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Quand Jésus arriva au jardin de Gethsémané avec les onze, il prit Pierre, Jacques et Jean à part. Il était en agonie.
« Mon âme est triste », dit-il, « triste à en mourir. Reste ici et veille. » Il s’éloigna un peu d’eux, se laissa tomber à terre et pria pour que, si possible, cette heure passe loin de lui.
« Abba ! » pria-t-il. « Père, tout t’est possible. Éloigne de moi cette coupe. Mais non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. »
Les disciples n’entendirent plus rien. Il était tard, minuit passé, et ils étaient somnolents sous le stress du grand adieu de Jésus. Ils ne parvenaient pas à rester éveillés. Les longues prières nocturnes de Jésus, lorsque le Fils de Dieu communiait avec son Père et luttait pour retrouver la paix intérieure, les avaient auparavant accablés. Ils se tenaient à l’écart du [ p. 347 ] mystère : aucune tension de l’âme ne les soutenait ; ils étaient épuisés et s’endormirent.
Il vint et les réveilla :
« Tu dors, Simon ? Tu n’as pas pu rester éveillé une seule heure ? Reste éveillé et prie pour ne pas être mis à l’épreuve. Car l’esprit est ardent, mais la chair est faible. »
Il les quitta encore, et ils entendirent encore le même Abba, et de nouveau ils n’entendirent plus rien.
Et il revint vers eux. Ils clignèrent de leurs yeux lourds et restèrent muets.
Pas un seul observateur avec lui ; pas un pour l’avertir de l’approche de ses ennemis. Il était vraiment seul. Peut-être pria-t-il une fois de plus pour que la coupe s’éloigne de lui ; peut-être resta-t-il assis à guetter la lumière des torches dans l’obscurité. Il vit les lumières et entendit les voix ; puis il rejoignit les trois disciples pour la dernière fois.
« Tu dors encore ? » dit-il. « Tu te reposes encore ? Le temps est passé. Le moment est venu. Maintenant, le Fils de l’homme est livré aux mains des pécheurs. Réveille-toi ! Je suis là, celui qui me trahit. »
Tandis qu’il parlait, Judas était là, à la tête d’une troupe armée d’épées et de bâtons. [ p. 348 ] Il se dirigea droit vers Jésus, prononça le seul mot : Rabbi ! et embrassa le Maître. À ce signe, les hommes mirent les mains sur lui.
Jésus a dit :
« Ainsi, vous êtes venus me prendre, comme un brigand, avec des épées et des bâtons. J’étais au milieu de vous, enseignant chaque jour dans le Temple ; et vous ne m’avez pas touché. »
Pendant un bref instant, les disciples de Jésus se montrèrent combatifs. L’un d’eux, qui tenait l’une des deux épées, frappa un serviteur du Grand Prêtre et lui infligea une légère blessure. Mais Jésus ne le voulut pas : sa parole amère concernant les deux épées avait été mal comprise.
« Range ton épée », dit-il. « Car ceux qui prennent l’épée périront par l’épée. »
Alors tous ses disciples s’enfuirent. Seul un jeune homme, dont il ne connaît pas le nom, tenta de rester auprès de Jésus. Il s’agissait sans doute de Jean Marc lui-même, futur auteur de l’Évangile qui seul relate sa présence. C’est peut-être dans la maison de sa mère que se déroula la Dernière Cène ; aux débuts de l’Église à Jérusalem, la maison de sa mère était certainement un bastion de la nouvelle foi. On peut supposer que Jean Marc, alors enfant, [ p. 349 ] fut réveillé par le chant du psaume de la Pâque. Il vit Jésus conduire les disciples à Gethsémani pendant la nuit. Sa curiosité enfantine fut éveillée, il arracha un drap du lit pour se couvrir et le suivit. Il observa et écouta l’agonie dans le jardin, vit l’arrestation de Jésus et la fuite de ses disciples. Mais lorsque les gardes le saisirent, son courage lui manqua et il s’enfuit nu, leur laissant le drap entre les mains.
Les gardes emmenèrent Jésus à la maison du Grand Prêtre. Là, ils le retinrent prisonnier dans une pièce donnant sur la grande cour, où un feu était allumé. Pour s’amuser en attendant le jour J, ses ravisseurs lui bandèrent les yeux et le frappèrent à la tête, puis invoquèrent le prophète de Nazareth pour qu’il prédise qui l’avait frappé.
