De toute la masse de la littérature japonaise, fruit de près de douze siècles d’écriture, le monument le plus important est l’ouvrage intitulé « Ko-ji-ki » [1] ou « Archives des choses anciennes », achevé en 712 apr. J.-C. Il est le plus important car il nous a préservé plus fidèlement que tout autre livre la mythologie, les mœurs, la langue [p. ii] [2] et l’histoire traditionnelle du Japon ancien. Il s’agit en effet du plus ancien produit littéraire authentique et cohérent de cette vaste sous-division de l’humanité, diversement appelée touranienne, scythe et altaïque, et il précède même d’au moins un siècle les plus anciennes compositions littéraires existantes de l’Inde non aryenne. Peu après la date de sa compilation, la plupart des traits saillants de la nationalité japonaise distinctive ont été enfouis sous une masse surjacente de culture chinoise, et c’est à ces « Archives » et à un très petit nombre d’autres œuvres anciennes, telles que les poèmes de la « Collection d’une myriade de feuilles » et les Rituels Shintō, que l’enquêteur doit se référer, s’il ne veut pas à chaque étape être induit en erreur en attribuant l’originalité aux coutumes et aux idées modernes, qui ont simplement été empruntées en gros au continent voisin.
On ne prétend évidemment pas que ces « Archives » soient elles-mêmes exemptes d’influence chinoise : cette influence est manifeste dans les caractères mêmes du texte. Mais cette influence est moindre et d’une autre nature. Si, dans les traditions préservées et les coutumes évoquées, nous découvrons que les premiers Japonais empruntent à la Chine, et peut-être même à l’Inde, notre auteur, du moins, n’a-t-il pas ostensiblement orné de signes chinois ce qu’il croyait être un sujet original, à l’instar des écrivains qui lui ont immédiatement succédé. Il est vrai que cette abstinence rend sa compilation moins agréable au goût populaire que celle des historiens ultérieurs, qui ont mis de belles phrases chinoises dans la bouche d’empereurs et de héros supposés avoir vécu avant l’époque où les relations avec la Chine ont commencé. Mais l’étudiant européen, [p. iii]qui lit tous ces livres, non pas par passe-temps, mais pour rechercher des faits, préférera les compositions les plus authentiques. Les plus érudits des lettrés autochtones lui accordent également la première place.
Ces dernières années, l’importance capitale des « Archives des Affaires Anciennes » pour les chercheurs japonais est devenue bien connue des érudits européens ; on trouve même des versions de quelques passages disséminés dans leurs écrits. Ainsi, M. Aston nous a fourni, dans la Chrestomathie annexée à sa « Grammaire de la langue écrite japonaise », quelques extraits intéressants ; M. Satow a illustré par des extraits occasionnels ses articles détaillés sur les rituels shintō publiés dans ces « Transactions », et un remarquable essai de M. Kempermann, publié dans le quatrième numéro [3] des « Mittheilungen der Deutschen Gesellschaft für Natur und Völkerkunde Ostasiens », bien qu’il ne contienne aucune traduction, fonde, à partir du récit des « Archives », certaines conjectures sur les origines de la civilisation japonaise, pleinement étayées par des recherches plus approfondies. Tout ce qui a paru jusqu’à présent dans une langue européenne ne représente cependant pas un vingtième de l’ensemble, et les idées les plus erronées sur le style, la portée et le contenu de l’ouvrage se sont glissées dans des ouvrages de vulgarisation sur le Japon. Nous espérons que la véritable nature de l’ouvrage, ainsi que celle des traditions, coutumes et idées des premiers Japonais, sera éclaircie par la présente traduction. Son objectif est de présenter l’ouvrage dans son intégralité dans une version anglaise continue, et ainsi de fournir à l’étudiant européen un texte à citer, ou du moins à utiliser comme guide pour consulter l’original. Le seul objectif visé [p. iv] a été une conformité stricte et littérale avec le texte japonais. Heureusement pour cette entreprise (quoique moins heureusement pour l’étudiant), l’une des difficultés qui assaillent souvent le traducteur d’un classique oriental est absente dans le cas présent. Il n’y a aucune beauté de style, pour en conserver une trace, dont il pourrait être tenté de sacrifier une certaine précision. Les « Records » sonnent bizarrement et grossièrement en japonais, comme on le verra plus loin, et il est donc normal, même d’un point de vue stylistique, qu’ils sonnent bizarrement et grossièrement en anglais. Les seules parties du texte qui, pour des raisons évidentes, refusent de se prêter à une traduction anglaise de cette manière sont les passages indécents. Mais on a pensé qu’il n’y avait aucune objection à les traduire en latin, un latin aussi rigoureusement littéral que l’est l’anglais dans sa plus grande partie.
Après ces remarques préliminaires, il conviendra de reprendre les différents points suggérés par l’étude des « Records » et de leur traduction en anglais, et de les examiner un par un. Ces points sont :
I.—Authenticité et nature du texte, ainsi que notes bibliographiques.
II.—Détails concernant la méthode de traduction.
III.—Le « Nihon-Gi » ou « Chroniques du Japon »
IV.—Mœurs et coutumes des premiers Japonais.
[4] V.—Idées religieuses et politiques des premiers Japonais.
Les débuts de la nation japonaise et la crédibilité des traditions nationales.
i:1 Si l’affirmation de l’accadien comme langue altaïque est confirmée, le japonais archaïque devra se contenter de la deuxième place dans la famille altaïque. Si l’on prend le mot altaïque dans son acception habituelle, c’est-à-dire comme nom générique de toutes les langues appartenant aux groupes mandchou, mongol, turc et finnois, la littérature non seulement archaïque, mais aussi classique du Japon nous ramène plusieurs siècles en arrière, au-delà des plus anciens documents existants sur toute autre langue altaïque. — Pour une analyse de l’âge des plus anciens documents tamouls, voir l’introduction à la « Grammaire comparée des langues dravidiennes » de l’évêque Caldwell, p. 91 et suiv. ↩︎