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On ignore combien de temps il fallut à Jésus pour en arriver à ce point d’excommunication par la religion de son peuple. Dans le récit de Marc, la rupture avec les pharisiens et la synagogue apparaît rapide et soudaine ; il se pourrait bien qu’elle ait eu lieu. L’affirmation stupéfiante de Jésus d’agir par l’autorité immédiate de Dieu a dû lui attirer rapidement l’attention sur la piété de la Loi ; et une Église outragée n’a jamais hésité à faire appel au bras séculier.
Néanmoins, il est possible que la rapidité du récit de Marc soit illusoire. Il n’y a pas de dates. Transmettre l’impression d’un temps écoulé sans les dater est la grande réussite d’un écrivain talentueux. Marc n’était pas de cet avis. Il est le récit naïf d’incidents marquants et cruciaux tels que l’esprit âgé de Simon Pierre s’en souvenait. Des mois ont pu séparer des événements qui, dans son récit, [ p. 100 ] semblent se succéder jour après jour. Nul ne peut dire combien de temps s’est écoulé entre le début de la prédication de Jésus et son sacrifice final ; il se peut que la tradition d’un ministère de trois ans, contenue et développée dans le quatrième Évangile, repose sur une véritable réminiscence. Elle n’entre pas en conflit avec le récit de Marc, qui est simplement le récit de ce que le principal disciple de Jésus se rappelait dans sa vieillesse des événements survenus pendant sa vie commune. Le récit est, comme on peut s’y attendre en pareil cas, vivant et détaillé au début du ministère et à la fin. Pour le reste, il s’agit d’incidents épars, remémorés dans un brouillard d’apothéose. Mais même tel qu’il est, il parle d’une interruption d’une durée inconnue lorsque Jésus envoya ses disciples proclamer son message alors que lui-même restait caché, et d’une autre alors qu’il voyageait seul à travers l’extrême nord.
Il est impossible de savoir si, comme le raconte l’auteur du quatrième Évangile, Jésus a effectué d’autres voyages pascaux à Jérusalem avant celui qui s’est terminé par la Passion. Mais s’il en a fait, ils étaient sans importance, ou le récit de Marc serait différent. Le fait que Jésus ait eu des amis à Béthanie n’implique rien à cet égard, car beaucoup sont venus de Judée [ p. 101 ] et de Jérusalem pour trouver le prophète de Galilée, et il a certainement trouvé des amis et des disciples parmi eux. Mais il est probable que le ministère de Jésus ait duré plus longtemps que ne le suggère l’impression immédiate de l’Évangile de Marc. Outre la fuite vers le nord et l’intervalle inconnu pendant lequel Jésus a envoyé ses disciples, que Marc lui-même se plaît à combler par son récit de la mort de Jean-Baptiste, il y a eu un ministère à Bethsaïde dont nous n’avons que des traces très vagues, et un autre à Chorazin dont nous n’avons absolument aucune trace. Trois ans ne seraient pas trop longs, et un an semble trop court, pour les événements présupposés dans les paroles authentiques de Jésus.
Malgré cela, on peut croire que Marc donne une impression substantiellement fidèle de la rapidité avec laquelle Jésus s’est opposé aux pharisiens et à la religion de la synagogue. Jésus ne tarda pas à être exilé de Galilée. Après avoir osé défier définitivement la Loi en guérissant l’homme à la main sèche le jour du sabbat, le contexte du portrait de Marc change. Ce n’est pas le changement délibéré d’un historien conscient ; il est fait inconsciemment, et les récits évangéliques sont si familiers que nous aussi, nous en sommes inconscients. [ p. 102 ] Mais il est là. Immédiatement après avoir déclaré que les pharisiens et les hérodiens complotaient pour détruire Jésus, Marc dit que lui et ses disciples se retirèrent au bord du lac. Rien ne permet de supposer que la synagogue où la main sèche fut guérie se trouvait à Capharnaüm. Il s’agit simplement d’une synagogue. Auparavant, ses disciples cueillaient du blé dans les champs. Derrière ces vagues indications se cache un voyage à l’intérieur des terres. Jésus avait « prêché dans les synagogues dans toute la Galilée », et avec lui se trouvaient Simon et André, Jacques et Jean, qui n’étaient plus pêcheurs du lac, car ils avaient abandonné leur vocation à son appel et étaient devenus pêcheurs d’hommes sur la terre ferme.