Entre-temps, le courage de Pierre était revenu. Il le suivit de loin et, courageusement, pénétra dans la cour. Il s’assit parmi la foule de serviteurs rassemblés autour du feu. De là où il était, il pouvait voir son Maître dans la pièce éclairée et son Maître pouvait voir son visage à la lumière du feu. Soudain, une servante l’aperçut [ p. 350 ] et le fixa : elle se souvenait de son visage ; elle l’avait vu au Temple, aux côtés de Jésus. Elle s’écria : « Toi aussi, tu étais avec Jésus le Nazaréen ! »
Dans le silence, la voix de Pierre se faisait entendre dans la pièce où se trouvait Jésus.
« Je ne sais pas de quoi vous parlez, je ne comprends pas. »
Il sortit de la cour pour se rendre dans la cour extérieure. Tandis qu’il s’en allait, la servante l’observa et dit de nouveau aux serviteurs qui étaient là : « C’est l’un d’eux. » Ils le questionnèrent de nouveau, et il nia de nouveau.
Au bout d’un moment, il revint dans la cour. Se sentant à nouveau en sécurité, il commença à parler aux serviteurs. Son accent ou son dialecte les éveilla. « Tu dois être des leurs », dirent-ils, « car tu es de Galilée. » Alors Pierre jura : « Je ne connais pas l’homme dont tu parles. »
Le coq chanta. Jésus, qui avait entendu le reniement de Pierre, se retourna et le regarda. Pierre sortit et fondit en larmes.
À l’aube, le Sanhédrin se réunit dans la maison du Grand Prêtre et Jésus fut conduit devant lui. On tenta de le faire condamner par témoins [ p. 351 ] pour blasphème contre le Temple. On l’accusa d’avoir dit que si le Temple était détruit, il le relèverait ; mais les témoins se contredirent. On ne peut dire s’il s’agissait d’une tentative sérieuse d’obtenir sa condamnation formelle pour blasphème. On sait trop peu de choses sur la procédure du Sanhédrin à cette époque ; on ignore même s’il existait ce que nous appellerions une procédure.
À tous les témoins, quels qu’ils aient été, à toutes les questions, quelles qu’elles soient, Jésus ne répondit rien. La parole du prophète avait pénétré son âme. « Comme une brebis muette devant ceux qui la tondent, ainsi il n’ouvrit pas la bouche. »
Alors le grand prêtre demanda le secret que Judas lui avait révélé :
« Es-tu le Messie, le Roi, le fils du Béni ? »
Il n’y eut plus de silence. Jésus répondit :
« Je le suis ; et vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la puissance de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. »
Le Grand Prêtre déchira sa robe.
« Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? Vous avez [ p. 352 ] entendu son blasphème. Quel est votre jugement ? »
Ils le jugèrent tous digne de mort.
Alors Jésus fut lié et conduit devant Pilate. Tout le Sanhédrin l’accompagna. Ils l’accusèrent d’avoir séduit le peuple juif, d’avoir parlé contre le paiement du tribut à César et de s’être fait appeler Messie-Roi.
Le mot « Roi » frappa Pilate ; peut-être seulement par son incongruité pathétique. Ceux qui peuvent croire qu’une royauté surnaturelle, celle d’un mystérieux Roi des hommes, brillait sur le visage de Jésus à cet instant, pour quelqu’un qui n’était pas aveuglé par la passion, pourraient trouver une autre raison à la question de Pilate et à son étrange jugement sur la réponse.
« Es-tu le roi des Juifs ? » demanda-t-il.
« Tu l’as dit », répondit Jésus.
Était-il étrange que Pilate ait déclaré ne trouver aucun crime dans cette réponse ? Jésus n’était-il qu’un visionnaire inoffensif pour un Romain las, comme Gallion, des tumultes du fanatisme juif ? Ou bien, quelqu’un d’à l’écart a-t-il entrevu une noblesse incompréhensible, la brève intuition que le captif silencieux devant lui était le premier d’une nouvelle [ p. 353 ] race d’hommes, dont le royaume n’appartenait pas au monde que les Romains connaissaient ?
Mais que la réponse paraisse étrange ou non, il n’y a sûrement aucune raison de soutenir, avec certains érudits, que la réticence de Pilate ait été inventée par les premiers chrétiens afin de rejeter entièrement l’odieux de la condamnation de Jésus sur les Juifs. Rien n’est plus probable que l’attitude de Pilate était non seulement indifférente à la question en elle-même, mais aussi révulsée par la violence fanatique des ravisseurs de Jésus : c’est l’attitude que l’on est en droit d’attendre d’un gouverneur romain à Jérusalem.
