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Jésus avait déterminé la nature de son entrée à Jérusalem. « Voici, votre roi vient, humble et monté sur un âne », disait la prophétie ; et il était déterminé à l’accomplir.
Comme ils approchaient de Jérusalem en direction du mont des Oliviers, et qu’ils étaient arrivés jusqu’au village de Béthanie, qui était à l’écart du chemin, Jésus dit à deux de ses disciples :
« Allez au village là-bas, et dès que vous y entrerez, vous trouverez attaché un ânon, sur lequel aucun homme ne s’est jamais assis. Détachez-le et amenez-le ici. Et si quelqu’un vous demande : “Pourquoi faites-vous cela ?” répondez : “Le Maître en a besoin, et il vous le renverra aussitôt.” »
Ils s’en allèrent et trouvèrent un ânon attaché devant une porte qui donnait sur le chemin, et ils le détachèrent. Des hommes qui étaient là leur dirent : « C’est vous qui détachez cet ânon ? » Ils [ p. 272 ] répondirent ce que Jésus leur avait dit, et les hommes les laissèrent partir.
Le récit ultérieur de Marc montre clairement que Jésus avait au moins un ami à Béthanie, Simon le Lépreux, chez qui il dîna la veille de la Cène. De plus, Béthanie était son quartier général durant son séjour à Jérusalem. Il partait de Béthanie le matin et y revenait le soir.
C’est probablement chez Simon le Lépreux qu’il logea. C’est probablement aussi Simon qui lui avait fourni l’ânon non dressé. Il n’était pas nécessaire de supposer que Jésus connaissait Béthanie de longue date. Simon était peut-être l’un de ceux qui, en Judée, avaient entendu parler de la renommée de Jésus et l’avaient suivi. Jésus devait avoir de nombreux disciples dispersés, sur lesquels il pouvait compter pour leur fidèle soutien.
On peut supposer que, lorsque sa décision de venir à Jérusalem fut prise, Jésus envoya un message à Simon à Béthanie, lui indiquant le jour où il arriverait à Jérusalem et lui demandant de préparer un ânon non dressé pour son entrée. Rien n’était plus manifestement prémédité dans la vie de Jésus que son voyage à Jérusalem : le jour de son entrée [ p. 273 ] était fixé longtemps à l’avance, tout comme celui de sa mort.
Jésus avait décidé d’entrer à Jérusalem en tant que Messie, mais comme le Messie de sa propre conception. Il n’entrait pas dans son dessein, et c’était même une impossibilité absolue, qu’il soit reconnu comme Messie par d’autres que ses propres disciples proches ; et ces derniers ne pouvaient comprendre la conception du Messie qu’il avait créée. On peut douter qu’ils aient même compris le sens de son entrée choisie, car Jésus accomplissait des prophéties que lui seul avait reliées et comprises. Il avait façonné le Messie qu’il devait être par la contrainte de sa conscience et des circonstances : là où les prophètes l’aidaient, il s’en prévalait ; là où il pouvait leur obéir, il leur obéissait.
En fin d’après-midi, l’âne fut amené à Jésus. Ses disciples mirent leurs manteaux dessus en guise de couverture, et Jésus s’assit. Certains étendirent leurs manteaux sur la route devant lui ; d’autres jonchèrent le chemin de branches et de feuilles. Jésus chevauchait au milieu de la foule. Devant et derrière lui, on criait « Hosannal » en chemin.
Nous ne pouvons pas dire quelles étaient les paroles exactes de l’acclamation [ p. 274 ]. Celles données par les évangélistes ont malheureusement été remaniées pour correspondre à leur croyance selon laquelle Jésus est entré ouvertement à Jérusalem en tant que Messie, ce qui est impossible. Jésus est entré à Jérusalem aux yeux des gens comme un simple prophète. « Lorsqu’il entra à Jérusalem », dit Matthieu, « toute la ville était en émoi, disant : Qui est celui-ci ? » Et les gens disaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée. »
Mais il y avait dans cette acclamation quelque chose qui offensa les oreilles avides des pharisiens présents dans la foule. Que Jésus soit acclamé comme prophète leur était intolérable ; leur esprit ne pouvait accueillir un autre prophète. La révélation avait été faite, et il n’y avait rien à ajouter. Ils prièrent Jésus de reprendre ses disciples. Il répondit :
« Je vous le dis, s’ils se taisaient, les pierres crieraient ! » Et Luc, qui nous rapporte cela, nous dit aussi que lorsque Jésus fut en vue de la ville, il pleura et s’écria :
« Si seulement tu connaissais aujourd’hui le secret de la paix ! Mais maintenant, il est caché à tes yeux ! »
Dès sa première rencontre avec Jérusalem, la tension spirituelle de Jésus était extrême. Son voyage solitaire et amer à la tête de ses disciples incompréhensifs, [ p. 275 ] sa résolution surhumaine, son acceptation de sa destinée, avaient produit sur son âme une sorte d’ivresse sublime. Il s’était élevé, par l’intensité même de sa perspicacité, de son courage et de son amour, au-dessus des voies des mortels. Jérusalem était devenue pour lui une cité spirituelle, un symbole, la coupe du sang des prophètes, l’autel sacrificiel du Fils unique de Dieu. C’est ainsi qu’il atteignit l’éternité.
