Il y avait deux hommes distingués appelés Jaidev, dont les vies et les actes sont fréquemment confondus dans les chroniques et les biographies indiennes. L’un était un métaphysicien et un érudit qui aurait vécu à la cour de Vikramaditya. On raconte de lui que lorsqu’il était enfant à l’école, il était capable d’apprendre en un jour autant que ses camarades en quinze jours. C’est pourquoi on l’appelait Pakshadhar Misra. Ce n’est pas de lui que nous nous occupons ici.
Jaidev, dont les poèmes se trouvent dans le Granth Bahib, est le célèbre poète sanskrit auteur [ p. 5 ] du Gitgovind. Son père était Bhoidev, un brahmane de Kanauj, et sa mère Bamdevi. Il naquit à Kenduli, à une trentaine de kilomètres de Suri, dans l’actuel district de Birbhum, au Bas-Bengale. Il devint le plus célèbre des cinq poètes distingués qui vécurent à la cour de Lakshman Sen, roi du Bengale, dont la naissance remonte à l’an 1170 de l’ère chrétienne. Ces cinq poètes étaient appelés les cinq joyaux de la cour de Lakshman Sen, et le monarque en était si fier qu’il fit ériger un monument pour préserver leurs noms pour les siècles suivants. Les spécialités des cinq poètes sont ainsi décrites par Jaidev lui-même :—
Umapatidhara excelle dans la peinture des mots ;
Jayadava seul connaît la pureté du style ;
Sarana est loué pour son rendu improvisé de passages difficiles ;
Govardhana surpasse dans la description de l’amour ;
Personne n’est aussi célèbre que le roi des poètes Dhoyi pour se souvenir de ce qu’il a entendu une fois.
On sait très peu de choses sur la jeunesse de Jaidev. Il est certain que, dès sa jeunesse, il étudia assidûment la littérature sanskrite et développa de rares talents poétiques. L’auteur du Bhagat Mal le décrit comme une incarnation et un trésor de mélodies, dont il préféra cependant, en raison de ses habitudes ascétiques, longtemps se repaître plutôt que de communiquer au monde les dons splendides qu’il possédait. Il erra dans plusieurs pays, muni seulement d’une cruche d’eau et vêtu du manteau rapiécé d’un mendiant. Plumes, encre et papier, si indispensables aux hommes de lettres, étaient des luxes qu’il ne se permettait pas. Sa détermination à n’aimer que Dieu était telle qu’il ne dormait pas deux nuits de suite sous le même arbre, de peur de concevoir une préférence injustifiée pour lui et d’oublier son Créateur.
Cela plaisait à Dieu, dans le but, dit-on, de [ p. 6 ] Pour sauver l’humanité, il fallait retirer Jaidev de sa vie ascétique. À cette fin, raconte le chroniqueur, Dieu imagina l’expédient suivant. Un brahmane agnihotri de Jagannath, à qui une belle fille nommée Padamavati était née grâce à de nombreuses offrandes et prières, l’éleva dans le but de la consacrer comme danseuse à l’idole locale. Son père la conduisit à l’idole et reçut l’ordre de l’emmener et de la confier au grand saint Jaidev. Sur ce, elle se confia à lui, et il fut informé de la décision divine en sa faveur. Jaidev raisonna avec le brahmane et lui dit qu’il devait donner sa fille à un homme plus riche qui lui conviendrait mieux qu’un ascète sans abri comme lui. Le brahmane répondit qu’il ne pouvait désobéir à l’ordre de Dieu. Jaidev rétorqua : « Dieu est maître et omnipotent. » Il peut avoir des milliers et des dizaines de milliers d’épouses, mais une pour moi équivaut à cent mille ; autrement dit, il n’avait ni besoin ni capacité d’en entretenir une, pas plus qu’il n’en avait cent mille. Après une nouvelle discussion, à laquelle le brahmane échoua malgré tous ses efforts de persuasion, il laissa sa fille à Jaidev. Avant de partir, il lui dit qu’il était impie d’agir en opposition à la volonté de Dieu. Elle devait rester avec Jaidev et lui obéir conformément aux instructions données aux épouses dans les écrits sacrés hindous.
