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Après plusieurs jours, Jésus rentra à Capharnaüm. La nouvelle de sa présence se répandit rapidement, et une foule s’amassa à la maison, au point qu’il était impossible de se frayer un chemin jusqu’à la porte. Tandis que Jésus annonçait la parole du Royaume, apparurent des hommes qui lui amenaient un paralytique sur un brancard porté par quatre porteurs. Voyant qu’ils ne pouvaient pas lui porter leur fardeau à l’intérieur de la maison, à cause de la foule, ils montèrent sur le toit, démontèrent le toit au-dessus duquel il se trouvait, et, ayant fait un trou, y descendirent le brancard sur lequel reposait le paralytique.
Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique :
« Mon fils, tes péchés sont pardonnés. »
Parmi ceux qui étaient assis dans la maison et écoutaient Jésus, se trouvaient des scribes. En entendant ce qu’il disait au paralytique, ils murmurèrent en leur cœur : « Pourquoi cet homme [ p. 60 ] dit-il de telles choses ? Il blasphème. Qui peut pardonner les péchés, sinon un seul ? »
Aussitôt Jésus comprit dans son esprit qu’ils murmuraient ainsi en eux-mêmes, et il leur dit :
Pourquoi murmurez-vous ainsi en vos cœurs ? Car qu’est-ce qui est vraiment le plus facile : dire : « Tes péchés sont pardonnés » ou dire : « Lève-toi, prends ton brancard et marche ? Mais afin que vous sachiez qu’il est de l’homme le pouvoir de pardonner les péchés sur terre… »
Il s’arrêta, puis se tourna vers l’homme paralytique :
« Je te le dis, prends ton brancard et va chez toi. »
L’homme se leva, prit son brancard et sortit devant eux tous.
Ils furent étonnés, louèrent Dieu et dirent : « Nous n’avons jamais rien vu de pareil. »
Que cet événement se soit produit, et qu’il se soit produit de la manière dont Marc l’a rapporté, nous n’en doutons pas. Il n’y a pas non plus lieu de tenter de l’expliquer. Il est impossible de fixer des limites au pouvoir de la foi là où existe une volonté humaine active de collaborer. Nous, modernes, concevons difficilement un monde où la foi soit active. Or, la foi était l’un des éléments primordiaux du monde où Jésus [ p. 61 ] vivait. Entre ce monde et le nôtre se trouve toute l’immense différence qui existe entre un monde qui s’attend à des « miracles » et un monde qui n’en attend pas. Et rien ne semble plus certain que, dans certains domaines, une attente vraie et indubitable peut produire un « miracle ».
L’histoire de Jésus de Nazareth repose sur un acte de foi prodigieux, qui ne pourra jamais se répéter. Jésus se croyait fils de Dieu. Une telle croyance est difficilement imaginable pour notre esprit ; pourtant, avec un effort, nous pouvons l’imaginer. Il croyait, de plus, qu’ayant pris conscience qu’il était fils de Dieu, il lui était impossible de faire autre chose que la volonté de son Père. Tout ce que Jésus voulait, Dieu le voulait. Que cette croyance lui ait donné un sentiment de puissance et de certitude à peine concevable, si nous voulons la concevoir et que nous devons faire l’effort de le comprendre, nous devons prendre en compte ces deux choses certaines : qu’il a bâti toute sa vie sur cette croyance, et que sa vie a changé l’histoire du monde. Après que Jésus y ait vécu et y soit mort, le monde n’a plus jamais été le même. Une énergie [ p. 62 ]spirituelle nouvelle et inconnue est entrée dans le processus de la vie humaine. Elle n’est pas épuisée ; pour autant que l’on puisse voir, elle ne le sera jamais ; et nous, pour notre part, croyons qu’il entre seulement maintenant dans une phase de pleine puissance. Ce n’est que lorsque la certitude que Jésus n’était qu’un homme sera librement et pleinement reconnue que la pleine force de son énergie spirituelle sera libérée pour l’humanité.
