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Soudain, nous entendons parler de Jésus à l’extrême nord, dans les territoires de Tyr et de Sidon. Sa descente en Galilée avait échoué. Les pharisiens étaient vigilants, et pour la première fois, dans sa réponse, nous percevons la colère et le mépris cinglant qu’il leur porte, une colère qui ne cessa de se manifester lors de leurs rencontres et qui les a marqués à jamais. Ils avaient contrarié son dessein divin. À peine était-il apparu en Galilée qu’ils se dressaient contre lui. Il croyait qu’ils avaient le soutien du pouvoir civil d’Hérode, et ils encourageaient cette croyance.
Il a dû fuir précipitamment. D’après ce que nous comprenons, il semble qu’il ait pénétré dans l’intérieur des terres en passant par la Galilée. Marc rapporte l’explication de sa parole concernant la souillure donnée lorsqu’ils sont retournés « à la maison ». Il est téméraire d’insister sur un tel mot, mais il semble que Jésus soit retourné [ p. 160 ] secrètement à Capharnaüm, et qu’une alerte soudaine l’ait empêché de regagner la barque et sa cachette de l’autre côté. Il quitta la Galilée par voie de terre, par le nord, et entreprit un long et détourné voyage, traversant Tyr et Sidon, puis vers l’est, descendant à travers les villes de la Décapole, pour finalement revenir sur la rive opposée du lac et retrouver sa vieille cachette, où il avait sans doute donné l’ordre à ses disciples de l’attendre. Même à Tyr, il choisit de rester caché.
On sait peu de choses de cette grande fuite, si ce n’est son déroulement brutal et le seul incident où le démon fut chassé de la fille de la Syro-Phénicienne à Tyr. Matthieu parle de disciples avec Jésus ; Marc, d’aucun. Le récit de Marc, comme partout ailleurs, est le plus original. Jésus était seul. Le fait historique est important, mais moins précieux que l’indication que l’histoire de la Syro-Phénicienne fut racontée à ses disciples par Jésus lui-même à son retour. Car c’est une étrange petite histoire.
Il logeait quelque part, caché, à Tyr. Il y avait sans doute quelques disciples parmi les habitants juifs. Des gens de Tyr et de Sidon étaient venus l’écouter depuis longtemps. Mais [ p. 161 ] la Syro-Phénicienne n’était pas juive ; c’était une Grecque syrienne. Elle entendit parler de lui, cependant, et vint lui demander de guérir sa fille de son démon.
Il lui dit :
« Laissez d’abord les enfants manger à leur faim. Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. »
Elle a répondu :
« Oui, Maître. Mais les chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants. »
« Pour cette réponse, dit Jésus, va : le démon a quitté ta fille. »
Elle rentra chez elle et trouva l’enfant jeté sur le lit et le démon disparu.
Quel genre de maladie le démon personnifiait-il ? Impossible de le dire. Il est également inutile de mener des recherches pour lesquelles il n’existe aucune donnée ; mais il est facile, voire naturel, de croire qu’un homme comme Jésus possédait des pouvoirs de guérison spirituelle, qui étaient bel et bien spirituels, grâce à sa conviction de la présence et de la puissance de Dieu en lui. Et ces pouvoirs, nous le concevons, seraient difficiles à nier ou à expliquer pour la médecine moderne.
Ce n’est pas très important. Ce qui est important, [ p. 162 ], c’est que Jésus a dû raconter cette histoire de lui-même. C’est, dit-il, la réponse de la femme qui lui a arraché la guérison. Qu’y avait-il dans cette réponse ? Deux choses : le pathétique et un esprit vif, inséparablement combinés. Ce n’est pas à son esprit seul, ni à sa pathétique humilité qu’il avait répondu ; mais aux deux en un. À cause de son esprit, son humilité n’est pas simplement humble ; à cause de son humilité, son esprit n’est pas simplement spirituel. C’est la plaisanterie qu’une nature mortellement sérieuse ne pouvait réprimer, la parole de quelqu’un qui savait par instinct qu’elle avait devant elle un être humain complet, à qui faire appel – un prophète, un grand prophète, le plus grand de tous les prophètes – donc un prophète avec un sens de l’humour.
L’expression « le sens de l’humour » sonne crue et maladroite lorsqu’elle est employée à propos de Jésus. Le sens de l’humour appartient au vieil Adam, à son meilleur ; et Jésus était un homme nouveau. Ses qualités étaient toutes nouvelles : sa rapidité d’appréhension, sa profonde simplicité de langage, son étonnant pouvoir de révéler un abîme de sens à travers une phrase transparente ; tout cela nous apparaît dans une combinaison si harmonieuse que nous les tenons, pour ainsi dire, pour acquises. Elles semblent naturelles ; et elles le sont. Rien n’est aussi nouveau qu’un nouveau naturel, rien [ p. 163 ] n’est aussi difficile à appréhender. Une nouvelle simplicité est la plus déconcertante de toutes les réalisations humaines, et la plus durable.
