Emil Schürer écrit (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, pp. 329-331) :
Alors que cette explication plus courte sous forme catéchétique [Questions et réponses sur la Genèse] était destinée à des cercles plus larges, l’œuvre scientifique principale et spéciale de Philon est son grand commentaire allégorique sur la Genèse, Νομων ιερων αλληγοριαι (tel est le titre qui lui est donné dans Eusèbe Hist. eccl. ii. 18. 1, et Photius, Bibliotheca cod. 103. Comp. aussi Origène, Comment. in Matth. vol. xvii. c. 17 ; contra Celsum, iv. 51). Ces deux œuvres se rapprochent fréquemment quant à leur contenu. Car dans les Quaestiones et solutiones aussi, la signification allégorique plus profonde est donnée aussi bien que le sens littéral. Dans le grand commentaire allégorique, au contraire, l’interprétation allégorique prévaut exclusivement. Le sens allégorique profond de la lettre sacrée est établi dans une discussion longue et prolixe qui, en raison de l’ajout abondant de passages parallèles, semble souvent s’éloigner du texte. Ainsi, toute la méthode exégétique, avec son intégration des passages les plus hétérogènes pour éclaircir l’idée supposée se trouver dans le texte, rappelle fortement la méthode du Midrash rabbinique. Cette interprétation allégorique comporte cependant, malgré son arbitraire, ses règles et ses lois, le sens allégorique, autrefois établi pour certaines personnes, objets et événements, étant ensuite respecté avec une cohérence acceptable. C’est notamment une idée fondamentale, dont l’exposé est partout déduit, que l’histoire de l’humanité telle que relatée dans la Genèse n’est en réalité rien d’autre qu’un système de psychologie et d’éthique. Les différents individus qui apparaissent ici désignent les différents états d’âme (τροποι της ψυχης) qui se manifestent chez les hommes. Analyser ces états dans leur diversité et leurs relations, tant entre eux qu’avec la Divinité et le monde sensible, et en déduire des doctrines morales, tel est le but principal de ce grand commentaire allégorique. On perçoit ainsi que l’intérêt principal de Philon n’est pas – comme on pourrait le supposer d’après l’ensemble de son système – la théologie spéculative en soi, mais au contraire la psychologie et l’éthique. À en juger par son objectif ultime, il n’est pas un théologien spéculatif, mais un psychologue et un moraliste (cf. note 183).
Le commentaire suit d’abord le texte de la Genèse verset par verset. Ensuite, des sections isolées sont sélectionnées, et certaines d’entre elles sont traitées de manière si complète qu’elles deviennent de véritables monographies. Ainsi, Philon, par exemple, s’inspire de l’histoire de Noé pour écrire deux livres sur l’ivresse (περι μεθης), avec une telle minutie qu’un recueil des opinions d’autres philosophes sur ce sujet remplit le premier de ces livres perdus (Mangey, i. 357).
L’ouvrage, tel que nous le connaissons, commence à Gen. ii. 1 ; Και ετελεσθησαν οι ουρανοι και η γη. La création du monde n’est donc pas traitée. Car le texte De opificio mundi, qui le précède dans nos éditions, est un ouvrage d’un caractère entièrement différent, n’étant pas un commentaire allégorique sur l’histoire de la création, mais un récit de cette histoire elle-même. Le premier livre du Legum allegoriae ne rejoint en aucune façon l’ouvrage De opificio mundi ; car le premier commence à Gen. ii. 1, tandis que dans De opif. mundi, la création de l’homme aussi, selon Gen. ii, est déjà traitée. Ainsi, comme l’affirme à juste titre Gfrörer en réponse à Dähne, le commentaire allégorique ne peut être combiné avec De opif. mundi comme si les deux ne faisaient partie que d’une seule et même œuvre. On peut tout au plus se demander si Philon n’a pas également écrit un commentaire allégorique sur Gen. I. Cela est cependant improbable. Car le commentaire allégorique se propose de traiter de l’histoire de l’humanité, et celle-ci ne commence qu’à Gen. II. I. Le début abrupt de Leg. alleg. i ne paraît pas étrange, car cette manière de commencer immédiatement par le texte à expliquer correspond parfaitement à la méthode du Midrash rabbinique. Les livres ultérieurs du commentaire de Philon lui-même commencent d’ailleurs de la même manière abrupte. Dans nos manuscrits et éditions, seuls les premiers livres portent le titre propre à l’ouvrage entier : Νομων ιερων αλληγοριαι. Tous les livres ultérieurs portent des titres spécifiques, ce qui donne l’impression qu’il s’agit d’ouvrages indépendants. En réalité, tout le contenu du premier volume de Mangey, à savoir les ouvrages qui suivent, appartient au livre en question (à la seule exception de De opificio mundi).
Emil Schürer commente : " Περι γιγαντων. De gigantibus (Mangey, i. 262-272). Sur Gen. vi. 1-4. Οτι ατρεπτον το θειον. Quod deus sit immutabilis (Mangey, i. 272-299). Sur Gen. vi. 4-12, ces deux paragraphes, qui sont séparés dans nos éditions, ne forment ensemble qu’un seul livre. C’est pourquoi Johannes Monachus ineditus cite des passages de ce dernier paragraphe avec la formule εκ του περι γιγαντων (Mangey, i. 262, note, 272, ndlr). Eusèbe. H. E. ii. 18. 4 : περι γιγαντων η [ailleurs και] περι του μη τρεπεσθαι το θειον. » (La littérature du peuple juif au temps de Jésus, pp. 334-335)
JHA Hart écrit (The Jewish Quarterly Review Original Series 17, pp. 95-97) :
La distinction entre les traités « Concernant les Géants » et « Que le Divin est immuable » semble peu justifiée, car le premier se termine par les mots : « Ayant dit cela – suffisant pour le moment du moins – concernant les géants, passons à la suite du récit. » Il n’est pas rare de trouver deux sujets différents traités dans le même traité (cf. par exemple « Concernant la descendance de Caïn », etc.).
