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L’appel des douze, dans le récit de Marc, suit immédiatement la déclaration de guerre contre Jésus et sa retraite au bord du lac. « Il monta sur la montagne, dit Marc, et appela les hommes qu’il voulait, qui vinrent à lui ; il en désigna douze pour être avec lui, pour envoyer proclamer le Royaume et avoir le pouvoir de chasser les démons. » Le processus est clair. Parmi un plus grand nombre de personnes qu’il convoqua, douze furent choisis, plus proches l’un de l’autre. Parmi eux, Simon et André, Jacques et Jean, avaient déjà été proches de lui ; Lévi, le fils d’Alphée, aussi, si Matthieu est le même homme. Mais il n’y a aucune raison valable de supposer que Lévi et Matthieu soient le même homme. Ils étaient tous deux publicains, il est vrai ; mais Jésus avait souvent affaire à des publicains et à des pécheurs. Et le fait que Marc rapporte « l’appel » de Lévi ne signifie pas nécessairement que Lévi fut ensuite nommé l’un des Douze.
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L’appel des Douze. Car la nomination des Douze semble avoir été un acte solennel. Auparavant, Jésus avait eu des disciples, mais pas d’apôtres. Par leur nomination, Simon et André, Jacques et Jean entrèrent dans une nouvelle condition. Eux et les huit autres devinrent désormais des délégués élus de l’autorité de Jésus. Avant cela, Jésus n’avait pas eu besoin de déléguer son autorité, ni pour proclamer son Royaume, ni pour chasser les démons. Il avait pu l’exercer lui-même en personne. Mais maintenant, cette possibilité avait disparu. La Galilée lui était fermée.
Que les nouveaux apôtres soient douze, c’est aussi un acte solennel. Ils étaient douze pour les douze tribus d’Israël. Leur fonction était de proclamer le Royaume à toute la Judée. « Vous n’aurez pas couvert les douze tribus d’Israël », leur dirait-il lorsqu’il les enverrait enfin, « avant que le Fils de l’homme ne soit venu. » Le Fils de l’homme n’était pas Jésus lui-même ; il était le Juge surhumain et mystérieux qui devait établir le Royaume de Dieu, dont Jésus connaissait à la fois l’imminence et le secret.
Le temps de la venue des Douze n’était pas encore venu. Ils connaissaient l’imminence du Royaume [ p. 108 ] de Dieu, mais ils n’en connaissaient pas le secret. Mais Jésus allait le leur enseigner. Le secret du Royaume était plus important pour son message que son avènement, car ce secret lui appartenait entièrement. Jean avait eu connaissance de sa venue, mais Jésus en avait découvert le secret.
Les disciples et les Douze sont désormais distincts. Mais non pas parce que le secret fut transmis aux seuls Douze. Il fut transmis à tous : aux foules lorsque Jésus eut l’occasion de leur parler, aux disciples qui le suivirent sur la montagne, et aux Douze choisis parmi eux. Les Douze étaient distincts uniquement parce qu’ils devaient constamment « être avec lui » et être envoyés revêtus de son autorité. Mais il y avait aussi de nombreux disciples. Marc parle de « ceux qui l’entouraient, avec les Douze ». Il y avait des disciples et des apôtres sur la montagne avec lui, mais tous deux étaient disciples. Tous deux partageaient le secret du Royaume, s’ils avaient des oreilles pour l’entendre.
De tous les Douze, Simon, Jacques et Jean étaient les plus proches de Jésus. Parmi les Douze, ils étaient les chefs, et leur intimité avec Jésus, et le type d’intimité qu’elle était, est révélée par les noms qu’il leur donna. Donner ces noms – des surnoms [ p. 109 ], en vérité – n’était pas un acte solennel. Les noms eux-mêmes ne sont pas solennels. De toute évidence, dans le cas de Jacques et Jean, « les Fils du Tonnerre », le nom était le fruit d’une affection souriante. Ils étaient pour Jésus aimables et légèrement absurdes, et d’autant plus chers qu’ils avaient une pointe d’absurdité. Le précieux aperçu d’eux offert par l’Évangile de Luc fournit l’explication parfaite de la signification de leur nom. Ils n’auraient rien aimé plus que de pouvoir appeler le feu et le soufre sur le village samaritain qui refusait d’héberger leur maître. Ils le considéraient comme le grand Roi, et eux-mêmes comme ses vice-rois sévères, condamnant ceux qui refusaient d’obéir. Il leur fut très difficile de comprendre le secret du Royaume, et jusqu’à la fin ils n’y parvinrent pas.
