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Suite aux représentations répétées des chefs des collines, l’empereur envoya une importante armée sous le commandement de Saiyad Khan pour soumettre le gourou. Ce dernier apprit que l’armée impériale était arrivée à Thanesar et atteindrait bientôt Anandpur. Apprenant cela, il rassembla ses troupes et constata qu’elles n’étaient que cinq cents hommes. Le reste de son armée s’était dispersé chez eux. Le gourou n’avait plus qu’à se défendre du mieux qu’il pouvait avec ses forces. Quelques jours plus tard, les troupes de Saiyad Khan apparurent, chantant un hymne de guerre pour remonter le moral.
Maimun Khan, un musulman fidèle qui s’était attaché au gourou, lui dit qu’il lui était redevable de nombreuses faveurs et lui demanda la permission de montrer ses prouesses. Le gourou lui fit un salut et lui dit qu’il ferait bien de tuer même ses propres coreligionnaires à cause de leurs méfaits. Le courageux et fidèle Saiyad Beg s’avança également pour continuer à servir le gourou. Les deux musulmans se lancèrent tels des tigres dans la bataille, suivis par les Sikhs. Ces derniers firent valoir au gourou qu’il était vain de lutter contre une armée aussi nombreuse. Le gourou les encouragea en réponse, et ils avancèrent hardiment contre l’ennemi. « Le début de la bataille fut marqué par un combat acharné à mains nues entre un chef de colline et Saiyad Beg. Après s’être manqués à plusieurs reprises, Saiyad Beg finit par décapiter le chef de colline. » À cette vue, Din Beg, de l’armée impériale, se précipita sur Saiyad Beg, qu’il haïssait doublement : assassin du chef de la colline et déserteur de son souverain, et le blessa mortellement. Saiyad Beg mourut en louant le gourou. S’ensuivit un engagement général des deux armées. Les Sikhs accomplirent des prodiges [ p. 163 ] de bravoure, et les musulmans, dit-on, s’écroulèrent comme des minarets s’écroulant de leurs hauteurs. Maimun Khan chargea à cheval dans toutes les directions et sema la pagaille parmi les troupes impériales.
Une circonstance inattendue se produisit alors. Saiyad Khan, le général des troupes impériales, était depuis longtemps un ami secret du Guru. Lorsqu’il apprit qu’une expédition allait être lancée contre lui, il s’arrangea pour en prendre le commandement, afin de pouvoir enfin apercevoir le grand prêtre des Sikhs et lui rendre un service éclatant. Le Guru comprit ce qui se passait dans l’esprit de Saiyad Khan et s’avança ostensiblement pour le défier en disant : « Si tu ne m’attaques pas, je ne t’attaquerai pas. » Saiyad Khan, ayant réalisé le désir profond de voir le Guru, déclara qu’il était son serviteur et son esclave, et qu’il ne le combattrait jamais. Le Guru répondit : « Je suis un homme pauvre. Seuls les riches ont des esclaves. Conquérir à la guerre est toujours considéré comme honorable. »
Saiyad Khan descendit de cheval et tomba aux pieds du gourou. Ce dernier lui conféra le vrai Nom et la récompense suprême du salut. Cependant, Saiyad Khan n’aida pas activement les Sikhs, se détournant de la bataille, incapable de contenir ses troupes ni de concentrer leurs énergies au secours du gourou. Ces dernières lancèrent un assaut féroce sur les soldats du gourou, qui commencèrent à se retirer, accablés par une armée nombreuse. Mais à un moment critique, le cri de guerre sikh s’éteignit, ce qui les rassembla et présenta un front audacieux à l’ennemi. Après la défection de Saiyad Khan, Ramzan Khan prit le commandement et combattit avec une grande bravoure contre les Sikhs. Voyant cela, le gourou décocha une flèche qui tua son cheval.
