Après avoir résidé quelque temps à Dihli, Ram Rai décida de se rendre à Kiratpur pour tenter de convaincre son père de revenir sur sa décision à son égard. « La corde est peut-être pourrie, mais elle est toujours là » – autrement dit, malgré ses faibles espoirs, son désir d’être nommé Guru demeurait. Il prit congé de l’empereur et se rendit à douze kilomètres de Kiratpur. Là, il planta sa tente et écrivit à son père pour lui demander la permission de lui rendre visite. Il déclara avoir souffert pour ses péchés et désirait implorer le pardon de ses parents. Le gourou répondit : « Ram [ p. 312 ] Rai, tu as désobéi à mon ordre et péché. Comment peux-tu aspirer à devenir un saint homme ? Va où ton imagination te mène. Je ne te reverrai plus jamais à cause de ton infidélité. Si je te nomme gourou, ce que tu as fait aujourd’hui, d’autres le feront demain. »
À la réception de cette lettre, Ram Rai se rendit à Lahore où il fut bien accueilli. Fils aîné du gourou et thaumaturge réputé, il bénéficiait également du soutien politique des Sikhs, car on le croyait jouissant de la confiance de l’empereur. C’est pourquoi des hommes qui n’étaient pas sikhs auparavant devinrent ses disciples et embrassèrent sa cause.
Au fil du temps, Ram Kai écrivit à son oncle Dhir Mal pour lui demander d’intercéder en sa faveur auprès de son père. « Dis-lui qu’il n’est pas judicieux de déraciner une famille. Il est inconvenant d’accorder la charge de gourou à mon jeune frère Har Krishan. » Des commentaires très sévères seront formulés à ce sujet. Lorsque Prithia fut remplacée par Guru Arjan, quels problèmes surgirent ! Que cela ne se reproduise plus. Je suis d’ailleurs en très bons termes avec l’empereur Aurangzeb, et je ne manquerai pas de me plaindre à lui. » Dhir Mal porta cette lettre à la mère du gourou et la persuada de l’accompagner auprès du gourou, qui était alors rentré à Kartarpur, dans l’espoir de le convaincre de pardonner à Ram Rai. Dhir Mal et la mère du gourou plaidèrent tous deux avec ferveur et, avec leur éloquence naturelle, développèrent les arguments de Ram Rai.
Le gourou répondit : « Ce que j’ai fait n’a rien d’inhabituel. Guru Nanak, après avoir mis à l’épreuve ses fils, a confié la charge de gourou à un disciple. Guru Angad et Guru Amar Das, ayant également mis à l’épreuve leurs fils, ne les ont pas désignés pour leur succéder, mais ont confié la charge de gourou à leurs serviteurs. Après mûre réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion que Ram Rai était aveuglé par l’amour du gain lorsqu’il s’est oublié au point de modifier [ p. 313 ] un mot d’un hymne de Guru Nanak pour plaire à l’empereur. Ce qui a été fait au début sera également fait maintenant. »
Dhir Mal ne se laissait pas facilement contrarier. Il insistait sans cesse auprès du gourou pour que Ram Rai fasse valoir ses prétentions. Afin d’éviter une altercation avec son frère, ce dernier décida de quitter Kartarpur et de retourner à Kiratpur. Un proverbe oriental dit que les cygnes ne restent pas dans la boue ; le gourou ne pouvait donc pas entretenir de mauvaises fréquentations. Il forma son plan pendant la nuit, partit le lendemain matin et arriva en temps voulu à Kiratpur où il offrit un somptueux banquet à son peuple.
Un jour, alors que des Sikhs chantaient des hymnes du Granth Sahib, le Guru se trouvait allongé sur son divan. En entendant les hymnes, il se leva aussitôt. Interrogé sur la raison, il répondit : « Écoutez, mes chers Sikhs, le Guru est incarné dans des compositions d’une sainteté incommensurable et inégalée. L’enseignement du Guru est un radeau pour traverser l’océan ardent du monde. Il confère le bonheur aux Sikhs du véritable Guru et efface le péché du cœur de ses lecteurs. On peut l’appeler un lion pour effrayer le cerf de l’avarice, ou un éléphant pour abattre le grand arbre de la douleur. Il produit la connaissance divine et dissipe l’ignorance. Quiconque respecte les hymnes du Guru traversera sans effort le terrible océan du monde, car grande est leur efficacité. » Si je ne témoignais pas de révérence aux hymnes du gourou, mes sikhs ne le feraient pas, et sans cette révérence, impossible d’atteindre la félicité. C’est pourquoi je me suis levé de mon lit.
Le Sikh qui agit selon les instructions du Guru obtiendra la dignité suprême. Seul celui qui n’a ni dévotion ni foi, ne respecte pas les paroles du Guru. Sans révérence, la dévotion est impossible, et sans dévotion, il n’y a pas de sainteté. Sans la pureté, comment peut-il y avoir [ p. 314 ] délivrance ? Et sans délivrance, l’âme sera sujette à de nouvelles transmigrations et ne sera pas absorbée par Dieu. Il incombe aux Sikhs d’atteindre le bonheur en méditant sur les paroles du Guru. Pèlerinage, jeûne, sacrifice et austérités douloureuses ne servent à rien. Le saint du Guru est mon Sikh et se délecte de ses hymnes. Soyez assuré que celui qui ne le fait pas n’est pas un Sikh pour moi. L’exemple du Guru, qui se levait à la lecture du volume sacré, est encore observé par ses disciples. Sentant sa fin approcher, le Guru pensa à son successeur. Il avait toujours pensé que Ram Rai, qui complotait et luttait pour la charge de Guru, en était indigne et qu’il fallait la confier à un saint. Il se souvint de la sagesse de Kabir :
Fais maintenant l’œuvre de demain ; et si tu la fais maintenant, fais-la immédiatement.
Rien ne peut être fait par la suite lorsque la mort se tient au-dessus de ta tête.
Ayant ainsi pris cette résolution, le gourou convoqua un grand conseil de ses sikhs, auquel assistèrent les descendants de ses prédécesseurs. L’occasion fut célébrée par un banquet, de grandes réjouissances, les chants de nombreux ménestrels et la musique de nombreux joueurs de rebeck. Le gourou fit asseoir son second fils, Har Krishan, encore enfant, sur un trône au centre de l’assemblée. Il déposa ensuite une noix de coco et cinq paise devant lui, fit trois circumambulations autour de lui et se fit poser un tilak (un patch) sur le front. Toute l’assemblée se leva alors et rendit hommage au jeune gourou. Le gourou Har Rai enjoignit à tous ses sikhs de considérer Har Krishan comme son image, d’avoir foi en lui, afin qu’ils obtiennent le salut. Ainsi fut achevée la cérémonie d’intronisation de Har Krishan.
Guru Har Rai ferma les yeux dans un plaisir divin et se rendit à son dernier repos le dimanche, le neuvième jour de la moitié sombre du mois de Kartik, Sambat 1718 (166 après JC).