On trouve des hymnes et des sloks portant le nom de Farid dans le Granth Sahib. L’historien persan Farishta affirme que lorsque Taimur Lang s’approcha d’Ajodhan (Pak Pattan) au Pendjab en 1318 apr. J.-C., Sad-ul-Din [1], petit-fils de Shaikh Farid, alors sur son trône spirituel, s’enfuit avec plusieurs des principaux habitants de la ville à Bhatner, dans l’État de Bikaner, où [ p. 357 ] ils firent ensuite la paix avec les envahisseurs. Guru Nanak étant né en 1469 apr. J.-C., il n’a pu rencontrer le Farid originel. Le plus ancien récit de la vie du Guru indique également que c’est avec Shaikh Brahm (Ibrahim), successeur de Farid, connu sous le nom de Farid II, qu’il eut deux entretiens. Il est certain que c’est Shaikh Brahm qui a composé les sloks et les hymnes portant le nom de Farid dans le Granth Sahib, bien qu’il ait utilisé le nom du fondateur de sa lignée spirituelle comme nom de plume poétique.
Voici la généalogie de Shaikh Brahm. Il était le fils de Khwaja Shaikh Muhammad, lui-même fils de Diwan Pir Ataulla, lui-même fils de Diwan Shaikh Ahmad Shah, lui-même fils de Diwan Pir Baha-ul-Din surnommé Harun, lui-même fils de Khwaja Munawwar Shah, lui-même fils de Khwaja Diwan Pir Fazal, lui-même fils de Khwaja Diwan Muiz-ul-Din, lui-même fils de Khwaja Diwan Pir Ala-ul-Din appelé Mauj-i-darya (une vague de piété), lui-même fils de Diwan Badar-ul-Din Sulaiman, lui-même fils de Hazrat Baba Farid-ul-Din Masaud Shakar Ganj, le Farid originel de Pak Pattan.
Cheikh Brahm occupe une place éminente dans la liste des grands saints et porte plusieurs titres ou appellations. On l’appelle Farid Sani ou Farid le Second, Salis Farid ou Farid l’Arbitre, Cheikh Brahm Kalan (Cheikh Brahm l’Aîné), Bal Raja, Cheikh Brahm Sahib et Shah Brahm. On dit qu’il a accompli de nombreux miracles. En voici un exemple : un voleur entra un jour dans sa maison avec une intention criminelle, mais, par la volonté de Dieu, il fut frappé de cécité et ne put retrouver la sortie. Lorsque Cheikh Brahm se leva la nuit pour prier, il demanda à son serviteur d’aller chercher de l’eau pour ses ablutions. Le serviteur vit le voleur aveugle, impuissant, sur le sol et en informa son maître. Le voleur implora son pardon et promit que, s’il recouvrait la vue, il renoncerait à ses mauvaises habitudes. Sur ce, Cheikh [ p. 358 ] Brahm pria pour lui ; il recouvra la vue et devint un musulman fervent. Voici un autre miracle de Cheikh Brahm : lors d’une saison de sécheresse, il ôta son turban et se mit à le faire tournoyer, ce qui provoqua une pluie abondante.
Deux fils de Shaikh Brahm sont mentionnés : un Shaikh Taj-ul-Din Mahmud, un grand saint, et un autre Shaikh Munawwar Shah Shahid. Shaikh Brahm avait plusieurs disciples, tels que Shaikh Salim Chishti Fatahpuri, Shaikh Almadi de Chunian, Baba Ahmad Lanak de Dipalpur, Maulvi Jalal-ul-Din de Shaikhabad, Shah Abdul Fatah de Ghazipur, Haji Niamat Ulla de Shaikhupur, etc.
Cheikh Brahm mourut le 21 Rajab, 960 de l’Hégire (1552 apr. J.-C.), après un règne spirituel de quarante-deux ans. Le Khulasat-ul-Tawarikh précise qu’il fut enterré à Sarhind. Les autres détails connus à son sujet proviennent de la vie de Guru Nanak, qui le rencontra à deux reprises et s’entretint avec lui.
