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On annonça l’arrivée prochaine de l’armée de l’Empereur pour récupérer les chevaux. Il était donc nécessaire de se préparer à la défense et de chercher refuge dans une position avantageuse. Rai Jodh recommanda au Guru de se réfugier dans une forêt profonde où se trouvait un char, faute de quoi l’eau serait absente à des kilomètres à la ronde. Deux villages, Lahira et Marhaj, furent ensuite construits non loin de ce char. Le Guru et Rai Jodh, accompagnés de trois mille hommes, marchèrent vers un char dans les terres de Nathana. L’armée était disposée de telle sorte autour du char qu’à l’arrivée de l’ennemi, ils ne purent accéder à son eau et périrent inévitablement de soif.
L’empereur songeait à punir lui-même le gourou, mais il en fut dissuadé par Wazir Khan, qui savait que son bonheur et sa prospérité dépendaient de ceux de l’empereur et que le gourou serait victorieux. Wazir Khan recommanda de ne pas envoyer d’artillerie, mais que le combat se décide à l’épée, à l’arc, aux flèches et au fusil à mèche. L’empereur accepta. Puis, prenant une épée nue et appelant son secrétaire en chef, il demanda : « Y a-t-il un homme courageux qui entreprendrait une expédition contre le gourou ? » La coutume de l’époque voulait qu’en de telles occasions, un monarque dépose son épée et un paquet de bétel. Quiconque mettait le bétel dans sa bouche et prenait l’épée s’engageait à entreprendre l’entreprise et à défendre la cause du monarque. Lala Beg, un haut officier de l’armée impériale, se leva et, suivant la cérémonie d’usage, déclara qu’il mènerait une expédition contre le gourou et le présenterait à l’empereur avec les chevaux volés dans quelques jours. Le frère de Lala Beg, Qamar Beg, accompagné de ses deux fils, Qasim Beg et Shams Beg, [ p. 180 ], et son neveu Kabuli Beg se portèrent également volontaires. L’empereur leur fit des présents anticipés – bracelets, colliers, aigrettes pour leurs turbans et robes d’honneur – et les plaça à la tête d’une armée de trente-cinq mille cavaliers et fantassins. Il leur donna l’ordre de ne pas tarder, mais de faire tout son possible pour amener le gourou enchaîné devant lui.
L’armée impériale marcha vers Bhai Rupa et, n’y trouvant pas le gourou, se rendit dans ses nouveaux quartiers. Un espion nommé Hasan Khan fut dépêché par Lala Beg pour effectuer une reconnaissance. La nature de sa mission fut révélée par une expression qui lui échappa par hasard : « Notre armée est bien plus nombreuse. » Sur ce, il fut saisi par les Sikhs, menotté et roué de coups de pied, après quoi il implora la clémence au nom du gourou. Ce dernier ordonna sa libération et non sa mise à mort. On lui demanda de donner les effectifs de l’armée impériale, et en signe de gratitude, il donna des détails exacts. On lui remit ensuite l’habit d’honneur et on le congédia.
L’auteur du Suraj Parkash mentionne ici un curieux procédé permettant de découvrir les mouvements d’une armée ennemie. L’épouse de Rai Jodh déposa des perles sur un plateau afin que, lorsque l’armée impériale se déplaçait, le piétinement des soldats fasse vibrer les perles et obtienne ainsi les informations nécessaires.
Lorsque l’espion Hassan Khan retourna auprès de son chef, celui-ci, en lui racontant ce qu’il avait vu, fit incidemment l’éloge des troupes du gourou. Bien que peu nombreuses, elles étaient, dit-il, aussi braves que des tigres et avides de combat. L’armée impériale était comme autant de chacals devant elle. Cela mit Lala Beg en colère, et il congédia son espion sous prétexte de désaffection. Sur ce, Hassan Khan retourna auprès du gourou et implora sa protection. Le gourou l’accueillit, contrairement à l’avis de Rai Jodh, qui affirmait qu’il était impolitique [ p. 181 ] d’entretenir un espion ennemi. Le gourou, en réponse, déclara qu’il ne serait pas convenable de refuser sa protection à quiconque la sollicitait. De plus, Hassan Khan, par la voie mystérieuse de Dieu, deviendrait une personne très distinguée. Ordre fut alors donné à Bidhi Chand et à Jetha de tenir leurs troupes prêtes à se défendre. Cet ordre n’avait pas été donné trop tôt. Cette nuit-là même, l’épouse de Rai Jodh, au mouvement de ses perles, comprit que l’armée de l’Empereur approchait et écrivit à son mari, qui était avec l’armée du Guru, afin que ce dernier soit dûment informé.
