Le gourou ordonna à tous les masands de se présenter devant lui avec leurs fidèles sikhs à Anandpur, lors de la fête de Baisakhi, qui se tenait vers la mi-avril. Ils rassemblèrent d’importantes sommes d’argent pour préparer leur voyage. Ils en conservèrent la moitié pour leur usage personnel et en déposèrent l’autre moitié devant le gourou. Le gourou s’adressa alors à eux : « Ô frères masands, vous êtes les serviteurs du gourou depuis l’époque de Guru Ram Das. Vous aviez l’habitude de collecter de grosses sommes d’argent. Pourquoi avez-vous apporté si peu cette année pour soutenir la foi ? » Les masands répondirent : « Ô vrai gourou, les riches sikhs sont tous morts, et nous devons prendre ce que nous pouvons obtenir des survivants. » Le gourou rétorqua : « Ne dites pas que mes sikhs sont pauvres. Je vais tous les ériger en rois. Si vous désirez votre bien-être, restituez les offrandes que vous avez reçues d’eux. » Les masands se mirent en colère et commencèrent à dire entre eux : « Le gourou est de notre fait. Si nous ne contribuions pas financièrement à son entretien, personne ne l’appellerait gourou. »
Les masands quittèrent la cour du gourou et allèrent se plaindre à Bhai Chetu, le doyen de leur communauté, survivant depuis l’époque du gourou [ p. 85 ] Ram Das. Ils lui expliquèrent qu’aucun gourou ne les avait jamais critiqués, mais que le gourou Gobind Rai les avait menacés de graves conséquences. Chetu promit de parler au gourou en leur faveur, mais leur rappela qu’il était à l’âge où les hommes profèrent des éloges et des reproches sans discernement.
Chetu tint sa promesse et s’adressa au gourou au nom des masands : « Vrai roi, les masands sont tous tes serviteurs. Je te prie de les traiter avec respect, afin que les Sikhs suivent ton exemple. La prochaine fois qu’ils viendront, ils apporteront une plus grande somme d’argent pour approvisionner ta cuisine publique. » Le gourou répondit : « Demande à leurs frères sikhs ici présents quel langage les masands ont tenu à mon égard. Ils ont volé l’argent du gourou et l’ont déposé chez eux. Ils sont très fiers. Ils n’admettent pas le pouvoir du gourou. Ils ont qualifié mes Sikhs de pauvres, alors que je les encourage chaque jour à progresser et à leur conférer la souveraineté du pays. Et, finalement, les masands me mentent. » Chetu implora le gourou de leur pardonner. Le gourou déclara alors que Chetu les avait encouragés à détourner les offrandes et qu’il méritait lui aussi d’être puni comme ses confrères. Chetu commença alors à fulminer et à feindre l’innocence. Le gourou était désormais pleinement convaincu que les masands étaient arrivés à un point où ils ne croyaient en aucun gourou, et que leur insolence devait être réprimée. Il décida donc que, de même que la fonction de gourou humain devait prendre fin avec lui, ses Sikhs devaient être libérés de la tyrannie des masands.
Chetu alla trouver la mère du gourou et la menaça : si le gourou désavouait les masands, les Sikhs se rendraient en masse à Dhir Mal, laissant le gourou sans ressources. Lorsque le gourou entendit cela, il dit : « Ne vous inquiétez pas, ô mère, ma cuisine publique appartient au Dieu immortel, et Il la pourvoira en provisions. »
Il arriva qu’à cette époque, un homme arriva à Anandpur, en provenance du district de Chetu. Il avait offert à [ p. 86 ] Chetu une paire de bracelets en peau de rhinocéros pour la mère du gourou. Interrogé, Chetu affirma les lui avoir dûment remis, mais il fut prouvé de manière convaincante qu’il ne l’avait pas fait et que sa femme l’avait convaincu de les lui offrir. Chetu fut puni pour sa malhonnêteté.