Mais c’était un lieu terrestre, terrestre. Son imposant temple dédié au Dieu ineffable, étincelant d’argent et d’or, construit sur des piliers de pierre, aussi haut qu’une montagne, au-dessus des vallées de Jérusalem, était une seconde Babylone. Comme Babylone, c’était l’une des merveilles du monde ; comme Babylone, sa population grouillante exprimait l’éternelle matérialité de la création. Des foules bouillonnantes, marchandeuses et marchandeuses emplissaient ses cours, dans un brouhaha de voix bavardes et la vapeur d’une humanité véhémente. Qu’avaient à voir ces foules, se bousculant pour le profit par piété, avec l’Ineffable ? Fils de quel Père étaient-ils ?
Jésus semble avoir reculé un instant. Il parcourut du regard les cours du Temple le soir de son entrée, puis retourna à Béthanie, « car il était déjà tard », dit Marc. Mais il y a quelque chose dans [ p. 276 ] le récit qui suit qui raconte une histoire différente. Il y eut un moment de recul. Lors de son pénible voyage vers Jérusalem, Jésus, qui connaissait si bien les choses qui sont, les avait oubliées. Il avait eu besoin de les oublier et de ne se souvenir que de lui-même et de Dieu.
La vue du Temple bouillonnant le rappela brutalement à la réalité, mais ne le rappela qu’à mi-chemin. Il était à mi-chemin entre deux mondes, désemparé entre deux certitudes, comme un navire tremble au confluent du vent et de la marée.
Par un effort de volonté, il affirma sa certitude intérieure contre l’évidence. Dieu et lui-même étaient réels : Jérusalem et le Temple, un rêve. « Détruisez ce Temple », dit-il en parcourant du regard ses cours bondées, « et je le relèverai en trois jours. » La foule curieuse qui avait suivi le prophète galiléen depuis les portes de la ville remarqua ses paroles.
Que voulait-il dire ? À cet instant de tension soudaine, rien d’autre que ce qu’il disait. Il était possédé par un sentiment de toute-puissance. Maintenant ou jamais, Dieu devait être avec lui, le remplissant de puissance. Mais ce qu’il voulait dire n’était rien d’autre que l’affirmation extrême de la vérité dont nous, qui scrutons son histoire avec [ p. 277 ] tant de passion, sommes les témoins inconscients : l’esprit est plus puissant que le monde des choses. À cet instant, nous n’en doutons pas, Jésus voulait dire qu’un Temple plus glorieux s’élèverait de sa parole créatrice. Que ce soit avec de grandes pierres et des toits d’or, ou simplement dans la consommation de cette unité de l’homme et de Dieu qu’il savait pouvoir exprimer ? Jésus lui-même, à cet instant, aurait-il pu le dire ?
Il n’avait fait qu’exprimer son sentiment exaltant : les choses de la terre et la grande ville de Jérusalem n’étaient qu’un rêve comparées à la puissance divine qui agissait en lui et l’avait porté à cette rencontre. Il avait réaffirmé sa certitude intérieure face à la réalité extérieure : elle avait triomphé, mais à un prix. L’effort de sa volonté tendue allait se trahir.
Il retourna à Béthanie et passa une nuit d’attente intense et intense : l’idée même de manger était oubliée. Le matin, alors qu’il retournait à Jérusalem, une faim soudaine le saisit. Au loin, il aperçut un figuier en feuilles. Il s’en approcha : il était sans fruits. Parmi les choses oubliées de la terre, il avait oublié qu’il n’était plus en Galilée, où les figues [ p. 278 ] étaient encore fraîches. Près de Jérusalem, « ce n’était pas la saison des figues ». Et il se tourna vers le figuier :
« Que personne ne mange jamais de tes fruits ! »
Les disciples l’entendirent. Pierre l’entendit certainement, et il raconta cette histoire étrange et saisissante à Marc des années plus tard. Elle nous révèle quelque chose de précieux pour comprendre l’état d’âme de Jésus alors qu’il s’apprêtait à accomplir l’acte le plus marquant de sa vie : la purification du Temple. Car ce fut – pour employer le mot avec précision – l’acte le plus délibéré de sa vie. Ici, pendant un instant, il semble ne pas obéir à une contrainte intérieure et inévitable, mais plutôt s’imposer un acte par la force de sa volonté. Cet acte se distingue des actions certaines de sa vie comme quelque chose qu’il aurait pu ne pas accomplir. Il ne lui appartient pas forcément, pas plus que la malédiction du figuier. Ils sont indissociables, et appartiennent à un moment précis de sa destinée – le choc ultime entre certitude spirituelle et réalité matérielle.