Simon était appelé Pierre, « le Rocher ». On a tellement construit sur ce rocher qu’il peut sembler subversif de suggérer que le nom de Simon, « le Rocher », était également donné avec un sourire, et qu’il signifiait Simon le Chancelant. Cependant, nous croyons qu’il a été donné ainsi, et qu’il signifiait bien cela. On sait quelque chose du caractère de Simon, non seulement grâce au [ p. 110 ] récit des Évangiles, mais aussi grâce à l’épître de saint Paul aux Galates. Parmi les douze apôtres, il apparaît le plus réel à travers le passé et l’abîme du temps ; lui seul est véritablement humain pour nous et non pas seulement l’ombre d’un nom comme André, ou la créature de l’imagination, comme le disciple bien-aimé du quatrième Évangile. Et si, comme nous en sommes convaincus, l’Évangile de Marc est essentiellement le souvenir de Simon dans sa vieillesse, nous en savons, en vérité, beaucoup sur lui. Mais pour Simon lui-même, rien n’aurait jamais dû être connu de son triple reniement de son Maître ; Le fait qu’il ait raconté cette histoire témoigne avec éloquence de la noblesse intérieure de cet homme. Il était faible et fort. En lui, en effet, l’esprit était ardent et la chair faible. Seul des Douze eut par moments une vision intérieure de ce qu’était son Maître. Il vit véritablement des choses que la chair et le sang ne lui avaient pas révélées : il possédait une intuition spirituelle.
Sa reconnaissance de Jésus comme Messie, au plus fort de sa défaite terrestre, fut un acte de vision créatrice ; il en fut de même, plus tard, lorsqu’il accepta le gentil Corneille dans l’Église primitive. Mais le courage de Simon ne fut pas à la hauteur de sa vision. Après le premier acte, [ p. 111 ] il recula devant l’idée d’un Messie souffrant et s’attira les foudres de Jésus pour « penser comme un homme et non comme Dieu » ; après le second, sous l’influence du fanatique Jacques, il se retira du nouveau terrain qu’il avait hardiment conquis. Avancement audacieux et retrait craintif étaient les habitudes de Simon. Seul, il suivit Jésus captif dans la cour du grand prêtre : mais là, son courage lui manqua. Le grand, le pauvre Simon !
Et pourtant, particulièrement grand et tout à fait aimable. C’était un homme bien réel et vivant ; et nous ne nous étonnons pas, en le découvrant, qu’il ait été le premier et le plus proche des élus de Jésus. Il comprenait mieux Jésus que les autres ; et il l’aimait davantage. Si, comme nous le croyons, l’Évangile de Marc est en substance celui de Simon, lui seul a préservé le secret du Royaume ; rien ne le touche autant que le quatrième chapitre de Marc. Sans ce chapitre, l’essence même de l’enseignement de Jésus aurait pu être perdue. C’est Simon aussi qui, le premier des apôtres, vit Jésus ressuscité ; et c’est la première vision qui compte. Quand on a vu, il est facile pour les autres de voir. Mais être le premier à voir, c’est avoir arraché, sans aide, par la seule force d’un amour passionné, la victoire à la défaite.
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Jésus ~ Homme de Génie Mais Simon n’était pas ferme comme un roc ; sa grandeur était d’une autre sorte. Il voyait beaucoup, aimait beaucoup, mais il ne pouvait se maintenir sur la hauteur. Il était appelé Simon le Rocher dans une ironie amoureuse. Jésus connaissait son homme, et le connaissant, il l’a choisi pour son plus proche Simon le Chancelant, mais seul Simon pouvait toucher la hauteur d’où il est tombé, et vers laquelle il a lutté pour revenir. Quand Jésus a appelé Simon le Rocher, il n’y avait aucune amertume dans son ironie : quand Paul a parlé de « la colonne de l’Église », il y en avait. Paul était un grand homme ; Simon n’a eu que ses moments de grandeur : mais la grandeur de Simon dans ses grands moments était plus proche de la grandeur de Jésus que celle de Paul ne l’a jamais été.