La tendre jeune fille resta auprès de Jaidev et veilla sur son ombre. On dit qu’il lui aurait représenté la futilité de vivre avec lui : « Tu es sage », dit-il ; « efforce-toi d’améliorer ta situation ; je n’ai aucun pouvoir pour te soutenir et te chérir. » Elle répondit : « Quel pouvoir a cette pauvre créature ? Tu peux te sacrifier et ne jamais te quitter. » Sur ce, Jaidev crut que Dieu le forçait à conclure cette alliance, [ p. 7 ] et il accepta cette situation. Pour se préparer à la vie domestique, il construisit une hutte pour son épouse, y installa une idole et s’appliqua à l’adorer. Il entreprit alors la composition du célèbre poème Gitgovind. On pense que ce fut sa deuxième composition, la première étant une pièce de théâtre intitulée Rasana Raghava. Une troisième œuvre qui lui est attribuée est Chandralok, un essai sur les grâces du style.
Il semble que le génie de Jaidev ait cherché un exutoire, qu’avec l’expérience de la vie, ses opinions religieuses aient changé, qu’il ait décidé de ne plus jouer les ermites, mais d’accepter l’épouse qui lui était offerte, de se distinguer et de rechercher la gloire et les plaisirs du monde. Dieu a été introduit « ex machine » dans le récit pour préserver Jaidev des accusations d’inconséquence et de soumission aux passions humaines.
Le Gitgovind est bien connu dans les deux hémisphères. Il a été traduit en prose anglaise et paraphrasé en vers anglais[1]. C’est peut-être l’un des rares exemples de grand poème populaire composé dans une langue morte. Au XIIe siècle de l’ère chrétienne, le sanskrit était, il est vrai, utilisé comme le latin l’était à la même époque en Europe, mais la grande époque où le sanskrit était une langue vivante était révolue, le seul véhicule indien reconnu des pensées et des aspirations des hommes. Le Gitgovind est encore non seulement commémoré, mais chanté chaque soir dans les pays karnatiques et dans d’autres parties de l’Inde, car il s’agit ostensiblement d’un chant d’amour et ses mélodies sont douces et trouvent un écho dans le cœur humain.[2]
Pendant la composition du Gitgovind, Jaidev [ p. 8 ] a représenté Radhika, l’héroïne, faisant la moue parce que Krishan, le héros, avait suivi d’autres amours. Krishan change ses habitudes et s’applique à la tâche de l’apaiser et de s’excuser de sa conduite. Le poète s’apprêtait à faire s’adresser Krishan à sa bien-aimée ; « Orne ma tête des feuilles de lotus de tes pieds, qui sont un antidote au poison de Cupidon », songea-t-il, pensant que ce serait un déshonneur pour son dieu si une femme posait ses pieds sur sa tête. Réfléchissant ainsi, le poète cessa d’écrire et alla se baigner, avec l’intention de modifier ultérieurement la phrase pour mieux refléter les positions relatives du héros et de l’héroïne.
Quelle ne fut pas la surprise de Jaidev lorsqu’à son retour du bain il trouva le vers achevé exactement comme il l’avait prévu ! Il demanda à sa femme comment cela s’était passé. Elle lui expliqua qu’il était revenu lui-même et qu’après avoir écrit le vers, il était reparti. Jaidev comprit alors que Krishan lui-même avait écrit le vers, sanctifiant ainsi sa composition. La renommée de l’événement et du poème se répandit au loin, et Jaidev obtint la renommée qu’il recherchait si ardemment.
Satvika, roi d’Urisa (Orissa) à l’époque, était également poète et érudit. Il avait choisi par hasard pour poème le même sujet que Jaidev, et il semble avoir produit une œuvre d’une valeur respectable, qu’il chargea ses brahmanes de copier et de diffuser. En réponse, ils lui montrèrent la composition de Jaidev. Ils voulaient dire par là que le poème du Raja n’était rien comparé à celui de Jaidev. Autant comparer une lampe au soleil. Le Raja, dans son orgueil, ne put accepter les critiques des brahmanes, mais fit placer les deux poèmes dans le temple de sa capitale et promit de se conformer à la décision de l’idole quant à la supériorité de chacun.
L’idole rejeta le Gitgovind du roi et adopta celui de Jaidev. Sur ce, le Raja, se croyant profondément déshonoré, fut submergé [ p. 9 ] par la honte et la jalousie, et entreprit de se drovni. Krishan aurait eu pitié de lui. Il lui apparut et lui dit que mettre fin à ses jours serait un acte vain et insensé. Il était évident que son mérite poétique n’égalait pas celui de Jaidev, mais, pour compenser sa déception, Krishan ordonna qu’un vers du Raja soit inséré dans chacun des douze chants du poème de Jaidev, et que les deux compositions fussent ainsi diffusées dans le monde et jusqu’aux âges lointains. Ce qui fut fait en conséquence !
