[ p. 80 ]
Ce qu’on appelle le Granth du dixième gourou n’est qu’en partie de sa composition. La plus grande partie fut écrite par des bardes à son service. Les deux ouvrages intitulés Chandi Charitar et Bhagauti ki War qu’on y trouve sont des traductions abrégées, réalisées par différentes mains[1], du Durga Sapt Shati, soit sept cents sloks sur Durga, un épisode du Markandeya Puran relatant les luttes de la déesse Durga contre les démons qui avaient fait la guerre aux dieux.
Le poète employé par le gourou, qui a traduit ce texte, déclare l’avoir fait pour le plaisir, mais ajoute : « Quiconque entend ou lit ceci pour quelque motif que ce soit l’obtiendra assurément. » Ce vers est un résumé des onzième et douzième sloks du quatre-vingt-douzième chant de l’original. Le traducteur fait ensuite allusion, avec une certaine obscurité, à un but particulier qui lui est propre. « J’ai traduit le livre appelé Durga Sapt Shati, qui n’a pas d’égal. Ô Chandi, accorde-moi le but que le poète a traduit. » Le but du traducteur, cependant, n’est pas précisé. On ne peut déterminer s’il a ou non assimilé certains principes du sikhisme du gourou, mais il est clair qu’il était largement imprégné d’hindouisme.
À la fin de cette traduction se trouve le distique :—
Les saints qui méditent continuellement sur toi, ô Chandi, obtiendront enfin le salut et trouveront Dieu comme récompense.
[ p. 81 ]
Ce n’est pas dans le sanskrit original, mais le sens général peut être déduit par un croyant en Chandi de sa propre autoglorification dans le quatre-vingt-douzième chant.
Le premier Chandi Charitar commence ainsi : Ek oamkar, Sri Wahguru ji ki fatah. Ath Chandi Charitar ukt bilas — Maintenant, le récit (bilas) des actes de Chandi sera raconté (ukt). Le deuxième Chandi Charitar commence de la même manière, mais sans les mots ukt bilas. Le Bhagauti ki War commence ainsi : Ek oamkar Sri Wahguru ji ki fatah ! Sri Bhagauti ji sahai! War Sri Bhagauti ji ki Patshahi das — Il n’y a qu’un seul Dieu. Victoire au saint Wahguru ! Nous implorons la faveur du saint Bhagauti (Épée) ! L’hymne du saint Bhagauti du dixième Guru. Il apparaît donc que le Bhagauti ki War a été écrit par le dixième Guru lui-même.
Les hindous affirment que dans les écrits du dixième gourou, le mot Bhagauti signifie Durga. Dans les deux Chandi Charitars, le mot Bhagauti n’apparaît pas du tout, et même dans le Bhagauti ki War, il n’apparaît que trois fois : une fois dans le titre de la composition, une deuxième fois au premier vers, et une troisième ailleurs. Dans ce dernier cas, Lai Bhagauti Durg shah, il est clair que le mot Bhagauti signifie une épée : « La déesse Durga prit l’épée. » Ceci est également attesté par Gur Das. Dans le sixième pauri de son vingt-cinquième War, il évoque la manière dont le sens des mots est souvent altéré et écrit : Nam bhagauti loh gharaya : L’homme a façonné ce qu’on appelle l’épée (bhagautt) en fer.
Pour prouver davantage que Bhagauti ne signifie pas Durga dans les écritures sikhs, la ligne suivante dans l’Ad Granth est citée - Bhagautt mudra man mohya maya, dont la traduction est - Les hommes portent les marques de Dieu tandis que leur esprit est fasciné par Mammon.
Voici les deux premiers pauris du « War Sri Bhagauti ji ki ».
[ p. 82 ]
Après vous être d’abord souvenu de l’épée, méditez sur Guru Nanak,
Alors sur Guru Angad, Amar Das et Ram Das ; puissent-ils m’aider !
Souvenez-vous d’Arjan, de Har Gobind et du saint Hari Rai ;
Méditez sur le saint Hari Krishan, dont la vue dissipe toutes les tristesses.
Souvenez-vous de Teg Bahadur et les neuf trésors viendront en toute hâte dans vos maisons.
Vous, saints gourous, assistez-nous partout !