Les « nombreux hommes » de Gen. VI. 1 sont manifestement des impies, car leurs enfants sont des filles. L’histoire de l’union de ces filles avec les anges de Dieu n’est pas un mythe. De même que l’univers est animé (εψυχωσθαι) dans toutes ses parties, la terre, l’eau, le feu (surtout, dit-on, en Macédoine) et le ciel (avec des étoiles), de même l’air doit être rempli d’êtres vivants, invisibles pour nous comme l’élément dans lequel ils vivent. Ce que Moïse appelle anges, d’autres philosophes l’appellent démons, des âmes volant dans l’air. L’air, qui donne vie à toutes les créatures, a certainement un droit naturel à une population qui lui soit propre. Or, certaines âmes sont descendues dans des corps, et certaines d’entre elles sont capables de résister au courant de la vie humaine et de s’envoler à nouveau : ce sont les âmes des vrais philosophes, qui, du début à la fin, pratiquent la mort à la vie corporelle (βιου) pour partager la vie immatérielle et incorruptible (ζωης). D’autres âmes, quant à elles, dédaignaient toute union avec la terre, et ces âmes sacrées, soucieuses du service du Père, le Créateur a coutume d’utiliser comme serviteurs et ministres pour la protection (επιστασιαν) des mortels. Ce sont bien sûr les bons anges, des anges dignes de ce nom. Il existe aussi des anges mauvais, dont beaucoup parlent de mauvais démons ou d’âmes, et ce sont eux qui sont descendus pour converser avec les filles des hommes.
Ici, Philon est une fois de plus d’accord avec les stoïciens, qui soutenaient que les âmes des morts (ou des justes morts) existaient dans l’air jusqu’au grand incendie dans lequel l’univers devait être consumé, et qu’il existait aussi des démons sympathisants des hommes, observateurs (εποπτας) des affaires humaines (Diog. vii. 151, 156, 157). L’affirmation selon laquelle l’univers est vivant (εμψυχον) et rempli de démons est attribuée à Thalès et à Héraclite. Philon expose à nouveau sa doctrine des démons ou des anges dans de Somn. i. §§ 134 et suivants. à propos du rêve de Jacob d’une échelle allant de la terre au ciel. Le corps, il le considère, avec Platon, comme une prison ou un tombeau, et les âmes ou les esprits les plus purs et les meilleurs sont ceux qui n’ont jamais aspiré à la vie terrestre, les proconsuls du Tout-Souverain, qui correspondent aux divinités mineures dont Platon entoure le Créateur (Tim. 41 A).
Mais chez les hommes mauvais, l’esprit de Dieu ne peut demeurer durablement (ου καταμενει, Gen. vi. 3). Il demeure même parfois. « Car qui est si dépourvu de raison et d’âme qu’il ne puisse jamais, bon gré mal gré, de son plein gré ou non, concevoir le Meilleur ? Bien plus, même sur les maudits surgit souvent l’apparence du Bien (του καλου), mais ils ne peuvent se l’approprier ni la garder. Car il s’en va, s’éloignant aussitôt, renonçant à l’étranger sur terre qui a abandonné (εκδεδιητημενους) la loi et le droit, à qui il ne serait jamais venu, si ce n’est pour les convaincre d’avoir choisi des choses viles au lieu d’honorables. »
De tels hommes sont chair ; et la nature charnelle est le fondement de l’ignorance. Mais la Loi, dans l’ordonnance interdisant les unions illicites, nous ordonne de mépriser la chair (Lév. XVIII. 6). Un homme véritablement humain – tel que l’un des anciens (Diogène le Cynique) le cherchait avec une lanterne allumée à midi – n’approchera pas de ce qui appartient à sa chair. La répétition emphatique du mot homme dans le texte (grec) du passage montre qu’il ne s’agit pas de l’être humain ordinaire mais de l’homme vertueux (ανθρωπος ανθρωπος προς παντα οικειον σαρκος αυτου ου προσελευσεται). Ceux qui ne respectent pas cette loi se dégradent, « révèlent leur inconvenance » ; et tels sont les soi-disant sages qui vendent leur sagesse et rabaissent leurs marchandises comme des radins sur le marché.
Les géants issus de cette union ne sont pas ceux de la mythologie grecque : « Moïse souhaite vous faire comprendre que certains sont des hommes de la terre, d’autres des hommes du ciel, et d’autres des hommes de Dieu. Les hommes de la terre sont les chasseurs de plaisirs corporels, qui en pratiquent l’usage et la jouissance et fournissent tout ce qui contribue à chacun d’eux. Les hommes du ciel sont tous des artistes, des artisans et des érudits ; car la partie céleste de nous-mêmes – l’esprit – pratique l’éducation générale, et les autres arts, tous sans exception, s’aiguisant et s’aiguisant, s’exerçant et s’entraînant aux choses idéales (τοις νοητοις). Les hommes de Dieu sont des prêtres et des prophètes qui ont dédaigné tout état lié à ce monde… et ont émigré vers le monde idéal où ils résident, inscrits dans l’état d’idées incorruptibles et sans corps. » Par exemple, Abram, « père sublime », est un homme du ciel et s’élève pour devenir Abraham, « père élu de la vérité », c’est-à-dire un homme de Dieu (Gen. xvii. 1). Tandis que les enfants de la terre, comme Nébrod (Gen. x. 8), sont des déserteurs, dégradés de leur rang à la nature inerte et immobile de la chair, comme il est écrit : « Ils ne seront qu’une seule chair » (Gen. ii. 24).
FH Colson et GH Whitaker écrivent (Philo, vol. 2, pp. 443-445) :
Ce traité court, mais à bien des égards magnifique et plus platonicien que d’habitude, est étroitement lié, comme le montrent les derniers mots, au « Quod Deus » qui suivra dans le tome III de cette traduction. Il s’agit d’une dissertation sur les paroles de Gen. VI, 1-4.
