VINGT-TROISIÈME CONFÉRENCE [^312]. KÊSI ET GAUTAMA.
Il y avait une Gina, du nom de Pârsva [1], un Arhat, adoré par le peuple, qui était parfaitement éclairé et omniscient, un prophète de la Loi, et une Gina. (1)
Et il y avait un disciple célèbre de cette Lumière du [ p. 120 ] Monde, le jeune Sramana Kêsi, qui maîtrisait parfaitement les sciences et la bonne conduite. (2)
Il possédait la lumière de la connaissance de Sruta et d’Avadhi [2], et était entouré d’une foule de disciples ; errant de village en village, il arriva dans la ville de Srâvastî. (3)
Dans le quartier de cette ville, il y a un parc, appelé Tinduka ; là, il s’installa dans un lieu pur pour vivre et dormir. (4)
Or, à cette époque vivait le Prophète de la Loi, le Gina, qui est connu dans le monde entier comme le vénérable Vardhamâna. (5)
Et il y avait un disciple célèbre de cette Lumière du Monde, le vénérable Gautama, qui maîtrisait parfaitement les sciences et la bonne conduite. (6)
Il connaissait les douze Aṅgas, était illuminé et était entouré d’une foule de disciples ; errant de village en village, il arriva lui aussi à Srâvastî. (7)
Dans le quartier de cette ville se trouve un parc Kôshthaka ; là, il s’installa dans un lieu pur pour vivre et dormir. (8)
Le jeune Sramana Kêsi et le célèbre Gautama y vivaient tous deux, se protégeant (par les Guptis) et faisant preuve de prudence. (9)
Les élèves des deux, qui se contrôlaient, pratiquaient des austérités, possédaient des vertus et protégeaient leur Soi, firent la réflexion suivante : (10)
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« Notre Loi est-elle la bonne, ou l’autre Loi [3] est-elle la bonne ? Notre conduite et nos doctrines sont-elles bonnes, ou l’autre ? »
« La Loi enseignée par le grand sage Pârsva, qui ne reconnaît que quatre vœux [4], ou la Loi enseignée par Vardhamâna, qui enjoint cinq vœux ? (12)
« La loi qui interdit les vêtements (pour un moine) ou celle qui autorise un sous-vêtement et un haut ? Poursuivant le même but, quelle est la cause de leur différence ? » (13)
Connaissant les pensées de leurs élèves, Kêsi et Gautama décidèrent de se rencontrer. (14)
Gautama, sachant ce qui est convenable et ce qui est dû à la partie la plus ancienne (de l’église), se rendit au parc de Tinduka, accompagné de la foule, de ses élèves. (15)
Lorsque Kêsi, le jeune moine, vit Gautama s’approcher, il le reçut avec toute l’attention qui lui convenait. (16)
Il offrit aussitôt à Gautama les quatre sortes pures de paille et de foin [5] pour s’asseoir. (17)
Kêsi, le jeune Sramana et le célèbre Gautama, assis ensemble, brillaient d’un éclat semblable à celui du soleil et de la lune. (18)
Là se rassemblèrent de nombreux hérétiques par curiosité, et des milliers de laïcs ; (19)
Dieux, Dânavas, Gandharvas, Yakshas, Râkshasas, [ p. 122 ] et Kinnaras (s’y sont rassemblés), et là se sont également rassemblés des fantômes invisibles [6]. (20)
Kêsi dit à Gautama : « Je voudrais te demander quelque chose, saint homme. » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : « Monsieur, demande ce que tu veux. » Puis, avec sa permission, Kêsi s’adressa à Gautama : (21, 22)
« La Loi enseignée par le grand sage Pârsva ne reconnaît que quatre vœux, tandis que celle de Vardhamâna en prescrit cinq. (23)
« Les deux lois poursuivant le même but, d’où vient cette différence ? N’as-tu aucun doute sur cette double loi, ô sage ? » (24)
Alors à ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : « La sagesse reconnaît la vérité de la Loi et la constatation des choses vraies. » (25)
« Les premiers [7] saints étaient simples mais lents à comprendre, les derniers saints prévaricateurs et lents à comprendre, ceux entre les deux simples et sages ; il y a donc deux formes de la Loi [8]. (26)
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« Les premiers pouvaient difficilement comprendre les préceptes de la Loi, et les derniers pouvaient difficilement les observer, mais ceux qui étaient entre eux les comprenaient et les observaient facilement. » (27)
« Eh bien, Gautama, tu possèdes la sagesse, tu as détruit mon doute ; mais j’ai un autre doute que tu dois m’expliquer, Gautama. (28)