Pour ceux pour qui Jésus est Dieu, souligner un trait aussi marquant chez lui que son humour relève inévitablement d’un blasphème. Pourtant, pour ceux pour qui Jésus est pleinement homme, et d’autant plus divin, son humour est infiniment précieux. L’homme de douleur est celui qui appelait Pierre « le Rocher » et Jacques et Jean « les Fils du Tonnerre » ; il était, avant tout, comme Shakespeare, un homme souriant. À ses yeux, ses principaux disciples étaient pour le moins absurdes : absurdement adorables. Ces deux fils de Zébédée que nous voyons, dans Luc, réclamer à cor et à cri le feu sur un village qui ne voulait pas les accueillir ; réclamer bruyamment de s’asseoir l’un à sa droite et l’autre à sa gauche dans le Royaume – quel nom plus parfait pour de tels enfants spirituels que « Fils du Tonnerre » ? Le sourire plein d’humour de Jésus ne faisait qu’un avec son amour et son pardon ; c’était une reconnaissance supplémentaire de la particularité divine de l’univers.
On imagine qu’il n’a pas rencontré beaucoup d’humour chez les autres au cours de sa vie terrestre. L’humour n’a jamais été une vertu juive. La religion pharisienne, [ p. 164 ] aussi grande fût-elle, n’aurait jamais pu naître dans une nation dotée d’humour ; elle aurait été tuée par le ridicule au sein d’un peuple qui partageait la vision de Jésus, celle des pharisiens filtrant les moucherons et avalant les chameaux. Cette seule phrase aurait anéanti le pharisaïsme chez un peuple amateur de rire ; et à juste titre, car l’humour est divin. C’est la protestation de Dieu contre ceux qui voudraient déformer l’homme de sa véritable forme à l’image de Dieu. La véritable Shekinah, c’est l’homme, disait Chrysostome. Quand le rire universel sera le lot de ceux qui voudraient le déformer et le souiller, le Royaume de Dieu ne sera pas loin de la terre.
Jésus n’avait donc pas le privilège de trouver beaucoup d’humour chez les siens : il le trouva chez une femme syro-phénicienne de Tyr. Solitaire et fugitif, il effectuait un long et pénible voyage. À son retour, il ne dit rien de ses malheurs, si bien que ses disciples ne se souvinrent que de l’histoire des petits chiens et des miettes. « Pour cette réponse, va-t’en : le démon a quitté ta fille. »
De Tyr, il se rendit à Sidon, puis, par un chemin détourné, loin de la Galilée, à son ancien refuge dans les montagnes de la Décapole. Là, il retrouva ses disciples ; et c’est peut-être à [ p. 165 ] la vivacité de leurs souvenirs de cette rencontre que nous devons le récit curieusement circonstancié de sa guérison d’un sourd-muet. Jésus le prit à part en privé et mit ses doigts dans les oreilles du sourd-muet ; puis il cracha et toucha sa langue avec sa salive ; puis, levant les yeux au ciel, il gémit et dit à l’homme : « Ephphatha ! (Ouvre !) ! » Aussitôt, les obstructions des oreilles et de la langue de l’homme se dénouèrent, et il se mit à parler correctement. Une fois de plus, Jésus recommanda à l’homme de ne parler à personne de sa guérison.
Il est curieux que ce récit étrangement réaliste d’une guérison de Jésus soit suivi, à quelque distance, par un autre du même genre : la guérison de l’aveugle à Bethsaïde. Ces deux récits sont uniques dans le récit évangélique. On pourrait expliquer leur apparition [1] à ce moment précis du récit [ p. 166 ] de Marc en supposant que parmi ceux rassemblés pour accueillir Jésus à son retour se trouvait un homme doté d’une vision bien plus exacte et concrète que celle du disciple qui lui avait fourni l’essentiel de son récit. C’est probable. Car, au retour de Jésus, beaucoup se rassemblèrent à nouveau autour de lui ; et une fois de plus, à la veille d’une nouvelle tentative d’entrer en Galilée pour y poursuivre son œuvre, Jésus distribua un repas sacramentel à des milliers de fils de Dieu et de membres du Royaume. Marc donne un nombre de quatre mille, soit mille de moins que les cinq à qui Jésus avait distribué le repas sacramentel la veille de sa précédente tentative d’entrer en Galilée.
Peut-être avons-nous tort d’insister sur les chiffres ; pourtant, il est difficile de ne pas y voir la preuve d’une diminution du nombre de disciples de Jésus. Suivre l’Homme qui, en vérité, n’avait pas où reposer sa tête était-il trop difficile pour eux ? La venue du Royaume était-elle trop longtemps retardée ?