L’estime que l’on portait au Gitgovind peut être déduite de l’anecdote suivante. Un jour, la fille d’un jardinier, alors qu’elle cueillait des aubergines, chantait avec enthousiasme le vers suivant, tiré du cinquième chant du poème : «
Le zéphyr souffle doucement sur les rives de la Yamuna
, tandis que Krishan s’attarde dans le bosquet. » On raconte que l’idole de Jagannath la suivait alors partout où elle allait, afin de se régaler des douces mélodies. L’idole ne portait qu’une fine veste déchirée par les ronces. Lorsque le roi alla prier et constata l’état de la robe de l’idole, il s’enquit avec étonnement auprès des prêtres. Apprenant ce qui s’était passé, le Raja fut pleinement convaincu de la supériorité du fruit du génie de Jaidev et publia une proclamation stipulant que le Gitgovind ne devait être lu que dans un lieu propre et purifié, car Jagannath, le seigneur du monde, avait l’habitude d’aller l’écouter lui-même.
Non seulement les hindous, mais aussi les hommes de toutes confessions furent enchantés par cette composition. On raconte qu’un Moghol, apprenant les honneurs divins rendus à l’œuvre, la lisait avec le plus grand plaisir. Un jour, alors qu’il chevauchait, il en chantait les vers lorsqu’il fut saisi d’une extase de plaisir et pensa que, bien que musulman, il ressentait une communion avec Krishan.
[ p. 10 ]
Les chroniqueurs orientaux ne tarissent pas d’éloges sur Jaidev. Tous les autres poètes sont comparés à de petits rois, tandis qu’il est le grand chakrawarti, ou monarque poétique du monde. De même que la lune ne peut être masquée par les étoiles, de même que l’aigle ne peut être surpassé par aucun oiseau en vol, de même qu’Indar attire l’attention parmi les dieux, de même la renommée de Jaidev est éclatante dans le monde. On peut ajouter que Jaidev lui-même ne semble pas avoir été insensible à ses propres mérites. À la fin du Gitgovind, il écrit : « Que les heureux et les sages s’inspirent du chant de Jaidev de tout ce qui est délicieux dans les styles musicaux, de tout ce qui est exquis dans le doux art de l’amour. »[3]
Malgré la volupté et la beauté sensuelle de plusieurs passages du Gitgovind, il ne fait aucun doute que Jaidev a voulu que ce poème soit une allégorie religieuse élaborée. L’auteur du Bhagat Mal insiste également sur ce point, affirmant que les scènes d’amour et les grâces rhétoriques du poète ne doivent pas être comprises au sens où des personnes mal intentionnées les associeraient. Radhika, l’héroïne, incarne la sagesse céleste. Les laitières qui détournent Krishan de sa loyauté sont les siens de l’odorat, de la vue, du toucher, du goût et de l’ouïe. Krishan, représenté à leur poursuite, est l’âme humaine, qui s’attache aux plaisirs terrestres. Le retour de Krishan à son premier amour est le retour du pécheur repentant à Dieu, source de joie céleste.
Après avoir achevé le poème, Jaidev partit en voyage et visita Bindraban et Jaipur. Le roi de cette dernière ville lui avait adressé une invitation pressante. On raconte qu’au cours de ce voyage, il rencontra un groupe de thags. Il les reconnut grâce à leur offre spontanée de l’accompagner. Sans plus attendre, il sortit sa bourse et [ p. 11 ] leur donna tout l’argent et les objets de valeur qu’il possédait, concluant ainsi : « La richesse est la base du péché ; la gourmandise engendre la maladie ; et l’amour du monde achète la souffrance ; il convient donc de les rejeter tous les trois. »
Les Thags le soupçonnèrent aussitôt. Ils n’avaient pas l’habitude d’obtenir les richesses des hommes sans lutte, ni même sans en avoir fait la demande. Ils conclurent, vu l’empressement de Jaidev à se séparer de son argent, qu’il cherchait simplement à les faire arrêter à leur retour en ville. L’un d’eux proposa de le mettre à mort, mais un autre affirma que ce serait un acte vain. Ils n’exigeaient que sa fortune, et ils l’obtinrent. Il fut finalement décidé de lui couper les liens et de le jeter dans une prison étroite et obscure, ce qui fut fait.