« La Loi enseignée par Vardhamâna interdit les vêtements, mais celle du grand sage Pârsva autorise un vêtement de dessous et de dessus. (29)
« Les deux lois poursuivant le même but, d’où vient cette différence ? N’as-tu aucun doute sur cette double loi, ô sage ? » (30)
À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : « Décidant de la question par leur connaissance supérieure, (les Tîrthakaras) ont fixé ce qui est nécessaire pour appliquer la Loi. (31)
« Les différentes marques extérieures (des hommes religieux) ont été introduites afin que les gens puissent les reconnaître comme tels ; la raison des marques caractéristiques est leur utilité pour la vie religieuse et leur caractère distinctif. (32)
« Or, l’opinion (des Tîrthakaras) est que la connaissance, la foi et la bonne conduite sont les véritables causes de la libération finale (et non les signes extérieurs). » (33)
« Eh bien, Gautama, tu possèdes la sagesse, tu as détruit mon doute ; mais j’ai un autre doute, que tu dois m’expliquer, Gautama. (34)
« Gautama, tu te tiens au milieu de plusieurs milliers d’ennemis qui t’attaquent ; comment les as-tu vaincus ? » (35)
« En vainquant un, cinq sont vaincus ; en vainquant cinq, dix sont vaincus ; par cette victoire décuplée, je vaincs tous les ennemis. » (36)
Kêsi dit à Gautama : « Qui appelles-tu ennemi ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (37)
« Le soi est l’ennemi invincible, (avec les quatre) passions cardinales [9] (à savoir la colère, l’orgueil, la tromperie et l’avidité, elles sont au nombre de cinq) et les (cinq) sens (en font dix). Ces (ennemis), ô grand sage, je les ai régulièrement vaincus. » (38)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (19)
« Nous voyons dans ce monde de nombreux êtres liés par des chaînes ; comment t’es-tu débarrassé de tes chaînes et es-tu libéré, ô sage ? » (40)
« Ayant coupé toutes les chaînes et les ayant détruites par les bons moyens, je me suis débarrassé de mes chaînes et je suis libéré, ô sage. » (41)
Kêsi dit à Gautama : « Qu’appelles-tu des chaînes ? » [ p. 125 ] À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (42)
« L’amour, la haine, etc., sont de lourdes chaînes, l’attachement est dangereux ; après les avoir régulièrement détruites, je vis à la hauteur des règles de conduite. » (43)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (44)
« Ô Gautama, au plus profond de ton cœur pousse une plante qui produit des fruits vénéneux ; comment l’as-tu arrachée ? » (45)
« J’ai soigneusement taillé cette plante et je l’ai arrachée avec ses racines ; j’ai ainsi éliminé le fruit vénéneux. » (46)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu cette plante ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (47)
« L’amour de l’existence est cette plante redoutable qui produit des fruits redoutables ; après l’avoir régulièrement arrachée, je vis agréablement. » (48)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (49)
« Gautama, un feu épouvantable brûle [10] les êtres incarnés ; comment l’as-tu éteint ? » (50)
« Prenant de l’eau, une eau excellente, de (la rivière) produite par le grand nuage, je la verse toujours sur mon corps ; ainsi aspergée, le feu ne me brûle pas. » (51)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu le feu ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (52)
« Les passions sont le feu ; la connaissance, une vie vertueuse et les pénitences sont l’eau ; aspergé [ p. 126 ] des gouttes de connaissance, le feu des passions s’éteint et ne me brûle pas. » (53)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (54)
« Le cheval indiscipliné, redoutable et méchant sur lequel tu es assis court partout, Gautama ! Comment se fait-il qu’il ne s’enfuie pas avec toi ? » (55)
« Je le guide bien dans sa course par la bride de la connaissance ; il ne s’égare pas avec moi, il garde le droit chemin. » (56)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu ce cheval ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (57)
