[ p. 10 ]
La Palestine de l’enfance de Jésus était plongée dans une tension spirituelle due à l’avancée inéluctable de la puissance romaine. Deux siècles auparavant, face à la domination des Séleucides grecs, la nation juive, menée par Jean Maccabée, avait victorieusement affirmé son indépendance et son intégrité. Mais désormais, les agressions intermittentes des Séleucides avaient cédé la place à la pression lente et constante de la puissance romaine. La Galilée était certes encore gouvernée, comme une sorte d’État autochtone, par un fils grécisé d’Hérode le Grand ; mais la Judée et la ville sainte de Jérusalem étaient désormais sous le contrôle direct d’un procurateur romain. L’espoir d’un Israël triomphant dans ce monde s’évanouissait rapidement.
Les pensées des Juifs pieux étaient d’autant plus véhémentes, et rares étaient les Juifs de Palestine qui, d’une manière ou d’une autre, n’étaient pas pieux et tournés vers l’attente d’un miracle. Ce miracle était mi-spirituel, [ p. 11 ] mi-matériel. Quelque chose d’obscur, de majestueux et de terrible allait se produire : le vice-roi de Dieu, le Messie, viendrait avec puissance ; à sa venue, le monde prendrait fin ; un monde nouveau commencerait avec Dieu lui-même pour Roi. Ainsi, Dieu délivrerait ses élus et confondrait leurs oppresseurs. L’attente, bien qu’intense, était vague. Mais, au-delà des brumes de la prophétie et des pressentiments, certaines choses apparurent clairement. Les dernières paroles du dernier des prophètes, Malachie, avaient été : « Avant l’aube du grand et terrible Jour de l’Éternel, je vous enverrai le prophète Élie. » Ainsi, il était déterminé qu’Élie serait le précurseur de la figure surhumaine et redoutable du Messie, qui viendrait juger le monde entier.
Mais Élie ne viendrait qu’après une période de chaos et de tribulations. C’est du moins ce qu’attendait Jésus lui-même en ces mots : « Élie vient premièrement pour rétablir toutes choses », pour les sortir du chaos dans lequel ils étaient plongés. Mais qui pouvait dire si cette période de chaos et de tribulation était celle que les Juifs subissaient alors ou si une condition plus terrible les attendait ? Il fallait une voix d’autorité pour annoncer ces choses, la voix d’un prophète.
[ p. 12 ]
Un prophète apparut. Un certain Jean sortit du désert pour annoncer que le Jour grand et redoutable était proche, et que le moyen d’échapper à la colère de Dieu était de se faire baptiser, signe que l’âme était purifiée du péché. Jean lui-même ne prétendait pas directement être Élie ; mais, si ses paroles sont vraies, sa prétention à être Élie était implicite dans sa déclaration selon laquelle il était le précurseur immédiat d’un Juge plus puissant, un Juge féroce et redoutable. Quoi qu’il en soit, même parmi ceux qui croyaient en Jean, seuls certains le tenaient pour Élie ; les autres croyaient simplement qu’il était un prophète. Et, surtout, Jésus, qui croyait certainement en Jean, ne croyait pas que Jean était Élie. Il devait le croire plus tard, mais beaucoup de choses allaient lui arriver avant que cette croyance ne devienne possible et nécessaire. Ce que Jésus alla voir en Jean-Baptiste était un prophète. Et il vit un prophète, et il l’entendit proclamer que le Jour grand et redoutable de l’Éternel était proche. Un homme féroce et décharné, vêtu d’une peau de chameau rugueuse, qui ne mangeait aucune nourriture autre que ce que l’endroit pierreux pouvait lui donner - du miel sauvage et des sauterelles, [ p. 13 ] vermine du désert - parlait avec véhémence de la Colère imminente et du Puissant à venir.
« Celui qui a un van à la main vannera son aire, amassera son blé dans son grenier, et brûlera la paille au feu qui ne s’éteint pas. »
Pourtant, on pourrait échapper à la colère et au jugement de Celui qui viendrait par le baptême de rémission des péchés. Ceux qui portaient la marque de ce nouveau sacrement, car aucun Juif n’avait été baptisé avant la venue de Jean, ceux qui se repentaient de leurs péchés et étaient lavés dans le Jourdain en signe, ses brebis descendaient au ruisseau et étaient lavées, et une nouvelle marque brillante était apposée sur eux par le berger. Ceux-là échapperaient si leurs actes étaient fidèles à leur marque de régénération. Ceux-là, Celui qui viendrait les épargnerait.
John dit d’un ton sombre :
« Il vient après moi un plus fort que moi, dont je ne suis pas digne de délier la courroie. Moi, je vous baptise d’eau, mais lui, il vous baptisera de feu. »
La menace de cette épreuve ardente frappa de peur certains, dont l’esprit était insensible. Les pharisiens, qui croyaient que le livre des [ p. 14 ] prophètes était clos depuis longtemps, et les sadducéens, qui croyaient à peine aux prophètes, étaient parmi ceux qui sortirent pour voir et restèrent terrifiés. Ils n’étaient pas nombreux, car peu de pharisiens s’attendaient à une nouvelle révélation, et peu de sadducéens la désiraient ; mais suffisamment pour que Jean-Baptiste se retourne contre eux avec ces paroles cinglantes :
« Enfance de vipères ! Qui vous a conseillé de fuir la colère à venir ? »
« Descendance de vipères ! » Ce nom devait s’attacher à eux et être mis dans la bouche de Jésus lui-même, bien que son nom pour les pharisiens et sa condamnation à leur égard soient différents de ceux de Jean. La vision que Jean avait d’eux était la sienne, celle d’un anachorète du désert qui avait vu les serpents s’éloigner devant le feu qui approchait.
