[ p. 3 ]
La vie de Jésus de Nazareth, dont ce récit est question, commence avec son baptême, vers l’âge de trente ans, par Jean-Baptiste. De sa vie avant ce moment critique, nous ne savons rien, si ce n’est ce que nous disent ses propres paroles et ce que nous pouvons en déduire avec certitude.
Ce que nous pouvons ainsi établir ou conjecturer sur la naissance, l’enfance et la jeunesse de Jésus est assez peu de chose, mais c’est d’une profonde importance.
Alors qu’il enseignait dans le Temple dans les derniers jours avant son arrestation et sa crucifixion, il posa à son peuple cette question importante :
Comment les scribes peuvent-ils dire que le Messie est le fils de David ? Car David lui-même, parlant par l’Esprit Saint, a dit : [ p. 4 ]
Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite,
Jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis un marchepied pour tes pieds.
David lui-même l’appelle « Seigneur ». Alors comment peut-il être son fils ? Ainsi, il est établi, par les propres paroles de Jésus, qu’il ne descendait pas de la lignée de David ; et il s’ensuit inexorablement que les récits de la descendance et de la naissance de Jésus dans les Évangiles de Matthieu et de Luc ont la beauté non pas de la vérité, mais de la légende. La naissance dans la crèche de Bethléem, l’étoile d’Orient, la visite des Rois Mages, sont dénuées de toute réalité historique. Ces événements merveilleux ne se sont pas produits. Ce qui est arrivé était plus merveilleux encore. Joseph, charpentier du village de Nazareth en Galilée, et sa femme Marie, eurent un fils. Il est peu probable qu’il ait eu quoi que ce soit d’extraordinaire ; les hommes au génie imposant sont rarement des enfants extraordinaires. Sa mère ne voyait rien de bien extraordinaire en lui, car elle n’a jamais cru en lui. Son père est une figure totalement obscure ; il n’est même pas mentionné dans le premier Évangile de Marc ; et il est même possible que l’affirmation selon laquelle [ p. 5 ] il était charpentier ait été déduite du fait que Jésus l’avait été. Quoi qu’il en soit, il est évident que Joseph, le père, avait Il a disparu de la vie de Jésus très jeune. Il est probable qu’il soit mort alors qu’il était bébé. Nous devons concevoir Jésus, pendant la majeure partie de son enfance, comme un petit garçon orphelin de père. Il avait quatre frères, Jacques et José, Jude et Simon, et au moins deux sœurs. Nous ne pouvons pas dire où il se trouvait parmi eux ; mais il est plus probable qu’il ait été parmi les plus jeunes que parmi les aînés.
Bien que, de son baptême à sa mort, Jésus ait été complètement séparé de sa famille, il serait inhumain de conclure que cette incompatibilité remontait à son enfance. Il était peut-être un petit garçon solitaire, mais certainement pas malheureux ; il jouait, comme tout petit garçon, aux bals et aux funérailles sur la place du marché ; et il observait, d’un œil curieux et émerveillé, les petites affaires d’une famille pauvre : la mise à lever de la pâte, le balayage minutieux du sol pour récupérer un sou perdu, le rapiéçage d’un manteau si usé que le morceau de tissu neuf arrachait le vieux. Sa mère devait être pauvre jusqu’à un certain point. Dans l’au-delà, Jésus pouvait repérer une pauvre [ p. 6 ] veuve dans la foule et savoir d’instinct que le demi-penny qu’elle déposait dans la tirelire du Temple était tout ce qu’elle possédait.
Sur le plan matériel, et en ce sens seulement, l’enfance de Jésus fut maigre. Il savait ce que c’était que d’avoir faim ; et on peut supposer que la maigre subsistance de ses jeunes années était en partie la cause des deux caractéristiques contradictoires de sa virilité : son endurance physique et sa fragilité constitutionnelle. Pendant de nombreuses semaines après son baptême, il souffrit de faim dans le désert ; pendant de nombreux mois de son « ministère », il vécut la dure vie d’un fugitif, et tout allait bien ; pourtant, sur la Croix, il mourut en moins de six heures, alors que le criminel ordinaire en souffrait souvent deux jours. Une grande partie, incroyablement, de sa faiblesse finale devait être due aux exigences incessantes et toujours croissantes de son esprit envers son corps ; mais pas tout. Il y avait une fragilité fondamentale, et elle provenait probablement des rigueurs de son enfance.