(a) Et il arriva que lorsque les hommes commencèrent à devenir nombreux sur la terre, des filles leur naquirent. (1)
(b) Et les anges de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent. (2)
© Et l’Éternel Dieu dit : « Mon esprit ne demeurera pas toujours dans l’homme, car il n’est que chair ; mais ses jours seront de cent vingt ans. » (3)
(d) Et il y avait des géants sur terre en ces jours-là. (4)
(a) est brièvement écarté (1-5) avec les remarques que les mots « beaucoup » et « filles » suivant la mention de la naissance de Noé, l’homme juste, et de ses trois fils (à la fin du chap. v.) soulignent la vérité que les injustes sont nombreux et les justes peu nombreux, et que la progéniture spirituelle de ces derniers sont les qualités masculines ou supérieures, tandis que celle des premiers sont les qualités féminines ou inférieures.
(b) Les mots sont interprétés (6-18) dans le sens où, comme anges, démons et âmes sont en réalité trois noms pour la même chose, « les anges de Dieu », tout en incluant les messagers spirituels de Dieu, désignent ici les âmes mauvaises qui courtisent les « filles des hommes », c’est-à-dire les plaisirs purement sensuels. Au cours de ces sections, nous trouvons un passage remarquable (12-15), dans lequel Philon, avec de nombreux échos de Platon, parle de l’âme humaine comme étant descendue d’une région supérieure pour s’incarner dans le corps.
La discussion de © (19-57) constitue l’essentiel du traité. Il traite d’abord (19-27) de la nature de l’esprit de Dieu, insistant particulièrement sur l’idée que, lorsqu’il est donné aux hommes, il n’en est pas diminué, et sur l’indignité de la vie charnelle (28-31). Cela l’amène à une longue digression sur Lévitique XVIII, 6 : « Un homme, un homme ne s’approchera pas de ce qui est apparenté à sa chair, pour en découvrir la honte. » Ce texte, qui constitue bien sûr une interdiction de l’inceste, est transformé par Philon en une allégorie élaborée, dans laquelle chaque phrase est traitée séparément (32-47). La répétition de « un homme, un homme » indique le « véritable homme » (33). Les mots « approchez-vous » nous montrent que, si de nombreux avantages terrestres, comme les richesses, bien que « apparentés à la chair », doivent être acceptés, s’ils nous sont offerts et utilisés pour le bien, nous ne devons pas les rechercher (84-38). « Dévoiler la honte » signifie (39) que ceux qui suivent de telles pratiques introduisent une philosophie fausse et honteuse. Les derniers mots, « Je suis le Seigneur », nous appellent à prendre position avec Dieu contre le plaisir (40-44), mais l’emploi de « Seigneur » plutôt que de « Dieu » souligne son attitude de souveraineté, que nous sommes invités à respecter (45-47). Revenons maintenant à la signification de la présence de l’esprit de Dieu. Une telle présence ne peut être le privilège que de ceux qui mènent la vie tranquille et contemplative qu’il attribue à Moïse, avec l’appui de divers textes (47-55). Les mots « leurs jours seront de cent vingt ans » sont ensuite évoqués pendant quelques lignes (56), mais écartés avec la promesse d’un traitement ultérieur, qui, s’il a jamais été donné, ne nous est pas parvenu (57).
(d) Après une protestation contre le fait de considérer l’histoire comme un mythe (58-59), nous avons une méditation (60-67) sur les trois classes d’âmes, les nées de la terre (qui sont bien sûr les géants, γιγας étant lié à γηγενης), les nées du ciel et les nées de Dieu. Parmi celles-ci, les nées du ciel sont celles qui cultivent notre partie céleste, l’esprit, et suivent l’apprentissage séculier (60), et les nées de Dieu sont celles dont les pensées sont fixées sur Dieu seul (61). Ces deux sont illustrées par Abram (avant son changement de nom) et Abraham respectivement (62-64). Les nés de la terre, bien sûr, sont ceux qui s’abandonnent à la vie charnelle, et sont représentés par Nimrod (qui dans la LXX est appelé un géant) dont le nom signifiant « désertion » désigne les « géants » nés de la terre comme des déserteurs du bien (65-67).
I. (1) « Et il arriva que, lorsqu’il commença à y avoir beaucoup d’hommes sur la terre, des filles leur naquirent aussi. »[1] Je pense qu’il vaut la peine de soulever ici la question de savoir pourquoi, après la naissance de Noé et de ses fils, notre race a atteint un tel degré de population. Mais, peut-être, il n’est pas difficile d’en expliquer la cause ; car il arrive toujours que si quelque chose paraît rare, son contraire se trouve extrêmement nombreux. (2) Par conséquent, la bonne disposition de l’un révèle la mauvaise disposition de myriades, et le fait que les choses qui sont faites conformément à l’art, à la science, à la vertu et à la beauté soient peu nombreuses, montre combien incalculable est un nombre de choses dépourvues d’art, de science et de justice, et, en bref, totalement sans valeur, cachées sous-jacentes. (3) Ne voyez-vous pas que dans l’univers aussi, le soleil, étant un seul corps, par son éclat dissipe les ténèbres épaisses et denses qui se répandent sur la terre et la mer ? C’est donc avec une grande justesse que la génération du juste Noé et de ses fils est représentée comme donnant naissance à un grand nombre d’êtres injustes ; car c’est par le contraire qu’il est particulièrement dans la nature des contraires d’être connus. (4) Et aucun homme injuste n’implante jamais une génération masculine dans l’âme, mais ceux-ci, étant indignes d’homme, brisés et efféminés dans leur esprit, deviennent naturellement les parents d’enfants femelles ; n’ayant planté aucun arbre de vertu, dont le fruit aurait nécessairement été beau et salutaire, mais seulement des arbres de méchanceté et des passions, dont les pousses sont féminines. (5) C’est pourquoi on dit que ces hommes sont devenus pères de filles, et qu’aucun d’eux n’est censé avoir engendré de fils ; car puisque le juste Noé a eu des enfants mâles, étant un homme qui suivait la raison, parfait, intègre et viril, ainsi, par ce fait même, l’injustice de la multitude est prouvée être entièrement le père d’enfants femelles. Car il est impossible que les mêmes choses naissent de parents différents ; mais il faut nécessairement qu’elles aient une descendance opposée.