« L’esprit est ce cheval indiscipliné, redoutable et mauvais ; je le gouverne par la discipline de la Loi (afin qu’il devienne un destrier Kambôga bien) dressé [11]. » (58)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (59)
« Il y a beaucoup de mauvaises routes dans ce monde, qui égarent les hommes ; comment évites-tu, Gautama, de t’égarer comme tu es sur la route ? » (60)
« Je les connais tous, ceux qui sont dans le droit chemin et ceux qui ont choisi le mauvais chemin ; c’est pourquoi je ne m’égare pas, ô sage ! » (61)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu le chemin ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (62)
« Les hétérodoxes et les hérétiques ont tous choisi une mauvaise voie ; la bonne voie est celle enseignée par les Ginas ; c’est la voie la plus excellente. » (63)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (64)
« Existe-t-il un abri, un refuge, une terre ferme pour les êtres emportés par le grand déluge ? Connais-tu l’île, ô Gautama ? » (65)
[ p. 127 ]
« Il y a une grande île au milieu de l’eau, qui n’est pas inondée par le grand déluge. » (66)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu cette île ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (67)
« Le déluge, c’est la vieillesse et la mort qui emportent les êtres vivants ; la Loi, c’est l’île, la terre ferme, le refuge, l’abri le plus excellent. » (68)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (69)
« Sur l’océan aux nombreux courants dérive un bateau ; comment vas-tu, Gautama, à bord de ce bateau, atteindre la rive opposée ? » (70)
« Un bateau qui fait eau n’atteindra pas la rive opposée ; mais un bateau qui ne fait eau l’atteindra. » (71)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu ce bateau ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (72)
« Le corps est le bateau, la vie est le marin, et le Cercle des Naissances est l’océan traversé par les grands sages. » (73)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (74)
« Dans cette obscurité terrible vivent de nombreux êtres ; qui apportera la lumière dans le monde entier des êtres vivants ? » (75)
« Le soleil immaculé s’est levé, lui qui illumine le monde entier ; il apportera la lumière dans le monde entier des êtres vivants. » (76)
Kêsi dit à Gautama : « Comment appelles-tu ce soleil ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (77)
« Il est ressuscité, celui qui a mis fin au Cercle des Naissances, l’omnisciente Gina, l’astre, qui apporte la lumière dans le monde entier des êtres vivants. » (78)
« Eh bien, Gautama, etc. (comme au verset 28). » (79)
« Connaissez-vous, ô sage, un endroit sûr, heureux et tranquille pour les êtres vivants qui souffrent de douleurs [12] du corps et de l’esprit ? » (80)
« Il existe un lieu sûr à la vue de tous, mais difficile d’accès, où il n’y a ni vieillesse ni mort, ni douleur ni maladie. » (81)
Kêsi dit à Gautama : « Comment s’appelle cet endroit ? » À ces paroles de Kêsi, Gautama répondit : (82)
« C’est ce qu’on appelle Nirvânâ, ou la libération de la douleur, ou la perfection, qui est à la vue de tous ; c’est le lieu sûr, heureux et tranquille que les grands sages atteignent. (83)
« C’est le lieu éternel, aux yeux de tous, mais difficile d’accès. Les sages qui l’atteignent sont libérés des chagrins, ils ont mis fin au cours de l’existence. » (84)
« Eh bien, Gautama, tu possèdes la sagesse, tu as détruit mon doute ; obéissance à toi, qui n’es pas troublé par les doutes, qui es l’océan, pour ainsi dire, de tous les Sûtras. » (85)
Après que son doute eut été résolu, Kêsi, d’une immense sainteté, inclina la tête devant le célèbre Gautama. (86)
Et dans l’agréable (parc de Tinduka), il adopta sincèrement la Loi des cinq vœux, qui fut proclamée par le premier Tîrthakara, selon l’enseignement du dernier Tîrthakara. (87)
[ p. 129 ]
Lors de cette rencontre entre Kêsi et Gautama, la connaissance et la conduite vertueuse furent à jamais mises en avant, et des sujets de la plus haute importance furent réglés. (88)
Toute l’assemblée fut ravie et fixa ses pensées sur la bonne voie. Ils louèrent Kêsi et Gautama : « Puissent les vénérables nous témoigner leur faveur ! » (89)
Ainsi je dis.
