Le gourou continua sa retraite face aux Turcs et se rendit sur sa litière de Jatpura à Dina. En chemin, il rencontra un Sikh qui lui offrit un cheval et une selle. Arrivé à Dina, le gourou rencontra Shamira, Lakhmira et Takht Mal, petits-fils de Jodh Rai, qui avaient apporté une aide matérielle au gourou Har Gobind lors de la bataille de Gurusar. La famille de Jodh Rai vécut d’abord à Kangar. Ses petits-fils avaient alors quitté ce village pour Dina. Le gourou fit comprendre aux jeunes hommes qu’ils couraient un danger en le recevant, mais ils n’éprouvèrent aucune appréhension et lui offrirent l’hospitalité. Sur place, le gourou rassembla quelques combattants sous son étendard.
Durant son séjour à Dina, le gourou reçut la visite de Parm Singh et Dharm Singh, descendants [ p. 201 ] de Bhai Rupa, dont il est fait mention dans la vie du sixième gourou. Parm Singh et Dharm Singh offrirent au gourou un cheval et une robe. Le gourou remarqua particulièrement Shamira et lui offrit le cheval et la robe que Parm Singh et Dharm Singh lui avaient offerts. Le gourou dit à Shamira qu’il devrait posséder des terres aussi grandes qu’il pourrait conduire son coursier. Shamira en parla à sa famille. Son oncle maternel rit de la promesse du gourou et dit que s’il avait pu accomplir des miracles, il ne serait pas un fugitif. Shamira, partiellement convaincu par cet argument, se contenta de conduire son coursier autour de son village. En raison de son manque de foi, il ne resta en possession que des terres situées à l’intérieur du cercle qu’il avait ainsi décrit.
Le vice-roi de Sarhind apprit que le gourou était reçu par Shamira et ses frères à Dina. Il écrivit à Shamira à ce sujet et lui ordonna, sous peine de son plus grand mécontentement, d’arrêter et de livrer le gourou. Shamira répondit qu’il ne recevait que son prêtre, comme le vice-roi lui-même ou n’importe qui d’autre aurait pu le faire. Le gourou se contentait de rendre visite à ses sikhs et ne molestait personne. En envoyant cette réponse, Shamira craignait que le vice-roi n’envoie des troupes et n’arrête le gourou. Il envoya donc un espion pour obtenir des informations sur ses déplacements et ses agissements. Le vice-roi tint des troupes prêtes, mais ne les envoya pas immédiatement. Pendant ce temps, le gourou enrôla plusieurs hommes et prépara sa défense. Le séjour du gourou à Dina semble avoir été assez long, car c’est là qu’il écrivit sa célèbre « Zafarnama », ou épître persane à Aurangzeb. Elle commence, comme souvent dans ce genre de compositions, par une
INVOCATION À DIEU
Ô Toi, parfait en miracles, éternel, bienfaisant, Dispensateur de grâce, de soutien, de salut et de miséricorde ; Dispensateur [ p. 202 ] de félicité, Pardonneur, Sauveur, Dispensateur des péchés, cher au cœur, Roi des rois, Dispensateur d’excellence, Indicateur du chemin, sans couleur et sans égal, Seigneur, qui donne la félicité céleste à celui qui n’a ni propriété, ni suite, ni armée, ni confort. Distinct du monde, puissant, dont la lumière est partout diffusée, Tu accordes les dons comme si Tu étais présent en personne. Pur protecteur, Dispensateur de faveurs, Tu es miséricordieux et Pourvoyeur de subsistance en tout pays. Tu es Seigneur de tous les climats, le plus grand des grands. Parfait en beauté, miséricordieux, Maître du savoir, Soutien des malheureux, Protecteur de la foi, Source d’éloquence, Scrutateur des cœurs, Auteur de révélations, Appréciateur de la sagesse, Seigneur de l’intelligence, Devin des secrets, Dieu omniprésent, Tu connais les affaires du monde. Tu résous ses difficultés, Tu en es le grand Organisateur.