Le gourou continua de recevoir de nombreuses plaintes contre les masands. L’un d’eux, en particulier, logea chez un Sikh pauvre et réclama des sucreries au lieu des légumineuses écrasées et du pain sans levain qui constituaient l’aliment de base de son hôte. Le masand prit le pain, le jeta au visage de son hôte et jeta le légumineuse écrasée au sol. Il commença alors à insulter le Sikh et ne cessa que lorsque le pauvre homme eut vendu le jupon de sa femme pour lui fournir des sucreries. Informé de la situation, le gourou entreprit de punir le masand. Il ordonna que désormais les Sikhs présentent eux-mêmes leurs offrandes et que l’utilisation des masands à cette fin cesse.
Un jour, une troupe de mimes se présenta devant le gourou. Il leur ordonna d’imiter les masands. L’un d’eux se déguisa en masand, deux en serviteurs d’un masand, et un quatrième en courtisane d’un masand, le suivant à cheval pour recueillir des offrandes pour le gourou. Les mimes mimèrent les vilenies et l’oppression pratiquées par les masands. Le gourou résolut alors de libérer ses sikhs de leur tyrannie. Il ordonna que tous les masands soient traduits en justice pour leurs délits. Il écouta systématiquement leurs défenses et leurs explications, punit ceux qu’il jugea coupables et pardonna à ceux qui parvinrent à établir leur innocence. Parmi ces derniers se trouvait un masand appelé Pheru, dont il est fait mention dans la vie du gourou Har Rai. Pheru vivait dans la région alors appelée Nakka, entre les rivières Ravi et Bias. Le gourou [ p. 87 ] ordonna qu’on le conduise devant lui. Il se souvint d’une expression utilisée par Guru Har Rai à Pheru : « Ma bourse est à ta disposition. Dépense-en ce que tu veux. » Guru Gobind Rai ajouta : « La bourse est à toi, et tu peux en disposer. » Pheru répondit : « Grand roi, la bourse est à toi, et tu peux en disposer : que je sois bon ou mauvais, je suis à toi. » Le gourou, sachant qu’il était sans artifice, l’acquitta et le revêtit de sa propre main d’une robe d’honneur. D’autres masands furent également acquittés grâce aux plaidoiries de Pheru.
Un jour, un groupe d’Udasis apporta au Guru un exemplaire du Granth Sahib, écrit avec une grande élégance, pour qu’il l’atteste et le signe. À cette époque, aucun Granth n’était accepté comme correct sans la signature du Guru. Mais les pétitionnaires devaient d’abord s’adresser à son ministre, Diwan Nand Chand, et lui soumettre l’ouvrage pour approbation. Ce dernier, constatant la belle écriture du volume, nourrit l’intention malhonnête de se l’approprier. Il dit aux Udasis de revenir dans un mois, en attendant de trouver un moyen d’obtenir la signature du Guru. À leur retour après l’expiration de ce délai, il leur dit qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de parler au Guru à ce sujet et leur suggéra d’attendre dix jours supplémentaires. Par des subterfuges similaires, il maintint les Udasis en suspens pendant six mois. Au bout de ce temps, il leur demanda de lui retirer le prix du Granth Sahib et d’en préparer un autre pour l’approbation du Guru. Les Udasis refusèrent, après quoi il les fit expulser de force d’Anandpur.