On connaît et on écrit beaucoup de choses sur le Cheikh Farid original, et il semble que cette esquisse serait incomplète sans une description de lui. [2] Deux généalogies de Cheikh Farid, appelé par la suite Farid Shakar Ganj, sont données [ p. 359 ] dans le Jawahir-i-Faridi : l’une spirituelle, l’autre temporelle. Il reçut sa position spirituelle de son prêtre Khwaja Qutub-ul-Din Bakhtiyar Ushi [3] de Dihli, dont les prédécesseurs spirituels remontent en ligne directe au Prophète de La Mecque. La généalogie temporelle ou familiale de Farid remonte à travers les princes et les rois jusqu’à Hazrat Amir-ul-Mumanin Umr-bin-ul Khitab Qureshi Makki Faruqi, le deuxième calife des musulmans.
Lorsque Farrukh Shah, dont Farid était le descendant, était roi de Kaboul, les rois de Ghazni et d’autres États lui étaient soumis. Lorsque Kaboul fut prise par le roi de Ghazni, le fils de Farrukh Shah se rendit auprès de lui en quête de moyens de subsistance. Le roi de Ghazni le traita avec respect et non seulement lui rendit son royaume de Kaboul, mais lui donna sa fille en mariage. Il semblerait que les rois de Ghazni et de Kaboul étaient alors parents, car le père de Shaikh Farid, Shaikh Jamal-ul-Din, était le neveu du roi de Ghazni.
L’arrière-grand-père de Shaikh Farid fut tué au cours des luttes de cette période. [4] Le grand-père de Farid, Shaikh Shaib, ainsi que sa famille, dont trois fils, dont l’aîné était Jamal-ul-Din Sulaiman, abandonnèrent leur pays et se réfugièrent au Pendjab en 519 H (1125 apr. J.-C.). Le qazi de Kasur, qui avait été éduqué à Kaboul et qui connaissait la haute position que Shaikh Shaib y avait occupée, le traita, lui et sa famille, avec beaucoup de respect et d’hospitalité. [5] Après quelque temps, Shaikh Shaib se rendit [ p. 360 ] à Multan où il estimait être moins exposé aux influences du monde ou aux tentations de l’ambition. Lorsqu’il apprit les attentions qui lui étaient réservées dans cette ville, il décida qu’il ne pouvait y mener à bien son projet de vivre dans l’obscurité et l’effacement. Il s’installa donc à Kothiwal, aujourd’hui Chawali Mushaikh, non loin de Dipalpur.
Shaikh Shaib fonda à Kothiwal un collège privé d’instruction religieuse et, malgré lui, attira l’attention. Son fils aîné, Jamal-ul-Din, épousa Bibi Miriam, [6] fille de Saiyid Muhammad Abdula Shah, descendant d’Ali, et fille adoptive de Maulvi Wajih-ul-Din, descendant d’Abbas, oncle du Prophète de La Mecque. Wajih-ul-Din avait fui Kaboul lors de troubles politiques et s’était installé à Karor, dans le district de Multan. Miriam est décrite comme une femme très pieuse, auteure de grands miracles. Elle eut trois fils, Khwaja Aziz-ul-Din, Farid-ul-Din Masaud, Khwaja Najib-ul-Din, et une fille, Bibi Khatun Jamila, mère de Saiyad Ala-ul-Din Ali Ahmad Sabir.
Nizam-ul-Din Auliya, un disciple de Farid, raconte la légende d’un voleur qui se rendit chez la mère de Farid pour voler. Dès le début de ses opérations, il perdit la vue. Il s’écria alors qu’un saint ou un thaumaturge devait être présent. Il fit le vœu que, si sa vue lui était rendue, il renoncerait au vol et deviendrait un bon musulman. Entendant ce vœu, Miriam pria pour lui, et il recouvra la vue. Il rentra chez lui et revint le lendemain matin avec une offrande de lait. Accompagné de sa femme et de ses enfants, il exprima le désir qu’ils deviennent tous musulmans. [ p. 361 ] Miriam exauça son vœu, et tous devinrent saints. En réponse, il dit s’appeler Chawa. Son sanctuaire, parmi d’autres dans cette localité, devint par la suite un lieu de pèlerinage religieux.
