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JÉSUS resta là, dans le désert, où il se trouvait, après avoir vaincu le dernier assaut du vieil ennemi, attendant le signal pour commencer son œuvre.
Le signal arriva. Soudain, la carrière de Jean-Baptiste fut interrompue. Il avait appelé un roi à la repentance et déclaré à haute voix que le mariage d’Hérode Antipas, tétrarque de Galilée et de Pérée, avec Hérodiade, la femme de son demi-frère, était une chose interdite. Hérode avait donc envoyé ses hommes pour s’emparer de Jean et l’avait jeté en prison dans sa ville forte de Machaerus, à la lisière du désert d’Arabie. La nouvelle de l’arrestation de Jean-Baptiste parvint à Jésus.
Le précurseur avait accompli son œuvre : il avait proclamé l’imminence de la Fin, baptisé Jésus pour lui faire comprendre que cette Fin ne serait pas la Colère, mais l’Amour de Dieu.
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Mais pourquoi Jésus avait-il attendu jusque-là ? Pour deux raisons, croyons-nous. Premièrement, il savait que son message, malgré son apparente ressemblance avec « Convertissez-vous et soyez transformés, car le Royaume de Dieu est sur vous », était profondément différent de celui de Jean. Et Jésus ne se montrerait pas en désaccord ouvert avec Jean. Jean avait été son maître. De toute sa vie, Jésus a insisté sur la grandeur de Jean : il était plus qu’un prophète ; parmi les hommes nés de femmes, il n’y avait pas eu de plus grand que lui. Jésus sentait qu’il devait en quelque sorte à Jean d’être ce qu’il était lui-même. Il lui devait une loyauté, dont il allait faire preuve de la plus exquise manière dans ses relations avec ses disciples désemparés et perturbés. Tandis que Jean prêchait encore son message, Jésus s’abstenait de prêcher le sien.
Mais le message de Jésus était urgent et précieux. Devait-il attendre indéfiniment ? Non, car il pressentait que Jean suivrait son cours. Jésus sentait que, malgré toute sa grandeur, Jean n’était que son précurseur. Jean finirait et il commencerait, et la fin de Jean serait le signe de son commencement. Il ne pouvait y avoir de confusion entre eux : un nouveau message, un nouveau prophète.
Au signe, Jésus monta du désert [ p. 37 ] en Galilée, proclamant la merveilleuse nouvelle de Dieu et disant :
« Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez à la merveilleuse nouvelle. »
Et c’était une nouvelle merveilleuse. Jamais plus merveilleuse n’a été déversée aux oreilles d’hommes ardents et méfiants ; et rien de plus incroyable. Parmi les millions de personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont cru en Jésus, très peu ont cru à son message ; très peu ont pris la peine de le comprendre. Pour la plupart de ceux qui s’en seraient souciés, la voie de la compréhension a été barrée par leur croyance en Jésus comme Dieu, comme le Fils de Dieu dans un sens particulier et transcendantal.
Il ne l’était pas, et n’a jamais prétendu l’être. Il se croyait fils de Dieu, exactement au même titre qu’il croyait tous les hommes fils de Dieu. La différence entre lui et les autres hommes, à ses yeux, résidait simplement en ceci : il savait qu’il était fils de Dieu, alors qu’eux l’ignoraient. Il était donc le fils premier-né, ou premier-né, de Dieu. Mais même cela n’avait aucune importance dans son message. Sa merveilleuse nouvelle était simplement celle-ci : tous les hommes étaient [ p. 38 ] fils de Dieu, pourvu qu’ils deviennent ses fils, et il était envoyé pour leur montrer la voie. Tel était le message étrange et simple de Jésus, la « merveilleuse nouvelle » qu’il alla proclamer en Galilée. Le reste du message était celui de Jean : le temps était accompli et la fin proche. Mais dans les lèvres de Jésus, ce message, bien que formulé de la même manière que celui de Jean, était complètement transformé par le simple fait qu’il savait que les hommes étaient fils de Dieu, et Dieu leur Père. Ce n’était donc pas la Colère qui allait venir, mais l’Amour : les hommes devaient s’attendre non pas à la sentence sévère d’un Juge, mais à l’accueil joyeux d’un Père.