Dieu ayant d’abord façonné l’épée, créa le monde entier.
Il créa Brahma, Vishnu et Shiv, et en fit le jouet de sa toute-puissance ;
Il a fait les mers et les montagnes de la terre, et il a soutenu le firmament sans colonnes ;
Il créa les démons et les demi-dieux, et suscita des dissensions parmi eux.
Après avoir créé Durga, ô Dieu, tu as détruit les démons.[3]
De toi seul Ram reçut sa puissance, et tua Rawan avec ses flèches.
De Toi seul, Krishan reçut son pouvoir, le saisit par les cheveux et le jeta à terre.
Très nombreux sont les munis et les dieux qui ont mortifié leurs corps pendant de nombreux siècles,
Mais aucun d’eux n’a trouvé Ta limite.
La dernière ligne du Bhagauti ki War est :—
Celui qui a chanté cela n’est pas né de nouveau, c’est-à-dire qu’il a obtenu la délivrance.
Cette ligne donne le sens du vingt-deuxième slok du quatre-vingt-douzième chant du « Markandeya Puran ».
Le train de pensée par lequel le gourou a fait [ p. 83 ] de Dieu et de l’épée un était le suivant : Dans le « Shastar Nam Mala » on peut lire :
Je mentionne d’abord le mot shatru (un ennemi) puis le mot daman (soumettre).
Sachez que les mots composés signifient le Seigneur du monde : soyez-en assurés.
La signification est : Dieu soumet les ennemis, l’épée aussi ; par conséquent, l’épée est Dieu, et Dieu est l’épée.
À cette époque, il était de coutume de réciter, la veille d’une bataille, les louanges et les exploits guerriers des braves, afin d’inspirer l’ardeur au combat, même aux plus lâches. C’est pourquoi le dixième gourou entretenait cinquante-deux bardes pour traduire le Mahabharat, le Ramayana et les exploits de Ram, Krishan, Chandi et d’autres. Il ne s’ensuit pas que le gourou vénérait ceux dont les actes étaient ainsi célébrés ; il le faisait uniquement pour inciter à la bravoure, dissiper la lâcheté et remplir le cœur de ses troupes de courage pour défendre leur foi. Le gourou lui-même le déclare dans sa traduction du dixième chant du Bhagavad, où sont relatés les exploits chevaleresques de Krishan. Il dit : « J’ai traduit en dialecte vulgaire le dixième chapitre du Bhagavad sans autre but que d’inspirer l’ardeur au combat religieux. »
Deuxièmement, le Guru lui-même traduisit spécialement les louanges de Chandi afin qu’elles puissent être chantées à des fins militaires, et que même les lâches, en entendant son récit, puissent trouver du courage et que le cœur des braves batte d’un enthousiasme quadruple. Tels étant les exploits d’une femme, que ne devrait pas accomplir un homme courageux ? Le Guru soutenait que si un homme devenait lâche et se détournait du champ de bataille, non seulement il aurait honte de lui-même, mais il perdrait aussi ses avantages ici-bas et dans l’au-delà.
[ p. 84 ]
Troisièmement, le gourou souhaitait que ses sikhs, en se familiarisant avec les écrits sacrés hindous, puissent se faire leur propre opinion sur ces écrits et sur leur infériorité par rapport aux œuvres des gourous. Parmi les cinquante-deux bardes employés par le gourou, plusieurs devaient avoir souffert pour leur religion sous les persécutions d’Aurangzeb ; et le gourou ne saurait être tenu responsable de leurs opinions[4].
Toute personne connaissant même modérément l’hindi peut dire, à partir des preuves internes du style, que ces traductions ont été réalisées par des personnes différentes. ↩︎
Les lecteurs européens qui ne sont pas familiers avec les mots indiens et qui ne sont pas intéressés par les traductions hindi du Durga Sapt Shati (Devi Mahatamya) ou leur objet, peuvent omettre le reste de ce chapitre. ↩︎
Cette ligne montre que le Guru croyait que Durga était une création de Dieu et non une divinité indépendante co-égale ou co-puissante avec Lui et digne d’adoration humaine. ↩︎
Durga Prabodh de Bhai Dit Singh. ↩︎