INVOCATION À DIEU
Je n’ai aucune foi en ton serment, auquel tu as pris le Dieu unique à témoin. Je n’ai pas la moindre confiance en toi. Ton trésorier et tes ministres sont tous des menteurs. Quiconque accorde foi à ton serment sur le Coran est par là même un homme ruiné. Le corbeau insolent ne peut toucher celui qui est tombé sous l’ombre de l’humain. Qui prend la protection d’un puissant tigre ne peut être approché par une chèvre, un buffle ou un cerf. Si j’avais juré, même secrètement, sur le livre de ma foi de prédilection, d’accepter ta religion, je n’aurais pas eu à retirer mon infanterie et ma cavalerie d’Anandpur.[1]
Quant à ma défaite à Chamkaur, que pouvaient faire quarante hommes quand cent mille hommes s’abattirent sur eux à l’improviste ? Les parjures les attaquèrent brusquement avec des épées, des flèches et des mousquets. J’ai été contraint d’engager le combat, et j’ai combattu de toutes mes forces. Lorsqu’une affaire dépasse le cadre de la diplomatie, il est légitime de recourir à l’épée. Si j’avais pu avoir [ p. 203 ] confiance en ton serment sur le Coran, je n’aurais pas abandonné ma ville. Si je n’avais pas su que tu étais rusé et fourbe comme un renard, je ne serais jamais venu ici, sous aucun prétexte. Quiconque vient à moi et jure sur l’Ouran ne doit ni me tuer ni m’emprisonner. Ton armée est arrivée, vêtue comme des mouches bleues, et a soudainement chargé avec un grand cri. Chacun de tes soldats qui franchit ses défenses pour attaquer ma position tomba noyé dans le sang. Tes troupes, qui n’avaient commis aucune agression, ne reçurent aucune blessure de notre part. Voyant Nahar Khan entrer en combat, je lui fis aussitôt goûter ma flèche. Nombre de soldats qui l’accompagnaient et se vantaient de leurs prouesses désertèrent honteusement le champ de bataille. Un autre officier afghan avança comme une inondation, une flèche ou une balle de mousquet. Il multiplia les assauts, reçut de nombreuses blessures et, finalement, en tuant deux de mes Sikhs, fut tué lui-même. Khwaja Mardud resta derrière un mur et ne s’avança pas comme un homme. Si j’avais vu son visage, je lui aurais certainement décoché une flèche. Finalement, de nombreux hommes furent tués des deux côtés par des pluies de flèches et de balles, et la terre devint rouge comme une rose. Têtes et jambes gisaient en tas, comme si le champ était couvert de balles et de crosses de hockey. Le sifflement des flèches, le tintement des arcs et un brouhaha universel atteignirent le ciel. Les hommes, les plus braves parmi les braves, se battirent comme des fous. Mais comment quarante, même parmi les plus braves, auraient-ils pu triompher face à une armée innombrable ? Lorsque la lampe du jour fut voilée, la reine de la nuit apparut dans toute sa splendeur, et Dieu, qui me protégeait, me montra le chemin pour échapper à mes ennemis. Pas un cheveu de ma tête ne fut touché, et je ne souffris en aucune façon.
Ne savais-je pas que toi, ô homme infidèle, tu étais un adorateur de la richesse et un parjure ? Tu n’as aucune foi et n’observes aucune religion. Tu ne connais pas Dieu et ne crois pas en Mahomet. Celui qui respecte sa religion ne dévie jamais de sa promesse. Tu n’as aucune idée de ce qu’est un serment sur le Coran et tu ne peux croire en la Providence divine. Si tu devais prêter cent serments sur l’Ouran, même alors je ne te ferais pas la moindre confiance. [ p. 204 ] Si tu avais eu l’intention de tenir ton serment, tu aurais ceint tes reins et tu serais venu à moi. Lorsque tu as juré par Mahomet et pris la parole de Dieu à témoin, il t’incombait d’observer ce serment. Si le Prophète lui-même était présent ici, je me ferais un devoir de l’informer de ta trahison. Fais ce qui t’incombe et tiens ta promesse écrite. Tu aurais dû l’accomplir avec joie, ainsi que les promesses verbales de ton envoyé. Chacun doit être homme de parole et ne pas dire une chose en méditant une autre. Tu as promis de respecter les paroles de ton qazi. Si tu as dit vrai, alors viens à moi. Si tu désires sceller ta promesse sur le Coran, je te l’enverrai volontiers à cet effet. Si tu viens au village de Kangar, nous aurons un entretien. Tu ne courras aucun danger en chemin, car toute la tribu des Bairars[2] est sous mon commandement. Viens à moi afin que nous puissions nous parler et que je te dise des mots bienveillants.
Je suis esclave et serviteur du Roi des rois, prêt à obéir à ses ordres jusqu’au bout de ma vie. Si ses ordres me parviennent, j’irai à toi de tout mon cœur. Si tu crois en Dieu, ne tarde pas. Il est de ton devoir de connaître Dieu. Il ne t’a jamais ordonné d’importuner autrui. Tu es assis sur un trône d’empereur, et pourtant combien étranges sont ta justice, tes attributs et ton respect de la religion ! Hélas ! hélas pour ta souveraineté ! Étrange, étrange est ton décret ! Les promesses non tenues nuisent à ceux qui les font. Ne frappe personne sans pitié avec l’épée, ou une épée d’en haut te frappera toi-même. Ô homme, sois prudent, crains Dieu, on ne peut le flatter ni le louer. Le Roi des rois est sans crainte. Il est le véritable Empereur de la terre et du ciel. Dieu est le maître des deux mondes. Il est le Créateur de tous les animaux, de la faible fourmi au puissant éléphant. Il est le Protecteur des misérables et le Destructeur des téméraires. Son nom est le Soutien des malheureux. C’est Lui qui montre à l’homme la voie qu’il doit suivre. Tu es lié [ p. 205 ] par ton serment sur le Coran. Amenez l’affaire à une bonne issue conformément à tes promesses. Il t’incombe d’agir avec sagesse et d’être discret dans toutes tes actions. Même si mes quatre fils ont été tués, je reste en arrière comme un serpent enroulé[3]. Quel courage y a-t-il à éteindre quelques étincelles de vie ? Tu ne fais qu’attiser un feu encore plus ardent. Comme le dit bien le doux Firdausi[4] : « La hâte est l’œuvre du diable ! » Je serais allé plusieurs fois vers toi si ta promesse avait été tenue lors du pillage des bœufs. Comme tu as oublié ta parole ce jour-là, Dieu t’oubliera. Dieu t’accordera le fruit de la mauvaise action que tu as projetée. Il est bon d’agir selon ta religion et de savoir que Dieu est plus précieux que la vie. Je ne pense pas que tu connaisses Dieu, puisque tu as commis des actes d’oppression. C’est pourquoi le Grand Dieu ne te connaît pas et ne te recevra pas avec tous tes biens. Si tu avais juré cent fois sur le Coran, je ne t’aurais pas accordé la moindre confiance, même un instant. Je n’entrerai pas en ta présence, ni ne suivrai le même chemin que toi, mais, si Dieu le veut, j’avancerai vers toi.