Néanmoins, ce fut une enfance pleine et heureuse, et bien plus que ce que ces épithètes, ou n’importe quel autre, peuvent exprimer. L’enfance de Jésus fut d’une importance capitale pour lui. Il la considéra, plus tard, comme un âge de plénitude, et il sentit que sa vie de petit garçon avait été plus riche et plus vraie que sa vie [ p. 7 ] d’homme, et qu’en grandissant, il avait perdu quelque chose d’infiniment précieux que le monde entier valait la peine de reconquérir. Il trouva à ce quelque chose de multiples noms : tantôt il l’appela le Royaume de Dieu, tantôt la Vie elle-même. C’était un état de sécurité, de spontanéité, de liberté face à tout doute et à toute division. Il ne l’oublia jamais.
Il devint donc charpentier, sans aucun doute un bon charpentier ; car il y a chez lui une perfection instinctive qui nous le fait imaginer un homme habile, mais délicat. Il avait étudié la Loi et les Prophètes ; aucun scribe ni aucun pharisien ne connaissait les Écritures comme lui, avec la même maîtrise créatrice et aisée. Il sentait connaître, et il connaissait, la voix authentique de Dieu parmi les nombreuses voix de ses prophètes. Mais il se rebella contre la Loi inflexible et les mille interprétations rigides et futiles de la Tradition. Si c’était cela la religion, il n’en voulait pas.
De cette époque de rébellion, nous ne savons absolument rien. Ce qui lui est arrivé durant ses années fatidiques, entre vingt et trente ans, nous est caché ; nous savons seulement qu’il est devenu ce qu’il était : le plus profond [ p. 8 ] enseignant, le héros le plus courageux, l’homme le plus aimant que le monde ait jamais connu. Ce qui l’a amené à ce niveau, nous l’imaginerons selon notre conception de la formation des plus grands hommes. Une ou deux choses sont certaines. Il s’est jeté dans le monde ; l’expérience directe et directe de la vie, et plus que celle de la vie villageoise, transparaît dans toutes ses paroles. Il a souffert ; il était voué à souffrir. Nul homme n’apprend l’amour infini autrement que par l’infinie souffrance. Et une troisième chose est certaine : il a péché. Nul homme n’a jamais été moins charlatan que Jésus. Lorsqu’il est allé se faire baptiser par Jean, il est allé se faire baptiser pour « la rémission de ses péchés ». Il fut le dernier homme sur terre à rechercher un tel baptême s’il n’avait pas été conscient de son péché. Nul homme n’a méprisé plus profondément que lui les simples rituels et les cérémonies vides de sens. Il a été baptisé pour ses péchés parce qu’il avait péché.
Mais le péché est un mot vague. Les péchés d’un grand homme ne sont pas ceux d’un petit homme ; et le péché le plus grave d’un homme sensible serait imperceptible à une conscience endurcie. Les péchés de Jésus étaient ceux d’un homme d’un génie spirituel suprême, qui savait et enseignait que l’acte extérieur était moins [ p. 9 ] significatif que l’attitude intérieure. Pour un tel homme, un désespoir intérieur concernant l’existence de Dieu serait bien plus terrible que toute vie sans loi où ce désespoir intérieur trouverait son expression.
Il serait insensé de spéculer davantage sur la nature du péché de Jésus. Il suffit de dire que, convaincu d’avoir péché, il l’avait fait ; et qu’à l’annonce de l’apparition de Jean, prêchant la fin imminente du monde et le baptême pour la rémission des péchés, il descendit de Nazareth vers un lieu désert au bord du Jourdain pour être baptisé par lui. Il avait alors environ trente ans. C’est à cet âge, et en ce lieu, que Jésus entre pour la première fois dans l’histoire. C’est avec son baptême par Jean que commence notre véritable connaissance de lui.