La période Kamakura : 1200-1400 après J.-C. | Page de titre | Toyotomi et début de la période Tokugawa : 1600-1700 après JC |
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1400-1600 après J.-C.
La période Ashikaga doit son nom à la branche de la famille Minamoto qui succéda au shogunat. Elle sonne, conséquence naturelle du culte des héros de Kamakura, comme la véritable expression de l’art moderne, du romantisme au sens littéraire du terme.
La conquête de la Matière par l’Esprit a toujours été le but des efforts des forces mondiales, et chaque étape de la culture est marquée, en Orient comme en Occident, par une intensification de l’attitude triomphale. Les trois termes par lesquels les érudits européens aiment à distinguer le développement passé de l’art, bien que manquant peut-être de précision, n’en contiennent pas moins une vérité inévitable, car la loi fondamentale de la vie et du progrès [ p. 164 ] sous-tend non seulement l’histoire de l’art dans son ensemble, mais aussi l’apparition et le développement des artistes et de leurs écoles.
L’Orient a connu sa propre forme de cette période dite symbolique, ou mieux encore, formaliste, où la matière, ou la loi de la forme matérielle, domine le spirituel dans l’art. L’Égyptien et l’Assyrien cherchaient à exprimer la grandeur par des pierres immenses, tout comme l’artisan indien, par ses innombrables répétitions, à exprimer l’infini dans ses créations. De même, l’esprit chinois des dynasties Shu et Hang recherchait des effets sublimes dans leurs longs murs et dans les lignes subtiles et complexes qu’ils produisaient en bronze. La première période de l’art japonais, de sa naissance au début de l’ère Nara, bien qu’imprégnée de l’idéal le plus pur du premier développement nordique du bouddhisme, s’inscrit toujours dans ce groupe, en faisant de la forme et de la beauté formaliste le fondement de l’excellence artistique.
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Vient ensuite la période dite classique, où la beauté est recherchée comme union de l’esprit et de la matière. La philosophie panthéiste grecque, dans toutes ses phases, se consacre à cet élan, et les œuvres du Parthénon, avec les pierres immortelles de Phidias et de Praxitèle, en sont l’expression la plus pure. Cette phase se manifeste également en Orient comme la deuxième école du bouddhisme nordique.
Il s’agit là d’un idéalisme objectif qui atteint son apogée sous l’influence de l’Inde des Gupta, durant la dynastie des Tang et la période de Nara, et qui est destiné à se consolider dans la cosmologie concrète du panthéon ésotérique. La parenté entre l’œuvre japonaise de cette période et celle des gréco-romains tient à la ressemblance fondamentale de son environnement mental avec celui des nations classiques d’Occident.
Mais l’individualisme, feu sous-jacent de la vie et de la spéculation modernes, n’attendait que de percer l’écorce classique [ p. 166 ] et de s’enflammer une fois pour toutes dans la liberté de l’esprit. L’esprit doit conquérir la matière, et bien que les idiosyncrasies différentes des esprits occidental et oriental conduisent à des expressions différentes, l’idée moderne du monde entier mène inévitablement au romantisme. Les races latine et teutonique, de par leurs instincts héréditaires et leurs positions politiques, se sont lancées dans la recherche de l’idéal romantique de manière objective et matérialiste ; tandis que l’esprit chinois ultérieur, représenté par les néo-confucéens, et le Japonais depuis l’époque d’Ashikaga, imprégnés pour ainsi dire de l’essence spirituelle de l’Inde et imprégnés du communisme harmoniste de la pensée confucéenne, ont abordé le problème d’un point de vue subjectif et idéaliste.
L’influence néoconfucéenne de la Chine, qui mûrit plus tard sous la dynastie Song (960-1280 apr. J.-C.), était un amalgame de pensées taoïste, bouddhiste et confucéenne, agissant toutefois principalement à travers l’esprit taoïste, comme le montre Chimpaku, ce philosophe taoïste de la fin de la dynastie Tang, qui réalisa un diagramme unique pour représenter l’univers selon tous ces systèmes à la fois. Nous en arrivons maintenant aux nouvelles interprétations des deux principes du Cosmos, le masculin et le féminin, l’accent étant mis pour la première fois sur ce dernier, seul actif. Cela correspond à la notion indienne de Sakti et a été développé par les penseurs néoconfucéens comme leur théorie du Ri et du Ki, la Loi omniprésente et l’Esprit agissant. Ainsi, toute la philosophie asiatique, depuis Sankaracharya jusqu’en bas, s’appuie sur la puissance motrice de l’univers.