Le gourou, observant attentivement le combat, comprit qu’il n’y avait aucune chance de reprendre sa position. [ p. 164 ] Il décida donc d’évacuer Anandpur. Les musulmans s’emparèrent alors de la ville et pillèrent les biens du gourou. Après avoir obtenu ce butin, ils se dirigèrent vers Sarhind. Des Sikhs, encore insatisfaits de la guerre, demandèrent au gourou la permission de les poursuivre. Le gourou répondit que, de même que ses Sikhs lui étaient soumis, il l’était aussi à Dieu. Il répéta à cette occasion le troisième slok de la guerre d’Asa ki. Il voulait dire par là que c’était la volonté de Dieu qu’il soit vaincu, et que, de même que toute la création craignait Dieu, lui aussi le craignait en tout temps.
Les Sikhs, se sentant vaincus, insistèrent à nouveau. Le Guru finit par céder et les autorisa à poursuivre leurs ennemis. Ces derniers, pris au dépourvu, tombèrent dans une grande confusion en se retrouvant poursuivis par ceux-là mêmes qu’ils croyaient déjà vaincus. Les Turcs qui s’opposèrent aux Sikhs furent tués, et seuls ceux qui prirent la fuite échappèrent à la vengeance de l’armée du Guru. En plus de tuer et de disperser les musulmans, les Sikhs les prirent de tout le butin qu’ils avaient conquis à Anandpur. Le reste de l’armée musulmane finit par atteindre Sarhind. Sur ce, le Guru revint et prit possession d’Anandpur.
L’Empereur demanda des comptes à ses troupes fugitives pour leur lâcheté. Elles plaidèrent qu’elles avaient été attaquées par les Sikhs et qu’elles avaient été prises au piège. Cette excuse semble avoir été acceptée, car l’Empereur détourna alors la conversation et demanda quel genre d’homme était le Gourou et quelles forces il possédait. Un soldat musulman fit des récits très colorés sur la beauté, la sainteté et les prouesses du Gourou. Il était, dit-il, un beau jeune homme, un saint vivant, le père de son peuple, et à la guerre, égal à cent mille hommes.
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L’empereur fut très mécontent d’entendre ce panégyrique du gourou et ordonna l’excommunication du panégyriste. Le qazi de la cour conseilla d’amener le gourou en sa présence par quelque stratagème. En conséquence, l’empereur lui envoya le message suivant : « Il n’y a qu’un seul empereur. Ta religion et la mienne sont identiques. Viens me voir par tous les moyens, sinon je serai en colère et j’irai te trouver. Si tu viens, tu seras traité comme les saints sont traités par les monarques. J’ai obtenu cette souveraineté de Dieu. Sois bien avisé et ne contrecarre pas mes désirs. »
À cela, le gourou répondit : « Mon frère, le Souverain qui t’a fait empereur m’a envoyé dans le monde pour faire justice. Il t’a également chargé de faire justice, mais tu as oublié son mandat et tu pratiques l’hypocrisie. Comment puis-je donc être en bons termes avec toi, toi qui poursuis les hindous avec une haine aveugle ? Tu ne reconnais pas que le peuple appartient à Dieu et non à l’empereur, et pourtant tu cherches à détruire sa religion. » En adressant cette réponse à l’empereur, le gourou conféra une robe d’honneur à son envoyé.
Les Sikhs des districts de Malwa et de Manjha affluèrent alors en grand nombre vers le Guru et commencèrent à étudier la science de la guerre sous sa tutelle. Le Raja Ajmer Chand, affligé de voir la puissance et la gloire des Sikhs s’accroître chaque jour, persuada les autres chefs des collines de se joindre à lui dans une autre mission auprès de l’Empereur afin de formuler de nouvelles plaintes contre le Guru. L’Empereur se trouvait alors dans le sud de l’Inde, et le raja s’y rendit en personne pour lui remettre la pétition des chefs alliés. Celle-ci décrivait la fondation d’Anandpur par le Guru Teg Bahadur, que l’Empereur avait fait exécuter, ainsi que les penchants guerriers et turbulents de son fils, l’actuel Guru Gobind Singh. Elle donnait ensuite la version des rajas eux-mêmes des agissements du Guru, et comment il avait [ p. 166 ] leur a demandé d’adopter sa nouvelle religion et de se joindre à eux pour mener la guerre contre l’empereur.