II. (6) « Et lorsque les anges de Dieu virent que les filles des hommes étaient belles, ils prirent pour femmes parmi toutes celles qu’ils choisirent. »[2] Ces êtres, que d’autres philosophes appellent démons, Moïse les appelle habituellement anges ; et ce sont des âmes planant dans l’air. (7) Et que personne ne suppose que ce qui est dit ici est une fable, car il est nécessairement vrai que l’univers doit être rempli d’êtres vivants dans toutes ses parties, puisque chacune de ses parties primaires et élémentaires contient ses animaux appropriés et ceux qui sont compatibles avec sa nature ; —la terre contenant les animaux terrestres, la mer et les rivières contenant les animaux aquatiques, et le feu tel qu’il est né (mais on dit que ces derniers se trouvent principalement en Macédoine), et le ciel contenant les étoiles : (8) car celles-ci aussi sont des âmes entières pénétrant l’univers, étant pures et divines, dans la mesure où elles se meuvent en cercle, ce qui est le genre de mouvement le plus proche de l’esprit, car chacune d’elles est l’esprit parent. Il est donc nécessaire que l’air aussi soit plein d’êtres vivants. Et ces êtres sont invisibles pour nous, dans la mesure où l’air lui-même n’est pas visible à la vue des mortels. (9) Mais il ne s’ensuit pas, parce que notre vue est incapable de percevoir les formes des âmes, qu’il n’y ait pour cette raison pas d’âmes dans l’air ; mais il s’ensuit nécessairement qu’elles doivent être comprises par l’esprit, afin que les semblables puissent être contemplés par les semblables. (10) Car que dirons-nous ? Ne devons-nous pas dire que ces animaux, terrestres ou aquatiques, vivent dans l’air et l’esprit ? Quoi ? Les afflictions pestilentielles n’existent-elles pas habituellement lorsque l’air est souillé ou corrompu, comme si c’était la cause de toute vitalité ? De plus, lorsque l’air est exempt de toute souillure et innocent, comme il l’est particulièrement lorsque le vent du nord prévaut, l’absorption d’un air plus pur ne tend-elle pas à une durée de vie plus vigoureuse et plus durable ? (11) Il est donc naturel que ce milieu par lequel tous les autres animaux, qu’ils soient aquatiques ou terrestres, sont vivifiés soit lui-même vide et dépourvu d’âme ? Au contraire, même si tous les autres animaux étaient stériles, l’air par lui-même serait forcément productif de vie, ayant reçu du grand Créateur les semences de vitalité par sa faveur particulière.
III. (12) Certaines âmes sont donc descendues dans des corps, et d’autres n’ont pas jugé dignes d’approcher d’aucune des parties de la terre ; et celles-ci, une fois sanctifiées et entourées des soins du Père, le Créateur a eu l’habitude de les employer comme servantes et servantes dans l’administration des affaires mortelles. (13) Et étant descendues dans le corps comme dans un fleuve, elles sont tantôt emportées et englouties par la voracité d’un tourbillon des plus violents ; et, tantôt, s’efforçant de toutes leurs forces de résister à son impétuosité, elles nagent d’abord à la surface, et ensuite volent vers le lieu d’où elles sont parties. (14) Ce sont donc les âmes de ceux à qui l’on a enseigné une sorte de philosophie sublime, méditant, du début à la fin, sur la mort comme sur la vie du corps, afin d’obtenir un héritage de la vie incorporelle et impérissable, dont on doit jouir en présence du Dieu incréé et éternel. (15) Mais celles qui sont englouties dans le tourbillon sont les âmes de ces autres hommes qui ont méprisé la sagesse, se livrant à la poursuite de choses instables réglées par la seule fortune, dont aucune ne se rapporte à la partie la plus excellente de nous-mêmes, l’âme ou l’esprit ; mais plutôt au cadavre mort qui nous est attaché, c’est-à-dire au corps, ou à des choses encore plus inertes que cela, telles que la gloire, l’argent, les fonctions, les honneurs, et toutes les autres choses qui, par ceux qui ne gardent pas les yeux fixés sur ce qui est réellement beau, sont façonnées et dotées d’une vitalité apparente par la tromperie d’une vaine opinion.
IV. (16) Si donc vous considérez que les âmes, les démons et les anges sont des choses différentes de nom, mais non identiques en réalité, vous pourrez alors vous débarrasser de ce fardeau si lourd qu’est la superstition. Mais comme on parle généralement de bons et de mauvais démons, et de même d’âmes bonnes et mauvaises, de même on parle aussi des anges, considérant les uns comme dignes d’une bonne appellation, et les appelant ambassadeurs des hommes auprès de Dieu, et de Dieu auprès des hommes, et sacrés et saints à cause de cette fonction irréprochable et très excellente ; d’autres, au contraire, vous ne vous tromperez pas si vous les considérez comme impies et indignes de toute considération. (17) Et l’expression utilisée par l’auteur du psaume, dans le verset suivant, témoigne de la vérité de mon affirmation, car il dit : « Il envoya sur eux la fureur de sa colère, la colère, la rage et l’affliction, et il envoya parmi eux de mauvais anges. »[3] Ce sont les méchants qui, prenant le nom d’anges, ne connaissent pas les filles de la droite raison, c’est-à-dire les sciences et les vertus, mais qui poursuivent les descendants mortels des hommes mortels, c’est-à-dire les plaisirs, qui ne peuvent conférer aucune beauté authentique, qui est perçue par l’intellect seul, mais seulement une sorte d’élégance bâtarde de forme, au moyen de laquelle le sens extérieur est trompé ; (18) et ils ne prennent pas tous toutes les filles en mariage, mais certains d’entre eux ont choisi quelques-unes de cette innombrable compagnie pour être leurs épouses ; Certains les choisissent par la vue, d’autres par l’ouïe, d’autres encore par le goût, ou par le ventre, et certains même par les plaisirs sous-ventraux. Nombreux sont ceux qui se sont emparés de ceux dont la demeure est fixée à une grande distance, exerçant ainsi des désirs variés. Car, nécessairement, les choix de tous les plaisirs sont variés, puisque des plaisirs différents sont établis en des lieux différents.