Pourquoi ne devrions-nous pas croire que la curiosité de Pilate ait été éveillée par le comportement du captif ? Son silence face à un torrent d’accusations pouvait à lui seul le faire réfléchir. N’y avait-il pas une majesté visible dans le visage d’un homme dont l’esprit allait changer l’histoire du monde ?
Pilate s’interrogea et hésita à condamner.
Mais le Sanhédrin devint plus véhément : il semait la révolution parmi le peuple par son enseignement : il avait commencé en Galilée, maintenant il était arrivé à Jérusalem.
Le mot « Galilée » offrit à Pilate une échappatoire. Cet homme était-il Galiléen ? demanda-t-il. Il l’était. Alors, [ p. 354 ] Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, présent à Jérusalem pour la fête, devait se prononcer. Il enverrait Jésus à Hérode. De plus, il prendrait le risque de faire preuve de courtoisie envers le tétrarque, dont il s’était éloigné. C’est vers Hérode que Jésus fut envoyé.
Hérode était depuis longtemps curieux à son sujet. Il s’était interrogé sur Jésus lorsqu’il avait entendu parler de lui pour la première fois, après avoir exécuté Jean-Baptiste malgré lui. L’idée qu’il puisse être Jean-Baptiste ressuscité l’avait troublé. Jésus se tenait maintenant devant lui.
Aux questions curieuses d’Hérode – concernant, on le devine, la réputation de ses pouvoirs miraculeux – Jésus ne répondit pas. Les grands prêtres et les scribes étaient là, l’accusant avec véhémence. Mais Hérode et ses courtisans le méprisèrent, le raillèrent même, le revêtirent d’une robe splendide et le renvoyèrent à Pilate.
Antipas, grécisé, partageait l’attitude de Pilate. Le roi des Juifs ne devait pas être pris au sérieux en tant que malfaiteur ou révolutionnaire. Et Hérode ne souhaitait probablement pas que le sang d’un autre prophète retombe sur sa tête. Rien dans les paroles mêmes de Luc ne suggère qu’Antipas ([ p. 355 ]) se soit comporté envers Jésus avec une indifférence plus qu’hellénique, l’équivalent de celle de Pilate.
Pilate convoqua le Sanhédrin et dit :
Vous m’avez présenté cet homme comme un agitateur révolutionnaire. Je l’ai interrogé devant vous et je n’ai trouvé en lui aucune preuve qu’il soit coupable de ce dont vous l’accusez. Non, Hérode non plus. Car je l’ai renvoyé à lui. Rien de ce qu’il a fait ne mérite la mort. Je vais lui donner une leçon et le relâcher.
Tandis que Pilate s’adressait au Sanhédrin, le peuple s’avança pour demander la libération d’un prisonnier, comme le veut la coutume lors du grand festin. Pilate leur demanda s’il devait libérer le roi des Juifs. On imagine que s’il parlait un peu avec gentillesse, il le faisait surtout pour irriter les membres insistants du Sanhédrin, car la proposition de libérer Jésus sans condition n’était rien de moins qu’une insulte à leur égard. Le Sanhédrin lui-même possédait un pouvoir de punition considérable : seule la peine de mort dépassait ses compétences. Pilate cherchait à les déjouer.
Ils se mêlèrent alors à la foule devant le tribunal de Pilate, et ils saisirent l’occasion. [ p. 356 ] Ils pressèrent le peuple d’exiger la libération d’un certain Bar Abbas, emprisonné pour émeute, et la crucifixion de Jésus. La foule s’écria :
« Prenez cet homme et libérez Bar-Abbas ! »
« Que ferai-je donc à celui que tu appelles le roi des Juifs ? » demanda Pilate.
« Crucifiez-le ! » hurla la foule.
« Mais quel mal a-t-il fait ? »
« Crucifie-le ! »
Matthieu raconte que, dans le tumulte, Pilate se fit apporter une bassine d’eau et se lava les mains à la vue de la foule, signifiant ainsi qu’il déclinait toute responsabilité. Si sa voix était inaudible, son geste était perceptible. Il se peut que cela ait été le cas ; comme il se peut aussi que, comme le rapporte Matthieu, la femme de Pilate lui ait envoyé un message, alors qu’il siégeait au tribunal, lui enjoignant de ne pas participer à la mort de ce juste, car elle avait beaucoup souffert en rêve à son sujet.