119:2 Dans cette conférence, nous avons une légende très intéressante sur la manière dont s’est réalisée l’union de l’ancienne église de Pârsva et de la nouvelle église de Mahâvîra. La résurgence de cette ancienne différence semble avoir entraîné une nouvelle division de l’église unie en deux sectes, les actuelles Svêtâmbara et Digambara. Elles ne perpétuent pas les deux églises primitives, mais semblent être issues de l’église unie. ↩︎
119:3 Pârsva est l’avant-dernier Tîrthakara, son Nirvâna eut lieu 250 ans avant celui de Mahâvîra. Cette affirmation, généralement acceptée, est cependant en contradiction apparente avec le récit de notre texte, selon lequel un disciple de Pârsva, appelé un jeune moine kumâra-sramana, rencontra Gautama, c’est-à-dire Sudharman, le disciple de Mahâvîra. Nous devons donc prendre le mot disciple, sîse, comme paramparâsishya, ce qui n’est pas dans son sens littéral. Voir note [8:1], p. 122. ↩︎
120:1 Voici les deuxième et troisième types de connaissance selon la classification de Gaïna. Sruta est la connaissance tirée des livres sacrés, et avadhi est la connaissance limitée ou conditionnée. Voir Bhandarkar, Rapport, p. 106. ↩︎
121:1 À savoir la Loi de Pârsva ou la Loi de Mahâvîra. ↩︎
121:2 C’est pourquoi on l’appelle kâuggâma kâturyâma. La chasteté (maithunaviramana) n’était pas explicitement énumérée, mais elle était comprise comme contenue dans le quatrième commandement : ne pas avoir de propriété (aparigraha). ↩︎
121:3 Les quatre sortes de paille sont : sâlî vîhî koddava râlaga, à laquelle on ajoute du foin : ranne tanâni. ↩︎
122:1 Bhûya = bhûta, explication Vyantara. Les vantara ou vânamantara sont une classe de fantômes. La deuxième partie du mot est apparemment tara « traversée », et la première semble contenir un accusatif vam ou vânamam qui peut être relié à viha ou vyôman « air ». ↩︎
124:1 Cette question ne concerne pas la différence de doctrine entre Pârsva et Mahâvîra, mais elle est abordée ici, comme le dit le commentateur, à l’intention des élèves des deux sages engagés dans la conversation. Je pense cependant que cette question et les suivantes sont posées et répondues ici par les disciples des deux Tîrthakaras pour une meilleure raison que celle donnée par le scoliaste. Car les principaux thèmes du gaïnisme y sont traités de manière symbolique. Gautama comprend aussitôt le véritable sens des comparaisons et les interprète à la satisfaction de Kêsi. De cette façon, l’unité de doctrine subsistant entre la Loi de Pârsva et celle de Mahâvîra est démontrée aux auditeurs de la dispute, une fois les différences dissipées. ↩︎
124:2 Kashâya. ↩︎
125:1 Dans l’original, le mot « feu » est mis au pluriel parce qu’il désigne les quatre kashâyas ou passions cardinales. ↩︎
126:1 Kanthaka, voir ci-dessus, p. 47, note 2. ↩︎