Lorsque Farid fut conçu, sa mère passait ses jours et ses nuits en prière. Il naquit à Kothiwal le premier jour du mois de Ramzan, en l’an 569 de l’Hégire (1173 apr. J.-C.). La nuit de sa naissance était sombre et nuageuse, et la lune, dont l’apparition indique le début du Ramzan – le Carême musulman – était invisible, si bien que les hommes ne savaient pas quand commencer leur jeûne. Un saint homme arriva et annonça qu’un fils merveilleux était né de Jamal-ul-Din Sulaiman. Si l’enfant tétait, le temps du jeûne n’était pas encore commencé, mais s’il refusait le sein, alors tous les bons musulmans devaient jeûner. Farid ne tétait pas, et il était donc évident que le jeûne avait commencé. Pendant tout le mois de Ramzan, dit-on, l’enfant ne prenait du lait que la nuit, à la manière musulmane, et jeûnait le jour.
Quand Farid avait quelques années, sa mère lui enseigna ses prières. Le garçon demanda ce que l’on gagnait en priant. Sa mère répondit : « Du sucre ». Elle cachait donc du sucre sous son tapis de prière et, une fois ses prières terminées, le sortait et le lui donnait en récompense de sa dévotion. Un jour, alors que sa mère était absente, il pria beaucoup et, dit-on, une grande quantité de sucre – un don miraculeux de Dieu – fut trouvée sous son tapis. Il en mangea une partie lui-même et donna le reste à ses camarades de jeu. Il raconta l’incident à sa mère à son retour. C’est alors que sa mère lui donna le surnom de Shakar Ganj, qui signifie « trésor de sucre ».
Voici une autre version de la raison pour laquelle le nom de Shakar Ganj fut attribué à Farid. On raconte que, lorsque le Prophète Mahomet monta [ p. 362 ] au ciel, Dieu lui donna une assiette de sucre, qu’Il dit provenir du trésor d’un saint qui naîtrait dans sa secte. Le Prophète devait en manger une partie et donner le reste à ses disciples. À son retour sur terre, ses amis lui demandèrent d’où il avait obtenu ce sucre. Il répondit qu’un saint homme naîtrait dans sa secte, qui deviendrait un médiateur pour les pécheurs. Lorsqu’on demanda au Prophète le nom de ce saint homme, il répondit : « Il recevra de Dieu le nom de Farid, car il est fard-i-alam, unique au monde, et je l’appellerai Shakar Ganj. » Une troisième raison expliquant ce nom sera donnée ultérieurement.
Sa mère envoya Farid à l’école à l’âge de quatre ou cinq ans. En peu de temps, il mémorisa l’intégralité du Coran. Il fut ensuite envoyé à Multan, où il acquit une grande maîtrise des études profanes. Sa mère, dit-on, fut alors conseillée par un ange de l’envoyer en pèlerinage à La Mecque. Farid lui-même avait déjà conçu le même désir, bien qu’il ne fût alors qu’un enfant. Il lisait alors l’Abul Nafa avec Saiyid Nazir Ahmad. Lorsque ce dernier apprit le départ prévu de Farid, il se mit à pleurer la perte de son élève bien-aimé. Ses parents décidèrent alors de prendre également le précepteur du garçon. Ils partirent de Kothiwal le 13e jour de Jamadi ul Sani, 585 de l’Hégire, et arrivèrent au port de Jadda le 12 Zi Qada de la même année, soit après un voyage de cinq mois. De là, ils se dirigèrent vers La Mecque.
Le groupe de Farid logea chez Abdul Rahim Ansari, dont l’épouse était très attentionnée. Ils apprirent qu’Abdul Qadir Jilani, surnommé Hazrat Ghaus Pak Qutub-i-Alam, était venu de Bagdad pour accomplir le grand pèlerinage musulman et s’était installé dans la grotte de Hura, sur le mont Abu Qabis, près de La Mecque. [7] Les louanges de Hazrat Ghaus [ p. 363 ] étaient sur toutes les lèvres, et Farid ne cachait pas son admiration pour le saint distingué. Un faqir négligé, entendant le langage de Farid, prédit la grandeur future du garçon. Le faqir lui chuchota quelque chose à l’oreille, et il perdit aussitôt connaissance. Il fut soulevé et transporté chez Abdul Rahim.
