[ p. 117 ]
J’ai récemment été surpris de trouver, dans le catalogue des peintures japonaises et chinoises d’Anderson conservé au British Museum, cette déclaration remarquable : « Il est à noter qu’au Japon, la figure du Bouddha n’est jamais représentée par les pieds ou le piédestal seuls, comme dans les vestiges d’Amravâtî et de nombreuses autres reliques de l’art indien. » En fait, cette représentation n’est même pas rare au Japon. On la trouve non seulement sur des monuments en pierre, mais aussi dans des peintures religieuses, notamment certains kakémono suspendus dans les temples. Ces kakémono présentent généralement les empreintes de pas à très grande échelle, avec une multitude de symboles et de caractères mystiques. Les sculptures sont peut-être moins courantes ; mais rien qu’à Tokyo, il existe un certain nombre de 'Butsu-soku-séki, ou « pierres aux pieds de Bouddha », que j’ai vues, et probablement plusieurs que je n’ai pas vues. Il y en a un au temple d’Ekô-In, près de Ryôgoku-bashi ; un au temple de Dentsu-In, à Koishikawa ; un au temple de Denbô-In, à Asakusa ; et un magnifique exemplaire au Zôjôji, à Shiba. Ces piédestaux ne sont pas taillés dans un seul bloc, mais composés de fragments cimentés selon la forme traditionnelle irrégulière, et surmontés d’une lourde dalle de granit de Nebukawa, sur la surface polie de laquelle le motif est gravé en lignes d’environ un dixième de pouce de profondeur. J’estime que la hauteur moyenne de ces piédestaux est d’environ deux pieds quatre pouces et leur plus grand diamètre d’environ trois pieds. Autour des empreintes sont sculptées (dans la plupart des exemples) douze petits bouquets de feuilles et de bourgeons du Bodai-jû (« Bodhidruma »), ou arbre de la Bodhi de la légende bouddhiste. Dans tous les cas, le motif des empreintes est à peu près le même ; mais les monuments diffèrent par leur qualité et leur finition. Celui de Zôjôji, orné de figures de divinités sculptées en bas-relief sur ses flancs, est le plus orné et le plus coûteux des quatre. Le spécimen d’Ekô-In est très pauvre et simple.
Le premier Butsu-soku-séki réalisé au Japon fut celui érigé à Tôdaiji, à Nara. Il fut conçu [ p. 119 ]après un monument similaire en Chine, présenté comme la copie fidèle d’un original indien. Concernant cet original indien, la tradition suivante est rapportée dans un ancien livre bouddhiste[1] : « Dans un temple de la province de Makada [Maghada] se trouve une grande pierre. Le Bouddha a un jour marché sur cette pierre ; les empreintes de la plante de ses pieds subsistent à sa surface. La longueur des empreintes est de trente centimètres,[2] et leur largeur d’un peu plus de quinze centimètres. Sur la plante de chaque empreinte se trouve l’empreinte d’une roue ; et sur chacune des empreintes des dix orteils se trouve un motif floral, qui irradie parfois de lumière. Lorsque le Bouddha sentit que l’heure de son Nirvana approchait, il se rendit à Kushina [Kusinârâ] et se tint debout sur cette pierre. Il se tenait face au sud. Puis il dit à son disciple Anan [Ananda] : « Je laisse ici l’empreinte de mes pieds, pour une dernière fois. »
[1. Le titre chinois est prononcé par les Japonais comme Sei-iki-ki. « Sei-Iki » (le Pays de l’Ouest) était l’ancien nom japonais de l’Inde ; et ainsi le titre pourrait être rendu par « Le Livre sur l’Inde ». Je suppose qu’il s’agit de l’ouvrage connu des érudits occidentaux sous le nom de Si-yu-ki.
2. « Un shaku et huit sun. » Mais le pied et le pouce japonais sont considérablement plus longs que les anglais.] [ p. 120 ]oken. Bien qu’un roi de ce pays tente de détruire l’empreinte, elle ne pourra jamais être entièrement détruite. Et en effet, elle n’a pas été détruite à ce jour. Un jour, un roi qui haïssait le bouddhisme fit araser le dessus de la pierre afin d’enlever l’empreinte ; mais après que la surface eut été enlevée, les empreintes réapparurent sur la pierre.
Concernant la vertu de la représentation des empreintes de pas du Bouddha, on cite parfois un texte du Kwan-butsu-sanmai-kyô [« Buddha-dhyâna-samâdhi-sâgara-sûtra »], ainsi traduit pour moi : « En ce temps-là, Shaka [“Sâkyamuni“] leva son pied… Lorsque le Bouddha leva son pied, tous purent percevoir sur la plante de son pied l’apparence d’une roue à mille rayons… Et Shaka dit : « Quiconque contemple le signe sur la plante de mon pied sera purifié de toutes ses fautes. Même celui qui contemple le signe après ma mort sera délivré de toutes les conséquences néfastes de toutes ses erreurs. » Divers autres textes du bouddhisme japonais affirment que quiconque contemple les empreintes de pas du Bouddha « sera libéré des liens de l’erreur et conduit sur la Voie de l’Éveil ».
