L’empereur cruel et bigot Aurangzeb régnait toujours à Dihli. Comme nous l’avons vu précédemment, il avait emprisonné et laissé mourir de faim son propre père, tué ses frères – Dara Shikoh et Murad – et déshonoré son fils aîné Muazim, futur Bahadur Shah. En raison de tous ses crimes, il était profondément haï, même par ses coreligionnaires. Il fit alors venir ses prêtres et leur demanda ce qu’il comptait faire pour regagner la sympathie des musulmans. Ses conseillers lui dirent qu’il ne pouvait y parvenir qu’en convertissant les hindous à l’islam. Il devait envoyer de l’argent et d’autres présents à La Mecque et à Médine. Ses prêtres les prendraient et lui apporteraient des lettres de créance de ces villes saintes prouvant qu’il était un musulman orthodoxe et religieux. Tout cela étant fait, il devait émettre des proclamations dans tout l’empire selon lesquelles les hindous devraient embrasser l’islam et que ceux qui le feraient recevraient des jagirs, un service d’État et toutes les immunités accordées aux favoris royaux.[1] L’empereur [ p. 369 ] suivit l’avis de ses prêtres et tous les plans suggérés furent adoptés.
L’expérience de conversion fut d’abord tentée au Cachemire. Deux raisons l’expliquaient. Premièrement, les pandits cachemiris étaient censés être instruits, et on pensait que, s’ils se convertissaient, les habitants de l’Hindoustan suivraient volontiers leur exemple ; deuxièmement, Peshawar et Kaboul, deux pays musulmans, étaient proches, et si les Cachemiris opposaient une résistance à leur conversion, les musulmans pourraient déclarer une guerre de religion, les dominer et les détruire. L’empereur croyait également – sans fondement, comme il s’avéra par la suite – que les brahmanes cachemiris pourraient être tentés par des promesses d’argent et de nominations gouvernementales, car la mendicité et la bassesse des habitants de ce pays étaient proverbiales[2].
L’empereur Akbar, par la force de sa richesse et de son génie militaire, soumit non seulement l’Inde musulmane, mais aussi le Rajputana. Ses ministres obséquieux signèrent un document qui lui accordait, en tant qu’ombre de Dieu sur terre, la pleine juridiction pour trancher toutes les questions religieuses. Au lieu du credo musulman, il fut gratifié de la formule : « Il n’y a de Dieu que Dieu, et Akbar est son représentant. » Les hommes se prosternèrent devant lui, lui offrirent des vœux et l’appelèrent à la divinité. Il fit insérer son nom dans les hymnes aux dieux et aux déesses, et des poètes lui rendirent des honneurs divins. Aurangzeb, qui se considérait comme un musulman orthodoxe, pensait que, par sa propre ligne d’action, il serait encore plus grand et plus prospère qu’Akbar.
Sher Afghan Khan, vice-roi de l’empereur au Cachemire, entreprit de convertir les Cachemiris par l’épée et massacra ceux qui persévéraient dans la foi de leurs ancêtres. On [ p. 370 ] raconte qu’un monceau d’un homme et quart, soit cent livres de fils sacrificiels, s’y accumula. Les hindous qui refusèrent de se convertir et que les troupes de Sher Afghan Khan ne purent capturer s’enfuirent du pays. Même les musulmans qui aidèrent les hindous de quelque manière que ce soit furent impitoyablement exécutés.
Finalement, Sher Afghan Khan commença à réfléchir : il y avait trop de massacres, et il pourrait lui arriver le même sort que celui de l’empereur Humayun, que Sher Shah, le chef afghan, avait expulsé d’Inde, ou celui des musulmans dont la descendance avait été extirpée de ses territoires par le Raja Jaipal, dont la devise était : « Quand je mourrai, ce sera la fin du monde. » Fort de ces réflexions, Sher Afghan Khan fit venir les pandits cachemiris, les informa de l’ordre de l’empereur, leur dit qu’il ne faisait qu’y obéir et implora leur pardon. Ils restèrent silencieux un moment, puis demandèrent un répit de six mois pour décider s’ils devaient embrasser l’islam ou mourir pour leur religion. Après tous les massacres dont il avait été l’instrument, Sher Afghan Khan fut heureux d’accéder à leur requête.
Pendant ce temps, le processus de conversion se poursuivait en Inde. Aurangzeb recourut d’abord aux quatre moyens de la politique indienne traditionnelle pour traiter avec les hindous. Il fit des avances pacifiques, puis offrit de l’argent, puis menaça de les punir, et enfin sema la discorde. Devant l’échec de ces mesures, il recourut à la conversion forcée. Il détruisit des temples et les transforma en mosquées. Il tua des vaches, si sacrées aux yeux des hindous, jeta leur chair dans des puits et força les hindous à boire l’eau. Insatisfait de cette souillure, il envoya les hindous dans des mosquées et les força à prier le mal nommé Rahim (Dieu miséricordieux), au lieu de leur propre Ram, dieu de douceur et de compassion.