Un jour, alors que le gourou partait à la chasse, les Udasis saisirent l’occasion de se plaindre auprès de lui de la conduite de Nand Chand. Le gourou ordonna aussitôt que leur Granth leur soit restitué. Nand [ p. 88 ] Chand envoya un message au gourou pour lui dire qu’il était prêt à lui rendre le livre, mais il dit en même temps aux Udasis de quitter les lieux immédiatement s’ils tenaient à leur sécurité. S’ils adressaient de nouvelles plaintes au gourou, ils seraient emprisonnés et mis à mort. Les Udasis ne se laissèrent cependant pas décourager si facilement. Ils attendirent le moment opportun pour aborder le gourou à une autre occasion. Ils se plaignirent que Nand Chand avait désobéi à son ordre, les avait expulsés de force de la ville et les avait menacés de mort s’ils revenaient et portaient à nouveau plainte contre lui. Le Guru envoya un message sévère à Nand Chand : « Des jours sombres sont arrivés pour toi. Je te traiterai comme j’ai traité les masands. Si tu désires ton propre bien, rends leur Granth Sahib aux Udasis. » Lorsque le message du Guru fut communiqué à Nand Chand, il dit : « Va-t’en ; je ne rendrai pas le Granth Sahib. Voyez, mes amis, comme le Guru cherche à m’effrayer. Si je pouvais secouer la poussière du pan de mon manteau, je pourrais faire de nombreux gourous comme lui. » Les Sikhs répondirent : « Très bien ; laisse le Guru venir à toi, et tu verras. Il ne fera aucune distinction entre toi et tes frères masands. »
Nand Chand, craignant les conséquences de sa témérité, s’enfuit avec le Granth Sahib à Kartarpur. Lorsque le gourou apprit qu’il avait fui par peur de la mort, il répondit : « La mort l’atteindra là aussi. » Arrivé à Kartarpur, Nand Chand envoya un message à Dhir Mal : « Des centaines de milliers de Sikhs adhèrent à ta cause ; ils te vénéreront tous et feront de toi le gourou du monde. Il est en mon pouvoir aujourd’hui de t’élever à cette éminence. » Cependant, Nand Chand suscitait une sérieuse méfiance à Kartarpur. On le soupçonnait d’être venu de la part du gourou pour commettre une trahison – soit pour tuer Dhir Mal, soit pour prendre possession de la ville. Dhir Mal consulta ses masands pour savoir ce qu’il y avait de mieux [ p. 89 ] à faire. Ils conseillèrent de mettre à mort Nand Chand selon le stratagème suivant : lors de sa visite, un mousquetaire serait caché dans la maison pour tirer sur lui. Ce fut convenu. Lorsque Nand Chand entra dans l’antichambre de Dhir Mal, il reçut une balle dans la cuisse. Alors qu’il titubait, les portes furent fermées pour l’empêcher de s’échapper, et il reçut alors plusieurs balles mortelles provenant du toit ouvert à cet effet.
Un jour, le Guru vit deux cavaliers passer devant chez lui puis faire diversion vers le Satluj. Il s’agissait de Gurdas et de son frère Tara, arrière-petits-fils de Bhai Bahilo et masands de Ram Rai, venus chercher la protection du Guru, mais dont le courage leur manqua au dernier moment. Le Guru les fit amener devant lui. En réponse aux questions de son messager, ils avaient prétendu être des Bairars. Lorsqu’ils se présentèrent devant le Guru, il découvrit leur déguisement et leur demanda pourquoi ils s’étaient fait passer pour des Bairars. Ils racontèrent leur histoire. Lors de sa précédente visite à Dehra, le Guru, les croyant dignes de confiance, les autorisa à rester auprès de Panjab Kaur, la veuve de Ram Rai, pour sa protection. Les autres masands avaient empoisonné l’esprit de Panjab Kaur contre eux, et ils se réfugièrent alors auprès du Guru pour obtenir sa protection. À leur arrivée à Anandpur, ils avaient entendu parler du traitement réservé par le Guru aux autres masands et, par peur, s’étaient détournés de lui. Le Guru les félicita, les considérant comme les descendants de Bhai Bahilo, d’avoir enfin confessé la vérité, et mentionna le respect que les précédents Guru avaient porté à Bhai Bahilo. Après leur repentir, le Guru les accueillit pendant quelques années, puis les autorisa à rentrer chez eux.
Le gourou a toujours cru qu’il serait convenable et avantageux pour ses sikhs de porter les cheveux longs et de ne pas altérer le corps donné par Dieu à l’homme, [ p. 90 ] et il abordait souvent le sujet avec eux. Un jour, ils répondirent que, s’ils portaient les cheveux longs, ils seraient la cible des railleries et des agacements des hindous et des musulmans. Le gourou leur suggéra alors de porter des armes et d’être prêts à se défendre à tout moment. Ce conseil fut suivi.
Dans les temps anciens, le gourou disait que c’était une coutume universelle de porter ses cheveux naturels, et il citait les cas de Ram Chandar, Krishan, le Christ et Mahomet. « Pourquoi les cheveux pousseraient-ils si Dieu avait voulu qu’ils soient coupés ? Les cheveux d’un enfant poussent dans le ventre de sa mère. »[1] Le gourou espérait donc que ses disciples ne commettraient jamais le péché de se raser ou de se couper les cheveux, et il promettait de considérer ceux qui obéiraient à ses injonctions comme de véritables membres de sa foi.