Craignant que le Guru ne devienne trop puissant et mécontent de l’instabilité qui régnait au Pendjab, Aurangzeb ordonna l’envoi de toutes les troupes disponibles, sous les ordres des vice-rois de Dihli, Sarhind et Lahore, contre le Guru. Les chefs des collines qui se plaignaient devaient également contribuer à la répression de l’ennemi commun. À la fin de la campagne, le Guru devait être capturé et présenté à l’empereur. Il ressort d’un entretien ultérieur entre Raja Ajmer Chand et le vice-roi de Dihli que ce dernier, compte tenu de la sécurité de la capitale de l’empire, n’était pas alors en mesure d’envoyer des troupes contre les Sikhs.
Le gourou fut informé par un fidèle sikh du résultat de la mission du Raja Ajmer Chand auprès de l’empereur. Il harangua ses troupes sur le devoir de guerre religieuse contre les musulmans, et il eut beaucoup à dire à ce sujet. Depuis la persécution du gourou Arjan jusqu’à nos jours, les empereurs ont été les ennemis déclarés ou cachés des gourous et de leurs sikhs. Le gourou affirmait que la mort sur le champ de bataille équivalait au fruit de nombreuses années de dévotion et garantissait honneur et gloire dans l’au-delà.
L’heure de la fête de Diwali approchait. Les Sikhs arrivèrent en grand nombre pour faire des offrandes. Le gourou ordonna aux Sikhs absents de venir avec leurs armes et de l’aider. Les ordres du gourou furent généralement exécutés, et les préparatifs de guerre commencèrent à Anandpur.
Les chefs des collines qui se liguèrent contre le gourou étaient Ajmer Chand de Bilaspur, Ghumand Chand de Kangra, Bir Singh de Jaspal et les Rajas de Kullu, Kionthal, Mandi, Jammu, Nurpur, Chamba, Guler, Srinagar, Bijharwal, Darauli et Dadhwal. Ils furent rejoints par les Ranghars et les Gujars, [ p. 167 ] et formèrent tous une armée nombreuse et redoutable. L’armée impériale, cependant, était deux fois plus nombreuse. Wazir Khan, nommé commandant suprême par l’empereur, rassembla ses troupes à Sarhind pour une parade et une inspection.
Certains Sikhs fidèles tenaient le Guru informé des mouvements de ses ennemis. Il lut en darbar la dernière lettre d’information qu’il avait reçue et fit vœu de détruire ses ennemis et de mettre fin à la souveraineté des Moghols. Les Sikhs se réjouissaient à l’idée d’une bataille et se félicitaient de la chance qu’ils avaient de mourir pour leur Guru et leur foi. Plusieurs d’entre eux revêtirent des vêtements couleur safran en signe de joie et dirent : « Il ne nous reste que quatre jours à vivre en ce monde. Pourquoi ne pas nous efforcer d’obtenir la dignité exaltée du martyre qui assurera le salut ? »
Toutes sortes d’armes de guerre furent distribuées aux disciples du gourou, et personne ne fut laissé sans armes. Le gourou prit la précaution de constituer des provisions pour l’entretien de la garnison en cas de siège. Il s’adressa à ses troupes : « Considérez les chefs des collines comme vos ennemis, les musulmans. Combattez courageusement, et ils s’enfuiront tous. » Le gourou répéta alors le quatrain suivant, de sa composition :
Heureux celui qui répète le nom de Dieu avec sa bouche et qui médite la guerre dans son cœur.
Le corps est éphémère et ne durera pas éternellement ; l’homme embarquant sur le navire de la gloire traversera l’océan du monde.
Fais de ce corps une maison de résignation ; allume ton entendement comme une lampe ;
Prends le balai de la connaissance divine dans ta main et balaie la saleté de la timidité.
Le chroniqueur remarque judicieusement que les Khalsa doivent être félicités car, bien que peu [ p. 168 ] nombreux, ils avaient confiance en eux-mêmes pour combattre pour leur religion et se réjouissaient de l’anticipation du conflit qui approchait.