Fortuné es-tu, Aurangzeb, roi des rois, expert à l’épée et à la cavalerie. Ta personne est belle et tu es intelligent. Empereur et dirigeant du pays, tu es habile à administrer ton royaume et habile à manier l’épée. Tu es généreux envers tes coreligionnaires et prompt à écraser tes ennemis. Tu es le grand dispensateur des royaumes et des richesses. Ta générosité est abondante et, au combat, tu es ferme comme une montagne. Exaltée est ta position ; ta majesté est celle des Pléiades. Tu es le roi des rois et l’ornement des trônes du monde. Tu es monarque du monde, mais loin de toi est la religion.
Je voulais tuer les montagnards en proie à la querelle. Ils adoraient des idoles, et j’étais un briseur d’idoles. Contemplez la puissance du Dieu bon et pur qui, par le moyen d’un seul homme, a tué des centaines de milliers de personnes. Que peut faire un ennemi [ p. 206 ] lorsque Dieu l’Ami est bon ? Sa fonction, en tant que Grand Dispensateur, est de donner. Il accorde la délivrance et montre la voie à Ses créatures. Il apprend à la langue à prononcer Ses louanges. À l’heure de l’action, il aveugle l’ennemi. Il sauve les faibles et les protège des blessures. Le Miséricordieux fait miséricorde à celui qui agit honnêtement. Dieu accorde la paix à celui qui accomplit Son service de tout cœur. Comment un ennemi peut-il égarer celui qui est bienveillant envers le Guide du chemin ? Si des dizaines de milliers de personnes s’attaquent à une telle personne, le Créateur sera son gardien. Quand tu contemples ton armée et tes richesses, je contemple les louanges de Dieu. Tu es fier de ton empire, et je suis fier du royaume du Dieu immortel. Ne sois pas inattentif ; ce caravansérail n’est que pour quelques jours. On le quitte à tout moment. Vois la révolution qui s’abat sur chaque habitant et chaque maison de ce monde infidèle. Même si tu es fort, n’irrite pas les faibles. Ne mets pas la hache sur ton royaume. Quand Dieu est ami, que peut faire un ennemi, même s’il se multiplie par cent ? Si un ennemi pratique l’inimitié mille fois, il ne peut, tant que Dieu est ami, blesser ne serait-ce qu’un cheveu de votre tête.
Le gourou envoya ces paroles à l’empereur par l’intermédiaire de Daya Singh et Dharm Singh, qui avaient survécu à la bataille de Chamkaur et s’étaient enfuis à Dina avec le gourou. Ils se déguisèrent en pèlerins musulmans et poursuivirent leur voyage vers le sud de l’Inde. Arrivés à Dihli, ils prirent refuge dans un temple sikh et reçurent la visite de plusieurs sikhs admiratifs. Le lendemain matin, ils partirent pour Agra. De là, ils traversèrent la rivière Chambal et se dirigèrent vers Ujjain, d’où ils traversèrent la Narbada et passèrent par Burhanpur jusqu’à Aurangabad. De là, ils se rendirent à Ahmadnagar, où l’empereur campait. Là, Daya Singh et Dharm Singh rencontrèrent un sikh nommé Jetha Singh, qui leur dit qu’il leur serait très difficile d’obtenir une audience de l’empereur. Ils
[ p. 207 ] dirent que cela n’avait pas d’importance et lui demandèrent de convoquer tous les Sikhs présents pour les rencontrer et entendre leur histoire. Daya Singh et Dharm Singh racontèrent leur mission aux Sikhs et lurent une lettre qui leur était spécialement adressée par le gourou.
La partie précédente de cette adresse se réfère à Anandpur ; ce qui suit à Chamkaur. ↩︎
De qui descendent les chefs et le peuple Philkidn. ↩︎
Pechida, tortueux, alambiqué. Plus un serpent est enroulé, plus il contient de venin. Le gourou menace ici clairement l’Empereur. ↩︎
Un célèbre poète persan, auteur du Shah-i-Nama. ↩︎