On raconte qu’à cette époque, les Sikhs vivaient dans une grande harmonie sociale. Ils se considéraient comme des frères. Ils se nourrissaient, se shampouinaient lorsqu’ils étaient fatigués, se lavaient et lavaient leurs vêtements, et un Sikh en accueillait toujours un autre avec le sourire et l’amour au cœur.
Un groupe de Sikhs vint rendre visite au gourou et lui fit la déclaration suivante : « Nous avons trouvé très difficile de vous approcher à cause de la violence des musulmans. Certains de nos compagnons ont été tués par eux en chemin. D’autres ont été blessés et sont retournés [ p. 91 ] chez eux. À qui pouvons-nous nous adresser sinon à vous ? » Le gourou, entendant cela, garda le silence et songea que la tyrannie des Turcs était devenue intolérable et que toute religion était bannie du pays.
Le gourou invita tous ses sikhs à assister à la grande foire de Baisakhi à Anandpur sans se raser ni se couper les cheveux. Les trouvant rassemblés, il ordonna que des tapis soient étendus sur un monticule surélevé qu’il indiqua, et qu’un espace adjacent soit protégé par des qanats (murs de tente). Cela fait, le gourou ordonna à un sikh de confiance d’aller à minuit attacher cinq chèvres dans l’enclos et de ne laisser personne savoir ce qu’il avait fait. Les chèvres furent dûment attachées, et des ordres distincts furent donnés aux ordonnances du gourou de ne pas pénétrer à l’intérieur des murs de la tente.
Le lendemain matin, le gourou se leva de bonne heure, accomplit ses dévotions et revêtit ses armes et son uniforme. Il proclama ensuite un grand rassemblement en plein air. Lorsque tous furent assis, il tira son épée et demanda si l’un de ses sikhs bien-aimés était prêt à donner sa vie pour lui. Aucune réponse ne fut donnée. Tous pâlirent à cette proposition. Le gourou demanda une seconde fois, mais avec le même résultat. Une troisième fois, il parla d’une voix plus forte : « S’il y a parmi moi un vrai sikh, qu’il me donne sa tête en offrande et en preuve de sa foi. » Daya Ram, un sikh de Lahore, se leva et dit : « Ô vrai roi, ma tête est à ton service. » Le gourou le prit par le bras, le conduisit dans l’enceinte et lui offrit un siège. Il coupa alors la tête d’une chèvre d’un coup d’épée, s’avança et montra l’arme ruisselante à la foule. Le gourou demanda de nouveau : « Y a-t-il un autre vrai Sikh qui accepterait de m’offrir sa tête ? » La foule était désormais convaincue que le gourou était sérieux et qu’il avait tué Daya Ram, aussi personne ne répondit. À la troisième question, Dharm Das de Dihli répondit : « Ô grand roi, prends ma tête. » Le gourou, [ p. 92 ] prenant un air furieux, prit Dharm Das dans l’enceinte, le fit asseoir près de Daya Ram et tua une autre chèvre. Le gourou, l’air très féroce, s’avança et dit : « Y a-t-il un autre Sikh qui accepterait de m’offrir sa tête ? J’ai grand besoin de têtes de Sikhs. »
Certains firent remarquer que le gourou avait perdu la raison. D’autres allèrent se plaindre à sa mère, affirmant qu’il avait complètement changé et n’était plus responsable de ses actes. Ils citèrent comme exemple le sacrifice de deux Sikhs apparemment sans but précis. Sa mère fut conseillée de le destituer et de conférer la charge de gourou à son fils aîné. Elle envoya un messager le chercher, mais il était alors trop absorbé par ses propres intérêts pour recevoir des messagers. Il appela un troisième Sikh prêt à lui offrir sa vie, sur quoi Muhakam Chand de Dwaraka s’offrit en sacrifice. Le gourou le conduisit alors dans l’enclos et tua une troisième chèvre. Il s’avança alors, brandissant son épée trempée comme auparavant. Lorsque le gourou appela un quatrième Sikh pour le sacrifice, les Sikhs commencèrent à croire qu’il allait tous les tuer. Certains s’enfuirent et beaucoup baissèrent la tête. Sahib Chand, un habitant de Bidar, joignit les mains en signe de supplication et déclara qu’il mettait sa tête à la disposition du gourou. Ce dernier le conduisit derrière les murs de la tente et tua une quatrième chèvre. Lorsqu’il revint, comme précédemment, il demanda un cinquième sikh prêt à donner sa vie pour lui. Sur ce, les Sikhs restants s’enfuirent en masse, et seuls ceux qui étaient les plus fervents dans leur foi s’aventurèrent à rester. Himmat de Jaggannath répondit au dernier appel du gourou et dit qu’il pourrait lui aussi se donner la mort. Le gourou le conduisit alors à l’intérieur de l’enclos et tua la chèvre restante.