Une autre tendance de l’esprit taoïste est la fuite de l’homme vers la nature. Ceci résulte du fait que nous recherchons l’expression dans les contraires. Cet amour inné de la nature impose une limite à l’art Ashikaga, qui se consacre trop exclusivement aux paysages, aux oiseaux et aux fleurs. Ainsi, le néoconfucianisme en Chine se compose de la justification confucéenne de tout, plus le nouvel esprit de l’individualisme, et il culmine avec la renaissance du régime politique de Shu, avec une signification moderne plus profonde.
C’est une preuve de la réalité de l’individualisme de l’époque que ce mouvement soit suivi par la montée de grands partis politiques dans l’empire, affaiblissant ainsi la Chine contre sa prochaine invasion tartare, qui aboutit à la dynastie mongole de Gen (1280-1368 après J.-C.).
Depuis l’époque des maîtres Ashikaga, l’art japonais, bien que soumis à une légère dégénérescence durant les périodes Toyotomi et Tokugawa, est resté fidèle à l’idéal romantique oriental, c’est-à-dire à l’expression de l’Esprit comme expression artistique suprême. Cette spiritualité, chez nous, n’était ni le purisme ascétique des premiers Pères de l’Église, ni l’idéalisation allégorique de la pseudo-Renaissance. Ce n’était ni un maniérisme, [ p. 169 ] ni une forme de retenue. La spiritualité était conçue comme l’essence ou la vie d’une chose, la caractérisation de l’âme des choses, un feu intérieur ardent.
La beauté était le principe vital qui imprégnait l’univers, scintillant à la lumière des étoiles, à l’éclat des fleurs, au mouvement d’un nuage ou à celui de l’eau qui coule. La grande âme du monde imprégnait les hommes comme la nature, et par la contemplation de la vie universelle qui s’étendait devant nous ; dans les merveilleux phénomènes de l’existence, on pouvait trouver le miroir dans lequel l’esprit artistique pouvait se refléter. Ainsi, l’art d’Ashikaga présente un aspect totalement différent des productions des deux phases précédentes. Il n’est ni complet ni harmonieux, comme la beauté formaliste des bronzes Hang ou des miroirs des Six Dynasties, ni empreint de ce calme pathétique et de cette sérénité émotionnelle que l’on retrouve dans les statues du Sangatsude de Nara et dans les œuvres achevées [ p. 170 ] la gloire et l’idéalité raffinée des Anges de Koyasan de Genshin, mais elle impressionne par une franchise et une unité introuvables dans ces créations antérieures. C’est l’esprit qui parle à l’esprit, un esprit fort et qui se refuse à lui-même – impassible, car il est si simple.
Cette identité de l’esprit et de la matière, qui avait été l’idéal évolutif et culminant des périodes pré-Fujiwara de l’art japonais, signifie toujours le repos. C’est l’effort centripète de l’imagination. Mais l’énergie latente jaillit à nouveau. La vie reprend ses droits dans l’impulsion centrifuge. D’étranges nouveaux types se créent. L’individualité s’enrichit de sa variété et de sa force. La première expression est toujours l’émotion, la Bhakti de la pensée indienne, telle que nous la voyons dans les histoires d’amour et les poèmes européens, et dans les développements religieux de l’époque Fujiwara. Plus tard, comme ici à l’époque Ashikaga, nous avons la phase supérieure, dans cette réalisation de la somme des choses comme acte de notre propre volonté, appelée en Inde Gnan, ou « intuition ».
