LA VIE DE GURU NANAK. CHAPITRE XIII
Le gourou tourna alors ses pensées vers Ceylan et réussit à atteindre ce pays, où il prit place dans le jardin de Raja Shivnabh.
[ p. 155 ] À cette époque, le jardin était aride, mais on dit qu’il reverdit à l’arrivée du gourou. Le jardinier demanda au roi d’aller voir le fâqir qui avait fait refleurir le jardin desséché. Le roi envoya de belles demoiselles danser devant le gourou et le tenter par leurs charmes. Le gourou, absorbé par ses pensées, ne leur adressa pas la parole et ne les remarqua pas. Le roi vint lui demander son nom, sa caste et s’il était un Jogi. Le gourou répondit :
Le Jogi qui est associé au Nom et qui est pur, n’a pas une particule d’impureté.
Celui qui garde avec lui le nom du Bien-aimé, qui est toujours vrai, a échappé à la naissance et à la mort.
Le roi lui demanda s’il était brahmane. Le gourou répondit :
C’est un Brahmane qui a la connaissance divine pour ses ablutions et les louanges de Dieu pour les feuilles de son culte.
Il n’y a qu’un seul Nom, un seul Dieu, une seule Lumière dans les trois mondes.
Le roi lui demanda s’il était commerçant. Le gourou répondit :
Fais de ton cœur la balance, de ta langue la poutre, et pèse le Nom inestimable.
Il n’y a qu’une seule boutique, un seul marchand au-dessus de tous ; les revendeurs sont nombreux.
Le roi lui demanda à nouveau s’il était hindou ou musulman. Le gourou poursuivit ses réponses énigmatiques :
Le Vrai Gourou a résolu le problème des deux voies.
C’est celui qui fixe son attention sur le Dieu unique, et dont l’esprit ne vacille pas, qui peut le comprendre.
[ p. 156 ]
Celui qui demeure dans la Parole et l’adore toujours jour et nuit, a mis fin à ses doutes.
Le roi lui demanda alors s’il était Gorakhnath. Le gourou ne manifesta aucune envie de satisfaire directement sa curiosité.
Au-dessus de nous est le ciel, Gorakh est au-dessus du ciel ; Sa forme inaccessible y habite ;
Par la faveur du Guru, que je sois à l’étranger ou chez moi, cela m’est égal ; Nanak est devenu un tel anachorète.[1]
Lorsque le gourou eut terminé, le roi l’invita à se rendre dans son palais pour rencontrer sa reine. Il lui donna l’occasion de lui exposer ses doctrines.
C’est lors de son séjour à Ceylan que Guru Nanak composa le Pransangali, qui décrit le palais silencieux de Dieu, la manière de méditer sur Lui, les paroles privées du Guru et la nature de l’âme et du corps. En voici les premiers vers :
L’État suprême est entièrement un vide[2], disent tous les gens ;
Dans l’état suprême, il n’y a ni joie ni deuil ;
Dans l’état suprême, on ne ressent ni espoirs ni désirs ;
Dans l’État suprême, on ne voit ni castes ni marques de caste ;
Dans l’État suprême, il n’y a ni sermons ni chants d’hymnes ;
Dans l’état suprême réside la méditation céleste ;
Dans l’état suprême se trouvent ceux qui se connaissent eux-mêmes.[3]
Nanak, mon esprit est satisfait de l’état suprême.
Saido et Gheho ont ensuite écrit le Pransangali de mémoire.
