance, où nous sommes séparés les uns des autres. » (7)
« Le Karman est produit par des pensées pécheresses, et vous les avez entretenues, ô roi ; c’est par l’influence de ce Karman que nous avons été séparés. » (8)
[ p. 58 ]
« J’ai accompli des actions inspirées par la vérité et la pureté, et maintenant je jouis de leur effet ; est-ce également vrai dans ton cas, Kitra ? » (9)
« Toute bonne action portera ses fruits pour les hommes ; nul ne peut échapper aux conséquences de ses actes. Grâce aux richesses et aux plaisirs suprêmes, mon âme a reçu la récompense de ses vertus. » (10)
« Sache, Sambhûta, que tu as reçu la récompense de tes vertus sous la forme d’une grande richesse et d’une grande prospérité ; mais sache, ô roi, qu’il en est de même pour Kitra ; il a également obtenu prospérité et splendeur. » (11)
« Un chant d’une profonde signification condensée en paroles a été répété au milieu d’une foule d’hommes, (ayant entendu) que des moines de piété et de vertus s’exercent dans cette (religion) : Je suis devenu un Sramana. » (12)
« Mes beaux palais Ukka, Udaya, Madhu, Karka et Brahman sont renommés : cette maison, pleine de trésors et contenant les plus beaux produits des Pañkâlas, ô Kitra [1], considère-la comme la tienne ! » (13)
« Entoure-toi de femmes qui dansent, chantent et font de la musique ; profite de ces plaisirs, ô moine ; je considère le renoncement comme une chose difficile. » (14)
Comme le vertueux Kitra, par amour pour une vieille amitié, aimait le roi qui était attaché aux plaisirs sensuels, et comme il avait à cœur son bien-être, il lui adressa les paroles suivantes : (est)
« Tout chant n’est que bavardage, toute danse n’est que moquerie, tous les ornements ne sont qu’un fardeau, tous les plaisirs ne produisent que des douleurs. » (16)
« Ô roi, les plaisirs que les ignorants aiment, mais qui produisent des souffrances, ne ravissent pas les moines pieux qui ne se soucient pas du plaisir, mais sont attentifs aux vertus d’une bonne conduite. (17)
« Excellent roi, la caste la plus basse est celle des Svapâkas, à laquelle nous avons appartenu deux fois ; nous étions donc détestés de tous et nous vivions dans les hameaux des Svapâkas. (18)
« Dans cette naissance misérable, nous avons vécu dans les hameaux de Svapâkas, détestés de tous ; puis nous avons acquis le Karman (dont nous jouissons maintenant du fruit). (19)
« Vous êtes maintenant un roi de grande puissance et de prospérité, jouissant de la récompense de vos bonnes actions ; rejetez les plaisirs transitoires et entrez dans l’ordre pour le bien suprême [2] ! (20)
« Celui qui dans cette vie n’a fait aucune bonne action et n’a pas pratiqué la Loi, s’en repent dans l’autre monde lorsqu’il est devenu la proie de la Mort. (21)
« Comme un lion saisit une antilope, ainsi la Mort emporte un homme à sa dernière heure ; ni sa mère, ni son père, ni son frère ne sauveront alors une parcelle (de sa vie). » (22)
« Ni ses proches, ni ses amis, ni ses fils, ni ses proches ne partageront sa souffrance, il doit seul la supporter ; car le Karman suit l’auteur. (23)
« Laissant derrière lui bipèdes et quadrupèdes, ses champs, sa maison, ses richesses, son blé et tout le reste ; [ p. 60 ] contre son gré, et accompagné seulement de son Karman [^172], il entre dans une nouvelle existence, bonne ou mauvaise. (24)
« Lorsqu’ils auront brûlé au bûcher son corps abandonné et sans défense, sa femme, ses fils et ses proches choisiront un autre homme pour subvenir à leurs besoins. (25)
« La vie s’éternise (vers la mort) [3] ; la vieillesse emporte la vigueur de l’homme. Roi des Pañkâlas, écoute mes paroles : ne commets aucune action effrayante. » (26)
« Moi aussi, je sais aussi bien que vous, ô saint, ce que vous m’avez dit dans votre discours : les plaisirs s’emparent des hommes et ne sont pas facilement abandonnés par ceux que nous sommes, monsieur. (27)
« Ô Kitra, à Hastinâpura [^174] j’ai vu le puissant roi (Sanatkumâra), et j’ai pris cette résolution pécheresse dans mon désir de plaisirs sensuels. (28)
Et comme je ne m’en suis pas repenti, il en est résulté que je désire encore les voluptés, quoique je connaisse la loi. (29)
« Comme un éléphant, s’enfonçant dans un bourbier, [ p. 61 ] voit le sol soulevé mais n’atteint pas le rivage, ainsi nous qui aspirons aux plaisirs sensuels, ne suivons pas le chemin des moines. (30)
« Le temps s’écoule et les jours passent vite ; les plaisirs des hommes ne sont pas permanents ; ils viennent à l’homme et le quittent comme un oiseau quitte un arbre vide de fruits. » (31)
« Si tu ne peux abandonner le plaisir, alors accomplis de nobles actions, ô roi ; en suivant la Loi, aie compassion de toutes les créatures : alors tu deviendras un dieu en entrant dans une nouvelle existence. (32)
« Si vous n’avez aucune intention d’abandonner le plaisir et aspirez encore à des entreprises et à la propriété, mes longs discours n’auront servi à rien. Je m’en vais, roi, adieu. » (33)
Et Brahmadatta, roi des Pañkâlas, n’agit pas selon le conseil du saint ; il jouit du plus grand plaisir, et (ensuite) sombra dans l’enfer le plus profond. (34)
Mais Kitra le grand sage, d’excellente conduite et de pénitence, était indifférent au plaisir ; après avoir pratiqué la plus haute maîtrise de soi, il atteignit le plus haut lieu de perfection. (35)
Ainsi je dis.
[^172] : 59 : 1 Âdâna, a expliqué karitradharma.
[^174] : 60 : 2 Voir les remarques du professeur Leumann sur ce verset, lc, p. 137 s.
56:3 Les histoires concernant Kitra et Sambhûta et le sort qu’ils subirent au cours de nombreuses renaissances sont communes aux brahmanes, aux gaïnas et aux bouddhistes. Le sujet a été traité de manière exhaustive par le professeur Leumann dans deux articles savants parus dans le Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, vol. V, pp. 1 et suivantes, 111 et suivantes, où une analyse des divers documents relatant cette légende est donnée, et où le texte Prâkrit des treizième et quatorzième conférences, accompagné d’une traduction allemande, est publié. Pour plus de détails, le lecteur est donc invité à se référer aux articles du professeur Leumann. ↩︎
58:1 Le commentateur construit Kitra avec dhanappabhûya : plein de trésors multiples ; mais le professeur Leumann a probablement raison de le prendre comme vocatif. ↩︎
60:1 Ceci pourrait être traduit, comme le suggère le professeur Leumann : posséder Karman comme germe (de sa destinée future) ; néanmoins, je préfère le sens garanti par les commentateurs, car karmabîga signifie généralement le germe, c’est-à-dire la cause de Karman, voir ci-dessous, Trente-deuxième Leçon, verset 7. ↩︎