Nous avons vu que Guru Har Gobind, le sixième Guru, avait cinq fils : Baba Gurditta, Suraj Mal, Ani Rai, Baba Atal et Teg Bahadur. Baba Gurditta, qui mourut avant son père, laissa deux fils, Dhir Mal et Har Rai. Dhir Mal s’était montré déloyal et désobéissant envers son grand-père. Guru Har Gobind, souhaitant observer autant que possible la coutume du droit d’aînesse et voyant Har Rai constant, pieux et en tous points apte à la fonction de Guru, la lui conféra avec toutes les formalités et les cérémonies traditionnelles.
Guru Har Rai est né de l’épouse de Gurditta, Nihal Kaur, née Natti, le treizième jour de la moitié claire de la lune de Magh, Sambat 1687, 1631 après J.-C. Il était très attentif à ses dévotions et à ses ablutions, et aimait répéter à ses disciples les versets suivants de Gur Das :
Lève-toi au bout de la nuit, insuffle dans les esprits les mérites du Nom et de la charité.
Parlez civilement, soyez humble, faites du bien aux autres avec les dons de vos mains.
Dormez, mangez et parlez peu ; recevez les instructions du gourou.
Vis de ce que tu gagnes ; fais de bonnes œuvres ; même si tu es grand, ne sois pas vaniteux.
Jour et nuit, allez vous associer aux saints et chantez avec eux les hymnes des gourous.
Régalez vos cœurs du plaisir que procurent les paroles et les instructions des vrais gourous.
Au milieu des espoirs, il reste sans espoir.[1]
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Le gourou employait tous les moyens pour que le sommeil ne l’envahisse pas et ne l’empêche pas de se livrer à ses dévotions matinales, objet de sa plus grande sollicitude. Bien que de nombreux hommes riches lui rendent visite, il ne faisait aucune distinction entre riches et pauvres et ne plaçait ses espoirs qu’en Dieu. Sa nourriture était très simple. Il ne désirait pas de mets délicats et remerciait Dieu pour toutes ses miséricordes. Les offrandes précieuses qu’on lui offrait, il les dépensait pour ses invités. Il était toujours entouré, pour ainsi dire, d’un halo de visiteurs, à qui il prodiguait ses délices.
Durant le séjour de Guru Har Rai à Kiratpur, un homme nommé Bhagtu, de la tribu Bairar, qui avait grandement aidé Guru Arjan à creuser son réservoir, vint le voir, se présentant comme cultivateur de métier et lui demanda un emploi. Le Guru l’engagea pour superviser la culture de ses terres. Un jour, Bhagtu étant employé comme surveillant des moissonneurs du Guru, ceux-ci se plaignirent qu’il ne leur apportait pas suffisamment de ghi. À ce moment-là, Bhagtu aperçut par hasard un homme appelé Sangatia qui passait avec des peaux de ghi et lui demanda de les vendre, en échange d’un paiement le lendemain. Sangatia accepta ; le ghi fut acheté et distribué aux ouvriers. Sangatia rentra chez lui et, à sa grande surprise, le lendemain matin, trouva les peaux qu’il pensait avoir vidées remplies de ghi comme auparavant. Il retourna voir Bhagtu pour l’en informer. Bhagtu lui offrit le prix convenu. Sangatia tomba à ses pieds et, reconnaissant, refusa l’argent, lui disant que le miracle accompli était le fruit de sa bonté. Bhagtu répondit qu’il n’avait aucun pouvoir. Le peu de mérite qu’il possédait lui venait du Guru. Il invita Sangatia à aller le voir et à devenir son Sikh. Sangatia obéit. Le Guru l’initia, lui donna le nom de Pheru et lui promit qu’il aurait sa propre cuisine pour subvenir aux besoins du saint errant et errant.
L’après-midi, le gourou ceignait souvent son [ p. 277 ] épée, s’armait de son arc et de ses flèches, montait à cheval et partait à la chasse. Il entretenait deux mille deux cents soldats à cheval. Sur les conseils de son grand-père, le gourou Har Gobind, il les gardait par mesure de précaution. Le gourou emporta chez lui quelques-uns des animaux qu’il avait récupérés à la chasse, les libéra et les protégea dans un jardin zoologique qu’il fit aménager pour les loisirs de ses disciples.
Le soir, le gourou tenait sa cour, écoutait les hymnes chantés par sa chorale, puis prodiguait des instructions divines. Les bienfaits de la dévotion sont brièvement exposés par le gourou Arjan.
Apprends la Parole, mes bien-aimés, qui est notre soutien dans la vie et dans la mort.