Farid affirma plus tard que, alors qu’il était dans cet état d’insensibilité apparente, le Prophète lui apparut et lui prédit sa future gloire et la renommée de son sanctuaire. Mahomet promit de se tenir sur la tombe de Farid tous les cinq jours du mois de Muharram pendant neuf heures à jamais. La mère de Farid lui suggéra de consigner par écrit tous les détails de son entretien avec le Prophète ; mais le mémorandum rédigé conformément à la suggestion de sa mère n’a pas été retrouvé.
Une fois le pèlerinage à La Mecque terminé, Hazrat Ghaus invita Farid et son groupe à lui rendre visite dans sa grotte. Hazrat Ghaus y présenta un coffret en fer contenant des reliques du Prophète. Il s’agissait de deux bannières qui le précédaient à la guerre, de deux couvertures pour celles-ci, d’une coupe en bois d’olivier, d’une paire de brodequins, d’un turban couleur safran et d’un tissu d’alpaga pour le cou. Après examen, ces objets furent remis dans le coffret en fer, qui fut placé sur la tête de Farid et lui fut remis.
Après cela, le groupe de Farid se rendit à Médine, puis, après un bref séjour, retourna en Inde. En revenant de la mer, ils visitèrent Ajmer, où Farid reçut l’enseignement de Khwaja Gharib Nawaz.
Farid fut envoyé en temps voulu à Kaboul pour étudier la théologie. Après avoir terminé ses études, il retourna à Multan. À la mosquée de Minhaj-ul-Din, il rencontra le saint Qutub-ul-Din et devint son disciple. Le cousin de Farid, Baha-ul-Din Zakaria, [8] Saiyid Jalal-ul-Din [ p. 364 ] Bukhari et Lai Shahbaz Qalandar demandèrent à Farid de se joindre à eux pour une pérégrination religieuse. Ils devaient suivre leur caprice, à la recherche d’un homme d’une sainteté éminente. Farid répondit qu’il ne croyait qu’en son propre prêtre Qutub-ul-Din. Baha-ul-Din, cependant, le pressa de se joindre au groupe, et Farid finit par accepter. En chemin, ils arrivèrent à un point de rencontre entre deux chemins. Sur un chemin, plus court, il y avait des voleurs, tandis que sur l’autre, plus long, ils pouvaient voyager en sécurité. Baha-ul-Din leur conseilla d’emprunter la route sûre, même si cela leur coûtait plus cher, de peur d’être privés de l’argent qu’ils avaient sur eux pour leurs frais de voyage. Farid . proposa de se débarrasser de tout ce qui risquait d’être volé, puis de poursuivre par la route la plus courte. Ce conseil fut suivi.
En chemin, ils arrivèrent au fleuve Indus, où ils trouvèrent des pêcheurs en train de jeter leurs filets. Farid et son groupe, affamés, décidèrent de jeter leurs filets dans le fleuve, chacun à son tour et en son nom, dans l’espoir d’attraper du poisson pour leur dîner. Les filets furent jetés et se retrouvèrent vides jusqu’à ce que vienne le tour de Farid. Son filet devint si plein de poissons, et donc si lourd, que les pêcheurs ne purent le sortir de l’eau. Farid, répétant Bismillah, le retira facilement.
Le groupe traversa ensuite le fleuve. Sur la rive opposée vivait un saint nommé Cheikh Suf, sous la direction spirituelle duquel Farid et son groupe souhaitaient se placer. Cheikh Suf dit à Farid et à ses amis qu’il n’avait aucun pouvoir pour en faire ses disciples et les renvoya vers Cheikh Shahab-ul-Din Saharwardi, le point de mire de l’époque, qui vivait à Boukhara. Farid et ses trois amis partirent alors pour Boukhara. Shahab-ul-Din déclara que Farid était un homme d’un courage remarquable, destiné à atteindre une haute position spirituelle. Il devait également retourner auprès de son propre prêtre [ p. 365 ] Qutub-ul-Din. Avant le retour du groupe, Bahaul-Din devint disciple de Shahab-ul-Din.