L’armée impériale était composée de plusieurs nationalités. Certains avaient de grosses têtes, d’autres de longs nez, d’autres encore des joues rouges. Il y avait des Éthiopiens noirs, des Ruhelas, des Yusufzais, des Daudzais, des Gilzais, des Baloutches et des Pathans. Précédés de torches, ils avançaient au son de tambours de toutes sortes. Lala Beg dit à ses troupes que le Guru n’avait rien d’une armée ; contre qui allaient-ils combattre ? Il leur suffisait d’aller s’emparer du prêtre des Sikhs. Qamar Beg s’adressant au chef dit : « Ô mon frère, si tu m’envoies, je t’amènerai même l’ange de la Mort, sans parler du Guru ? » Sur ce, le chef mit sept mille hommes à sa disposition. Le voyant approcher, Hasan Khan, l’ancien espion impérial, informa le Guru de son nom, de sa position et de ses capacités.
Rai Jodh, accompagné d’un millier d’hommes, partit affronter Qamar Beg. Il ordonna à ses troupes d’utiliser leurs fusils à mèche à distance et d’empêcher l’ennemi de s’approcher. Une pluie de balles éclaircit bientôt les rangs de l’armée impériale, marchant en formation serrée, et détruisit totalement les porteurs de torches qui ouvraient la voie. Puis l’obscurité s’installa, plongeant l’armée impériale dans une confusion extrême. Ils utilisèrent leurs épées et leurs fusils et, aiguillonnés par leur mésaventure et les ravages causés par les troupes du gourou, ne se soucièrent [ p. 182 ] pas de massacrer amis ou ennemis. Très vite, compte tenu des circonstances – l’obscurité, la poussière soulevée par les hommes et les chevaux, la fatigue de la journée, le froid et les lourdes pertes dans les rangs – ils décidèrent de battre en retraite. Ils considéraient leurs propres troupes, à l’arrière, comme des ennemis et les reçurent sous une pluie de balles. L’armée impériale fut ainsi dispersée et des détachements entiers périrent dans un massacre mutuel. Qamar Beg, resté seul, avança à la recherche de son armée et lança une pluie de flèches. Rai Jodh, saisissant l’occasion, transperça Qamar Beg de sa lance. Il tomba et mourut peu après dans d’atroces souffrances. Rai Jodh rapporta sa victoire au gourou, qui le félicita chaleureusement.
L’armée du gourou était approvisionnée en bois de chauffage provenant de la forêt. L’armée impériale ne bénéficiait pas d’un tel confort. De ce fait, à la fin de la nuit, les troupes de l’empereur furent gelées par le froid. À l’aube, des monceaux de soldats de l’armée impériale furent retrouvés morts sur le champ de bataille. Tandis que le gourou les observait d’une hauteur, il se souvint des paroles d’Hasan Khan selon lesquelles ses Sikhs étaient aussi courageux que des tigres et que chacun d’eux devait tuer de nombreux chacals volants ennemis.