L’idéal Ashikaga doit son origine à la secte bouddhiste Zen, devenue prédominante durant la période Kamakura. Le Zen, du mot Dhyan, signifiant méditation dans le repos suprême, fut introduit en Chine par Bodhi Dharma, un prince indien arrivé dans ce pays comme moine en 520 après J.-C. Mais il dut d’abord assimiler les idées laoïstes avant de pouvoir être naturalisé sur le sol céleste, et c’est sous cette forme qu’il fit son apparition vers la fin de la dynastie Tang. Les doctrines de Baso et de Rinzai se distinguent clairement de celles des premiers représentants de cette école. Le Zenisme était donc un développement, et l’héritage qu’il laissa aux moines de Kamakura et d’Ashikaga était le Zen du Sud, très différent du Zen du Nord, ce dernier adhérant encore à la forme enseignée par les premiers patriarches de la secte. Car à cette époque, l’idée [ p. 172 ] n’était plus qu’une école d’individualisme. Sous son inspiration, les héros militants de Kamakura étaient comme les héros spirituels de l’Église – Alexandre se transforma en Ignace de Loyola. L’idée de conquête fut complètement orientalisée, passant de ce qui est extérieur à ce qui est intérieur à l’homme lui-même. Ne pas utiliser l’épée, mais être l’épée – pure, sereine, immobile, pointant toujours vers l’étoile polaire – était l’idéal du chevalier Ashikaga. Tout était recherché dans l’âme, comme moyen de libérer la pensée des chaînes dans lesquelles toutes les formes de connaissance tendaient à l’enchaîner. Le zénisme était même iconoclaste, au sens où il ignorait les formes et les rituels, car les images bouddhiques étaient jetées au feu par les zen qui atteignaient l’illumination. Les mots étaient considérés comme un obstacle à la pensée, et les doctrines zénistiques étaient présentées sous forme de phrases brisées et de métaphores puissantes, au grand dénigrement [ p. 173 ] de la langue étudiée par les lettrés chinois.
Pour ces penseurs, l’âme humaine était elle-même la bouddhéité, où l’universel, manifesté dans le particulier, resplendissait de cette gloire originelle, perdue dans la longue nuit de l’ignorance et de la prétendue connaissance humaine. En libérant la pensée des entraves des catégories erronées, on parvenait à atteindre l’illumination véritable.
Ainsi, leur formation était centrée sur les méthodes de maîtrise de soi, essence de la véritable liberté. Les esprits humains égarés tâtonnaient dans l’obscurité, car ils prenaient l’attribut pour la substance. Même les enseignements religieux étaient trompeurs, dans la mesure où ils faisaient passer des apparences pour des réalités. Cette pensée était souvent illustrée par la comparaison des singes tentant de saisir le reflet de la lune dans l’eau ; car chaque tentative pour s’emparer de l’image argentée ne pouvait qu’ébouriffer la surface réfléchissante et finir par détruire non seulement la lune fantôme, mais aussi eux-mêmes. Les sûtras élaborés des soi-disant quatre-vingt-quatre mille portes de la connaissance étaient comme le bavardage insensé des érudits simiesques. La liberté, une fois acquise, laissait à tous les hommes le loisir de se délecter et de se glorifier des beautés de l’univers entier. Ils ne faisaient alors qu’un avec la nature, dont ils sentaient le pouls battre simultanément en eux, dont ils sentaient le souffle s’inspirer et expirer en union avec le grand esprit du monde. La vie était à la fois microcosmique et macrocosmique. Vie et mort se ressemblent, mais phases d’une existence unique et universelle.
Ils aimaient aussi dépeindre la progression d’un étudiant zen comme celle d’un bouvier à la recherche d’une charge perdue. Car l’homme, par ignorance, est privé d’âme et, tel le bouvier, une fois réveillé pour la recherche, il avance péniblement dans des traces presque imperceptibles, jusqu’à ce qu’il découvre d’abord la queue, puis le corps de ce qu’il cherche. [ p. 175 ] S’ensuit la lutte pour la maîtrise – un combat acharné, une guerre terrible entre les sens terrestres et la lumière intérieure. Le bouvier triomphe et, assis sur le dos de l’animal désormais docile, poursuit sereinement son chemin, jouant une simple mélodie à la flûte – oubliant ainsi lui-même et la bête. Pour lui, le jour est doux, avec ses saules verts et ses fleurs cramoisies. Ceux-ci disparaissent à nouveau, et il se délecte à se mouvoir au clair de lune, où il est à la fois et pourtant n’est plus. Ainsi, pour la pensée zen, les victoires sur le moi intérieur sont plus vraies que les austères pénitences de l’ermite médiéval, qui tourmentait sa chair au lieu de discipliner son esprit. Le corps est un vaisseau de cristal, à travers lequel l’arc-en-ciel de la Grande Existence doit briller. L’esprit est comme un grand lac, limpide jusqu’au fond, reflétant les nuages qui le surplombent, parfois agité par des vents qui le font écumer et rager, mais seulement pour retomber dans le calme originel, sans jamais perdre sa pureté, [ p. 176 ] ni sa propre nature. Le monde est empli d’un pathos d’existence qui n’est pourtant qu’accessoire, et il faut lutter et combattre avec sérénité et imperturbabilité, comme pour un festin nuptial. La vie et l’art, influencés par ces enseignements, ont transformé les habitudes japonaises, qui sont aujourd’hui devenues une seconde nature. Notre étiquette commence par l’apprentissage de l’offrande d’un éventail et se termine par les rites du suicide. La cérémonie du thé elle-même est l’expression même des idées zen.