V. (19) Et, dans toutes ces matières, il est impossible à l’esprit de Dieu de demeurer et de passer tout son temps, comme le montre le législateur lui-même. « Car », dit Moïse, « le Seigneur a dit : Mon esprit ne restera pas éternellement parmi les hommes, car ils sont chair. »[4] (20) Car, parfois, il demeure ; mais il ne demeure pas éternellement parmi la plupart d’entre nous ; car qui est si dépourvu de raison ou si inerte qu’il ne puisse jamais, volontairement ou involontairement, concevoir une notion du Dieu tout bon ? Car, très souvent, même sur les êtres les plus souillés et les plus maudits, plane une apparition soudaine du bien, mais ils sont incapables de s’en saisir fermement et de la garder parmi eux ; (21) car, presque aussitôt, il quitte son premier lieu et s’en va, rejetant les habitants qui viennent à lui et qui vivent au mépris de la loi et de la justice, à qui il ne serait jamais parvenu s’il n’avait pas été pour condamner ceux qui choisissent l’ignominie au lieu du bien. (22) Mais l’esprit de Dieu est décrit d’une certaine manière comme étant de l’air circulant sur la terre, apportant un troisième élément en plus de l’eau. À ce propos, Moïse dit, dans son récit de la création du monde : « L’esprit de Dieu se mouvait sur la surface des eaux. »[5] Car l’air, étant très léger, est élevé et porté en hauteur, ayant pour ainsi dire l’eau pour fondement ; et, d’une autre manière, la connaissance pure est dite telle, à laquelle tout homme sage participe naturellement. (23) Et Moïse nous le montre, en parlant du créateur et de l’auteur de l’œuvre sainte de la création, en ces termes : « Et Dieu appela Betsaleel, et le remplit de son Saint-Esprit, de sagesse, d’intelligence et de connaissance, pour pouvoir concevoir toute œuvre. »[6] Ainsi, ce qu’est l’esprit de Dieu est décrit de manière très définitive dans ces mots.
VI. (24) Tel est aussi l’esprit de Moïse, qui descendit sur les soixante-dix anciens, afin de les différencier et de les rendre supérieurs au reste des Israélites, qui ne pouvaient être réellement anciens, s’ils n’avaient participé à cet esprit omniscient. Car il est dit : « Je prendrai de mon esprit qui est sur toi, et je le répandrai sur les soixante-dix anciens. »[7] (25) Mais ne pensez pas que ce retrait puisse se faire par retranchement ou séparation ; mais il en est ici comme dans une opération effectuée par le feu, qui peut allumer dix mille torches, sans être lui-même diminué du moindre atome, ni cesser de rester tel qu’il était auparavant. Quelque chose de semblable est aussi la nature de la connaissance. Car, bien qu’elle ait instruit tous ses élèves et tous ceux qui l’ont connue, elle ne s’en est pas pour autant diminuée, bien au contraire, elle s’est souvent même améliorée, comme on dit que les sources le sont parfois en étant taries ; car, dit-on, elles deviennent parfois plus douces par un tel processus. (26) Car l’association continuelle avec les autres, engendrant diligence et pratique, produit peu à peu une perfection entière. Si donc l’esprit individuel de Moïse, ou de toute autre créature, devait être distribué à une si grande multitude d’élèves, alors, s’il était divisé en un si grand nombre de petites portions, il serait diminué. (27) Mais maintenant, l’esprit qui est sur lui est le sage, le divin, l’indivisible, l’indistribuable, le bon esprit, l’esprit qui est partout répandu, de manière à remplir l’univers, qui, tout en profitant aux autres, ne nuit pas en ayant une participation en lui donnée à un autre, et s’il est ajouté à quelque chose d’autre, soit quant à son intelligence, soit quant à sa connaissance, soit quant à sa sagesse.
VII. (28) C’est pourquoi il est possible que l’esprit de Dieu demeure dans l’âme, mais qu’il y demeure éternellement est impossible, comme nous l’avons dit. Et pourquoi s’en étonner ? Puisqu’il n’y a rien d’autre dont la possession soit stable et durable ; mais les choses mortelles oscillent continuellement dans la balance, et penchent d’un côté puis de l’autre, et sont sujettes à des changements divers à différents moments. (29) Et la plus grande cause de notre ignorance est la chair, et notre lien inséparable avec la chair. Et Moïse représente Dieu comme l’admettant, lorsqu’il dit : « Parce qu’ils sont chair », l’esprit de Dieu ne peut demeurer en eux. Et pourtant, le mariage, l’éducation des enfants, la fourniture des choses nécessaires, le manque de gloire, joint au manque d’argent et d’affaires, tant privées que publiques, et une infinité d’autres choses, font dépérir la sagesse avant qu’elle ne commence à fleurir vigoureusement. (30) Mais rien n’est plus grand obstacle à sa croissance que la nature charnelle. Car celle-ci, comme si elle était le fondement principal et le plus solide de la folie et de l’ignorance, est fermement posée, et alors chacun des maux susmentionnés s’édifie sur elle. (31) Car ces âmes dépourvues de chair et de corps, demeurant tranquilles dans le théâtre de l’univers, occupées à voir et à entendre les choses divines, dont un désir insatiable les a saisies, jouissent d’un plaisir auquel personne n’offre aucune interruption. Mais ceux qui portent le lourd fardeau de la chair, étant alourdis et opprimés par elle, ne peuvent regarder vers le haut vers les révolutions du ciel, mais étant entraînés vers le bas, ont leur cou pressé de force contre le sol comme autant de quadrupèdes.
