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Je peux commencer par le bouddhisme. Il procurait un sentiment de confiance sereine dans le Destin, une soumission silencieuse à l’inévitable, ce calme stoïque face au danger ou à la calamité, ce dédain de la vie et cette complaisance envers la mort. Un éminent maître d’escrime, voyant son élève maîtriser le summum de son art, lui dit : « Au-delà de cela, mon enseignement doit céder la place à l’enseignement du Zen. » « Zen » est l’équivalent japonais du Dhyâna, qui « représente l’effort humain pour atteindre, par la méditation, des zones de pensée au-delà de l’expression verbale. » [1] Sa méthode est la contemplation, et son but, pour autant que je le comprenne, est d’être convaincu d’un principe qui sous-tend tous les phénomènes et, si possible, de l’Absolu lui-même, et ainsi de se mettre en harmonie avec cet Absolu. Ainsi défini, l’enseignement était plus que le dogme d’une secte, et quiconque atteint la perception de l’Absolu s’élève au-dessus des choses mondaines et s’éveille « à un nouveau Ciel et une nouvelle Terre ».
Ce que le bouddhisme n’a pas donné, le shintoïsme l’a offert en abondance. Une telle loyauté envers le souverain, un tel respect de la mémoire ancestrale et une telle piété filiale qu’aucune autre croyance n’enseigne, ont été inculqués par les doctrines shintoïstes, conférant une certaine passivité au caractère par ailleurs arrogant du samouraï. La théologie shintoïste n’accorde aucune place au dogme du « péché originel ». Au contraire, elle croit en la bonté innée et à la pureté divine de l’âme humaine, l’adorant comme l’adytum d’où sont proclamés les oracles divins. Chacun a observé que les sanctuaires shintoïstes sont ostensiblement dépourvus d’objets et d’instruments de culte, et qu’un simple miroir accroché dans le sanctuaire constitue l’essentiel de son mobilier. La présence [ p. 13 ] de cet article est facile à expliquer : il symbolise le cœur humain qui, lorsqu’il est parfaitement calme et clair, reflète l’image même de la Divinité. Ainsi, lorsque vous vous tenez devant le sanctuaire pour l’adorer, vous voyez votre propre image se refléter sur sa surface brillante, et l’acte d’adoration équivaut à la vieille injonction delphique : « Connais-toi toi-même ». Mais la connaissance de soi n’implique pas, ni dans l’enseignement grec ni dans l’enseignement japonais, la connaissance de la partie physique de l’homme, ni de son anatomie ou de sa psychophysique ; la connaissance devait être de nature morale, l’introspection de notre nature morale. Mommsen, comparant le Grec et le Romain, dit que lorsque le premier adorait, il levait les yeux au ciel, car sa prière était contemplation, tandis que le second se voilait la tête, car sa prière était réflexion. Essentiellement comme la conception romaine de la religion, notre réflexion mettait en avant non pas tant la conscience morale que la conscience nationale de l’individu. Son culte de la nature a rendu le pays cher à nos âmes les plus profondes, tandis que son culte des ancêtres, remontant de lignée en lignée, a fait de la famille impériale la source de toute la nation. Pour nous, le pays est plus que la terre et le sol où extraire de l’or ou moissonner des céréales : c’est la demeure sacrée des dieux, les esprits de nos ancêtres. Pour nous, l’Empereur est plus que l’archiconnétable d’un Rechtsstaat, ou même le patron d’un Culturstaat_ : il est le représentant corporel du Ciel sur terre, mêlant en sa personne sa puissance et sa miséricorde. Si ce que dit M. Boutmy [2] est vrai de la royauté anglaise – qu’elle « n’est pas seulement l’image de l’autorité, mais l’auteur et le symbole de l’unité nationale », comme je le crois, cela peut être affirmé doublement et triplement de la royauté au Japon.
Les principes du shintoïsme couvrent les deux caractéristiques prédominantes de la vie émotionnelle de notre race : le patriotisme et la loyauté. Arthur May Knapp dit très justement : « Dans la littérature hébraïque, il est souvent difficile de dire si l’auteur parle de Dieu ou du Commonwealth ; du Ciel ou de Jérusalem ; du [ p. 15 ] Messie ou de la Nation elle-même. » [3] Une confusion similaire peut être constatée dans la nomenclature de notre foi nationale. J’ai dit confusion, car elle sera considérée comme telle par un intellect logique en raison de son ambiguïté verbale ; pourtant, étant un cadre d’instinct national et de sentiments raciaux, elle ne prétend jamais à une philosophie systématique ou à une théologie rationnelle. Cette religion – ou, n’est-il pas plus exact de dire, les émotions raciales qu’elle exprimait ? – a profondément imprégné le Bushido de loyauté envers le souverain et d’amour de la patrie. Ceux-ci agissaient plus comme des impulsions que comme des doctrines ; car le shintoïsme, à la différence de l’Église chrétienne médiévale, ne prescrivait à ses fidèles pratiquement aucune credenda, leur fournissant en même temps un ordre du jour d’un type simple et direct.
Quant aux doctrines strictement éthiques, les enseignements de Confucius furent la source la plus prolifique du Bushido. Son énonciation des cinq relations morales entre maître et serviteur (gouvernant et gouverné), père et fils, mari et femme, frère aîné et frère cadet, et entre amis, ne fit que confirmer ce que l’instinct racial avait reconnu avant que ses écrits ne soient introduits de Chine. Le caractère calme, bienveillant et respectueux du monde de ses préceptes politico-éthiques convenait particulièrement bien aux samouraïs, qui formaient la classe dirigeante. Son ton aristocratique et conservateur était bien adapté aux exigences de ces hommes d’État guerriers. Après Confucius, Mencius exerçait une immense autorité sur le Bushido. Ses théories percutantes et souvent très démocratiques touchaient profondément les natures sensibles, et étaient même considérées comme dangereuses et subversives pour l’ordre social établi, ce qui explique que ses œuvres aient été longtemps censurées. Pourtant, les paroles de ce génie ont trouvé une place durable dans le cœur des samouraïs.
Les écrits de Confucius et de Mencius constituaient les principaux manuels pour les jeunes et la plus haute autorité en matière de discussion parmi les personnes âgées. La simple connaissance des classiques de ces deux sages n’était cependant pas tenue en haute estime. Un proverbe courant ridiculise celui qui ne possède qu’une connaissance intellectuelle de Confucius, le qualifiant d’homme toujours studieux mais ignorant des Entretiens. Un samouraï typique qualifie un savant littéraire d’ivrogne à l’odeur de livre. Un autre compare le savoir à un légume malodorant qu’il faut faire bouillir encore et encore avant de pouvoir être consommé. Un homme qui a peu lu sent un peu pédant, et un homme qui a beaucoup lu sent encore plus mauvais ; tous deux sont également désagréables. L’auteur voulait dire par là que la connaissance ne devient véritablement telle que lorsqu’elle est assimilée par l’esprit de l’apprenant et transparaît dans son caractère. Un spécialiste intellectuel était considéré comme une machine. L’intellect lui-même était considéré comme subordonné à l’émotion éthique. L’homme et l’univers étaient conçus comme étant à la fois spirituels et éthiques. Le Bushido ne pouvait accepter le jugement de Huxley, selon lequel le processus cosmique était immoral.
Le Bushido prenait cette connaissance à la légère. Elle n’était pas considérée comme une fin en soi, mais comme un moyen d’atteindre la sagesse. Ainsi, quiconque ne poursuivait pas cette fin n’était considéré que comme une machine commode, capable de produire poèmes et maximes à la demande. Ainsi, la connaissance était conçue comme identique à son application pratique dans la vie ; et cette doctrine socratique trouva son plus grand représentant chez le philosophe chinois Wan Yang Ming, qui ne cesse de répéter : « Connaître et agir sont une seule et même chose. »
Permettez-moi de m’accorder une brève digression, car certains des plus nobles bushi furent fortement influencés par les enseignements de ce sage. Les lecteurs occidentaux reconnaîtront aisément dans ses écrits de nombreux parallèles avec le Nouveau Testament. Si l’on tient compte des termes propres à chaque enseignement, le passage : « Cherchez d’abord le royaume et la justice de Dieu ; et tout cela vous sera donné par-dessus » exprime une pensée que l’on retrouve à presque toutes les pages de Wan Yang Ming. Un de ses disciples japonais [4] dit : « Le seigneur du [ p. 19 ] ciel et de la terre, de tous les êtres vivants, demeurant dans le cœur de l’homme, devient son esprit (Kokoro) ; par conséquent, un esprit est une chose vivante et est toujours lumineux » : et encore : « La lumière spirituelle de notre être essentiel est pure et n’est pas affectée par la volonté de l’homme. Surgissant spontanément dans notre esprit, elle montre ce qui est bien et ce qui est mal : on l’appelle alors conscience ; c’est même la lumière qui émane du dieu du ciel. » Combien ces mots ressemblent à certains passages d’Isaac Pennington ou d’autres mystiques philosophes ! Je suis enclin à penser que l’esprit japonais, tel qu’il s’exprime dans les principes simples de la religion shintoïste, était particulièrement ouvert à la réception des préceptes de Yang Ming. Il poussa sa doctrine de l’infaillibilité de la conscience jusqu’au transcendantalisme extrême, lui attribuant la faculté de percevoir non seulement la distinction entre le bien et le mal, mais aussi la nature des faits psychiques et des phénomènes physiques. Il alla aussi loin, sinon plus loin, que Berkeley et Fichte, dans l’Idéalisme, niant l’existence de choses extérieures à la connaissance humaine. Si son système comportait toutes les erreurs logiques imputées au solipsisme, il avait toute l’efficacité d’une conviction forte, et son importance morale dans le développement de l’individualité et de l’équanimité est indéniable.
Ainsi, quelles que soient les sources, les principes essentiels que le Bushido y puisa et assimila furent peu nombreux et simples. Aussi rares et simples fussent-ils, ils suffirent à assurer une vie sûre, même durant les jours les plus incertains de la période la plus instable de l’histoire de notre nation. La nature saine et simple de nos ancêtres guerriers puisait une ample nourriture spirituelle dans un amas d’enseignements banals et fragmentaires, glanés pour ainsi dire sur les chemins et détours de la pensée antique, et, stimulée par les exigences de l’époque, forgea à partir de ces connaissances un type d’humanité nouveau et unique. Un savant français perspicace, M. de la Mazelière, résume ainsi ses impressions du XVIe siècle : « Vers le milieu du XVIe siècle, tout est confusion au Japon, dans le gouvernement, [ p. 21 ] dans la société, dans l’Église. Mais les guerres civiles, le retour à la barbarie des mœurs, la nécessité pour chacun de se faire justice soi-même, tout cela forma des hommes comparables à ces Italiens du XVIe siècle, chez qui Taine loue « l’initiative vigoureuse, l’habitude des résolutions soudaines et des entreprises désespérées, la grande capacité de faire et de souffrir ». Au Japon comme en Italie, « les mœurs rudes du Moyen Âge » firent de l’homme un animal superbe, « tout militant et tout résistant ». Et c’est pourquoi le XVIe siècle manifeste au plus haut degré la principale qualité de la race japonaise, cette grande diversité qu’on y trouve entre les esprits comme entre les tempéraments. Tandis qu’en Inde et même en Chine les hommes semblent différer principalement par leur degré d’énergie ou d’intelligence, au Japon ils diffèrent aussi par l’originalité de leur caractère. Or, l’individualité est le signe des races supérieures et des civilisations déjà développées. Si l’on reprend une expression chère à Nietzsche, on pourrait dire qu’en Asie, parler de l’humanité [ p. 22 ], c’est parler de ses plaines ; au Japon comme en Europe, on la représente surtout par ses montagnes.
Abordons maintenant les caractéristiques profondes des hommes dont parle M. de la Mazelière. Je commencerai par la Rectitude.