Jaidev, dit-on, accepta docilement le traitement qu’il avait subi comme un destin qui lui était prédestiné, et s’adonna à la contemplation divine et à la récitation du nom de Dieu. Il arriva que Karaunch, le roi d’Utkal, passa par là, et, apprenant que Jaidev était dans le coma, il fut libéré. Jaidev était si peu désireux de se venger des blessures qu’il avait subies que, lorsque le roi lui demanda la cause de sa mutilation, il lui expliqua qu’il était né ainsi. Le roi, convaincu que Jaidev était un saint, se félicita d’avoir rencontré un tel homme. Il le fit conduire dans sa capitale, où il fut traité avec honneur et respect, et une maison lui fut réservée. Il reçut de plus de la nourriture et tout le confort nécessaire. Le roi lui-même offrit de devenir son serviteur et, les mains jointes dans l’attitude orientale de supplication, supplia Jaidev de lui dire quel devoir il pouvait lui rendre. Jaidev n’avait qu’une seule requête à formuler : que le roi serve les saints et non lui. En toute bonne foi et le cœur ouvert, [ p. 12 ] Le roi obéit et accomplit des services subalternes pour les saints de Dieu qui attendaient à sa porte.[4] Le fait que le roi accomplissait de tels services fut connu de tous, et les thags, entre autres, l’apprirent. Ils prirent l’apparence d’hommes religieux et se dirigèrent vers la porte du monarque. Cela mena à une entrevue avec Jaidev. Il les reconnut et dit au roi qu’ils étaient ses frères et de très saints personnages. Le roi fut heureux d’avoir eu la grâce de les voir, et il devait les servir et les entretenir avec dévotion. Le roi les accueillit dans son palais et leur prodigua tous les honneurs que la politesse et l’hospitalité orientales pouvaient suggérer.
Les thags, cependant, reconnaissant Jaidev, s’inquiétèrent pour leur sécurité et demandèrent la permission de partir. Celle-ci leur fut finalement accordée, et Jaidev les congédia avec un important présent d’argent et un convoi de soldats pour leur protection. En chemin, les soldats entamèrent la conversation avec leur protégé. Ils remarquèrent qu’ils n’avaient jamais vu des visiteurs du roi traités avec autant de cordialité et de bienveillance, et ils demandèrent quel rapport les hommes qu’ils escortaient entretenaient avec Jaidev. Les thags répondirent : « Que dirons-nous ? Ce n’est pas une chose difficile à dire. » Les soldats leur promirent le secret absolu. Les thags se mirent alors à exercer leurs facultés inventives, développées par une longue pratique. Ils racontèrent que Jaidev et eux avaient été serviteurs d’un roi. Pour une offense, Jaidev avait été condamné à mort, et ils avaient été désignés comme ses bourreaux. Ils se contentèrent cependant de lui couper les mains, lui sauvant ainsi la vie. Par gratitude pour cette faveur, Jaidev incita le roi à leur accorder une attention si particulière. On dit que Dieu ne supporta plus que soient fabriquées de fausses accusations contre son saint. Le sol [ p. 13 ] s’ouvrit sous les pieds des thags, qui s’enfoncèrent dans l’abîme de l’enfer.
Les soldats, stupéfaits, retournèrent auprès de Jaidev et lui racontèrent ce qui s’était passé. Il se mit à trembler de pitié pour les thags et fit un geste comme s’il se frottait les mains – l’attitude onentale exprimant le chagrin – après quoi, raconte-t-on, de nouvelles mains jaillirent de son corps. Les soldats allèrent informer le roi des deux miracles qu’ils avaient vus. Le roi se rendit auprès de Jaidev et accomplit devant lui la prosternation due aux saints. Il le supplia d’expliquer les circonstances des incidents. Le saint refusa longtemps, mais, pressé par le roi, il lui fit un récit détaillé de toutes les circonstances. La foi du roi en Jaidev avait atteint ses limites, et il savait que l’homme qui se présentait à lui, sous les traits d’un saint, était en réalité une incarnation divine. Les saints ont pour coutume de rendre le bien après le mal, tout comme les hommes mauvais rendent le mal pour le mal. Le roi jugea donc sa conclusion justifiée par la conduite indulgente de Jaidev.
Jaidev, saisi d’une nostalgie fervente, fit part au roi de sa détermination à prendre congé. Le roi posa sa tête sur les pieds du saint et lui fit comprendre que son pays s’était tourné vers Dieu et la pratique de la vertu depuis qu’il avait été foulé par ses pieds sacrés. Si le saint partait, les sujets du roi se détourneraient de leur foi. Il le supplia donc de différer son départ. Pour inciter Jaidev à rester auprès de lui, il alla lui-même chercher Padamavati afin que le bonheur du saint soit complet et que sa lointaine patrie soit oubliée. Padamavati fut installée au palais royal.et la reine reçut l’ordre strict d’accomplir toutes les tâches subalternes pour elle.
