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Ce fut un repas d’adieu solennel, comme celui, plus solennel encore, qu’il allait partager avec ses disciples, diminués à Jérusalem. Mais la glorieuse révélation du Fils de l’homme n’eut pas lieu. Le temps n’était pas encore venu. Les cinq mille hommes se dispersèrent. Il dit à ses disciples de ramer vers Bethsaïde et monta sur la montagne pour prier.
Il s’apprêtait à tenter à nouveau de proclamer le message en Galilée, et il avait besoin d’être assuré que telle était la volonté de son Père. Il avait envoyé ses hommes à Bethsaïde, ville frontière de la tétrarchie de Philippe, d’où il pouvait en un instant passer en Galilée par terre ou par mer. Alors qu’ils ramaient de nuit, contre un vent contraire et une mer démontée, ils eurent, ou l’un d’eux, une vision de Jésus marchant vers eux sur l’eau et leur demandant de reprendre courage. Ce qu’ils firent, et ils arrivèrent à Bethsaïde.
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C’est là, semble-t-il, qu’il les rencontra. Ayant reçu la bénédiction divine, il avait fait le tour du lieu de rencontre par voie terrestre. Il monta à bord et fut conduit à Génésareth en Galilée. On peut l’imaginer, lui et ses hommes, campant sur le rivage, prêts à embarquer dans leurs barques et à partir.
La nouvelle de sa réapparition et de la foule qui le suivait parvint aux pharisiens. Ils étaient descendus de Jérusalem. Revinrent-ils précipitamment à la nouvelle de la descente de Jésus en Galilée, ou y restèrent-ils, après que leur alliance avec les dignitaires d’Antipas l’eut contraint à l’exil, comme une sorte de garnison spirituelle pour anéantir son influence et se protéger d’une nouvelle invasion ? On ne sait pas. Ce récit, pour ce qui est des détails matériels du bref ministère de Jésus, ne prétend être qu’une construction imaginaire crédible, issue d’une masse de données absolument inconciliables. Mais il semble plus probable que les pharisiens et les scribes de Jérusalem soient restés en Galilée, aux aguets, en prévision d’une descente semblable à celle que Jésus allait entreprendre.
Il est plus que douteux qu’ils aient réellement bénéficié du pouvoir civil d’Antipas. Probablement [ p. 153 ] ne pouvaient-ils compter que sur le zèle religieux des autorités locales. À Machaerus, Antipas avait, à peu près à la même époque, exécuté Jean-Baptiste, il est vrai ; mais il avait agi à contrecœur, sous une sorte de contrainte d’honneur. C’est en effet sous une sorte de contrainte qu’il l’avait arrêté. Car Jean avait ouvertement proclamé que son mariage avec Hérodiade, la femme divorcée de son demi-frère Philippe, était incestueux. Mais Antipas craignait le prophète et était à moitié enclin, malgré toute sa culture grecque, à croire à sa terrible menace de la Colère à venir. Peut-être nourrissait-il l’espoir superstitieux qu’en gardant Jean en otage, il pourrait se mettre à l’abri derrière lui du terrible souffle du grand van. Antipas était un Juif hellénisé ; Son scepticisme envers les Grecs n’était probablement qu’apparent, tout comme, on peut l’imaginer, sa foi juive. Il était le « Juif crédule » cosmopolite de la satire d’Horace, qui ne pouvait plus rien croire et, par conséquent, croyait tout.
Il devint l’auditeur fasciné du sombre prophète dans sa prison. Ce qu’il prophétisait pouvait être vrai. Pourquoi pas ? En tout cas, il ne prendrait pas le risque de suivre l’avertissement persistant d’Hérodiade, [ p. 154 ], et de le tuer. Mais lors d’un banquet d’anniversaire donné à ses principaux fonctionnaires, qui étaient grécisés comme lui, la fille d’Hérodiade, Salomé, le ravit, lui et ses invités, par sa danse, au point qu’il promit de lui donner tout ce qu’elle demanderait. Elle resta, bien sûr, incrédule. Mais il confirma sa promesse par un serment solennel : il lui donnerait jusqu’à la moitié de son royaume tout ce qu’elle demanderait. Elle sortit et dit à sa mère : « Que demanderai-je ? » Sa mère répondit : « La tête de Jean-Baptiste. » La jeune fille revint et dit à Antipas qu’elle voulait qu’il lui donne la tête de Jean-Baptiste sur un plat. Le roi fut pris au piège : devant sa compagnie grécisée, il n’osa pas manquer à son serment solennel. Il envoya un soldat apporter la tête. Il l’apporta sur un plat et le donna à la fille, qui le donna à sa mère.