De retour de Boukhara, Farid, Baha-ul-Din, Saiyid Jalal-ul-Din Bukhari et Lai Shahbaz Qalandar s’arrêtèrent près d’un village du Sindh. Une personne charitable leur donna un peu de maïs pour se nourrir, dont ils avaient grand besoin après un long jeûne. Farid invita ses compagnons à aller prier dans la forêt, tandis qu’il apportait le maïs au village pour le faire moudre. Il se rendit chez une femme et lui demanda de moudre le maïs et de prendre un peu de farine pour son travail. Voyant sa beauté, elle l’invita chez elle et lui proposa de moudre le maïs lui-même. Lorsqu’il entra, elle lui proposa de faire l’amour. Préparant l’acte espéré, elle mit son enfant de trois mois dans un berceau. Farid la repoussa et, lorsqu’elle insista davantage, prit la fuite. Elle poussa alors un cri, prit tous ses voisins à témoin d’un attentat à la pudeur et accusa le fugitif de l’avoir déshonorée. Les villageois se sont rassemblés, ont poursuivi et arrêté Farid, puis l’ont conduit devant le magistrat. Il a été appelé à la défense et prié de produire des témoins de son innocence, s’il en avait, sans quoi il subirait la peine prévue pour un crime aussi odieux. Farid a déclaré que son témoin était l’enfant de la femme, qui confirmerait ses dires. L’enfant a été amené au tribunal dans son berceau. Farid a conjuré l’enfant, par son Créateur, de dire la vérité et de raconter ce qui s’était passé. À la stupéfaction générale, il a non seulement parlé avec intelligence, mais a fourni des preuves propres à établir complètement l’innocence de Farid. Sur ce, le magistrat a réprimandé et emprisonné la femme.
Lorsque Farid atteignit Khwaja Qutub-ul-Din, ce dernier était au sommet de sa gloire. L’auteur du Jawahir-i-Faridi affirme qu’il recommandait à tous ceux qui aspiraient à la perfection d’observer les quatre règles suivantes : dormir peu, manger peu, parler [ p. 366 ] peu, fréquenter peu le monde. Farid affirmait que, même si chaque poil de son corps était une langue, il ne pourrait décrire les vertus de Qutub-ul-Din. [9]
Qutub-ul-Din, constatant que Farid manquait d’érudition, l’envoya au sanctuaire d’Abdul Shakur de Sarsa pour terminer son éducation. [10] À cette occasion, Farid répéta ce qui suit : —
Ô Farid, tu n’as pas marché dans le chemin de Dieu ; c’est pourquoi Il ne t’est pas apparu.
Qui est-ce qui a frappé à la porte de Dieu sans qu’elle ne lui ait été ouverte ?
Perds ta vie sur le chemin de l’Ami si tu désires être considéré comme ces saints hommes.
La haute réputation que Farid avait acquise à Dihli lui devint vite pénible. Il se rendit donc à Hansi, où il demeura quelque temps. Entre-temps, son grand prêtre de Dihli semble être décédé. Farid effectua alors une seconde visite dans cette ville et assuma le rôle de son ancien guide spirituel. Il laissa finalement sa ville à Jamal-ul-Din de Hansi, puis se rendit à Ajodhan, l’actuelle Pak Pattan, où il mourut plus tard et où ses fidèles résident et reçoivent des offrandes à son sanctuaire.
[ p. 367 ]
On peut expliquer ici comment le nom du lieu a été changé en Pak Pattan. Un canal alimenté par le Satluj passait près de la ville. Tous ceux qui visitaient Farid avaient pour habitude de s’y laver les mains et les pieds. Le lieu prit alors le nom de Baba Sahib ka Pak Pattan, ou le bac purificateur de Farid.
Lors de son premier séjour à Ajodhan, Farid se serait nourri de fruits du jal et de câpres sauvages. Ces fruits constituaient son aliment de base, même lorsqu’il devint célèbre.