On ne peut se prononcer pour ou contre ces choses. Les deux histoires se rejoignent. Le message de sa femme fournit le motif de la démonstration extrême de l’innocence de Pilate. Si, d’un côté, le rugissement final de la foule, que [ p. 357 ] Matthieu rapporte : « Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants », a une connotation suspecte, de l’autre, le récit du rêve et le message sont convaincants. C’était encore le petit matin. La femme de Pilate aurait bien pu, réveillée d’un rêve, regarder par sa fenêtre et trouver la silhouette qu’elle avait rêvée, debout devant le tribunal de son mari. Il n’est même pas nécessaire que, pour avoir rêvé de Jésus ou de quelqu’un comme lui, la femme de Pilate l’ait vu : mais il n’y a assurément aucune raison pour qu’elle n’ait pas vu le prophète de Nazareth enseigner au Temple ou traverser les rues de Jérusalem. C’est une histoire que nous ne pouvons ni rejeter avec certitude ni accepter avec conviction.
Mais pourquoi (se demande-t-on parfois) la foule, qui avait écouté Jésus avec joie lorsqu’il parlait au Temple, s’est-elle si vite retournée contre lui ? Il n’y a certainement aucun problème ici. Pour la foule, un prophète enchaîné n’est plus un prophète ; mais un brigand enchaîné, comme BarAbbas, a, au contraire, atteint sa perfection. Entre BarAbbas et Jésus, qui ne tenait plus tête aux docteurs du Temple, mais était désormais silencieux et captif, le choix populaire était certain.
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Mais au-delà de cette raison convaincante, le fait capital est que le peuple savait désormais que Jésus se proclamait Roi-Messie. Ce Tout-Puissant, dont Jean-Baptiste avait prédit la venue, Jésus le prétendait. Et le peuple apprit cette prétention au moment même où il apparut devant eux, tel un criminel captif. Debout là, silencieux, Jésus était pour le Juif ordinaire l’incarnation du blasphème.
Pilate céda à l’insistance du Sanhédrin et aux clameurs de la foule. Il libéra Barabbas et ordonna que Jésus soit flagellé et crucifié.
Il fut emmené par ses gardes dans le quartier des soldats, et toute la cohorte se rassembla autour de lui. À la robe royale dont la suite d’Hérode l’avait revêtu, ils ajoutèrent une couronne d’épines ; et ils lui rendirent hommage en ricanant, en disant : « Salut, roi des Juifs ! » Peu après, ils se rangèrent en ordre et sortirent du château, avec Jésus et deux autres malfaiteurs au milieu d’eux, chacun portant la croix sur laquelle il devait être crucifié.
Mais Jésus était trop faible pour le fardeau. Alors que le groupe atteignait la porte de la ville, le centurion enrôla dans le service un homme qui revenait [ p. 359 ] des champs et le força à porter la croix de Jésus. Le nom de cet homme a été sauvé de l’oubli, car ses deux fils, Alexandre et Rufus, étaient manifestement devenus membres de l’Église primitive : il s’appelait Sirnon et était originaire de Cyrène. Ainsi réorganisée, la compagnie marcha vers le lieu de l’exécution. Ce lieu fut appelé Golgotha en raison de sa forme, car il s’agissait probablement d’une colline aride et arrondie, située quelque part au nord de la ville.
Ce que nous savons de l’histoire de la Crucifixion semble reposer sur le témoignage de Simon. Aucun des disciples n’était présent, et les femmes qui l’avaient suivi restèrent à distance du lieu de l’exécution. Les exécutions étaient un spectacle aussi spectaculaire pour la foule juive qu’elles le furent plus tard pour les chrétiens ; et cette fois, elle était aussi furieuse que sanguinaire, car Jésus avait outragé leur idéalisme fanatique. Les femmes avaient de bonnes raisons de se tenir à distance et les disciples de se cacher complètement, s’ils tenaient à leur vie. Mais la présence de Simon de Cyrène offrit à l’Église chrétienne un témoignage des scènes finales. Il était avec Jésus en marche vers le Calvaire ; il était avec Jésus à la Croix.
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Il ne fait donc aucun doute que les paroles que Luc attribue à Jésus en chemin étaient authentiques. Tous n’étaient pas hostiles : parmi la foule qui l’accompagnait se trouvaient des femmes en pleurs, vers lesquelles Jésus se tourna et dit :
Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez sur vous et sur vos enfants ; car voici que les jours viennent où l’on dira : “Heureuses les stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et le sein qui n’a pas allaité !” Alors on dira aux montagnes : “Heureuses sur nous !” et aux collines : “Couvrez-nous !” Si c’est ce qu’on fait à l’arbre vert, que fera-t-on à l’arbre sec ?”