L’aristocratie Ashikaga, raffinée à sa manière, évoluait, comme ses ancêtres Fujiwara, de la notion de luxe à celle de raffinement. Ils aimaient vivre dans des chaumières, aussi simples en apparence que celles du plus humble paysan, mais dont les proportions étaient conçues par le plus grand génie de Shojo ou de Soami, dont les piliers étaient faits du bois d’encens le plus précieux des îles indiennes les plus lointaines ; même leurs bouilloires en fer étaient des merveilles d’artisanat, conçues par Sesshu. La beauté, [ p. 177 ] disaient-ils, ou la vie des choses, est toujours plus profonde, cachée à l’intérieur, qu’exprimée extérieurement, de même que la vie de l’univers palpite toujours sous les apparences fortuites. Ne pas exhiber, mais suggérer, est le secret de l’infini. La perfection, comme toute maturité, ne parvient pas à impressionner, car sa croissance est limitée.
Ainsi, ils se réjouissaient d’orner une encrier, par exemple, d’une simple laque à l’extérieur et, dans ses parties cachées, d’orfèvrerie coûteuse. Le salon de thé était décoré d’un seul tableau ou d’un simple vase à fleurs, pour lui donner unité et concentration, et toutes les richesses des collections du daimyo étaient conservées dans son trésor, d’où chacune était sortie à son tour pour servir à la satisfaction d’une impulsion esthétique. Aujourd’hui encore, les gens portent leurs étoffes les plus coûteuses en sous-vêtements, comme les samouraïs se targuaient de conserver de magnifiques lames d’épée dans des fourreaux sans prétention. [ p. 178 ] Cette loi du changement qui est le fil conducteur de la vie est aussi la loi qui régit la beauté. La virilité et l’activité étaient nécessaires pour laisser une impression durable ; Mais laisser à l’imagination le soin de se suggérer l’achèvement d’une idée était essentiel à toute forme d’expression artistique, car ainsi le spectateur ne faisait plus qu’un avec l’artiste. L’extrémité soyeuse et découverte d’un grand chef-d’œuvre est souvent plus riche de sens que la partie peinte elle-même.
La dynastie Song fut une époque faste pour l’art et la critique d’art. Ses peintres, notamment ceux de l’empereur Kiso, au XIIe siècle, lui-même grand artiste et mécène, avaient manifesté une certaine appréciation de cet esprit, comme en témoignent Bayen et Kakei, Mokkei et Riokai, dont les petites œuvres expriment de vastes idées. Mais il fallut aux artistes d’Ashikaga, représentant la tendance indienne de l’esprit japonais libéré du formalisme confucéen, d’absorber l’idée zen dans toute son intensité et sa pureté. Ils étaient tous des prêtres zen, ou des laïcs qui vivaient presque comme des moines. Sous cette influence, la tendance naturelle de la forme artistique était pure, solennelle et pleine de simplicité.
Le dessin et le coloris puissants et intenses, ainsi que les courbes délicates de Fujiwara et Kamakura, furent désormais abandonnés au profit de simples croquis à l’encre et de quelques lignes audacieuses – tout comme ils abandonnèrent leurs robes gracieuses pour d’immenses pantalons rigides – car l’idée nouvelle était de débarrasser l’art de tout élément étranger et de rendre l’expression aussi simple et directe que possible. La peinture à l’encre, innovation apparue à la fin de l’époque de Kamakura, supplante désormais la couleur en importance.
Un tableau, qui est un univers en soi, doit se conformer aux lois qui régissent toute existence. La composition est comme la création du monde, contenant en elle-même les lois constructives qui lui donnent vie. Ainsi, une grande œuvre de Sesshu ou de Sesson n’est pas une [ p. 180 ] représentation de la nature, mais un essai sur la nature ; pour eux, il n’y a ni haut ni bas, ni noble ni raffiné. Une image de la déesse Kwannon, ou de Sakya, ne sera pas un sujet plus important qu’une peinture d’une seule fleur ou d’une branche de bambou. Chaque trait a son moment de vie et de mort ; tous ensemble contribuent à interpréter une idée, qui est la vie dans la vie.
