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Le peuple fut étonné de son enseignement, car il parlait comme quelqu’un qui avait lui-même une autorité directe de Dieu, et non comme les scribes. Ils pouvaient bien s’étonner. Ni les scribes, ni Moïse lui-même n’avaient parlé ainsi. « Vous avez entendu qu’il a été dit… Mais moi, je vous le dis. » C’était la voix de celui qui connaissait la volonté de Dieu et la revendiquait. Il déclarait qu’il n’était pas venu pour abolir la Loi, mais pour l’accomplir : pour achever la révélation de la volonté de Dieu contenue dans la Loi. En achevant ainsi la Loi, il la brisa, ainsi que la nation qui reposait sur elle.
Un seul homme parmi ses auditeurs savait ce qui s’était passé. Dans la synagogue se trouvait un homme possédé par un esprit impur, qui s’écria :
« Qu’avons-nous de commun avec toi, Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous détruire. Je sais qui tu es, le Saint de Dieu. »
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Jésus le réprimanda et lui dit : « Tais-toi, et sors de cet homme ! »
L’esprit impur le secoua, poussa un cri, et sortit de lui.
Tout le monde était stupéfait et s’interrogeait les uns les autres :
“Qu’est-ce que c’est?”
« Un nouvel enseignement avec autorité ! »
« Il commande aux esprits impurs. »
« Oui, et ils lui obéissent. »
L’expression « un homme à l’esprit impur » paraît étrange à un esprit moderne, mais la réalité ne l’est pas. C’était un homme possédé par une puissance supérieure à lui-même, qui faisait ce qu’il ne voulait pas et disait ce qu’il ne voulait pas. Pour toutes ces suppositions de la personnalité active et dominante à l’époque de Jésus, il n’y avait qu’un seul nom et une seule théorie : l’homme était possédé par un esprit, ou un démon. L’esprit pouvait être pur ou impur, bon ou mauvais. Par l’esprit pur, qui était l’Esprit de Dieu, un homme était inspiré et prophète ; par l’esprit impur, qui était l’Esprit du Mal, il était simplement possédé et fou. Distinguer ces esprits était aussi difficile alors qu’aujourd’hui. Nous ne savons pas distinguer le génie du fou [ p. 49 ] en soi : le seul critère dont nous disposons est celui que Jésus lui-même appliquait aux autres et revendiquait pour lui-même : « C’est à leurs œuvres que vous les reconnaîtrez. »
La décision fut facile pour le pharisien, convaincu que le temps des prophètes était révolu. Pour lui, tous les esprits étaient des esprits impurs. C’était sa sentence contre Jésus, et contre Jean-Baptiste avant lui. Aux yeux de la religion organisée de leur époque, Jean avant lui, et Jésus après lui, avaient chacun un esprit, certes, mais c’était un esprit du mal.
Tel a toujours été le jugement des religions organisées sur ceux de leurs enfants qui prétendaient être directement inspirés par Dieu : car la position des religions organisées a toujours été la même. Parce qu’elle est religion, Dieu s’est révélé directement aux hommes ; parce qu’elle est organisée, cette révélation directe ne peut jamais être renouvelée. Une nouvelle révélation ne peut être tolérée, car elle frappe directement l’autorité au cœur. Elle est, et doit être condamnée comme subversive et hérétique. C’est pourquoi elle est tenue pour inspirée par le Malin et punie comme telle.
Ainsi, lorsque nous lisons le grand pouvoir de Jésus sur les esprits impurs et que ceux qui étaient possédés par ces esprits [ p. 50 ] impurs furent les premiers à le reconnaître, nous devons nous rappeler que l’abîme appelait l’abîme. Le fou salue le génie, le génie apaise le fou, au plus profond de la personnalité humaine. Un homme dont le corps s’est brisé sous le poids de la connaissance spirituelle répond et est fortifié par un homme dont le corps a pu supporter ce fardeau. Celui qui avait surmonté le terrible conflit entre l’esprit et la chair, et qui avait été réunifié par une renaissance inimaginable pour l’esprit ordinaire, était reconnu par ceux qui étaient perdus dans le conflit dont il était sorti triomphant et serein ; et à son contact, ils étaient parfois momentanément, parfois définitivement, renouvelés.
Jésus lui-même semble avoir cru à l’opposition directe entre l’impur et le Saint-Esprit, et avoir chassé l’esprit impur par le Saint-Esprit. Il y a un danger à considérer cette croyance comme simpliste ou grossière. En vérité, il n’y a pas d’autre façon d’énoncer simplement cette vérité mystérieuse ; mais il faut la saisir dans sa vérité, et non dans son énoncé, car elle est au cœur de la vie de Jésus.
Jésus, lorsqu’il sortit de l’eau, après avoir été baptisé pour la rémission de ses péchés, sentit le Saint-Esprit [ p. 51 ] descendre sur lui. Soudain, il ne fit plus qu’un avec Dieu, dans une réunion d’une douceur ineffable entre le Fils et le Père, et une grande paix et une grande puissance l’envahirent. Ce fut, selon Jésus lui-même, la victoire du Saint-Esprit sur l’Esprit du Mal. Mais que se passa-t-il ensuite ? Il fut chassé par le Saint-Esprit dans le désert, et l’Esprit du Mal revint, mille fois plus puissant et insidieux, pour l’assaillir.
Jésus a décrit son agonie dans le désert exactement dans les mois qui ont suivi :
Quand l’esprit impur quitte l’homme, il parcourt les lieux arides en quête de repos, mais n’en trouve pas. Il dit alors : “Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti”, et en y entrant, il la trouve vide, balayée et ornée. Il s’en va alors et emporte avec lui sept autres esprits pires que lui, il y entre et y demeure. Et le dernier état de l’homme est pire que le premier.”
Mais Jésus, puisant au plus profond de son âme la force de bannir à jamais ces terribles visiteurs, fut victorieux. Le Saint-Esprit, cette puissance, cette part de Dieu qui demeurait en lui après sa réunion avec Dieu.
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Ainsi, pour Jésus, le Saint-Esprit et l’Esprit du Mal se trouvaient l’un contre l’autre dans une relation terriblement étroite, celle d’éternels opposés. Ils se reconnaissaient, et l’âme humaine était leur terrible champ de bataille. Dans la victoire de l’un, l’autre trouvait sa chance, jusqu’à la consommation finale du triomphe du Saint-Esprit.
Quand l’homme possédé par l’esprit impur s’écria dans la synagogue : « Es-tu venu pour nous détruire ? », ce n’était pas un démon appelant le destructeur des démons. C’était un petit prophète reconnaissant un puissant. C’était un homme qui parlait, qui voyait et ressentait plus profondément que les autres le sens de l’enseignement de Jésus, qui en reconnaissait la source et l’inspiration et s’y rebellait. C’était un Juif, qui criait au nom de la communauté juive, pour l’avertir d’un danger qu’elle ne pouvait voir.
« Qu’avons-nous de commun avec toi, Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous détruire. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. »
Il le savait, les autres non. Sur un tel homme, Jésus avait du pouvoir et il l’utilisait. Mais la voix prophétique des Juifs avait prononcé, par l’intermédiaire d’un prophète oublié, des paroles qui ne furent pas oubliées.