Or, à un moment donné, un nouveau contexte apparaît. Jésus est exclu des synagogues : dans le récit de Marc, il ne prêche ou n’enseigne qu’une seule fois dans une synagogue. Lui et ses quatre disciples se retirent au bord du lac. Apparaissent soudain une barque et une montagne appelée la montagne. Jésus appelle sur cette montagne les hommes qu’il veut, et parmi eux, il choisit huit autres disciples proches, portant [ p. 103 ] le nombre à douze. La montagne, le bord du lac, les voyages précipités et fatigants d’un côté à l’autre, les douze choisis, les paraboles publiques et les explications privées : tout cela entre ensemble dans le récit de Marc, non pas dans un ordre chronologique précis, mais simultanément. On peut imaginer Simon Pierre, dans sa vieillesse, racontant les incidents à Jean Marc à des moments dispersés. « Quand cela s’est-il produit, monsieur ? » demande Jean Marc. « Juste après que les pharisiens se soient joints aux hommes d’Hérode », dit Pierre. Et Jean Marc le note ; Mais lorsqu’il en vient à mettre ses tablettes en ordre, il découvre que beaucoup de choses se sont produites « juste après » que les pharisiens se sont joints aux hommes d’Hérode. Mais ce qui s’est passé après quoi, et pourquoi, il l’ignore.
Tel est, aux yeux du critique littéraire, l’Évangile de Marc : les principales divisions historiques sont là, fortement marquées ; et la séquence psychologique principale est empreinte d’authenticité : « Ce n’est pas ainsi qu’on invente ». Mais les détails de cette séquence sont parfois confus. La situation se présente approximativement ainsi. Jésus et ses quatre disciples ont été chassés de Galilée. Il donne à ceux [ p. 104 ] qui souhaitent le suivre l’ordre de le retrouver sur une montagne, de l’autre côté du lac, dans la campagne sauvage qui faisait peut-être partie du territoire de Gergasa, une cité grecque de la Décapole. Il se trouve là, dans une sorte de no man’s land, à l’abri des machinations des pharisiens et libéré des craintes d’Hérode Antipas. Mais s’il veut proclamer son message, il doit le faire en Galilée. La barque qui le mènera à la montagne le ramènera sur la côte de Galilée. De temps à autre, il descend donc sur la côte galiléenne, prêchant et enseignant depuis la barque que la fuite pourrait être facile dès que l’alarme sera donnée. Il ignore dans quelle mesure le pouvoir civil soutient les pharisiens ; mais il a, compte tenu du précédent de Jean avant lui, de bonnes raisons de craindre le pire. Le principal désir des pharisiens est qu’il soit empêché de contaminer la Galilée. Des scribes de Jérusalem sont aux aguets pour le rencontrer, le réfuter lorsqu’il apparaît et contrecarrer son influence en son absence. Ses descentes sur la côte de Galilée sont constamment contrariées, bien qu’en une occasion, il parvienne à pénétrer dans l’intérieur des terres lors d’un voyage inutile vers sa ville natale. Finalement, lors d’une autre tentative de prêche en Galilée, sa retraite vers les rives du lac et la barque sont coupées et il est contraint de fuir vers [ p. 105 ] le nord par voie terrestre, vers les territoires de Tyr et de Sidon, et de regagner « l’autre rive » par un long et tortueux voyage.
Tel est, en gros, le nouveau contexte du récit. Jésus n’habite plus chez Simon à Capharnaüm, mais sur la montagne, de l’autre côté. Là, il rassemble ses élus et instruit ses disciples afin qu’ils puissent porter son message au loin, là où sa présence est interdite.