Livre VII — De la prise de Jérusalem par Titus à la sédition des Juifs à Cyrène | Page de titre | Livre I — De la création à la mort d'Isaac |
1. Ceux qui entreprennent d’écrire des histoires ne se donnent pas la peine, je le vois, pour la même raison, mais pour des raisons multiples et très différentes les unes des autres. Certains s’y consacrent pour démontrer leur talent de composition et acquérir ainsi la réputation d’être de fins orateurs ; d’autres écrivent des histoires pour satisfaire ceux qui s’y intéressent, et pour cette raison, n’ont épargné aucun effort, allant même au-delà de leurs propres capacités. D’autres enfin, contraints par la nécessité et la force, sont contraints d’écrire l’histoire, parce qu’ils sont concernés par les faits et ne peuvent donc s’empêcher de les écrire pour la postérité ; bien plus, nombreux sont ceux qui sont incités à tirer leurs faits historiques de l’ombre à la lumière et à les présenter au public, en raison de la grande importance des faits qui les intéressent. Or, de ces diverses raisons d’écrire l’histoire, je dois confesser que les deux dernières étaient aussi mes propres raisons ; car, comme j’étais moi-même intéressé par cette guerre que nous, les Juifs, avons menée contre les Romains, et que je connaissais moi-même ses actions particulières et quelle en était la conclusion, j’ai été forcé d’en donner l’histoire, parce que j’ai vu que d’autres ont déformé la vérité de ces actions dans leurs écrits.
2. J’ai entrepris ce travail, pensant qu’il paraîtra à tous les Grecs [2] digne d’étude ; car il contiendra toutes nos antiquités et la constitution de notre gouvernement, telle qu’interprétée à partir des Écritures hébraïques. En effet, j’avais initialement l’intention, lorsque j’écrivis sur la guerre, [3] d’expliquer qui étaient les Juifs à l’origine, à quelles fortunes ils avaient été soumis, par quelle législature ils avaient été instruits dans la piété et l’exercice d’autres vertus, et quelles guerres ils avaient menées dans les temps anciens, jusqu’à ce qu’ils s’engagent malgré eux dans celle-ci avec les Romains. Mais comme cet ouvrage aurait été vaste, je l’ai séparé en un traité à part, avec son propre début et sa propre conclusion. Mais avec le temps, comme cela arrive généralement à ceux qui entreprennent de grandes choses, je me suis lassé et j’ai avancé lentement, le sujet étant vaste et difficile à traduire dans une langue étrangère, à laquelle nous ne sommes pas habitués. Cependant, quelques personnes désiraient connaître notre histoire et m’exhortèrent à la poursuivre. Parmi elles, Épaphrodite, [4] homme passionné par toutes les sciences, mais qui se plaît surtout à la connaissance de l’histoire, car il a lui-même été impliqué dans de grandes affaires et a connu de nombreux revers de fortune, et y a fait preuve d’une rigueur remarquable, d’une excellente nature et d’une inébranlable vertu. Je cédai aux persuasions de cet homme, qui incite toujours ceux qui ont des talents dans ce qui est utile et agréable, à se joindre à ses efforts. J’avais honte aussi de laisser une paresse de caractère avoir plus d’influence sur moi que le plaisir de me consacrer à des études très utiles. Je me suis alors ressaisi et j’ai poursuivi mon travail avec plus d’entrain. Outre les motifs précédents, j’en avais d’autres qui m’ont beaucoup inspiré : nos ancêtres étaient disposés à communiquer ces choses à d’autres ; et que certains Grecs ont pris beaucoup de peine pour connaître les affaires de notre nation.
3. Je découvris donc que le second des Ptolémées était un roi particulièrement zélé en matière d’études et de collection de livres ; qu’il était aussi particulièrement ambitieux d’obtenir une traduction en grec de notre loi et de la constitution de notre gouvernement qu’elle contenait. Or, Éléazar, le grand prêtre, qui n’était inférieur à aucun autre de cette dignité parmi nous, n’enviait pas au roi susnommé la participation à cet avantage, qu’il lui aurait certainement refusé autrement, mais il savait que la coutume de notre nation était de ne rien empêcher de communiquer à autrui de ce que nous estimions être. En conséquence, je pensai qu’il me convenait d’imiter la générosité de notre grand prêtre et de supposer qu’il pouvait y avoir, même aujourd’hui, de nombreux érudits comme le roi ; car il ne se procurait pas tous nos écrits à cette époque ; mais ceux qui furent envoyés à Alexandrie comme interprètes ne lui donnèrent que les livres de la loi, alors qu’il y avait une multitude d’autres sujets dans nos livres sacrés. Ils contiennent en effet l’histoire de cinq mille ans, au cours de laquelle se sont produits de nombreux accidents étranges, de nombreux hasards de guerre, de grandes actions des commandants et des mutations dans la forme de notre gouvernement. Dans l’ensemble, celui qui lit cette histoire peut principalement en apprendre que tous les événements réussissent bien, même à un degré incroyable, et que la récompense de la félicité est proposée par Dieu ; mais alors, elle est réservée à ceux qui suivent sa volonté et n’osent pas enfreindre ses excellentes lois ; et que dès que les hommes apostasient de quelque manière que ce soit de leur observation exacte, ce qui était pratique auparavant devient impraticable [5] et tout ce qu’ils entreprennent comme une bonne chose se transforme en une calamité incurable. Et maintenant, j’exhorte tous ceux qui lisent ces livres à appliquer leur esprit à Dieu et à examiner l’esprit de notre législateur, pour savoir s’il n’a pas compris sa nature d’une manière digne de lui ; Il ne lui a jamais attribué les opérations qui lui étaient propres, et n’a pas préservé ses écrits des fables indécentes que d’autres ont inventées, bien que, vu l’ancienneté de son existence, il aurait pu forger de tels mensonges en toute sécurité. Car il a vécu il y a deux mille ans ; à cette époque lointaine, les poètes eux-mêmes n’ont pas eu l’audace de fixer même la génération de leurs dieux, et encore moins les actions de leurs hommes, ni leurs propres lois. Je décrirai donc avec précision le contenu de nos annales, dans l’ordre chronologique qui leur est propre ; car je me suis déjà engagé à le faire tout au long de cette entreprise, et ce sans rien ajouter ni rien retrancher.