Pendant que Padamavati résidait à la cour, le frère de la reine mourut et sa femme fut brûlée avec lui [ p. 14 ] sur le bûcher funéraire. Un jour, alors que la reine se vantait de la merveilleuse dévotion de sa belle-sœur, Padamavati sourit. Lorsqu’on lui en demanda la raison, elle répondit : « Se brûler vive avec le corps de son mari est loin d’être le summum de l’affection. La véritable affection et le véritable amour exigent qu’une femme se sacrifie dès qu’elle apprend la mort de son mari. » « À notre époque », répondit la reine, « tu es la seule à être une telle Sati », un mot défini par l’auteur du Bhagat Mal comme une « femme qui considère son mari comme un dieu et n’a aucun rapport avec aucune autre divinité. » Peu encline à se laisser séduire par le niveau quasi inaccessible de dévotion conjugale que seule Padamavati considérait comme digne d’admiration, la reine décida de la mettre à l’épreuve à la première occasion.
Un jour que Jaidev était absent, la reine fit venir un serviteur royal, feignant la hâte, pour l’informer que Jaidev avait été attaqué et tué dans la forêt par un tigre. Lorsque le serviteur arriva à leur place et répéta cette histoire soigneusement préparée, Padamavati s’évanouit et tomba sans vie au sol[5].
La reine, responsable de ce désastre, pâlit et fut distraite par la tournure inattendue des événements. Elle fut sévèrement réprimandée par le roi lorsqu’il apprit l’incident. La vie lui devint amère et elle se prépara à mourir sur un bûcher funéraire qu’elle avait fait construire. Lorsque les circonstances furent communiquées à Jaidev, il apparut à temps pour empêcher l’immolation de la reine et, s’approchant de la défunte, Padamavati chanta ses ashtapadis bien-aimés. À la surprise et à la joie de tous, elle fut ramenée à la vie, dit-on, et rejoignit son mari dans son chant.
[ p. 15 ]
Jaidev et son épouse avaient alors acquis une expérience suffisante de la vie royale. Ils étaient heureux d’abandonner tout faste et de retourner dans leur humble demeure de Kenduli, où ils bénéficièrent de la compagnie des saints et transférèrent leur dévotion idolâtre à l’amour et à l’hommage du seul vrai Dieu.
À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de Jaidev, une fête religieuse fut organisée à Kenduli, lieu de naissance du poète, à laquelle assistèrent des milliers de Vaishnavas qui célébrèrent l’occasion en se rassemblant autour de son cénotaphe pour le vénérer et en chantant les passages les plus sublimes de ses chants immortels.
Les hymnes suivants de Jaidev, dans un style et une manière bien différents, et écrits dans la langue populaire de son époque, se trouvent dans le Granth Sahib.
Gujari
Attributs de Dieu, injonctions morales,et l’inutilité des formes de culte hindoues :
Avant toutes choses se trouvait l’Être sans égal, doué de persévérance et d’attributs similaires ; [6]
Qui est suprêmement merveilleux, distinct de la nature, incompréhensible et imprègne la création.
Répétez seulement le nom du Dieu bien-aimé,
qui est ambroisie et essence de toutes choses.
En nous souvenant de lui, la peur de la naissance, de la vieillesse et de la mort ne nous afflige pas.
Si vous désirez la défaite du dieu de la mort et de ses disciples, louez et bénissez Dieu, et faites de bonnes œuvres.
Dieu est également présent, passé et futur, impérissable et suprêmement heureux. [ p. 16 ]
Ô homme, si tu cherches à faire le bien, renonce à l’avidité et à la convoitise de la maison d’autrui,[7]
ainsi qu’à toutes les mauvaises actions et à tous les mauvais penchants, et recherche la protection de Dieu.
Embrassez le service de Dieu seul en pensée, en acte et en parole.
À quoi sert la pratique du jog, du sacrifice, de l’aumône et de la pénitence ?
Ô homme, prononce le nom de Dieu, le Donateur de tout pouvoir surnaturel.
Jaidev est venu ouvertement dans l’asile de Celui qui est dans le présent et le passé, qui est contenu en toutes choses.