[ p. 157 ]
À son retour en Inde, le gourou, ayant entendu parler de la foire de Shivrat[1:1], se rendit à Achal Batala[2:1] pour prêcher ses doctrines. Tout le pays se pressa pour le voir et l’entendre, et lui fit des offrandes. Les Jogis, témoins de son succès, devinrent très jaloux et décidèrent de l’humilier. Bhangarnath, leur supérieur, lui demanda pourquoi il mélangeait de l’acide à son lait, c’est-à-dire pourquoi lui, un saint homme, menait une vie de famille. « Quand le lait tourne », dit Bhangarnath, « le barattage ne produit plus de beurre. Pourquoi as-tu ôté ton habit d’ermite pour revêtir des vêtements ordinaires ? »
Le gourou répondit : « Ô Bhangarnath, ta mère était une femme malhabile. Elle ne savait pas laver la baratte et a ainsi gâché le beurre en te produisant. Tu es devenu un anachorète après avoir abandonné ta vie de famille, et pourtant tu vas mendier chez les pères de famille. Si tu ne fais rien ici, que peux-tu obtenir plus tard ? »
Bhangarnath ne répondit pas à la question du gourou, mais aborda un autre sujet : « Ô Nanak, tu as accompli des miracles au monde ; pourquoi tardes-tu à nous les montrer aussi ? » Le gourou répondit : « Je n’ai rien qui vaille la peine de te le montrer. L’homme n’a absolument aucun refuge, si ce n’est dans la compagnie des hymnes du gourou. Si l’homme remulait la terre, cela n’inciterait pas Dieu à lui accorder des faveurs imméritées. Écoute la Parole ; je dis en vérité, je n’ai d’autre miracle que le Vrai Nom.
[ p. 158 ]
Si je devais revêtir une robe de feu, construire une maison de neige et manger du fer ;
Si je devais transformer tous mes problèmes en eau, la boire et conduire la terre comme un coursier ;
Si j’étais capable de mettre le firmament dans une balance et de le peser avec un réservoir ;[1:2]
Si je devenais si grand que je ne puisse être contenu nulle part, et si je menais tout le monde par le nez,[2:2]
Si j’avais en moi un tel pouvoir que je puisse accomplir de telles choses ou faire en sorte que d’autres les accomplissent, tout cela serait vain.
Autant le Seigneur est grand, autant ses dons sont grands ; il les distribue selon son bon plaisir.
Nanak, celui sur qui Dieu regarde avec faveur obtient la gloire du Vrai Nom.’[3:1]
À Batala, le Guru vainquit par la discussion tous les prêtres présents à la foire et obligea les adeptes des six écoles de philosophie à s’incliner devant lui. Les Jogis le complimentèrent enfin pour son succès et dirent : « Salut, ô Nanak, tes actes sont grands ! Tu as fait surgir un être éminent et allumé une lumière en ce dernier âge du monde. » C’était l’heure où les Jogis prenaient leur vin quotidien, et le gobelet fut donc passé de main en main. Lorsqu’il parvint au Guru, il demanda ce que c’était. Ils répondirent que c’était la coupe des Sidhs. Il s’enquit de ce qu’elle contenait. Ils répondirent : de la mélasse et de la fleur de dhava[4], plante dont sont faits les spiritueux indiens. Le Guru prononça alors l’hymne suivant :
Faites de la connaissance divine votre mélasse, de la méditation vos fleurs de dhava, et de bonnes actions votre écorce fermentée[5] pour y mettre.
Faites de l’amour de Dieu votre fourneau, de la dévotion le sceau de l’alambic ; ainsi le nectar sera distillé.
[ p. 159 ]
Père, en buvant le jus divin, l’esprit s’enivre et s’absorbe facilement dans l’amour de Dieu.
J’ai décidé de fixer mon attention sur Dieu jour et nuit, et j’ai entendu le son invincible.
Dieu est vrai, sa coupe est pure ; il la donne à boire à celui sur qui il jette un regard bienveillant.
Pourquoi celui qui vend du nectar devrait-il aimer un vin de mauvaise qualité ?
La parole du gourou est un discours de nectar ; en la buvant, l’homme devient acceptable.
Quand l’homme accomplit un service à la porte de Dieu[1:3] pour obtenir une vue sur Lui, que lui importe le salut ou le paradis ?
Celui qui est teint des louanges de Dieu n’aime jamais le monde et ne perd pas sa vie dans le jeu.