Le gourou était alors prêt à sacrifier sa vie pour les cinq Sikhs qui lui témoignaient une telle dévotion. [ p. 93 ] Il les revêtit de vêtements splendides, de sorte qu’ils brillèrent comme le soleil, et s’adressa à eux ainsi : « Mes frères, vous êtes sous ma forme et je suis sous la vôtre. Quiconque pense qu’il existe une différence entre nous se trompe lourdement. » Puis, faisant asseoir les cinq Sikhs près de lui, il proclama à toute l’assemblée : « Du temps de Guru Nanak, il existait un Sikh fervent, à savoir Guru Angad. De mon temps, il existe cinq Sikhs totalement dévoués au gourou. Ceux-ci poseront de nouvelles fondations pour le sikhisme, et la vraie religion deviendra courante et célèbre dans le monde entier. » Le peuple, stupéfait par l’expédient du Gurwt, tomba aux pieds des cinq Sikhs dévoués en disant : « Vive la religion sikh ! Vous, frères, vous l’avez établie durablement. Si nous avions offert nos têtes comme vous, nous serions nous aussi bénis. »
Le gourou s’adressa de nouveau à ses Sikhs : « Depuis l’époque de Baba Nanak, le charanpahul est une coutume. Les hommes buvaient l’eau dans laquelle les gourous leur avaient lavé les pieds, une coutume qui leur inspirait une grande humilité ; mais le Khalsa ne peut désormais se maintenir en tant que nation que par la bravoure et l’adresse aux armes. C’est pourquoi j’instaure la coutume du baptême par l’eau agitée au poignard, et je transforme mes disciples de Sikhs en Singhs, ou lions. Ceux qui acceptent le nectar du pahul seront transformés sous vos yeux, de chacals en lions, et obtiendront l’empire en ce monde et la félicité dans l’au-delà. »
Selon l’historien persan Ghulam Muhai ul Din, le journaliste de l’époque envoya à l’empereur une copie du discours du gourou à ses sikhs à cette occasion. Daté du premier Baisakh, Sambat 1756 (1699 apr. J.-C.), il est ainsi conçu : « Que tous adhèrent à une même croyance et effacent les différences de religion. Que les quatre castes hindoues, guidées par des règles différentes, les abandonnent toutes, adoptent une forme unique d’adoration et deviennent frères. Que nul ne se considère supérieur à un autre. Que nul [ p. 94 ] ne prête attention au Gange et aux autres lieux de pèlerinage évoqués avec révérence dans les Shastars, ni n’adore des incarnations telles que Ram, Krishan, Brahma et Durga, mais croie au gourou Nanak et aux autres gourous sikhs. » Que les hommes des quatre castes reçoivent mon baptême, mangent du même plat et n’éprouvent ni dégoût ni mépris les uns pour les autres.