MARU
L’hymne suivant, qui dans l’original est peut-être l’une des compositions humaines les plus difficiles, est donné pour illustrer la pratique du jog.[8]
J’ai aspiré mon souffle par la narine gauche, je l’ai fixé entre les deux narines[9] et je l’ai aspiré par la droite en répétant seize fois à chaque processus.
[ p. 17 ]
J’ai brisé mes forces, et je suis devenu faible ; J’ai affermi et stabilisé mon mental instable ; j’ai façonné mon esprit non façonné, puis j’ai bu du nectar.
Dans cet état, j’ai chanté Celui qui a précédé l’âme [10] et les trois qualités[11].
L’idée que Toi et moi sommes distincts a disparu. J’ai adoré ce qui était digne d’adoration, j’ai mis ma confiance en ce qui était digne de confiance ; et je me suis fondu en Dieu comme l’eau avec l’eau.
Dit Jaidev, j’ai répété le nom de Dieu[12] et, absorbé par son amour, j’ai obtenu Celui qui vit sans être perturbé.
Mis en prose par Sir William Jones et en vers exquis par feu Sir Edwin Arnold. ↩︎
Jaidev a eu plus de chance que Pétrarque, le poète italien médiéval, de composer dans une langue morte, un poème latin intitulé « Afrique », qui n’est désormais jamais lu, tandis que ses sonnets d’amour font le bonheur de nombreux esprits cultivés. ↩︎
Le lecteur se souviendra des exultations d’Horace, d’Ovide, de Moore, de Pouchkine et d’autres, à l’achèvement de leurs poèmes immortels. ↩︎
Ce service consiste à laver les sentiments des saints, à les servir au dîner, à marcher autour d’eux dans une attitude d’adoration, voir, etc. ↩︎
L’histoire du Bhagat Mäl de Näbbäji fait participer le roi à l’intrigue. Nous adoptons de préférence l’histoire de l’œuvre marathi, Bhärat khanda cha aravachin Kosh. ↩︎
Les attributs de Dieu ici visés sont sat, la stabilité ou la permanence ; chit, la sensation ; et anand, le bonheur. ↩︎
C’est-à-dire sa femme et ses biens. ↩︎
Il a été expliqué que jog signifie l’union de l’âme avec Dieu, et le premier moyen d’y parvenir est d’entraîner et d’obtenir une maîtrise complète des organes inspiratoires et expiratoires. Lors de la première étape de cet exercice, le souffle est aspiré par la narine gauche, appelée ira, tandis que la syllabe oam, l’un des symboles de Dieu, est lentement répétée seize fois. Le souffle est ensuite suspendu dans la partie supérieure du nez, à la jonction des deux narines. Cette jonction est appelée sukhmana. De même que le souffle aspiré par la narine gauche, il est forcé de descendre par la droite, appelée pingala, la syllabe _oam étant à nouveau répétée seize fois.
Mais l’exercice le plus important de cette pratique consiste à aspirer le souffle jusqu’au cerveau, appelé dans le langage des Jogis la dixième porte, les autres portes ou ouvertures du corps étant les yeux, les oreilles, le nez et la bouche. Pour aider à maintenir le souffle dans le cerveau, la langue est repliée vers l’arrière afin de fermer le passage de l’air. L’opérateur s’efforce également de ne laisser aucun souffle sortir par la bouche ou les narines. Un état d’animation suspendue s’installe alors. Le cerveau est chauffé et, dit-on, distille du nectar qui tombe sur la langue, provoquant alors un état d’extase. L’habileté à cette pratique, réputée pour affaiblir considérablement le corps, est aujourd’hui rare. ↩︎
Näd semble ici signifier ce que les Jogis appellent le sukhmana. ↩︎
Dieu, l’Esprit suprême, est la source d’où proviennent les âmes, JiTtHIatua, de tous les animaux. L’âme ne peut se tourner vers Dieu que par de bonnes œuvres et de durs efforts pour atteindre la perfection. Tant que Dieu et l’âme sont séparés, cette dernière est sujette à l’arrangement. Lorsque, par la pratique des bonnes œuvres, la lumière de l’âme se mêle à la lumière de Dieu, le nirvan ou repos éternel est obtenu, ↩︎
C’est-à-dire de qui l’âme et les trois qualités émanent. Dieu étant un esprit, on ne peut pas dire, d’un point de vue humain, qu’il possède des attributs. ↩︎
Jaidev, qui signifie littéralement victoire pour Dieu. ↩︎