Pourtant, Jean les baptisa, avec un avertissement féroce, méfiant quant à leur repentance :
« Produisez des fruits dignes de la repentance. Et ne pensez pas dire en vous-mêmes : “Nous avons Abraham pour père.” Je vous dis que Dieu peut prendre ces pierres et en faire des fils d’Abraham. La cognée est déjà mise à la racine des arbres. Tout arbre [ p. 15 ] qui ne porte pas de bons fruits sera coupé et brûlé. »
Mais les pharisiens et les sadducéens qui obéirent au commandement de Jean de se repentir et de se faire baptiser étaient peu nombreux. Les sadducéens avaient fait la paix avec le monde, et les pharisiens avec Dieu. Les pharisiens, qui gouvernaient chaque acte de leur vie par la Loi, écrite et non écrite, devaient-ils se confesser pécheurs ayant besoin de repentance ? Ils avaient agi avec justice envers Dieu, ils avaient étudié les livres de sa Loi, ils en avaient extirpé jusqu’à la dernière goutte de précepte, dans leur agonie pour marcher dans ses voies ; par conséquent, la colère à venir, si elle survenait, les trouverait sans crainte. C’étaient des hommes justes.
Et au sens le plus profond où ce mot peu enviable de « juste » ait jamais été employé, les pharisiens étaient des hommes justes. Ils n’étaient pas nombreux – environ six mille dans tout le pays – une confrérie de serviteurs de Dieu, membres d’une Église stricte et étroite, telle que le christianisme lui-même en a produit maintes fois depuis, et se glorifiaient de la création ; des hommes qui servaient le Dieu qu’ils connaissaient, de la manière qu’ils connaissaient. Ils traitaient [ p. 16 ]leur Dieu avec justice et attendaient de lui justice. Sans aucun doute, ils l’obtinrent. Car ce n’était pas le Dieu qu’ils servaient qui les flétrissait à jamais du nom d’hypocrites. C’était un autre Dieu ; et lui, lorsqu’ils refusèrent de se repentir à l’appel de Jean-Baptiste, n’était pas encore né.
Les pécheurs et les gens du commun, qui savaient que la Colère ne les laisserait pas indemnes ; les collecteurs d’impôts et les soldats qui se vendaient à la puissance étrangère ; les prostituées qui se vendaient à tout le monde, ceux-là obéirent à l’appel de Jean. Les hommes et les femmes qui avaient quelque chose à se repentir se repentirent. Et ils demandèrent ce qu’ils devaient faire. Ils s’étaient repentis, ils avaient été baptisés, ils s’étaient sauvés de la colère, mais qu’allait-il se passer ensuite ?
Jean lui-même ne le savait guère. Ce qui allait suivre, pour lui, c’était le Tout-Puissant, la Colère et la Fin de toutes choses. Face à cette fin imminente, toute action humaine paraissait grotesque et dénuée de sens. Et les paroles de Jean à ses convertis anxieux, rapportées par lui-même, sont teintées de futilité. Les collecteurs d’impôts demandèrent : « Que ferons-nous ? »
Il répondit : « N’exigez pas plus que ce qui vous est dû. »
Les soldats dirent : « Que devons-nous faire ? »
[ p. 17 ]
Il répondit : « Ne soyez pas tyrannique ; n’arrêtez pas les gens sur la base de fausses accusations ; contentez-vous de votre salaire. »
Et il dit au peuple en général : « Que celui qui a deux chemises en donne une à celui qui n’en a pas ; et que celui qui a de la nourriture fasse de même. »
Jean ne trouvait rien de mieux à dire. Ses paroles frappaient de tiédeur, voire de froid, les âmes échauffées par sa vision de la Fin de Tout. Il lui aurait fallu plus qu’un prophète pour enseigner une telle apocalypse. Dans ses paroles, nous percevons encore, au fil des siècles, la voix hésitante de celui qui voit assurément des choses intemporelles, mais qui est incertain dans le monde du temps. Quant à la conduite à tenir, pendant l’intervalle écœurant où la fin n’était pas encore arrivée, il n’avait pas plus à dire que les pharisiens eux-mêmes. Pour leur rendre justice, ils en auraient dit plus que lui ; ils auraient au moins dit au soldat et au publicain : « Quittez votre service de mercenaire. »
Mais Jean n’avait pas d’yeux pour les choses qui sont, mais seulement pour celles à venir ; et même celles-là, il ne pouvait les voir. Le Plus Puissant était parmi les pécheurs qu’il baptisait, mais il ne le reconnut pas. [ p. 18 ] Il ne fut ni le premier, ni le dernier prophète à être ébloui par sa propre vision et à cligner des yeux, déconcerté, devant le monde qui est. Que quelqu’un parmi sa foule de pécheurs soit le Plus Puissant que lui – cette pensée ne lui traversa jamais l’esprit : car ce n’était rien d’autre que la pensée ardue, presque impensable, que le monde intemporel et le monde dans le temps ne font qu’un.