Le chef, voyant Qamar Beg et des milliers de ses hommes tués, fut saisi d’une profonde anxiété. Il songea à s’avancer au cœur du combat, mais Shams Beg, le fils de Qamar Beg, demanda à y aller. Le chef céda et lui confia le commandement d’une division de son armée. Alors que Shams Beg avançait, il aperçut le corps sans vie de son père et faillit succomber à cette vue. Il réussit cependant à prendre la tête de ses troupes. Hasan Khan, l’ancien espion, le désigna au gourou : « Voyez ce jeune homme puissant en uniforme bleu, sur un destrier peint en bleu, à la tête des forces impériales. Il est nécessaire d’envoyer des hommes très courageux pour s’opposer à lui. » Le gourou envoya Bidhi Chand [ p. 183 ] avec quinze cents hommes. En voyant son adversaire, il s’adressa à lui : « Ô garçon, pourquoi viens-tu mourir ? Ne vois-tu pas que ton père est déjà entré dans la demeure de la Mort ? Pourquoi cherches-tu à le suivre ? Tu es encore trop jeune pour le champ de bataille. Retourne sous la protection de ta mère. » Shams Beg, en entendant cela, rétorqua avec colère : « Si je meurs, j’emmènerai avec moi l’ennemi de mon père. » Flèches et épées furent alors dégainées. Le bras puissant de Bidhi Chand envoya de nombreux Turcs à une mort prématurée. Bien que certains se soient bien battus, ils furent vaincus par l’habileté et la bravoure supérieures de Bidhi Chand et de ses troupes. Les deux commandants, Bidhi Chand et Shams Beg, s’approchèrent alors l’un de l’autre et s’engagèrent dans un combat singulier. Bidhi Chand frappa son adversaire de son poing armé et le fit trébucher. Il posa alors sa jambe sur la sienne et, saisissant l’autre de ses bras puissants, le déchira en deux.
Lala Beg fut furieux de voir son neveu Shams Beg et son armée massacrés. Lorsqu’il fit signe à quelqu’un d’avancer, son second neveu, Oasim Beg, s’offrit : « Si tu le permets, j’irai venger mon père et mon frère. » Le chef, voyant le jeune héros s’avancer, lui confia le commandement de sa réserve. Hasan Khan le désigna au gourou alors qu’il approchait : « Ô vrai roi, Oasim Beg s’avance maintenant contre toi. C’est un homme très puissant et tenu en grande estime par l’empereur de Dihli. Un brave guerrier devrait également être envoyé contre lui. » Le gourou envoya donc Bhai Jetha avec cinq cents hommes. Qasim Beg, voyant Bhai Jetha, s’adressa à lui : « Ô Barbe grise, pourquoi viens-tu avec une force si faible pour chercher ta destruction ? Va profiter encore quelques jours de ce monde et envoie au champ de bataille celui qui a tué mon père et mon frère. » Bhai Jetha répondit : « J’ai profité de la vie, mais tu es jeune. Je [ p. 184 ] vois que ta barbe commence à peine à pousser. Il est encore temps pour toi de t’échapper par la fuite et de profiter de l’épouse de ta jeunesse. Ne te méprends pas en voyant ma petite armée. Moi, seul, je ne te laisserai pas rester seul, mais je t’enverrai rapidement vers ton père et ton frère. Si tu refuses de fuir, que nos armées s’engagent, et alors, si l’issue est incertaine, nous déciderons tous deux du sort de la guerre par un combat singulier. »
À l’exception des canons, toutes les armes de guerre connues à l’époque furent réquisitionnées. Les balles pleuvaient comme de la grêle ; les épées, les couteaux et les poignards brillaient comme des éclairs, les carquois se vidaient, les cordes des arcs se cassaient, les flèches se brisaient, et les guerriers s’engageaient dans des combats à mort. Certaines des forces brutes et indisciplinées commencèrent à se piller mutuellement, et ce fut l’émeute et le désordre général. Chacals, loups, milans et vautours se régalèrent des corps des victimes. On entendait de tous côtés des cris : « Tuez-le ! Tuez-le ! » « Qu’il ne s’échappe pas ! » Voyant l’armée de Qasim Beg s’effondrer en nombre, Bhai Jetha l’aborda comme il l’avait promis et décocha une pluie de flèches qui tuèrent le cheval de Qasim Beg. Jetha saisit alors le cavalier par les jambes, le fit tournoyer et le projeta au sol comme un blanchisseur indien frappe du linge sale sur une planche. Qasim Beg expira aussitôt, tandis que Jetha se tenait sur le champ de bataille tel un pilier enfoncé dans la terre. Le chef, Lala Beg, apprenant la destruction de Qasim Beg et de son armée, ne put qu’invoquer Allah, en qui il avait tant confiance, pour le succès de son combat contre les infidèles.