Alors que le répit de six mois obtenu auprès de Sher [ p. 371 ] Afghan Khan touchait à sa fin, les Pandits cachemiris furent informés par une révélation surnaturelle qu’en cette dernière ère du monde, Guru Nanak était le roi spirituel. Il protégerait la religion. Aucun dieu hindou n’avait le pouvoir de le faire. Le neuvième roi qui lui succédait, Guru Teg Bahadur, était désormais sur son trône. Ils devaient se rendre auprès de lui, et il protégerait leur honneur et leur foi.
Les Pandits apprirent que le Guru se trouvait alors à Anandpur, sur les rives du Satluj, et ils s’y rendirent. En chemin, ils s’arrêtèrent à Amritsar, où ils se baignèrent dans le bassin sacré du Guru Kam Das. Ils se dirigèrent ensuite vers Anandpur, où ils arrivèrent après bien des désagréments et des souffrances, dus à leur ignorance des voyages dans un pays inconnu, au cœur des plaines de l’Inde, et pendant la saison chaude.
À leur arrivée à Anandpur, ils racontèrent au gourou leur triste histoire : comment les hindous de leur pays se convertissaient malgré le répit qui leur avait été accordé, et comment un poids et un quart de janeus avait été collecté auprès des hindous convertis à l’islam. Ils affirmèrent au gourou qu’il était né dans le but exprès de préserver la religion, que son nom même avait le pouvoir de chérir ceux qui recherchaient sa protection ; et ils le supplièrent de préserver l’honneur de leur foi par tous les moyens qu’il jugerait les plus opportuns.
Le gourou resta assis en silence et réfléchit un moment à leur requête. Son cher fils Gobind jouait alors dans la salle et, voyant son père triste et pensif, il s’approcha de lui. Son père ne répondit pas, mais le serra tendrement dans ses bras. Le garçon dit : « Père chéri, pourquoi restes-tu assis en silence aujourd’hui ? Pourquoi ne me regardes-tu pas avec ton regard affectueux habituel ? Quelle offense ai-je commise pour que tu ne veuilles même pas me regarder avec joie ? » Le gourou, prenant pitié de son cher enfant – aussi cher que seul Gobind Rai pouvait l’être – le fit asseoir près de lui et dit : « Mon fils, tu ne sais encore rien. Tu es encore un enfant. » [ p. 372 ] Cette affaire à laquelle les Cachemiris sont confrontés est d’une importance vitale. Le monde est affligé par l’oppression des Turcs. On ne trouve plus aucun homme courageux. Celui qui est prêt à sacrifier sa vie libérera la terre du fardeau des musulmans. L’enfant répondit : « Pour cela, qui est plus digne que toi qui es à la fois généreux et courageux ? »[3]
Lorsque Guru Teg Bahadur entendit cela de la bouche de son enfant, il devina tout ce qui allait suivre. Fle dit aux Cachemiris de se rendre en groupe à Dihli et de présenter la déclaration suivante à l’empereur : « Guru Teg Bahadur, le neuvième gourou sikh, est désormais assis sur le trône du grand gourou Nanak, protecteur de la foi et de la religion. Faites-le d’abord musulman, et alors tout le peuple, y compris nous-mêmes, adoptera la foi de son plein gré. » Ils obéirent au gourou et se rendirent à Dihli pour insister sur sa proposition pleine d’abnégation. L’empereur, après avoir consulté ses docteurs musulmans, l’adopta avec une joie extrême. Il dit : « Si le gourou ne devient pas musulman, il nous montrera au moins un miracle. » Ayant ainsi pris cette décision, l’empereur envoya deux officiers le chercher. Plein d’espoir, il le confia à ses qazis, qu’une fois le gourou converti, un grand nombre de convertis hindous et sikhs se convertiraient.
Les officiers qui portaient l’ordre de l’Empereur au Guru se logeaient dans les villes et villages traversés. Quatre porteurs étaient mis à disposition dans chaque village, chaque officier étant obligé de porter son palki au suivant. Ainsi, ils ne tardèrent pas à accomplir confortablement le voyage jusqu’à Anandpur. Apprenant que le Guru donnait audience le matin, ils firent savoir qu’ils avaient un message de l’Empereur pour lui. Le Guru leur dit qu’il les attendait déjà et qu’il ne regrettait pas leur arrivée. Il [ p. 373 ] lut l’ordre de l’Empereur et écrivit en réponse qu’il viendrait à Dihli après la saison des pluies. Il remit ensuite sa lettre aux officiers et les congédia. Ils poursuivirent leur voyage de retour sans plus de soucis de la part du Guru.
D’après la Suraj Parkash, Gobind Rai, bien que convoqué par son père de Patna à Anandpur, ne le revit jamais. Mais, d’après le Gur Bilas de Bhai Sukha Singh, un ouvrage plus ancien, Gobind Rai rejoignit son père à Anandpur. Il semblerait d’ailleurs que ce soit le cas d’après les propres déclarations de Gobind Rai. Il écrit : « Ils m’emmenèrent au Panjab où des infirmières de toutes sortes me choyèrent et me chérirent de toutes les manières. J’ai reçu diverses instructions. » Il est certain que ces instructions furent données sous la supervision de son père. ↩︎
Khulasat ul-Tawarikh. Abul Fazal a écrit : « Le fléau de ce pays, ce sont ses habitants. » ↩︎
Gur Bilas de Sukha Singh, Chap. V. ↩︎