Pour que cette connaissance et cette félicité puissent être les leurs, les hommes n’avaient qu’à se repentir. Mais « se repentir » est un mot chrétien ; ce n’est pas une parole de Jésus. La signification de la parole de Jésus lui-même a été appauvrie. L’homme n’avait pas à se repentir, mais à se tourner et à être transformé, comme Jésus lui-même s’était tourné et avait été transformé. Ils renaîtraient, et le monde renaîtrait. Tous les hommes se reconnaîtraient fils de Dieu, et Lui leur Père, et le Royaume de Dieu serait, là et alors, au moment même où il parlerait. Le seul temps [ p. 39 ] nécessaire était le temps que la merveilleuse nouvelle se répande. Elle se répandrait vite comme le feu dans le chaume. Tout ce que les hommes avaient à faire était d’y croire.
Ceci était, est et sera toujours la merveilleuse nouvelle de Jésus. Les hommes y ont rarement cru, bien qu’ils aient cru à des choses le concernant bien plus incroyables que cela. Mais croire, comme Jésus l’entendait, le mot « croire » a été donné à peu de gens. Jésus a dit que les hommes n’avaient qu’à croire à la merveilleuse nouvelle pour qu’elle soit vraie ; qu’ils n’avaient qu’à croire qu’ils étaient fils de Dieu pour être fils de Dieu ; qu’ils n’avaient qu’à croire que Dieu était leur Père, pour le trouver leur Père. C’était tout : croire seulement. Mais pour Jésus, croire, c’était savoir.
Avec cette merveilleuse nouvelle, Jésus se rendit à Capharnaüm, au bord du lac de Galilée. Il proclamait son message tout autour de la ville, et les foules affluaient vers lui. Tantôt il leur parlait à l’intérieur des terres, tantôt au bord du lac. Voici en substance ce qu’il disait :
Le Royaume de Dieu arrive maintenant. Pour y entrer, vous devez devenir fils de Dieu. Pour devenir fils de Dieu, vous devez croire que vous êtes fils de Dieu. Croire être fils de [ p. 40 ] Dieu signifie agir comme tel. Agir comme tel signifie plusieurs choses. Mais surtout, cela signifie ceci : faire entièrement confiance à votre Père et vous comporter envers chaque homme comme envers un frère bien-aimé, sachant que lui aussi est fils de Dieu.
Il est difficile de dire s’il était retourné à Nazareth avant d’aller à Capharnaüm. Mais il n’y a aucune raison de ne pas croire Matthieu lorsqu’il dit qu’il est effectivement retourné dans son pays natal ; Luc semble avoir entendu la même histoire. Mais il l’a rapidement laissée dans sa propre famille. Son message n’était pas acceptable : il ne l’a jamais été. C’est l’une des nombreuses et étranges ironies de l’histoire de l’Église que Jacques, le frère de Jésus, dont la seule activité connue du vivant de Jésus fut une tentative de le prendre pour un fou, soit devenu, après la mort de Jésus, le chef de l’Église de Jérusalem. Le sceptique pourrait douter de la bonne foi de Jacques et voir en lui quelqu’un prêt à exploiter une relation de chair et de sang là où il n’y avait aucune relation spirituelle. Mais ce n’est pas nécessaire. Jacques semble avoir été un fanatique religieux. Peut-être, comme le rapporte l’Évangile aux Hébreux, la famille de Jésus était-elle venue se faire baptiser par Jean et était-elle ses disciples. [ p. 41 ] Ils savaient que le message de Jésus était par essence une négation de celui de Jean ; Cela leur semblait presque un blasphème, et ils le rejetèrent, ainsi que celui qui le portait. Tout au long de sa vie, le fossé entre Jésus et sa famille fut total.
Jésus se rendit donc à Capharnaüm. Capharnaüm, et non Nazareth, devint sa demeure, ou du moins le peu qu’il possédait désormais. Il s’y rendit pour retrouver d’anciens amis qui accepteraient son message et l’aideraient à le proclamer. Ces hommes l’avaient connu lorsqu’ils suivaient Jean ensemble : Simon et André, Jacques et Jean, et peut-être Philippe de Bethsaïde, tout près. La tradition du quatrième Évangile concorde avec les paroles de Simon Pierre dans les Actes des Apôtres, déclarant que leur connaissance avait commencé lors de son baptême par Jean. Cela ne contredit en rien le récit de Marc, mais s’y intègre parfaitement. Car le récit de Marc, tel que la tradition la plus ancienne et la critique la plus récente s’unissent dans leur foi, est construit à partir des souvenirs de Pierre. Ces souvenirs sont ceux de quelqu’un qui avait connu Jésus à son baptême, l’avait perdu de vue pendant un mystérieux intervalle, et avait été retrouvé par lui sur les rives du lac au début de son ministère actif.