Et encore, juste avant d’être attaché à la croix, il dit :
« Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »
On lui offrit à boire du vin mêlé de myrrhe, un remède apaisant, mais il refusa. Quoi qu’il lui arrive, il l’accepterait avec un esprit serein.
On le dépouille de ses vêtements et ses gardes tirent au sort. La robe royale qu’Hérode lui avait fait revêtir aurait été un trésor pour un soldat. Rien ne permet de supposer que l’incident de [ p. 361 ] ait été inventé pour « accomplir » une prophétie. C’était la chose la plus naturelle au monde. Simon de Cyrène, tandis qu’il travaillait avec les soldats à l’érection de la croix, observait tout. Certains déshabillaient Jésus, d’autres travaillaient avec lui, d’autres, avec une gentillesse brutale, essayaient de le persuader de boire le vin et la myrrhe, un autre étendait ses vêtements par terre, un autre mettait des pierres dans un casque pour qu’ils tirent au sort, un autre encore préparait l’inscription grossière à graver sur la croix : LE ROI DES JUIFS.
Il était environ neuf heures lorsque les mains et les pieds de Jésus furent cloués, et les deux brigands crucifiés de chaque côté de lui. Aucun de ses disciples n’était là ; les femmes fidèles observaient la scène en pleurant de loin. Entre elles et la croix se tenait une foule hideuse d’hommes furieux et humiliés, qui raillaient le Maître mourant.
« Ha ! toi qui veux détruire le Temple et le reconstruire en trois jours, sauve-toi et descends de la croix ! »
Les membres du Sanhédrin, venus pour voir leur justice rendue, se parlèrent plus convenablement les uns aux autres :
Il a sauvé les autres ; il ne peut se sauver lui-même. Que [ p. 362 ] le Messie, le Roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous puissions voir et croire !
Même les criminels à ses côtés l’injuriaient.
Vers midi, un nuage noir obscurcit le soleil et l’obscurité s’installa sur ce lieu désolé. Jésus était sur la croix depuis trois heures ; dans trois heures, la fin était arrivée. Il avait choisi de rester conscient. Quelles étaient ses pensées ? Il attendait, attendait, le moment ineffable où il serait élevé dans le sein de Dieu le Père, qu’il avait trouvé et qu’il avait servi comme un fils jusqu’à la fin amère et glorieuse.
Il attendait le moment où son destin inévitable s’accomplirait et où il serait appelé à s’asseoir à la droite de Dieu. Il attendit, tandis que sa vie mortelle se réduisait à une infime étincelle ; et rien ne vint. Alors, il exprima tout son être en un grand cri de désespoir : « Éloï, Éloï, lama sabachthani ? Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Ce sont les mêmes paroles que les premiers mots du Psaume 22. Il est possible que ce chant de désespoir ait résonné en lui alors qu’il était suspendu là, dans la douleur et l’ignominie :
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Tous ceux qui me voient se moquent de moi :
Ils tirent vers le haut : ils balancent la tête :
« Il s’est confié en l’Éternel ! Que l’Éternel le délivre !
Que l’Éternel le délivre, s’il prend soin de lui.
Mais la voix du désespoir profond est toujours la même. Le cri « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » a été arraché à maintes reprises à des lèvres humaines au cours de l’histoire, mais jamais auparavant, et plus jamais, de la bouche d’un tel homme.
À ce cri, son âme vivante quitta son corps. Le lien qui la retenait là, dans l’angoisse de l’attente, s’était rompu.
Certains, entendant les mots « Éloï, Éloï », crurent qu’il invoquait Élie. Un homme courut chercher une éponge imbibée de vinaigre, qu’il étendit au bout d’un bâton devant les lèvres de Jésus. C’était trop tard. Un autre grand cri retentit, mais il n’avait pas de mots. C’était le cri de la mort elle-même.
La mort de Jésus était étrange. Elle avait été rapide : six heures, c’était peu de temps pour un homme sur la croix. Il s’était affaibli dans la tension de ses derniers jours : il ne pouvait plus porter sa croix. Mais la fin était venue avec une étrange soudaineté. Car l’âme de Jésus [ p. 364 ] avait maintenu son corps en vie. Quand le désespoir avait gagné son âme, la mort, à cet instant, avait gagné son corps.
À un moment donné, le summum de la conscience : à l’instant suivant, l’obscurité et la mort.
Le capitaine des gardes fut frappé au cœur par ces événements étranges et dit : « Vraiment, cet homme était un fils de Dieu ! »