En vous souvenant du Dieu unique, vos visages seront toujours lumineux et heureux.[2]
Le gourou avait l’habitude de sélectionner des passages appropriés du Granth Sahib pour les réciter à ses disciples, tels que :
Faites un effort, vous qui êtes très chanceux, souvenez-vous de Dieu le Roi ;
Nanak, en vous souvenant de Lui, vous aurez tout le bonheur, et vos ennuis, vos douleurs et vos doutes disparaîtront.[3]
L’empereur Shah Jahan avait quatre fils : Dara Shikoh, Shuja Muhammad, Aurangzeb et Murad Bakhsh. Dara Shikoh, héritier présomptif, était très cher à son père. Aurangzeb, rusé, intelligent et ambitieux, ambitionnait de succéder au trône. Il administra des moustaches de tigre dans un plat délicat à son frère aîné, qui tomba gravement malade. Les meilleurs médecins furent consultés, mais ne purent trouver de remède. L’état du patient s’aggravait de jour en jour. L’empereur, anxieux, fit venir des devins et des astrologues de tous les pays, se concilia les pirs et les faqirs, et recourut à tous les charmes, sorts et incantations connus, mais en vain.
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Une fois tous les sages réunis, ils arrivèrent à la conclusion évidente que, tant que les moustaches du tigre n’auraient pas été retirées des entrailles de Dara Shikoh, il n’y avait aucun espoir de guérison. Ils étaient d’avis que si l’on pouvait produire et administrer au patient un myrobalan chébulique pesant quatorze chitanks[4] et un clou de girofle pesant un masha, il recouvrerait la santé. L’Empereur chercha ces articles partout dans son royaume, mais en vain. Finalement, le Premier ministre, qui avait entendu parler du Guru, fut informé que les simples nécessaires se trouvaient dans son entrepôt. Bien que l’Empereur fût hostile au Guru, sa maison étant une source de sympathie et de compassion pour tous, il ne faisait aucun doute qu’il accorderait les articles requis. Afin de démontrer le devoir du Guru en pareil cas, le Premier ministre cita les paroles du cinquième Guru :
Le gourou embrasse celui qui recherche sa protection ; telle est la fonction de l’enseignant religieux.[5]
Le Premier ministre déclara à l’Empereur : « Il te convient maintenant, ô Seigneur, d’oublier tes anciens sentiments d’inimitié et de supplier le Guru de t’accorder ce qui est requis, et tes souhaits seront immédiatement exaucés. » Selon un proverbe panjabi, « L’intérêt personnel fait moudre l’orge, même humide. »[6] Shah Jahan jugea nécessaire de s’humilier devant le Guru et lui adressa la lettre suivante :
Ton prédécesseur, le saint Baba Nanak, a accordé la souveraineté à l’empereur Babar, le fondateur de ma dynastie ; Guru Angad était extrêmement bien disposé envers son fils, l’empereur Humayun ; et Guru Amar Das a aplani de nombreuses difficultés sur le chemin de mon père Akbar. Je regrette [ p. 279 ] que les mêmes relations amicales n’aient pas subsisté entre Guru Har Gobind et moi, et que des malentendus aient été causés par l’intervention d’étrangers. Je n’en suis pas responsable. Mon fils Dara Shikoh est maintenant très malade. Son remède est entre tes mains. Si tu me donnes le myrobalan et le clou de girofle qui se trouvent dans ton entrepôt, et que tu y ajoutes tes prières, tu me conféreras une faveur durable.
Un noble apporta cette lettre au gourou, alors à Kiratpur, et la présenta au darbar le lendemain matin de son arrivée. Le gourou fut ravi que l’empereur lui accordât une telle confiance qu’il lui écrivit une lettre aussi amicale et consentit à lui fournir les médicaments nécessaires. Il cita un vers du quatorzième slok de la guerre d’Asa ki :
Pourquoi ceux qui viennent avec espoir devraient-ils repartir déçus ?
« Voici », dit le gourou, « d’une main l’homme brise les fleurs et de l’autre il les offre, mais les fleurs embaument les deux mains. Bien que la hache coupe le santal, le santal embaume la hache. Le gourou doit donc rendre le bien pour le mal. » Le myrobalan et le clou de girofle furent pesés et, comme si Dieu l’avait ordonné, ils furent jugés suffisamment lourds pour guérir le fils bien-aimé et héritier présomptif de l’empereur. On lui expliqua que ces remèdes permettraient de digérer la substance la plus dure ingérée. Le gourou ajouta à ces articles une perle qui devait être broyée et utilisée comme remède auxiliaire. Le gourou était dans la position d’un arbre qui, bien que coupé à la hache, ne ressent aucune colère et n’impute aucun blâme au bûcheron, mais subvient à ses besoins.
L’empereur fut naturellement ravi, oublia toute son hostilité envers le gourou et jura de ne plus jamais lui causer de désagréments. Le remède fut administré et provoqua une guérison rapide et complète.