Les deux artistes les plus marquants de cette période sont sans aucun doute ces maîtres, même si la voie leur a été ouverte par Shitibun, connu pour ses paysages et ses touches d’encre juteuses.
Jasoku est un autre, dont la vigueur du trait et la composition compacte sont presque inégalées.
Sesshu doit sa position à cette franchise et à cette maîtrise de soi si caractéristiques de l’esprit zen. Face à ses peintures, nous découvrons une sécurité et un calme qu’aucun autre artiste ne nous offre.
À Sesson, en revanche, appartiennent [ p. 181 ] la liberté, l’aisance et l’enjouement qui constituent un autre trait essentiel de l’idéal zen. C’est comme si pour lui toute l’expérience n’était qu’un passe-temps, et que son âme forte pouvait se délecter de toute l’exubérance de la nature virile.
D’autres suivront leur exemple : Noami, Gaiami, Soami, Sotan, Keishoki, Masanobu, Motonobu, et une multitude de noms illustres peuplent cette période sans précédent. Car les shoguns Ashikaga étaient de grands mécènes artistiques, et la vie de l’époque était propice à la culture et au raffinement.
Mais il est impossible de passer outre la considération de l’ère Ashikaga sans faire référence à son développement musical, car rien n’est aussi révélateur de la spiritualité d’un élan artistique, et c’est durant la période Ashikaga que notre musique nationale émerge dans sa maturité.
Avant cela, à l’exception des simples chants anciens du peuple, nous n’avions que la musique Bugaku de la fin des Six Dynasties, qui, bien que dérivée d’Inde et de Chine, est pourtant si proche de la musique grecque. Et c’est naturel, puisque toutes ces musiques n’étaient que des ramifications du tronc commun des chants et mélodies asiatiques primitifs. Cette musique Bugaku n’a jamais été oubliée. On peut encore l’entendre jouée au Japon dans les anciens costumes, sur les pas d’antan, grâce à sa préservation par une caste héréditaire. Elle est peut-être devenue un peu mécanique et inexpressive aujourd’hui, mais l’Hymne à Apollon pouvait encore être joué à sa manière par les musiciens Bugaku.
Fidèle aux besoins d’une époque militaire, l’époque de Kamakura a vu naître les bardes, qui chantaient des ballades épiques à la gloire des héros. Les mascarades de l’époque Fujiwara ont également connu un développement dramatique plus tard, avec des représentations de l’Enfer, données en récitatif sur un accompagnement simple. Ces deux éléments ont progressivement fusionné et se sont imprégnés de l’esprit historique, donnant ainsi naissance, vers l’ouverture de l’époque Ashikaga [ p. 183 ], à ces danses Nô qui, de par leur consécration aux grands thèmes nationaux de lutte et d’événement, resteront probablement l’un des éléments les plus forts de la musique et du théâtre japonais.
La scène sur laquelle se déroule la danse du No est en bois dur et non peint, avec un pin isolé représenté de manière assez conventionnelle en arrière-plan. Cela suggère une grande monotonie. Les parties principales sont au nombre de trois, le petit chœur et l’orchestre étant assis sur la scène, d’un côté. Des masques sont portés par les principaux acteurs – qu’on pourrait presque qualifier de conteurs – et contribuent à l’idéalisation générale. Le poème aborde des sujets historiques, toujours interprétés à travers les idées bouddhiques. Le critère d’excellence est une suggestivité infinie, le naturalisme étant le seul à condamner.
Dans ces conditions, agrémentées seulement de légers interludes comiques, le public restera envoûté toute la journée. [ p. 184 ] Le court drame épique qui compose la No-dance est rempli de sons semi-articulés. Le murmure du vent parmi les branches de pin, le bruit de l’eau qui tombe ou le tintement des cloches lointaines, l’étouffement des sanglots, le fracas et le cliquetis de la guerre, les échos des tisserands frappant la nouvelle toile contre la poutre en bois, le cri des grillons et toutes ces voix multiples de la nuit et de la nature, où la pause est plus significative que la hauteur, sont là. De telles paroles obscures, répercutées sur l’éternelle mélodie du silence, peuvent paraître curieuses ou barbares aux ignorants. Mais il ne fait aucun doute qu’elles constituent l’emblème d’un grand art. Ils ne nous permettent jamais d’oublier un seul instant que la Non-danse est un appel direct d’esprit à esprit, un mode par lequel la pensée non dite est portée de derrière l’acteur à cette intelligence inaudible et inouïe qui couve dans le cœur de celui qui écoute.
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