Mais laissons cela. Ce qui nous intéresse, c’est sa réalité, et non nos rêves. Cet homme croyait, c’était une certitude absolue pour lui, que ce qu’il voulait en tant que fils de Dieu, Dieu le voulait aussi. Mais Dieu ne voulait pas de « miracles ». C’est certain. Quiconque a les yeux pour lire le sens de la Tentation dans le désert, récit de Jésus lui-même sur son passage final vers la connaissance sûre et inébranlable de sa relation immédiate avec Dieu, ne peut douter que la victoire fut remportée par la profonde prise de conscience par Jésus qu’il était contraire à la volonté de Dieu qu’il accomplisse des signes et des prodiges. Prouver qu’il était ce qu’il était, en accomplissant des prodiges, était une trahison et un blasphème. « Arrière de moi, Satan. »
Ce n’est donc pas par des hypothèses rationalistes que nous rejetons les prodiges de l’histoire de Jésus. Jésus, et Dieu lui-même, par son fils, les avaient rejetés auparavant. Il ne devait [ p. 63 ] pas mettre l’Éternel à l’épreuve. Par conséquent, il n’y a pas de prodiges dans l’histoire de Jésus. Il est vrai qu’il ne pouvait y en avoir. Mais considérer son histoire ainsi, c’est être condamné à ne jamais la voir telle qu’elle était. Jésus croyait pouvoir accomplir des prodiges ; il croyait pouvoir convaincre les hommes de la vérité de son message par des signes et des témoignages ; mais il savait que s’il le faisait, il trahirait Dieu et lui-même. En accomplissant des prodiges en tant que fils de Dieu, il se séparerait une fois de plus du Père.
Et ce n’est pas une affirmation a priori. C’est une certitude qui saute aux yeux dans le récit de la Tentation dans le désert.
Cela est absolument confirmé par les propres paroles de Jésus : « Cette génération demande un signe, et il ne lui sera donné aucun signe », paroles qui ont été altérées de leur forme vraie et primitive dans Marc en une prophétie des prodiges mêmes auxquels il renonçait.
Mais les guérisons de malades et de fous étaient des « miracles ». On peut les appeler ainsi ; mais il vaut mieux les appeler simplement guérisons, afin d’avoir clairement à l’esprit la distinction fondamentale et absolue entre elles et les prodiges. Il est inutile d’entrer [ p. 64 ] dans une discussion savante et absconse sur ce qui est un « miracle » et ce qui n’en est pas. Cela est totalement hors de propos pour l’histoire de Jésus. La distinction se situe entre un signe ou un prodige, qu’il ne doit pas accomplir, et une guérison qu’il s’est souvent permis d’accomplir, malgré lui.
Les guérisons lui étaient imposées par des actes de foi. Voyant chez les hommes qui imploraient leur guérison la foi que sa parole et son toucher les guériraient, Jésus prononça la parole et le toucha. Il ne pouvait les renier. Il ne pouvait les renier, car il aimait, et plus encore, car c’était la foi qu’il demandait aux hommes. C’est pourquoi il laissait les hommes se guérir par la foi en lui. Pourtant, comme le montre clairement l’histoire du paralytique, les paroles qu’il préférait prononcer étaient des paroles de guérison de l’âme. « Tes péchés sont pardonnés. » La parole de guérison corporelle ne lui fut arrachée que par les protestations des scribes. Il savait avec quelle facilité, avec quelle irrésistible, ces paroles le feraient passer pour un artisan de prodiges ; et combien son œuvre serait fatalement faussée et entravée. Il s’engagea prudemment sur ce chemin périlleux. Il apaisa les esprits [ p. 65 ] accablés, il se permit de porter la parole à ceux « dont la foi les avait guéris » ; et dans plus d’une crise, alors qu’il n’avait d’autre choix que de prouver la véracité de son autorité spirituelle, il prononça la parole de guérison devant une assemblée. Là où la foi d’un homme avait fait œuvre, là Jésus prononça la parole.
Ce n’étaient pas des prodiges ; ni pour Jésus, ni pour nous, ni pour les hommes de son époque. Les Évangiles relatent de nombreux prodiges ; mais ils rapportent aussi qu’après leur accomplissement, les Juifs religieux continuèrent à réclamer un signe, et Jésus déclara encore qu’aucun signe ne leur serait accordé. Il est clair comme le jour que ces prodiges ne furent pas accomplis, mais inventés par une génération crédule. Et encore une fois, il n’est pas nécessaire de chercher une définition générale du prodige ; la définition suffisante découle clairement de l’histoire de Jésus lui-même. Un prodige était un événement étrange et extraordinaire qui devait contraindre les hommes à croire en lui et en son message. Jésus n’a accompli aucun signe susceptible de contraindre les hommes à croire en lui. Nous savons qu’il ne le pouvait pas. Mais cela importe peu. L’important est qu’il ne le veuille pas.