Il était naturel que l’esprit superstitieux et inquiet d’Hérode, apprenant les agissements de Jésus en Galilée, ait immédiatement conçu l’idée que Jésus était Jean-Baptiste ressuscité. S’il avait hésité à en finir avec Jean, il aurait été doublement réticent à tenter une seconde exécution. Il aurait aimé le voir, sans doute pour s’assurer qu’il était bien Jean ressuscité. Mais il ne tenait [ p. 155 ] pas à l’arrêter, et encore moins à se retrouver dans une situation où le sang d’un autre prophète pourrait retomber sur sa tête. La réticence d’Hérode dans cette affaire était une raison de plus pour que les pharisiens ne relâchent pas leur vigilance. Le récit de Luc indique qu’ils s’acharnaient à répandre la fausse rumeur selon laquelle Hérode avait déclaré la guerre au nouveau prophète. Marc ne parle que d’une alliance entre les pharisiens et les fonctionnaires d’Hérode. Il semble probable que ce soit leur rapport à Hérode, demandant des instructions, qui lui soit parvenu peu après l’exécution de Jean, et qui ait motivé sa croyance que Jésus était Jean ressuscité. On leur aurait conseillé d’être prudents ; quelle que soit la réalité de cette action concertée contre Jésus entre les fonctionnaires d’Hérode et les pharisiens, ces derniers ne pouvaient plus compter sur l’aide des hérodiens. C’était une nouvelle qu’ils n’auraient certainement pas publiée. Leur mission était de maintenir Jésus et ses disciples dans la persuasion qu’Hérode était contre eux. L’exécution de Jean a dû amener Jésus à s’attendre au pire de la part [ p. 156 ] d’Hérode. Comment pouvait-il savoir qu’Hérode le soupçonnait d’être une réincarnation de Jean, ou qu’il avait hésité à aller jusqu’au bout contre Jean, et qu’il le serait encore plus contre lui-même ?
Derrière les pharisiens, pour Jésus, se trouvait l’autorité incalculable d’Hérode. Pour lui, ils étaient ligués contre lui. C’est pourquoi, lors de sa descente à Génésareth en Galilée, il resta avec ses disciples, campant sur le rivage, à portée des barques pour une fuite immédiate. Là, les pharisiens de Jérusalem sortirent à sa rencontre. L’accusation qu’ils portaient contre lui était évidente. Ses disciples mangeaient leur pain sans s’être lavé les mains. Naturellement, ils prenaient un repas rapide en pays ennemi. Comment trouveraient-ils le temps ou les moyens de se laver rituellement s’ils l’avaient désiré ? Mais ils avaient depuis longtemps dépassé les cérémonies ; ils suivaient la nouvelle loi de leur Maître.
« Pourquoi, dirent les pharisiens à Jésus, tes disciples transgressent-ils la tradition des anciens, et mangent-ils le pain avec des mains communes ? »
Jésus n’avait ni raison ni besoin de les épargner. Il s’agissait de l’ennemi qui l’avait chassé [ p. 157 ] de son pays et de son peuple, qui avait ruiné sa mission.
Hypocrites, Ésaïe a bien prophétisé à votre sujet dans le Livre :
« Ce peuple m’honore des lèvres,
Mais leur cœur est loin de moi.
Leur culte est une moquerie,
Une tradition vide.
Vous avez abandonné le commandement de Dieu et vous vous êtes attachés à la tradition humaine. Comme vous annulez magnifiquement le commandement de Dieu pour garder votre propre tradition ! Car Moïse a dit : « Honore ton père et ta mère » ; et : « Quiconque maudit son père ou sa mère est puni de mort. » Mais vous, vous dites : « Si un homme dit à son père ou à sa mère : “Ce que j’aurais pu t’offrir est une offrande à Dieu”, il ne doit rien faire de plus pour son père ou sa mère. » Annulez ainsi la parole de Dieu par votre tradition. Et vous faites encore bien d’autres choses semblables.
Il se détourna des pharisiens vers le peuple qui était là, et dit :
« Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y [ p. 158 ] a rien d’extérieur à l’homme qui, entrant en lui, puisse le rendre impur. Ce sont les choses qui sortent de lui qui rendent l’homme impur. »
Lorsqu’il fut de nouveau seul avec ses disciples, ils lui demandèrent ce qu’il entendait par là. Il répondit :
Et vous aussi, êtes-vous sans intelligence ? Ne savez-vous pas que rien de ce qui entre du dehors dans l’homme ne peut le rendre impur, car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, et en ressort dans les égouts. Mais ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur. Car c’est du dedans des hommes que sortent les médisances, la prostitution, le vol, le meurtre, l’adultère, la cupidité, la méchanceté, la trahison, la convoitise, le mauvais œil, la calomnie, l’orgueil et la présomption. Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et rendent l’homme impur.