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S’RÎPADÂ-TRACING CHEZ DENTSU-IN, KOISIKAWA, TÔKYÔ
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Un aperçu des empreintes de pas gravées sur l’un des piédestaux japonais [1] devrait intéresser même les personnes familiarisées avec les sculptures indiennes du S’rîpâda. Le dessin sur double page accompagnant cet article, représentant les deux empreintes, a été réalisé d’après le calque de Dentsu-In, où les empreintes ont toute leur dimension légendaire. On remarquera qu’il n’y a que sept emblèmes : on les appelle au Japon les Shichi-Sô, ou « Sept Apparitions ». J’ai obtenu des informations à leur sujet dans le Shô-Ekô-Hô-Kwan, un ouvrage utilisé par la secte Jôdo. Ce livre contient également des gravures sur bois brutes des empreintes ; je reproduis l’une d’elles ici afin d’attirer l’attention sur la forme curieuse des emblèmes sur les orteils. Il s’agirait de modifications du manji, ou svastika () ; mais j’en doute. Dans les tracés du Butsu-soku-séki, les figures correspondantes suggèrent le « dessin en forme de fleur » mentionné dans la tradition de la pierre de Maghada ; tandis que les symboles de l’estampe évoquent le feu. En effet, leur contour est tellement
[1. Un monument à Nara présente le S’rîpâda sous une forme considérablement différente de celle des piédestaux de Tôkyô.] [ p. 124 ]ressemble au motif conventionnel des flammes de la décoration bouddhiste, si bien que je ne peux m’empêcher de penser qu’il était à l’origine destiné à indiquer la luminosité traditionnelle des empreintes de pas. De plus,
SHÔ-EKÔ-HÔ-KWAN
il y a un texte dans le livre appelé Hô-Kai-Shidai qui appuie cette supposition : « La plante du pied du Bouddha est plate, comme la base d’un meuble de toilette… Des lignes [ p. 125 ]lui donnent l’apparence d’une roue à mille rayons… Les orteils sont fins, ronds, longs, droits, gracieux et quelque peu lumineux. »
L’explication des Sept Apparences donnée par le Shô-Ekô-Hô-Kwan ne peut être qualifiée de satisfaisante ; mais elle n’est pas dénuée d’intérêt pour le bouddhisme populaire japonais. Les emblèmes sont examinés dans l’ordre suivant :
II. — Le Poisson (Gyo). Le poisson symbolise la liberté de toute contrainte. De même que dans l’eau un poisson se déplace aisément dans toutes les directions, ainsi, dans l’état de Bouddha, l’homme pleinement émancipé ne connaît ni contrainte ni obstacle.
[1. Lit. : « Le signe aux mille caractères ».
2. Sur certains monuments et dessins, on trouve une sorte de disque formé d’une seule ligne en spirale, sur chaque orteil, ainsi que l’image d’une petite roue.]
[ p. 126 ]
III. — La Masse de Diamant (japonais Kongô-sho ; sanskrit « Vadjra »). Expliquée comme signifiant la force divine qui « frappe et brise toutes les convoitises (bonnô) du monde ».
IV. — La Conque (japonais « Hora ») ou Trompette. Emblème de la prédication de la Loi. Le livre Shin-zohu-butsu-ji-hen la désigne comme le symbole de la voix du Bouddha. Le Dai-hi-kyô la désigne comme le symbole de la prédication et de la puissance de la doctrine du Mâhâyâna. Le Dai-Nichi-Kyô dit : « Au son du souffle de la conque, toutes les divinités célestes sont comblées de joie et viennent écouter la Loi. »
V. — Le Vase à Fleurs (japonais « Hanagamé »). Emblème de Murô, mot mystique que l’on pourrait traduire littéralement par « qui ne fuit pas », signifiant cet état d’intelligence suprême triomphant de la naissance et de la mort.
VI. - La Roue aux mille rayons (sanskrit « Tchakra »). Cet emblème, appelé en japonais Senfuku-rin-sô, est curieusement expliqué par diverses citations. Le Hokké-Monku dit : « L’effet d’une roue est de briser quelque chose ; et l’effet de la prédication du Bouddha est de détruire toutes les illusions, erreurs, doutes et superstitions. Par conséquent, atteindre la doctrine est appelé « tourner la Roue ». » Le Sei-Ri-Ron dit : « De même que la roue ordinaire a ses rayons et son moyeu, de même, dans le bouddhisme, il existe de nombreuses branches du Hasshi Shôdo (« Sentier octuple », ou huit règles de conduite). »
VII. — La Couronne de Brahma. Sous le talon du Bouddha se trouve la Couronne-Trésor (Hô-Kwan) de Brahma (Bon-Ten-O), symbole de la suprématie du Bouddha sur les dieux.