Le journaliste, en transmettant cette proclamation à son maître, soumit son propre rapport : « Lorsque le gourou eut ainsi adressé la parole à la foule, plusieurs brahmanes et khatris se levèrent et déclarèrent accepter la religion de Guru Nanak et des autres gourous. D’autres, au contraire, déclarèrent qu’ils n’accepteraient jamais une religion opposée à l’enseignement des Veds et des Shastars, et qu’ils ne renonceraient pas, sur l’ordre d’un enfant, à la foi ancestrale qui leur avait été transmise par leurs ancêtres. Ainsi, bien que plusieurs refusassent d’accepter la religion du gourou, environ vingt mille hommes se levèrent et promirent de lui obéir, car ils avaient la plus grande foi en sa mission divine. »
Le gourou fit lever ses cinq fidèles sikhs. Il versa de l’eau pure dans un récipient en fer et la remua avec un khanda, une épée à deux tranchants. Il répéta ensuite dessus les versets sacrés qu’il avait prescrits pour la cérémonie, à savoir le Japji, le Japji[2], l’Anand du gourou Amar Das et certains Sawaiyas ou quatrains de sa composition.
Afin de montrer à ses Sikhs la puissance du nectar baptismal qu’il avait préparé, le gourou en mit de côté pour que les oiseaux puissent s’en abreuver. Deux moineaux arrivèrent alors et en remplirent leur bec. Puis, s’envolant, ils commencèrent à se battre, comme deux rajas luttant pour la suprématie, raconte le chroniqueur, et périrent par un massacre mutuel. On en déduisait que tous les animaux buvant l’eau baptismale du gourou devenaient puissants et guerriers.
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Bhai Ram Kaur, un descendant de Bhai Budha, alla dire à Mata Jito, l’épouse du gourou, qu’il inaugurait une nouvelle forme de baptême. Il lui raconta également l’histoire des moineaux. Mata Jito, munie de patasha, une friandise indienne, se rendit auprès du gourou par curiosité. Il lui dit qu’elle était arrivée au bon moment et lui demanda de jeter les friandises dans l’eau bénite. Il avait commencé, disait-il, à engendrer les Khalsa[3] comme ses fils, et sans femme, aucun fils ne pouvait naître. Maintenant que les friandises étaient versées dans le nectar, les Sikhs seraient en paix les uns avec les autres, sans quoi ils vivraient dans une dispute continuelle.
Les cinq Sikhs, entièrement vêtus et accoutrés, se levèrent devant le gourou. Il leur demanda de répéter « Wahguru » et le préambule du Japji. Il leur donna ensuite cinq poignées d’amrit [4] à boire. Il en aspergea cinq fois leurs cheveux et leurs yeux, et les fit répéter à tous « Wahguru ji ka Khalsa, Wahguru ji ki Fatah ». Sur ce, il les qualifia tous de Singhs ou de lions. Il leur expliqua ensuite ce qu’ils pouvaient et ne pouvaient pas faire. Ils devaient toujours porter les articles suivants dont les noms commencent par un K : kes, cheveux longs ; kangha, peigne ; kripan, épée ; kachh, caleçon court ; kara, bracelet en acier. Il leur était enjoint de s’entraîner aux armes et de ne pas tourner le dos à l’ennemi au combat. « Ils devaient toujours aider les pauvres et protéger ceux qui recherchaient leur protection. » Ils ne devaient pas convoiter la femme d’autrui ni commettre la fornication, mais rester fidèles à leur conjoint. Ils devaient considérer leurs castes antérieures comme effacées et se considérer comme frères d’une même famille. Les Sikhs étaient libres de se marier entre eux, mais ne devaient entretenir [ p. 96 ] aucune relation sociale ou matrimoniale avec des fumeurs, des personnes ayant tué leurs filles, des descendants ou des disciples de Prithi Chand, Dhir Mal, Ram Rai ou des masands, qui s’étaient éloignés des principes de Guru Nanak. Ils ne devaient pas adorer d’idoles, de cimetières ni de lieux de crémation. Ils devaient seulement croire en un Dieu immortel. Ils doivent se lever à l’aube, se baigner, lire les hymnes prescrits par les gourous, méditer sur le Créateur, s’abstenir de la chair d’un animal dont la gorge a été tranchée avec un couteau à la manière musulmane, et être loyaux envers leurs maîtres.[5]
Lorsque le gourou eut ainsi administré le baptême à ses cinq sikhs expérimentés, il se leva devant eux, les mains jointes, et les supplia de lui administrer le baptême exactement de la même manière qu’il le leur avait administré. Ils furent stupéfaits par une telle proposition, qui témoignait de leur propre indignité et de la grandeur du gourou, qu’ils considéraient comme le vicaire de Dieu sur terre. Ils lui demandèrent pourquoi il avait formulé une telle requête et pourquoi il se tenait devant eux dans une posture suppliante. Il répondit : « Je suis le fils du Dieu immortel. C’est par son ordre que je suis né et que j’ai instauré cette forme de baptême. Ceux qui l’acceptent seront désormais connus sous le nom de Khalsa. Le Khalsa est le gourou et le gourou est le Khalsa. Il n’y a aucune différence entre vous et moi. De même que Guru Nanak a fait asseoir Guru Angad sur le trône, je vous ai fait, vous aussi, gourou. Administrez-moi donc le nectar baptismal sans la moindre hésitation. » En conséquence, les cinq Sikhs baptisèrent le Guru selon les mêmes cérémonies et injonctions que lui-même avait employées. Il investit ainsi sa secte de la dignité de Guru. Le Guru appela les cinq Sikhs qui l’avaient baptisé ses Panch Piyare, ou cinq [ p. 97 ] bien-aimés, et lui-même Gobind Singh, au lieu de Gobind Rai, nom sous lequel il était auparavant connu.