Dit Nanak, écoute, Jogi Bharthari, je suis enivré par le ruisseau nectareux.[2:3]
Les Jogis lui demandèrent s’il vivait de mendicité. Le gourou répondit : « Pourquoi celui qui est absorbé dans le Sans-Forme devrait-il aller mendier ? » Ils lui demandèrent alors s’il était un art Udasi ou un ermite. Le gourou répondit :
Celui qui prend l’épée de la connaissance et lutte avec son cœur,
Qui connaît les secrets des dix organes d’action et de perception[3:2] et des cinq mauvaises passions ;
Qui peut nouer la connaissance divine à son esprit ;
Qui fait le pèlerinage chacun des trois cent soixante jours de l’année ;
Qui lave la souillure de l’orgueil de son cœur —
Nanak dit qu’il est un ermite.
[ p. 160 ]
Les Jogis demandèrent alors au gourou s’il était un Audhut. Le gourou leur expliqua ce que devait être un Audhut :
C’est un serviteur du gourou qui restreint ses organes sexuels,
Dont le cœur est libre des désirs mondains, dont les paroles sont vraies,
Et qui reçoit comme aumône le regard avec lequel le Miséricordieux le regarde.
Sachez que celui dont le cœur est doux est doux,
Et dont l’instruction est la Parole profitable.
Nanak dit qu’il est un Audhut
Dont l’esprit n’est pas inconstant, qui ne va pas aux spectacles,
Ou jouer au jeu ou au chaupar,
Qui n’attache pas son esprit aux choses bonnes ou mauvaises,
Qui porte sur son corps tout ce qui lui est donné par le gourou,
Qui, lorsqu’il va dans une maison étrangère, ne dit pas de scandale,
Qui observe la contrainte imposée par le vrai gourou,
Et qui reçoit les instructions du gourou, ô saint homme,
Nanak dit : un tel homme est un Audhut.
Les Jogis désirèrent alors savoir s’il était un Jogi, et le Guru répondit :
Rester assis sans soutien,
Pour rassembler et contenir les cinq mauvaises passions,
Dormir peu et manger peu,
Pour veiller sur le corps saint,
Être constant dans la dévotion, la pénitence, la maîtrise de soi et le souvenir de Dieu.
Nanak dit : ce sont les marques d’un Jogi.
Quand il parle, il exprime la sagesse divine
Il veille jour et nuit dans la contemplation de Dieu
Il attache une corde à la sphère vacante,[1:4]
Et par la faveur du gourou, il ne meurt jamais.
Tous les dieux lui rendent hommage [ p. 161 ]
Qui accomplit ainsi le service du Guru,
Et qui ne permet pas à sa langue de goûter des mets délicats,
Nanak dit : ce sont les marques d’un Jogi.
Celui qui efface la colère, l’avarice et la cupidité ;
Qui éteint le feu des cinq mauvaises passions dans son cœur ;
Qui fait voler le cerf-volant jour et nuit
Par lequel la connaissance divine est produite et les mauvaises inclinations s’en vont ;
Celui qui chérit la sainteté, retient ses mauvaises passions
Et ne répète aucun sort sauf celui du gourou—
Les habitudes de ce bon homme sont les meilleures.
Nanak dit : ce sont les marques d’un Jogi.
Celui qui fait de son corps le vase, du souvenir de Dieu son lait,
Qui y met de la pure vérité comme son acide,
Qui, par ruse et effort, fait facilement cailler le lait,
Sans artifice, ce serait gâché.
Qui utilise la connaissance divine comme son bâton de barattage et le Nom comme sa corde ;
Qui de cette manière ne répète que le Nom,
Et qui en roulant et en roulant extrait le beurre—
Nanak dit : ce sont les marques d’un Jogi.
Les Jogis se demandèrent s’il était un Bairagi. Le gourou leur donna la définition suivante :
C’est un Bairagi qui est vendu à Dieu,
Qui, en présence de Dieu, soumet Mammon,
Qui accomplit l’œuvre de Dieu et de Mammon,[1:5]
Qui porte une chose insupportable et intangible,
Qui a abandonné la colère, l’avarice et l’orgueil,
Nanak dit, un tel homme est un Bairagi.