4. Mais comme presque toute notre constitution repose sur la sagesse de Moïse, notre législateur, je ne peux m’empêcher de dire quelques mots à son sujet, même si je le ferai brièvement. Autrement, ceux qui liront mon livre pourraient se demander comment il se fait que mon discours, qui promet un exposé des lois et des faits historiques, contienne autant de philosophie. Le lecteur doit donc savoir que Moïse jugeait extrêmement nécessaire que celui qui veut bien mener sa vie et donner des lois aux autres considère d’abord la nature divine et, après avoir contemplé les œuvres divines, imite par là le meilleur modèle, autant que la nature humaine le peut, et s’efforce de le suivre. Le législateur lui-même ne pourrait avoir l’esprit droit sans une telle contemplation, et rien de ce qu’il écrirait ne tendrait à promouvoir la vertu chez ses lecteurs. Je veux dire, à moins qu’on ne leur enseigne d’abord que Dieu est le Père et le Seigneur de toutes choses, qu’il voit tout, et que, de ce fait, il accorde une vie heureuse à ceux qui le suivent, mais qu’il plonge ceux qui ne marchent pas sur les sentiers de la vertu dans d’inévitables misères. Or, lorsque Moïse voulut enseigner cette leçon à ses compatriotes, il ne commença pas l’établissement de ses lois de la même manière que les autres législateurs ; je veux dire, sur les contrats et autres droits entre hommes, mais en élevant leurs esprits vers Dieu et sa création du monde ; et en les persuadant que nous, les hommes, sommes les plus excellentes des créatures de Dieu sur terre. Or, une fois qu’il les eut amenés à se soumettre à la religion, il les persuada facilement de s’y soumettre en tout autre domaine. Car, quant aux autres législateurs, ils suivaient des fables, transféraient par leurs discours les vices humains les plus répréhensibles aux dieux et fournissaient aux méchants les excuses les plus plausibles pour leurs crimes. Quant à notre législateur, après avoir démontré que Dieu possédait une vertu parfaite, il supposa que les hommes devaient également s’efforcer d’y participer ; et il infligea les châtiments les plus sévères à ceux qui ne le pensaient pas et ne le croyaient pas. J’exhorte donc mes lecteurs à examiner toute cette entreprise sous cet angle ; car ils constateront ainsi qu’il n’y a rien de désagréable ni à la majesté de Dieu, ni à son amour pour l’humanité ; car tout ici se rapporte à la nature de l’univers. Tandis que notre législateur parle de certaines choses avec sagesse, mais de manière énigmatique, et d’autres sous une allégorie convenable, mais explique néanmoins clairement et expressément ce qui exige une explication directe. Cependant, ceux qui désirent connaître les raisons de chaque chose trouveront ici une théorie philosophique très curieuse, dont je vais maintenant abandonner l’explication ; mais si Dieu m’en laisse le temps, je me mettrai à l’écrire [6] après avoir terminé ce présent ouvrage. Je vais maintenant me pencher sur l’histoire qui m’attend,après avoir d’abord mentionné ce que dit Moïse de la création du monde, que je trouve décrite dans les livres sacrés de la manière suivante.
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Préface 1a Cette préface de Josèphe est excellente en son genre, et mérite grandement la lecture répétée du lecteur, avant qu’il ne se lance dans la lecture de l’ouvrage lui-même. ↩︎
Pré.2aC’est-à-dire tous les Gentils, tant Grecs que Romains. ↩︎
Pre.3a Nous pouvons noter ici à propos que Josèphe a écrit ses Sept Livres de la Guerre des Juifs bien avant d’écrire ces Antiquités. Ces livres de la Guerre ont été publiés vers 75 après J.-C., et ces Antiquités, 93 après J.-C., environ dix-huit ans plus tard. ↩︎
Pre.4a Cet Épaphrodite était certainement vivant dans la troisième année de Trajan, 100 après J.-C. Voir la note sur le Premier Livre Contre Apion, sect. 1. Qui il était, nous ne le savons pas ; car quant à Épaphrodite, l’affranchi de Néron, et plus tard secrétaire de Domitien, qui fut mis à mort par Domitien dans la 14e ou 15e année de son règne, il ne pouvait pas être vivant dans la troisième année de Trajan. ↩︎
Pre.5a Josèphe fait ici clairement allusion au célèbre proverbe grec : Si Dieu est avec nous, tout ce qui est impossible devient possible. ↩︎
Pre.6a Quant à cet ouvrage que Josèphe projetait de faire concernant les raisons de plusieurs des lois juives, et quel sens philosophique ou allégorique elles auraient, ouvrage dont la perte n’est pas beaucoup regrettée par certains érudits, je suis enclin, en partie, à l’opinion de Fabricius, app. Havercamp, p. 63, 61, que « nous ne devons pas douter que, parmi quelques conjectures vaines et froides dérivées de l’imagination juive, Josèphe nous aurait enseigné un plus grand nombre de choses excellentes et utiles, dont peut-être personne, ni parmi les Juifs, ni parmi les Chrétiens, ne peut maintenant nous informer ; de sorte que je donnerais beaucoup pour le trouver encore existant. » ↩︎