Une fois de plus, nous ne pouvons que nous demander : quelle attente avaient-ils ? Quelle attente avait Jésus ? Et la réponse semble inévitable : eux, et lui, à ce moment-là, attendaient encore la venue du Fils de l’Homme. Pour eux, cette épiphanie divine était une chose ; pour lui, une autre : il connaissait le changement de la nature humaine, dont elle n’était que l’investiture miraculeuse ; eux, non. À sa [ p. 167 ] connaissance, ultime, éternelle, inébranlable, le refus d’un signe attendu n’était que la condition d’une connaissance plus pure : il avait mal interprété le dessein de Dieu dans le temps, il avait involontairement intégré à sa certitude immédiate des fragments d’une ancienne attente. Maintenant, les dernières balances de l’erreur étaient tombées de ses yeux : il connaissait l’indicible vérité. Mais pour beaucoup de ses disciples, il n’était qu’un prophète qui avait prophétisé en vain.
Pourtant, des cinq mille hommes, il en restait quatre mille. De ces quatre mille hommes, il prit solennellement congé, avant de repartir porter la merveilleuse nouvelle en Galilée. Ses disciples les plus proches le ramèrent une fois de plus sur le lac, jusqu’à un lieu inconnu que Marc appelle « les quartiers de Dalmanutha » et Matthieu « Magadan » ou « Magdala ». Il s’agit peut-être d’une déformation des quartiers autour de Tibériade – la grande cité gréco-juive sur le lac, capitale de la Galilée sous Hérode. Les pharisiens étaient toujours sur le qui-vive, prêts à l’accueillir. Ils savaient ce qui s’était passé de l’autre côté. Les mille hommes qui étaient siens, et qui ne l’étaient plus, n’avaient pas manqué de répandre la nouvelle. La joie résonnait dans la voix des pharisiens :
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« Montre-nous un signe du ciel ! »
Il gémissait en esprit. C’était le moment de la défaite extérieure. Les pharisiens triomphants étaient devant lui, se moquant de son impuissance.
« Pourquoi cette génération demande-t-elle un signe ? En vérité, je vous le dis, il ne lui sera pas donné de signe. »
La vérité : il lui était amer de la dire à cet instant à ses ennemis triomphants, les défenseurs victorieux de la Galilée. Pourtant, elle était moins vraie, car la vérité n’était pas encore née. Ils allaient recevoir un signe tel que l’esprit humain n’en avait jamais rêvé.
« Va-t’en d’ici », dirent les pharisiens, « car Hérode veut te tuer. » C’était un mensonge ; mais Jésus ne pouvait s’empêcher d’y croire. Il répondit :
Va dire à ce renard : « Voici, je chasse les démons et je guéris les morts aujourd’hui et demain, et demain mon œuvre est achevée. Pourtant, aujourd’hui, demain et après-demain, je dois continuer ma route, car il n’est pas permis qu’un prophète meure hors de Jérusalem. »
Parlé avec amertume et lassitude, par quelqu’un fatigué d’un voyage sans repos, d’un travail sans répit, il retourna au bateau et se laissa emporter.
Sa dernière tentative pour entrer dans son pays ayant échoué, le prophète discrédité [ p. 169 ] fut emmené précipitamment. Ses hommes n’avaient même pas eu le temps d’acheter du pain ; ils n’avaient qu’un seul pain dans la barque. Ils le lui dirent.
Du pain ? Du pain ? — « L’homme ne vivra pas seulement de pain. » Ses pensées étaient ailleurs, ruminant son étrange destin.
« Du pain, nous n’avons pas de pain ! » lui dirent-ils encore.
« Gardez-vous du levain des pharisiens, répondit-il, et d’Hérode. »
Oh, ces sombres paroles ! Que voulait-il dire ? Les blâmait-il de manquer de pain ? Ils murmuraient entre eux.
« Pourquoi dites-vous, dit-il d’un ton las, que vous n’avez pas de pain ? Ne voyez-vous pas ? Ne comprenez-vous pas ? Vos cœurs sont-ils endurcis ? Ayant des yeux, ne voyez-vous pas ? Ayant des oreilles, n’entendez-vous pas ? »
Ils ramèrent donc jusqu’à Bethsaïde.
Une explication différente est acceptée par de nombreux érudits modernes, à savoir que l’alimentation des quatre mille hommes et la guérison de l’aveugle à Bethsaïde sont un doublet de l’alimentation des cinq mille hommes et de la guérison du sourd-muet : autrement dit, deux récits différents des mêmes incidents ont été inclus par erreur dans le récit de Marc. Je ne le trouve pas totalement convaincant. ↩︎