Mais je pense que les inscriptions figurant sur chacun de ces Butsu-soku-séki seront plus significatives que les tentatives imparfaites d’explication des emblèmes mentionnées ci-dessus. Les inscriptions du monument de Dentsu-In sont typiques. Sur les côtés de la structure, près du sommet et disposés selon une règle de manière à faire face à certains points cardinaux, sont gravés cinq caractères sanscrits, symboles des Cinq Bouddhas Élémentaires, ainsi que des textes scripturaires et commémoratifs. Ces derniers ont été traduits pour moi comme suit :
Le HO-KO-HON-NYO-KYO dit : « À ce moment-là, sous ses pieds, le Bouddha irradiait une lumière ayant l’apparence d’une roue d’un…
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mille rayons. Et tous ceux qui virent ce rayonnement se redressèrent rigoureusement et obtinrent l’Illumination suprême.
Le KWAN-BUTSU-SANMAI-KYO dit : « Quiconque regarde les empreintes du Bouddha sera libéré des conséquences d’innombrables milliers d’imperfections. »
Le BUTSU-SETSU-MU-RYO-JU-KYO dit : « Sur la terre que le Bouddha traverse en voyageant, il n’est pas une seule personne dans la multitude des villages qui n’en bénéficie. Alors, partout dans le monde, règnent la paix et la bonne volonté. Le soleil et la lune brillent clairs et lumineux. Le vent et la pluie ne surviennent qu’au moment opportun. Les calamités et les épidémies cessent. Le pays prospère ; les gens sont libérés de tout souci. Les armes deviennent inutiles. Tous les hommes révèrent la religion et règlent leur conduite en toutes choses avec sérieux et modestie. »
[Texte commémoratif.]
—Le cinquième mois de la dix-huitième année de Meiji, tous les prêtres de ce temple ont fabriqué et érigé ce piédestal en pierre, portant la ressemblance des empreintes du Bouddha, et l’ont placé dans la cour principale de Dentsu-In, afin que la graine de l’illumination sacrée puisse être semée pour les temps futurs, et pour le progrès du bouddhisme.
TAIJO, prêtre, étant le soixante-sixième grand prêtre par succession de ce temple, a respectueusement composé.
JUNYU, le prêtre mineur, a inscrit avec révérence.
[ p. 129 ]
Des faits étranges se bousculent dans la mémoire à la contemplation de ces empreintes gravées – des empreintes qui paraissent gigantesques, mais moins que la personnalité humaine dont elles demeurent le symbole. Il y a deux mille quatre cents ans, d’une méditation solitaire sur la douleur et le mystère de l’être, l’esprit d’un pèlerin indien fit surgir la plus haute vérité jamais enseignée aux hommes et, à une époque dépourvue de science, anticipa la connaissance la plus profonde de notre philosophie évolutionniste actuelle concernant l’unité secrète de la vie, les illusions infinies de la matière et de l’esprit, et la naissance et la mort des univers. Lui, par la raison pure – et lui seul avant notre époque – trouva des réponses valables aux questions du Où, du Où et du Pourquoi ; et il forgea avec ces réponses une foi nouvelle, plus noble que celle de ses pères. Il parla, puis retourna à sa poussière ; et le peuple vénéra les empreintes de ses pieds morts, en raison de l’amour qu’il leur avait inculqué. Par la suite, le nom d’Alexandre, la puissance de Rome et la puissance de l’Islam ont connu des hauts et des bas ; des nations sont apparues et ont disparu ; des villes ont grandi et n’existaient plus ; les enfants d’une autre civilisation, plus vaste que celle de Rome, ont conquis la terre de leurs conquêtes, fondé des empires lointains et sont finalement parvenus à régner sur la terre natale de ce pèlerin. Et ceux-ci, riches de la sagesse de vingt-quatre siècles, s’émerveillèrent de la beauté de son message et firent réécrire tout ce qu’il avait dit et fait dans des langues qui n’existaient pas à l’époque où il vivait et enseignait. Ses empreintes brûlent encore à l’Orient ; et le grand Occident, émerveillé, suit toujours leur lueur pour rechercher l’Illumination suprême. Ainsi, autrefois, le roi Milinda suivit le chemin de la maison de Nagasena, d’abord seulement pour interroger, selon la méthode subtile des Grecs ; mais, plus tard, d’accepter avec une noble révérence la méthode plus noble du Maître.