Le chef lui-même s’avança alors avec tous ses hommes restants. Hasan Khan, qui était aux côtés du gourou et désormais entièrement dévoué à sa cause, conseilla l’envoi d’une force pour soutenir Jetha. Le gourou répondit que Jetha était tel un tigre et qu’il se débarrasserait de ses ennemis. Les Turcs l’encerclèrent et tentèrent de le tuer à coups de flèches, mais celles-ci volèrent à droite et à gauche de lui et manquèrent toujours [ p. 185 ] leur cible. Jetha, de son côté, décocha des flèches qui ne filèrent jamais en vain. Lala Beg, constatant la destruction causée par Jetha, alla alors s’opposer à lui. Lala Beg utilisa d’abord sa lance, mais Jetha la para. Lala Beg tira alors son épée, mais Jetha reçut le premier coup. La fois suivante, Lala Beg eut plus de succès, car il abattit son courageux adversaire, qui mourut en prononçant Wahguru. Fort de son succès, Lala Beg s’avança avec trois mille hommes en armure contre le gourou. Jati Mal, fils de Singha, demanda au gourou la permission de montrer à Lala Beg la force de son bras et de terrasser les Turcs. Le gourou consentit à ce qu’il arrête l’assaut de l’ennemi.
Jati Mal lança une pluie de flèches sur les Turcs, les précipitant au plus profond de la mort avec la rapidité des torrents qui se précipitent vers la mer. Lala Beg lui-même se précipita pour lui résister et décocha une flèche qui atteignit Jati Mal à la poitrine et le fit tomber évanoui. Le gourou, voyant Jati Mal tomber, entra sur le champ de bataille sur son destrier bondissant. D’une voix douce, il invita Lala Beg à s’approcher et à mesurer sa force avec la sienne. Lala Beg refusa d’approcher, mais décocha des flèches à distance, qui manquèrent toutes leur cible. Le gourou, visant fermement, abattit le cheval de Lala Beg, qui s’écroula avec son cavalier. Le gourou, voyant le chef à terre, mit pied à terre pour ne pas abuser de son adversaire. Le chef prit l’offensive et porta plusieurs coups d’épée sur le gourou, qui les para tous. Le gourou, déployant alors toute sa force, asséna au chef un coup qui lui décapita complètement. C’était comme si le chef, dans sa dévotion, avait offert sa tête en sacrifice au gourou, et que le gourou en retour lui avait accordé l’évasion des maux de la vie et le salut ultime.
Kabuli Beg, fils de la sœur du chef, était le seul des commandants encore en vie. Le voyant [ p. 186 ] avancer et tenter une dernière fois de rétablir la situation, le fidèle Hasan Khan attira l’attention du gourou sur son intrépidité et l’impétuosité de son attaque. Kabuli Beg comptait bien récolter comme le font les moissonneurs lorsqu’ils pénètrent dans un champ mûr. Bidhi Chand, Rai Jodh et Jati Mal, qui s’était alors quelque peu remis de sa blessure, l’affrontèrent courageusement. La bataille fut alors livrée avec une fureur extrême des deux côtés. Les trois guerriers sikhs semèrent un tel chaos parmi les troupes de Kabuli Beg qu’il n’en resta que peu. Kabuli Beg, fou de rage en constatant les destructions qu’ils causaient, décocha rapidement des flèches qui les blessèrent tous les trois. Voyant cela, le gourou lui-même se précipita à leur secours. Kabuli Beg décocha des flèches sur le gourou, qui sifflèrent à son passage. L’une d’elles atteignit son cheval, Gul Bagh, à la tête et le tua. En représailles, le gourou tua le cheval de Kabuli Beg. Kabuli Beg, s’approchant alors du gourou, lui porta un coup d’épée, que le gourou reçut sur son bouclier. Kabuli Beg frappa le gourou à plusieurs reprises, mais chaque coup fut paré. Le gourou, pour rompre la monotonie de la défense, lui dit alors : « C’est mon tour, sois sur tes gardes. » Le gourou lui assena alors un coup qui lui coupa la tête. La bataille prit fin. Les Turcs survivants s’enfuirent pour sauver leur vie. Douze cents soldats du gourou furent tués et blessés.