Dans sa concentration solitaire sur les choses qui n’étaient pas encore, il avait oublié celles qui étaient, et la soudaine prise de conscience de leur existence créa dans son âme tendue une étrange exaspération. Il était omnipotent, et il ne l’était pas ; les choses étaient, et elles n’étaient pas. [ p. 279 ] L’espace d’un instant, par un acte de volonté, il les rendrait différentes de ce qu’elles étaient. Il arriva au Temple et chassa impérieusement devant lui les acheteurs et les vendeurs de la Cour des Gentils ; il renversa les tables des changeurs et les tabourets des vendeurs de colombes ; il arrêta et fit rebrousser chemin aux porteurs qui fréquentaient les Cours du Temple ; et il s’écria :
N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée une maison de prière pour toutes les nations ? Et vous en avez fait une caverne de voleurs.
L’espace d’un instant, il avait réussi. Il s’était jeté seul contre l’immensité du Temple, et celui-ci avait cédé. La foule impatiente derrière lui, avide de voir les agissements du prophète galiléen, sa propre compagnie fidèle et enthousiaste venue de Galilée, avait effrayé les marchands pendant une journée, mais seulement une journée.
Mais ce n’était pas cela qui le réveilla. Plutôt le sentiment de sa propre exaspération ; la conscience que sa colère, étant colère, était injuste. Il avait été pris au dépourvu là où le vent et la marée se rencontrent, et la barre avait tremblé entre ses mains. Telle est, semble-t-il, la pensée qui se cachait derrière les paroles visiblement [ p. 280 ] authentiques qu’il prononça le lendemain, en revenant de Béthanie.
Pierre vit que le figuier était desséché. Je ne prétends pas savoir comment c’est arrivé : un vent froid, une gelée, n’importe quoi. C’était un pauvre figuier, solitaire. Mais il était desséché. Jésus l’avait complètement oublié : c’était la dernière chose dont il se serait souvenu à ce moment-là. Pierre le lui rappela.
« Regarde, Maître, le figuier que tu as maudit est desséché ! »
Pierre fut surpris. Les disciples, comme l’historien moderne et probablement pour la même raison, ne pouvaient s’habituer aux miracles.
Jésus aussi était peut-être surpris, mais il n’était pas d’humeur à s’étonner de quoi que ce soit. Ses paroles relèvent d’un autre ordre de pensée.
« Ayez foi en Dieu », dit-il. « Amen, je vous le dis : quiconque dira à cette montagne : “Ote-toi de là et jette-toi dans la mer”, et ne doutera point en son cœur, mais croira que ce qu’il dit arrive, cela lui sera accordé. C’est pourquoi, je vous le dis, tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé. Et lorsque vous êtes debout en prière, si vous [ p. 281 ] avez quelque chose contre quelqu’un, pardonnez-lui, afin que votre Père céleste vous pardonne aussi vos fautes. »
Pourquoi Jésus parlait-il maintenant du pardon comme essentiel à la prière ? Certainement parce que le souvenir de sa propre exaspération le pesait lourdement. Au moment où il avait le plus besoin de ne faire qu’un avec Dieu, l’instrument parfait de son dessein, il avait été perverti par la colère. Colère contre Dieu, sans doute : mais si Dieu ne pouvait être en colère, comment son fils le pourrait-il ? Par la colère, le fils de Dieu cessait d’être son fils.
Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous font du mal. Ainsi, vous deviendrez fils de votre Père ; car il fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants, et sa pluie sur les justes comme sur les injustes.
Tel était le secret. Et la prière consistait en la connaissance par l’homme de son union avec Dieu, de l’identité du fils avec son Père. Une telle prière, que seul Jésus enseignait, n’est pas une requête, mais une condition, une condition dont la colère était la négation, une vision de toutes choses avec le regard serein du Dieu Créateur. À une telle prière, tout était possible, car le fils était un avec Dieu ; pourtant, par une [ p. 282 ] telle prière, rien ne pouvait être exigé, car c’était une soumission complète et sincère à la volonté de Dieu. Dans une telle condition, croire avoir reçu quelque chose, c’est l’avoir, car on ne peut croire avoir reçu que ce que Dieu veut que l’on reçoive.
La colère de Jésus s’apaisa. Désormais, il apparaît parfaitement calme.