Sur ce, beaucoup d’autres se préparèrent au baptême. Les cinq premiers à le faire après le bien-aimé du Guru furent Ram Singh, Deva Singh, Tahil Singh, Ishar Singh et Fatah Singh. On les appela les Panch Mukte, ou les cinq qui avaient obtenu la délivrance. Après eux, des milliers de personnes furent baptisées. Une ordonnance supplémentaire fut alors promulguée : quiconque se coupait les cheveux, fumait du tabac, fréquentait une femme musulmane ou mangeait la chair d’un animal dont la gorge avait été tranchée, devait être rebaptisé, payer une amende et promettre de ne plus commettre d’autres offenses ; sous peine d’être excommunié du Khalsa. Le lieu où le Guru administra son premier baptême est aujourd’hui connu sous le nom de Kesgarh.
Le chroniqueur sikh, Bhai Santokh Singh, a composé ce qui suit sur cet événement mémorable :
Le Khalsa de Dieu qui s’est élevé est très saint. Lorsque ses fidèles se réunissent, ils disent : « Wahguru ji ki fatah ! »
Le Khalsa a aboli le respect pour les pirs, les dirigeants spirituels et les faiseurs de miracles d’autres sectes, qu’elles soient hindoues ou musulmanes.
Le monde, en voyant une troisième religion, fut étonné ; ses ennemis craignirent qu’elle ne les prive de leur souveraineté.
Le gourou a inauguré une nouvelle coutume pour l’établissement de la foi, l’effacement du péché et la répétition du nom de Dieu.
Plusieurs textes hindous sont cités sur l’importance et le caractère sacré des cheveux. Ainsi, dans les Instituts de Manu : « Même si un homme est en colère, qu’il n’en saisisse jamais un autre par les cheveux. » Lorsqu’un brahmane commet une infraction passible de mort pour les membres des autres castes, que ses cheveux soient rasés comme châtiment suffisant. » Le Mahabharat affirme que lorsqu’Arjan était, selon les lois de la guerre, sur le point de tuer Aswatthama pour le meurtre des enfants des Pandavs, il apaisa sa colère en lui coupant simplement les cheveux. Et lorsque Krishan vainquit Rukmin, qui avait été irrité par l’enlèvement de sa sœur Rukmini, il se contenta de lui couper les cheveux, une punition considérée comme pire que la mort elle-même. ↩︎
Le Japji est la composition de Guru Nanak, le Japji le dixième Guru. ↩︎
Ce mot vient de l’arabe khalis pure, et a été appliqué par Guru Gobind Singh aux Sikhs qui ont accepté le baptême de l’épée, qui sera décrit ci-dessous. ↩︎
Nectar. L’eau consacrée utilisée lors du baptême des Sikhs est ainsi appelée. ↩︎
De nos jours, une injonction est ajoutée au moment du baptême pour être fidèle au gouvernement britannique, ce que les néophytes promettent solennellement. ↩︎