Celui qui demeure solitaire dans la maison de jouissance,
Et il habite dans la maison de culte— [ p. 162 ]
Là où le chat s’enfuit au bruit d’une souris[1:6]—
Nanak dit qu’il est un Bairagi.
C’est un Bairagi qui embrasse le contentement,
Qui renverse son souffle et s’absorbe en Dieu,
Celui qui s’assujettit les cinq sens,
Un tel Bairagi s’élèvera plus haut que Shiv.
Celui qui renonce aux mauvaises voies et fixe son attention sur le seul Dieu,
Nanak dit qu’il est un Bairagi.
Sur ce, les disciples de Gorakhnath pressèrent le gourou d’adopter le style d’un Jogi. Le gourou leur demanda de décrire un Jogi. Ils répondirent :
Un Jogi porte des boucles d’oreilles, un manteau rapiécé, porte un portefeuille, un bâton,
Et un cor de cerf qui résonne à travers le monde.
Les Jogis s’apprêtaient à donner une description plus détaillée de leur secte lorsque le Guru les interrompit et proposa des substituts spirituels à tous les aspects extérieurs d’un Jogi :
Mets la parole du gourou dans ton cœur pour les anneaux dans tes oreilles ; porte le manteau rapiécé de la patience ;
Tout ce que Dieu considère comme bon, de cette manière tu obtiendras facilement le trésor du bien.
Ô Père, de cette manière l’âme qui a été un pèlerin à travers tous les âges, s’unit à l’Essence Suprême.
Celui qui obtient le nom ambroisial du Pur, et fait de la réflexion sa coupe de Jogi,
La connaissance divine est son bâton, et l’Omniprésent les cendres qu’il étale sur son corps jouiront du grand élixir de la connaissance divine.
Fais de la louange de Dieu ta prière, de l’instruction du Guru ta secte d’Atits,[2:4]
Le renoncement aux désirs et aux querelles, c’est s’asseoir en contemplation dans la citadelle de Dieu[3:3]—
[ p. 163 ]
Du son de ta trompette sortira une mélodie qui te remplira de musique jour et nuit.
En toute chose est contenue ta lumière, ô Dieu, et ses couleurs sont nombreuses et variées.
Dit Nanak, écoute, Jogi Bharthari, le Dieu primordial est le seul objet de mon amour.[1:7]
Durant son séjour à Batala, le gourou composa le Sidh Gosht, un traité dont les Jogis auraient tiré une consolation spirituelle.
[1:8] : Sri Rag, Ashtapadi.
[1:9] : Mâru.
[1:10] : Fête en l’honneur du dieu Shiv, célébrée le 14e jour de la moitié sombre de Phâgan (février-mars). Il était habituel pour les Jogis de se rassembler à l’occasion de cette fête. L’Aîn-i-Akbari rapporte que l’empereur Akbar avait alors pour habitude de réunir tous les Jogis de l’Empire et de manger et boire avec eux. Sous l’influence de ces festivités, ils lui promettaient qu’il vivrait trois ou quatre fois plus longtemps que le commun des mortels.
[2:5] : Achal, à environ trois milles de Batâla, abrite le sanctuaire de Sâmkârtik, fils de Shiv. Pour un récit complet de Batâla, voir le Khulâsat-ul-Tawârikh, dont l’auteur est né là-bas.
3 Le cerveau.
Là où l’hypocrisie fuit devant l’humilité. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Par Atîts, on entend ici une secte de Jogis qui se considèrent libérés des contraintes du monde. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Les organes d’action sont la bouche, les mains, les pieds et les organes générateurs et excréteurs. Les organes de perception sont les cinq sens. ↩︎ ↩︎ ↩︎ ↩︎
Le Bassia latifolia. ↩︎
Il s’agit généralement de l’écorce du kîkar, ou Acacia Arabica. ↩︎