VIII. (32) À ce propos, le législateur, ayant décidé de mettre fin à toutes les associations et unions illégales et illégitimes, commence ses dénonciations de la manière suivante : « L’homme ne s’approchera pas de celui qui est apparenté à sa propre chair, pour découvrir sa nudité : je suis le Seigneur. »[8] Comment pourrait-on exhorter l’homme avec plus de force que de cette manière à mépriser la chair et ce qui est apparenté à la chair ? (33) Et en effet, il ne nous exhorte pas seulement à abandonner de telles choses, mais il montre positivement que celui qui est vraiment un homme ne viendra jamais de lui-même aux plaisirs qui sont chers au corps et qui y sont liés, mais méditera toujours de s’en aliéner entièrement. (34) Car l’expression « Homme, homme », non pas une fois, mais deux fois, est un signe qu’il ne s’agit pas ici de l’homme composé d’un corps et d’une âme, mais de celui qui est seulement doué de vertu. Car tel est réellement un homme véritable, celui qu’un philosophe ancien, ayant allumé une lanterne en plein midi, alla chercher et dit à ceux qui l’interrogeaient qu’il cherchait un homme. Quant à l’interdiction faite à tout homme de s’approcher de quiconque est apparenté à sa propre chair, elle est induite par des raisons nécessaires. Car il y a des choses que nous devons admettre, comme par exemple les choses utiles, par l’emploi desquelles nous pouvons vivre à l’abri de la maladie et en bonne santé ; il y en a d’autres qu’il faut rejeter, par lesquelles, lorsque les appétits s’enflamment, ils brûlent toute bonté dans un vaste incendie. (35) Que nos appétits ne se précipitent donc pas à la poursuite de tout ce qui est agréable à la chair, car les plaisirs sont souvent indomptables, lorsque, tels des chiens, ils nous flattent, et tout à coup, se transforment et nous mordent, nous infligeant des sons incurables. Ainsi, en nous attachant à la frugalité, amie de la vertu, de préférence aux plaisirs apparentés au corps, nous vaincrons la multitude nombreuse et infinie d’ennemis irréconciliables. Et si une occasion cherche à nous contraindre à prendre plus que ce qui est modéré ou suffisant, ne cédons pas ; car l’Écriture dit : « Il s’approchera de lui pour découvrir sa nudité. »
IX. (36) Et ce que cela signifie, il vaut la peine de l’expliquer. Il est souvent arrivé que certains, sans être eux-mêmes pourvoyeurs de richesses, aient néanmoins eu une abondance illimitée. Et d’autres, qui ne se sont pas avides de gloire, ont été jugés dignes de louanges et d’honneurs publics. D’autres encore, qui ne s’attendaient pas à acquérir ne serait-ce qu’un peu de force, sont parvenus à la plus grande vigueur et à la plus grande activité. (37) Or, que tous ces hommes apprennent à ne s’attacher dans leur esprit à aucune de ces qualités ; c’est-à-dire à ne pas les admirer et à ne pas s’y attacher outre mesure, en les considérant toutes, c’est-à-dire la richesse, la gloire et la force physique, non seulement comme des biens intrinsèques, mais comme le plus grand des maux. Car la poursuite de l’argent convient aux avares, la poursuite de la gloire aux ambitieux, et l’acquisition de la force physique aux amateurs d’exercices athlétiques et de gymnastique. Car ce qui est la meilleure partie d’eux-mêmes, à savoir l’âme, ils l’ont abandonnée comme esclave de ce qui leur est inférieur, à savoir des choses inanimées. (38) Mais tous ceux qui sont maîtres d’eux-mêmes montrent que toute cette brillante prospérité, qui est un objet de tant de disputes, est subordonnée à l’esprit, qui est la partie principale d’eux-mêmes, la recevant quand elle vient, afin d’en faire un bon usage, mais ne la recherchant pas si elle reste à l’écart, comme pouvant être heureux même sans elle. (39) Mais celui qui la poursuit avec ardeur et suit sa trace, remplit la philosophie d’opinions viles ; C’est pourquoi on dit qu’il en découvre la nudité, car comment peut-il y avoir une dissimulation ou une ignorance des reproches auxquels sont justement exposés ces hommes qui se disent sages, mais qui font un trafic de sagesse et négocient pour la vendre, comme on dit que font les hommes au marché, qui mettent leurs marchandises en vente, tantôt pour un léger gain, tantôt pour des discours doux et caressants, tantôt pour des espoirs incertains, fondés sur aucun terrain sûr, et parfois même pour des promesses qui ne valent en rien des rêves.
X. (40) Et la phrase qui suit : « Je suis le Seigneur », est prononcée avec une grande beauté et avec une convenance des plus excessives, « car », dit le Seigneur, « oppose, mon bon homme, le bien de la chair à celui de l’âme et de l’homme tout entier » ; donc le plaisir de la chair est irrationnel, mais le plaisir de l’âme et de l’homme tout entier est l’esprit de l’univers, à savoir Dieu ; (41) et la comparaison est admirable, et difficile à instituer, de sorte que quiconque pourrait être trompé par cette étroite similitude, à moins que quelqu’un ne dise que les choses vivantes sont en réalité les mêmes que les choses inanimées, les choses rationnelles les mêmes que les choses irrationnelles ; les bien adaptés les mêmes que les mal adaptés ; les nombres impairs identiques aux nombres pairs ; la lumière avec les ténèbres, le jour avec la nuit ; et en bref tout ce qui est contraire le même que son contraire. (42) Et pourtant, même si ces choses ont une sorte d’union et de connexion ensemble en raison de leur création, Dieu n’est en aucun cas semblable aux meilleurs êtres créés, dans la mesure où ceux-ci sont nés et sont sujets à la souffrance ; mais il est incréé et agit toujours sans souffrir. (43) Or, il est bon de ne pas déserter les rangs de Dieu, dans lesquels il s’ensuit inévitablement que tous ceux qui sont rangés doivent être les plus excellents, et il serait honteux de quitter ces rangs, de fuir vers un plaisir indigne et efféminé, qui nuit à ses amis et profite à ses ennemis, car sa nature est très singulière ; car tous ceux à qui il choisit de donner une part de ses avantages spéciaux, il les châtie et les blesse à la fois ; et ceux qu’il juge bon de priver de ses biens, il les bénéficie au plus haut degré possible, car il leur nuit quand il donne, mais il leur profite quand il retire. (44) Si donc, ô mon âme, l’une des tentations du plaisir t’invite, détourne-toi, et, dirigeant tes regards vers un autre point, regarde la véritable beauté de la vertu, et l’ayant contemplée, reste jusqu’à ce qu’un désir pour elle se soit enfoncé en toi, et t’ait attiré à elle, comme un aimant, et qu’il te conduise et t’attache aussitôt à ce qui est devenu l’objet de ton désir.