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On peut imaginer que, lorsque Jésus les quitta, lui pour aller au désert, eux pour rentrer chez eux, il leur avait dit qu’il pourrait avoir besoin d’eux. Il l’ignorait. Lorsque l’Esprit impérieux l’appela à l’écart, son but était peut-être de le faire devenir un anachorète du désert comme Jean, prophétisant la Fin et prêchant la repentance loin des sentiers battus. Mais il avait prouvé que sa connaissance et son message étaient bien différents. Il avait une merveilleuse nouvelle à annoncer, et il devait aller à la rencontre des hommes pour la leur transmettre.
Il alla d’abord trouver ses amis de Capharnaüm. Comme il marchait au bord du lac, il vit Simon et André qui jetaient une senne. Tous deux étaient dans la barque, près du rivage, l’un ramant, l’autre tirant le filet depuis la poupe. Jésus les appela : « Venez ici et suivez-moi ; je vous ferai pêcheurs d’hommes. » Ils laissèrent alors barque et filets, et le suivirent.
Un peu plus loin, il vit Jacques et Jean, avec leur père Zébédée, assis dans leur barque et réparant leurs filets. Il les appela aussi ; et ils laissèrent leur père dans la barque avec leurs ouvriers, et le suivirent.
Jésus retourna alors à [ p. 43 ] Capharnaüm avec ses quatre compagnons, où ils habitaient. Il demeura dans la maison de Simon et d’André. Désormais, leur maison fut sa demeure.
Le sabbat suivant, il entra dans la synagogue et, après la lecture de la Loi, il prit la parole. Voici, ou plutôt, les paroles qu’il prononça :
Ne croyez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes. Je ne suis pas venu les abolir, mais les accomplir. Car, en vérité, je vous le dis, tant que le ciel et la terre ne passeront pas, pas une seule marque ni une seule virgule ne sera ôtée de la Loi, jusqu’à ce que tout soit arrivé. Celui donc qui abolira l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera le plus petit dans le royaume des cieux. Mais celui qui les observera et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera grand dans le royaume des cieux.
« Car je vous le dis, si votre sainteté ne dépasse pas celle des scribes et des pharisiens, vous ne pouvez entrer dans le royaume des cieux.
« Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point. Mais quiconque tuera portera la peine de mort.
Mais moi, je vous dis que tout homme qui se met en colère [ p. 44 ] contre son frère en subira les conséquences. Celui qui dira à son frère : « Rakal ! » sera traduit devant le tribunal ; et celui qui lui dira : « Insensé ! » méritera le feu éternel.
« Si donc tu présentes ton offrande à l’autel à Jérusalem, et que tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis reviens et apporte ton offrande.
« Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras point d’adultère.
« Mais moi, je vous dis que tout homme qui regarde une femme pour la désirer a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur.
« C’est pourquoi, si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le et jette-le loin de toi. Il vaut mieux qu’un seul de tes membres soit détruit et que ton corps entier ne soit pas jeté au feu éternel. Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la et jette-la loin de toi. Il vaut mieux qu’un seul de tes membres soit détruit et que ton corps entier ne soit pas jeté au feu éternel.
« Vous avez encore entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne feras point de faux serment, mais tu t’acquitteras envers Dieu de ce que tu as juré. »
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Mais moi, je vous dis : Ne jurez aucunement. Ni par le ciel, car c’est le trône de Dieu ; ni par la terre, car c’est son marchepied ; ni par Jérusalem, car c’est la ville du grand roi. Et ne jurez pas par votre tête, car vous ne pouvez en faire un seul cheveu noir ou blanc. Mais que votre parole soit : Oui, oui ; Non, non. Ce qui y ajoute vient du mal.
« Vous avez entendu qu’il a été dit : « Œil pour œil » et « dent pour dent ».
Mais moi, je vous dis : Ne résistez pas au méchant. Mais si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre. Et si quelqu’un cherche à te plaider, laisse-lui aussi ton manteau. Si quelqu’un te contraint à porter un mille, porte-en deux. Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter.
« Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. »
Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous font du mal. Ainsi, vous deviendrez fils de votre Père ; car il fait lever son soleil sur les bons et les méchants, et tomber sa pluie sur les justes et les injustes. Si vous aimez ceux qui [ p. 46 ] vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains n’agissent-ils pas de même ? Les païens n’agissent-ils pas de même ?
« Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »