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Sans véracité et sincérité, la politesse est une farce et un spectacle. « La bienséance poussée au-delà des limites du juste », dit Masamuné, « devient un mensonge. » Un poète ancien a surpassé Polonius dans le conseil qu’il donne : « Sois fidèle à toi-même : si dans ton cœur tu ne t’écartes pas de la vérité, sans ta prière, les Dieux te garderont intact. » L’apothéose de la Sincérité, que Confucius exprime dans la Doctrine du Milieu, lui attribue des pouvoirs transcendantaux, l’identifiant presque au Divin. « La Sincérité est la fin et le commencement de toutes choses ; sans Sincérité, il n’y aurait rien. » Il s’attarde ensuite avec éloquence sur sa nature profonde et durable, sur son pouvoir de produire des changements [ p. 62 ] sans mouvement et d’accomplir son but sans effort par sa seule présence. À partir de l’idéogramme chinois pour Sincérité, qui est une combinaison de « Parole » et de « Parfait », on est tenté de faire un parallèle entre lui et la doctrine néoplatonicienne du Logos\ — à telle hauteur le sage s’élève dans son vol mystique inhabituel.
Mentir ou tergiverser étaient considérés comme tout aussi lâches. Le bushi considérait que sa haute position sociale exigeait un niveau de véracité plus élevé que celui du commerçant et du paysan. Bushi no ichi-gon — la parole d’un samouraï, ou son équivalent allemand exact, Ritterwort — était une garantie suffisante de la véracité d’une affirmation. Sa parole avait un tel poids que les promesses étaient généralement faites et tenues sans engagement écrit, ce qui aurait été jugé tout à fait indigne de sa dignité. De nombreuses anecdotes palpitantes étaient racontées à propos de ceux qui expièrent par la mort leur ni-gon, une double langue.
Le respect de la véracité était si élevé que, contrairement à la plupart des chrétiens qui persistent à violer les commandements clairs du Maître de ne pas jurer, les meilleurs samouraïs considéraient le serment comme une atteinte à leur honneur. Je sais bien qu’ils juraient par différentes divinités ou sur leurs épées ; mais jamais le serment n’a dégénéré en une forme inconsidérée et une interjection irrévérencieuse. Pour appuyer nos propos, on avait parfois recours à la pratique consistant à sceller littéralement avec du sang. Pour l’explication de cette pratique, je me contenterai de renvoyer mes lecteurs au Faust de Goethe.
Un écrivain américain récent est à l’origine de cette affirmation : si vous demandez à un Japonais ordinaire ce qui est mieux, dire un mensonge ou être impoli, il n’hésitera pas à répondre : « Dire un mensonge ! » Le Dr Peery [1] a en partie raison et en partie tort ; il a raison en ce qu’un Japonais ordinaire, même un samouraï, peut répondre de la manière qu’on lui attribue, mais il a tort d’accorder trop d’importance au terme qu’il traduit par « mensonge ». Ce mot (en japonais, uso) est employé pour désigner tout ce qui n’est pas une vérité (makoto) ou un fait (honto). [ p. 64 ] Lowell nous dit que Wordsworth ne pouvait pas distinguer la vérité du fait, et qu’un Japonais ordinaire est à cet égard aussi bon que Wordsworth. Demandez à un Japonais, ou même à un Américain d’un certain raffinement, de vous dire s’il vous déteste ou s’il a mal au ventre, et il n’hésitera pas longtemps à mentir et à répondre : « Je vous aime beaucoup » ou « Je vais très bien, merci. » Sacrifier la vérité au nom de la politesse était considéré comme une « forme creuse » (kyo-rei) et une « tromperie par des mots doux ».
Je reconnais que je parle ici de la notion de véracité du Bushido : mais il serait peut-être judicieux de consacrer quelques mots à notre intégrité commerciale, dont j’ai entendu de nombreuses critiques dans les livres et revues étrangères. Une moralité commerciale laxiste a en effet porté la plus grande atteinte à notre réputation nationale ; mais avant d’en abuser ou de condamner hâtivement toute la race pour cela, étudions-la sereinement et nous en tirerons une consolation pour l’avenir.
De toutes les grandes occupations de la vie, aucune n’était plus éloignée de la profession des armes [ p. 65 ] que le commerce. Le marchand était placé au plus bas de la catégorie des professions : le chevalier, le laboureur, le mécanicien, le marchand. Le samouraï tirait ses revenus de la terre et pouvait même s’adonner, s’il le voulait, à l’agriculture amateur ; mais le compteur et l’abaque étaient abhorrés. Nous connaissons la sagesse de cet arrangement social. Montesquieu a clairement montré que l’exclusion de la noblesse des activités commerciales était une politique sociale admirable, en ce qu’elle empêchait l’accumulation des richesses entre les mains des puissants. La séparation du pouvoir et des richesses maintenait la répartition de ces dernières à une plus grande équité. Le professeur Dill, auteur de La société romaine au dernier siècle de l’Empire d’Occident, nous a rappelé qu’une des causes de la décadence de l’Empire romain fut la permission donnée à la noblesse de se livrer au commerce, et le monopole qui en résulta sur la richesse et le pouvoir d’une minorité de familles sénatoriales.
Le commerce, par conséquent, dans le Japon féodal, n’atteignit pas le degré de développement qu’il aurait atteint dans des conditions plus libres. L’opprobre attaché à ce métier attirait naturellement dans son giron ceux qui se souciaient peu de la réputation sociale. « Traitez quelqu’un de voleur et il volera. » Mettez un stigmate sur un métier et ses adeptes ajustent leur morale en conséquence, car il est naturel que « la conscience normale », comme le dit Hugh Black, « s’élève aux exigences qui lui sont imposées et tombe facilement à la limite du niveau attendu d’elle. » Il est inutile d’ajouter qu’aucune entreprise, commerciale ou autre, ne peut être traitée sans un code de morale. Nos marchands de l’époque féodale en avaient un entre eux, sans lequel ils n’auraient jamais pu développer, comme ils l’ont fait à l’état embryonnaire, des institutions commerciales aussi fondamentales que la guilde, la banque, la bourse, les assurances, les chèques, les lettres de change, etc. mais dans leurs relations avec les gens extérieurs à leur vocation, les commerçants vivaient trop fidèlement à la réputation de leur ordre.
Cela étant, lorsque le pays s’ouvrit au commerce extérieur, seuls les plus aventureux et les plus peu scrupuleux se précipitèrent vers les ports, tandis que les maisons de commerce respectables déclinèrent quelque temps les demandes répétées des autorités d’établir des succursales. Le Bushido fut-il impuissant à endiguer le déshonneur commercial ? Voyons voir.
Ceux qui connaissent bien notre histoire se souviendront que quelques années seulement après l’ouverture de nos ports au commerce extérieur, le féodalisme fut aboli. Lorsque les fiefs des samouraïs furent saisis et des obligations leur furent émises en compensation, ils furent libres de les investir dans des transactions commerciales. Vous vous demandez peut-être : « Pourquoi n’ont-ils pas pu appliquer leur véracité tant vantée à leurs nouvelles relations commerciales et ainsi réformer les anciens abus ? » Ceux qui avaient les yeux pour voir ne pouvaient que pleurer, ceux qui avaient le cœur pour ressentir ne pouvaient que compatir au sort de nombreux samouraïs nobles et honnêtes qui échouèrent de manière flagrante et irrévocable dans leur nouveau domaine inconnu du commerce et de l’industrie, par manque de perspicacité face à leur rival plébéien. Quand on sait que 80 % des [ p. 68 ] maisons de commerce échouent dans un pays aussi industrialisé que l’Amérique. Faut-il s’étonner que, parmi les cent samouraïs qui se lançaient dans le commerce, à peine un seul ait réussi dans sa nouvelle vocation ? Il faudra longtemps avant que l’on reconnaisse combien de fortunes ont été ruinées en tentant d’appliquer l’éthique du Bushido aux méthodes commerciales ; mais il est vite devenu évident pour tout esprit observateur que les voies de la richesse n’étaient pas celles de l’honneur. En quoi étaient-elles donc différentes ?
Des trois incitations à la véracité énumérées par Lecky, à savoir l’industrie, la politique et la philosophie, la première était totalement absente du Bushido. Quant à la seconde, elle ne pouvait guère se développer dans une communauté politique sous un système féodal. C’est dans son aspect philosophique et, comme le dit Lecky, dans son aspect le plus élevé, que l’honnêteté a atteint un rang élevé dans notre catalogue de vertus. Malgré tout mon respect sincère pour la grande intégrité commerciale de la race anglo-saxonne, lorsque je demande le fondement ultime, on me répond que « l’honnêteté est la meilleure politique » – qu’il est payant d’être honnête. Cette vertu n’est-elle pas alors sa propre récompense ? Si elle est pratiquée parce qu’elle rapporte plus d’argent que le mensonge, je crains que le Bushido ne préfère se livrer au mensonge !
Si le Bushido rejette la doctrine des récompenses donnant donnant, le commerçant avisé l’acceptera volontiers. Lecky a très justement remarqué que la véracité doit en grande partie son essor au commerce et à l’industrie ; comme le dit Nietzsche, l’honnêteté est la plus jeune des vertus ; autrement dit, elle est l’enfant nourricier de l’industrie moderne. Sans cette mère, la véracité était comme un orphelin de sang noble que seul l’esprit le plus cultivé pouvait adopter et nourrir. De tels esprits étaient répandus parmi les samouraïs, mais, faute d’une mère nourricière plus démocratique et plus pragmatique, le tendre enfant ne parvint pas à s’épanouir. Avec le développement des industries, la véracité se révélera une vertu facile, voire profitable, à pratiquer. Pensez-y : pas plus tard qu’en novembre 1880, Bismarck envoyait une circulaire aux consuls professionnels de l’Empire allemand, les avertissant d’un « manque de fiabilité lamentable concernant les expéditions allemandes, notamment en termes de qualité et de quantité ». De nos jours, on entend relativement peu parler de l’insouciance et de la malhonnêteté allemandes dans le commerce. En vingt ans, ses marchands ont appris qu’en fin de compte, l’honnêteté paie. Nos marchands l’ont déjà découvert. Pour le reste, je recommande au lecteur de se référer à deux auteurs récents pour un jugement réfléchi sur ce point. [2] Il est intéressant de noter à ce propos que l’intégrité et l’honneur étaient les garanties les plus sûres que même un marchand débiteur pouvait présenter sous forme de billets à ordre. Il était tout à fait courant d’insérer des clauses telles que celles-ci : « À défaut de remboursement de la somme qui m’a été prêtée, je ne dirai rien contre le fait d’être ridiculisé en public » ; ou : « Si je ne vous rembourse pas, vous pourrez me traiter de fou », et ainsi de suite.
Je me suis souvent demandé si la véracité du Bushido avait une motivation plus forte que le courage. En l’absence de tout commandement positif [ p. 71 ] interdisant le faux témoignage, le mensonge n’était pas condamné comme un péché, mais simplement dénoncé comme une faiblesse et, à ce titre, hautement déshonorant. En fait, l’idée d’honnêteté est si intimement liée, et son étymologie latine et allemande si étroitement liée à l’honneur, qu’il est grand temps que je m’arrête quelques instants pour examiner cette caractéristique des Préceptes de la Chevalerie.