XI. (45) Et l’expression : « Je suis le Seigneur » doit être écoutée, non seulement comme si elle équivalait à : « Je suis le parfait, l’incorruptible et le vrai bien », dont si quelqu’un est entouré, il rejettera tout ce qui est imparfait, corruptible et attaché à la chair ; mais aussi comme équivalent à : « Je suis le chef, le roi et le maître. » (46) Et il n’est pas prudent pour les sujets de faire le mal en présence de leurs chefs, ni pour les esclaves de commettre une erreur devant leurs maîtres ; car lorsque les punisseurs sont proches, ceux dont la nature n’est pas prompte à se soumettre aux avertissements sont tenus dans la retenue et l’ordre par la peur ; (47) car Dieu, ayant tout rempli de lui-même, est proche, de sorte qu’il regarde tout et se tient prêt, remplis d’une grande et sainte révérence, ou sinon de cela, du moins ayant une crainte prudente de la puissance de son autorité et de la nature redoutable de son châtiment, qui ne peut être évité, chaque fois qu’il décide d’exercer sa puissance punitive, nous nous abstiendrons de faire le mal. Afin que l’esprit divin de sagesse ne soit pas enclin à quitter notre voisinage et à s’en aller, mais qu’il puisse rester très longtemps avec nous, comme il le fit aussi avec le sage Moïse ; (48) car Moïse est un être des habitudes les plus tranquilles, soit debout, soit assis, et nullement disposé par nature à se soumettre aux virages et aux changements ; car l’Écriture dit : « Moïse et l’arche ne bougèrent pas »,[9] dans la mesure où l’homme sage ne peut s’écarter de la vertu, ou dans la mesure où la vertu n’est pas susceptible de bouger, ni l’homme vertueux enclin aux changements, mais chacune de ces choses est établie sur le fondement sûr de la droite raison. (49) Et encore, l’Écriture dit dans un autre passage : « Mais toi, reste ici avec moi. »[10] Car c’est un oracle de Dieu, qui a été donné au prophète, et sa position devait être une tranquillité immuable par Dieu, qui se tient toujours immobile ; car il est indispensable que toutes les choses qui sont placées à côté de lui soient maintenues droites par une telle règle inébranlable. (50) C’est pourquoi, me semble-t-il, l’orgueil excessif, nommé Jéthro, s’émerveillant de son choix invariable et toujours égal de ce qui était sage, un choix qui regardait toujours les mêmes choses de la même manière, fut perplexe et lui posa une question sous cette forme : « Pourquoi restes-tu seul ? »[11] (51) Car quiconque considère la guerre continuelle qui fait rage parmi les hommes au milieu de la paix, et qui existe, non seulement entre les nations, les pays et les villes, mais aussi entre les maisons particulières, ou devrais-je plutôt dire, entre chaque homme individuellement et les tempêtes inexprimables et lourdes qui agitent les âmes des hommes, qui,Français par leur impétuosité évidente, bouleversent toutes les affaires de la vie, peut très naturellement se demander si dans une telle tempête, quelqu’un peut jouir de la tranquillité et peut ressentir un calme dans un tel état houleux de la mer orageuse. (52) Vous voyez que même le grand prêtre, c’est-à-dire la raison, qui pourrait à tout moment rester et résider dans la sainte demeure de Dieu, n’a pas la libre permission de les approcher à tout moment, mais seulement une fois par an ; car tout ce qui est associé à la raison par la parole n’est pas ferme, car il est de double nature. Mais la conduite la plus sûre est de contempler le Dieu vivant par l’âme seule, sans expression d’aucune voix, car il existe selon l’unité indivisible.
XII. (53) Ainsi donc, parmi les hommes en général, c’est-à-dire parmi ceux qui se proposent de nombreux objets dans la vie, l’esprit divin ne demeure pas, même s’il peut demeurer parmi eux pour un très court temps, mais il demeure parmi une seule espèce d’hommes, à savoir parmi ceux qui, ayant dépouillé toutes les choses de la création, et le voile le plus intime et la couverture de la fausse opinion, viennent à Dieu dans leurs esprits non cachés et nus. (54) De même aussi Moïse, ayant dressé sa tente hors du tabernacle et hors de toute l’armée corporelle, [12] c’est-à-dire ayant établi son esprit de telle sorte qu’il ne bouge pas, commence à adorer Dieu, et étant entré dans les ténèbres, ce pays invisible, y demeure, accomplissant les mystères les plus sacrés ; et il devient, non seulement un homme initié, mais aussi un hiérophante des mystères et un enseignant des choses divines, qu’il expliquera à ceux dont les oreilles sont purifiées ; (55) c’est pourquoi l’esprit divin est toujours à ses côtés, le conduisant dans tous les sens ; mais des autres hommes, comme je l’ai déjà dit, il se sépare très vite et complète leur vie en un nombre de cent vingt ans. Car Dieu dit : « Leurs jours seront de cent vingt ans » ;[13] (56) mais Moïse, lorsqu’il fut arrivé à ce nombre d’années, passa de la vie mortelle à une autre. Comment, alors, peut-il être naturel que des hommes coupables vivent une durée égale à celle du prophète omniscient ? Pour le moment, il suffira de dire ceci : les choses qui portent le même nom ne sont pas toujours semblables, mais très souvent elles sont distinctes dans tout leur genre ; et aussi ce qui est mauvais peut avoir un nombre et un temps égaux avec ce qui est bon, puisqu’ils sont représentés comme doubles, mais ils ont néanmoins leurs pouvoirs respectifs, distincts l’un de l’autre, et aussi éloignés et différents que possible. (57) Et nous instituerons ci-après une discussion plus exacte de cette période de cent vingt ans, que nous reporterons cependant jusqu’à ce que nous arrivions à un examen de toute la vie du prophète, lorsque nous serons devenus aptes à y être initiés, mais pour le moment nous discuterons de ce qui vient ensuite dans l’ordre.
XIII. (58) « Et il y avait des géants sur la terre en ces jours-là. »[14] Peut-être quelqu’un pensera-t-il ici que le législateur parle de manière énigmatique et fait allusion aux fables transmises par les poètes sur les géants, bien qu’il soit un homme aussi éloigné que possible de toute invention de fables, et qu’il juge bon de ne marcher que dans les sentiers de la vérité elle-même ; (59) en conséquence de ce principe, il a banni de la constitution qu’il a établie ces arts célèbres et beaux de la statuaire et de la peinture, parce qu’ils, imitant faussement la nature de la vérité, inventent des tromperies et des pièges, afin de tromper, par l’intermédiaire des yeux, les âmes qui sont susceptibles d’être facilement gagnées. (60) C’est pourquoi il ne prononce aucune fable concernant les géants ; Mais il veut mettre sous vos yeux ce fait, que certains hommes sont nés de la terre, d’autres du ciel, et d’autres de Dieu : ceux qui sont nés de la terre sont des chasseurs des plaisirs du corps, se consacrant à leur jouissance et à leur jouissance, et s’efforçant de se procurer tout ce qui tend à chacun d’eux. Ceux-là, quant à eux, sont nés du ciel, ceux qui sont des hommes d’habileté et de science, et se consacrent à l’apprentissage ; car la partie céleste de nous est notre esprit, et l’esprit de chacun de ceux qui sont nés du ciel étudie les branches encycliques de l’éducation et tout autre art de toute sorte, s’aiguisant, s’exerçant, se pratiquant et se rendant aigu dans tous les domaines qui sont les objets de l’intellect. (61) Enfin, ceux qui sont nés de Dieu sont des prêtres et des prophètes, qui n’ont pas jugé bon de se mêler aux constitutions de ce monde et de devenir cosmopolites, mais qui, s’étant élevés au-dessus de tous les objets des simples sens extérieurs, ont quitté et fixé leurs vues sur ce monde qui n’est perceptible que par l’intellect, et s’y sont établis, étant inscrits dans l’état d’idées incorporelles incorruptibles.
XIV. (62) Ainsi, Abraham, tant qu’il demeurait dans le pays des Chaldéens, c’est-à-dire, à mon avis, avant de recevoir son nouveau nom, et alors qu’il s’appelait encore Abram, était un homme né du ciel, recherchant la nature sublime des choses d’en haut, et tout ce qui se passait dans ces régions, et leurs causes, et étudiant tout ce genre dans le véritable esprit de la philosophie ; c’est pourquoi il reçut une appellation correspondant aux recherches auxquelles il se consacrait : car le nom Abram, interprété, signifie le père sublime, et est un nom très approprié à l’esprit paternel, qui dans toutes les directions contemple les choses sublimes et célestes : car l’esprit est le père de notre être composé, s’élevant aussi haut que le ciel et même plus loin. (63) Mais lorsqu’il fut amélioré et qu’il fut sur le point de changer de nom, il devint alors un homme né de Dieu, selon l’oracle qui lui fut délivré : « Je suis ton Dieu, veille à ce que tu sois approuvé devant moi et sois irréprochable. »[15] (64) Mais si le Dieu du monde, étant le seul Dieu, est aussi par une faveur spéciale le Dieu particulier de cet homme individuel, alors nécessairement l’homme doit aussi être un homme de Dieu ; car le nom Abraham, interprété, signifie « le père élu de la saine », la raison de l’homme bon : car il est choisi parmi tous, et purifié, et le père de la voix par laquelle nous parlons ; et étant un tel caractère, il est assigné au seul Dieu, dont il devient le ministre, et rend ainsi droit le chemin de toute sa vie, utilisant en vérité la voie royale, la voie du seul roi qui gouverne toutes choses, ne s’en détournant et ne déviant ni à gauche ni à droite.
XV. (65) Mais les fils de la terre détournant leur esprit de la contemplation et devenant des déserteurs afin de fuir vers la nature inerte et immobile de la chair, « car ils sont tous deux devenus une seule chair »,[16] comme le dit le législateur, ont falsifié l’excellente monnaie et ont abandonné le meilleur rang qui leur avait été attribué comme le leur, et ont déserté vers le pire rang, qui était contraire à leur nature originelle, Nimrod étant le premier à donner l’exemple de cette désertion ; (66) car le législateur dit : « que cet homme a commencé à être un géant sur la Terre »[17] et le nom Nimrod, étant interprété, signifie désertion ; car il ne suffisait pas à l’âme complètement misérable de se tenir d’un côté ou de l’autre, mais étant passée à ses ennemis, elle a pris les armes contre ses amis, leur a résisté et leur a fait une guerre ouverte ; C’est pourquoi Moïse appelle Babylone le siège du royaume de Nemrod, et le mot Babylone signifie « changement » ; une chose proche de la désertion, le nom étant également proche du nom, et l’une des actions de l’autre. Car le premier pas de tout déserteur est un changement et une altération d’esprit, (67) et il serait cohérent de dire que, selon le très saint Moïse, l’homme mauvais, comme étant dépourvu de foyer et de ville, sans habitation fixe, et un fugitif, est naturellement aussi un déserteur ; mais l’homme bon est le plus ferme des alliés. Ayant dit cela pour le moment, et suffisamment insisté sur le sujet des géants, nous allons maintenant passer à ce qui vient ensuite dans notre sujet, qui est le suivant.
Genèse 6:1. ↩︎
Genèse 6:2. ↩︎
Psaumes 77:49. ↩︎
Genèse 6:3. ↩︎
Genèse 1:2. ↩︎
Exode 31:1. ↩︎
Nombres 11:17. ↩︎
Lévitique 18:6. ↩︎
Nombres 14:44. ↩︎
Deutéronome 5:31. ↩︎
Exode 18:14. ↩︎
Exode 33:7. ↩︎
Deutéronome 24:7. ↩︎
Genèse 6:4. ↩︎
Genèse 17:1. ↩︎
Genèse 2:24. ↩︎
Genèse 10:29 est le passage auquel il est censé être fait allusion ; mais tel que traduit dans la Bible, il dit seulement : « Il était un puissant chasseur devant le Seigneur. » ↩︎