Abu Musalla, un qazi de Pak Pattan, jaloux du nouveau venu Farid, se plaignit au sous-adar de Multan qu’il chantait et dansait. Le sous-adar transmit la plainte à l’empereur, qui donna l’ordre, comme d’habitude, en persan : « Anra az shahar ba dar kuned », expulsez-le de la ville. Lorsque cet ordre parvint au sous-adar, il lut : « Qazira az shahar ba dar kuned », expulsez le qazi de la ville. Les mots, disait-on, avaient été miraculeusement modifiés lors du transit de l’ordre de Dihli à Multan. Lorsque le qazi apprit l’ordre, jugeant le repentir plus commode et plus profitable que l’expulsion, il tomba aux pieds de Farid, implora son pardon et devint son disciple. Le qazi, en temps voulu, donna sa fille en mariage à Makhdum Badr-ul-Din, le fils de Farid. De ce mariage est né Hazrat Ala-ul-Din Mauj-i-Darya.
Après quelque temps, Farid, suivant les conseils de sa mère, se rendit dans une forêt et y vécut comme anachorète pendant douze ans, se nourrissant de feuilles d’arbres. À son retour, elle commença à peigner ses cheveux ébouriffés. Farid se plaignit que l’opération lui causait des douleurs. Sa mère répondit qu’il avait dû causer des souffrances similaires aux arbres en les priant de leurs feuilles et de leurs fruits pour les nourrir. Il est écrit dans le Coran que tout prie Dieu, les arbres doivent donc être des êtres sensibles. Farid sentit alors pour la première fois que sa pénitence avait été un profit [ p. 368 ] en moins. Il entreprit donc un nouveau pèlerinage de douze ans. Cette fois, afin de ne blesser aucun être vivant, il attacha un gâteau de bois à son estomac et, dit-on, se nourrit de la nourriture imaginaire qu’il lui procurait pendant toute la durée de son vœu. Si on lui demandait de manger, il désignait le gâteau en bois et disait qu’il avait déjà dîné et que le reste de son repas était collé à son estomac. Un jour, rongé par la faim, il aurait mordu le gâteau dans l’espoir de satisfaire son appétit. Les marques supposées de ses dents sont visibles sur un morceau de bois encore conservé à Pak Pattan.
Au cours de ses pérégrinations, Farid visita en 1244 la colline de Girar, dans le district de Wardha, en Inde centrale, et y vécut quelque temps. Deux voyageurs, qui se moquèrent d’abord de lui puis ressentirent les effets de son pouvoir miraculeux, devinrent ses disciples. Ils moururent sur la colline où leurs tombes sont encore visibles.
Farid visita ensuite la colline de Datar, dans l’État de Junagarh, et y séjourna quelque temps. Il était connu sous le nom de Shakar Bhai. Son foyer, près d’une source appelée Qalandar ka chashma (le puits de Qalandar), est toujours signalé et vénéré par les pèlerins. Les lépreux hindous s’y rendent pour se faire guérir et, en cas de succès, deviennent musulmans. Parmi eux figurent les hommes d’un temple perché sur le flanc de la colline, qui ont acquis plusieurs caractéristiques musulmanes bien marquées.
Sa mère, constatant que Farid, à son retour, n’avait pas perdu tout orgueil, le congédia pour une troisième période de douze ans. Cette fois, dit-on, il se fit suspendre par les pieds dans un puits. Il lui arrivait, lorsqu’il était fatigué par la position anormale de son corps, de sortir prier et d’exprimer sa satisfaction envers la volonté divine. On raconte que les oiseaux construisaient leurs nids dans ses cheveux et que les bêtes de proie picoraient ou dévoraient sa chair. Il composa le couplet suivant en référence à ces circonstances :
[ p. 369 ]
Farid, ton corps est sur le bûcher ; ta tête est devenue une cage ; les corbeaux picorent tes pieds.
Si Dieu vient à moi maintenant, mon sort sera heureux.
Ce distique fut ensuite développé dans les 90e, 91e et 92e sloks de Shaikh Brahm, retrouvés dans le Granth Sahib. Après douze ans ainsi occupés, on raconte qu’une voix l’appela : « Dieu t’accordera toute faveur que tu demanderas. » Farid répondit qu’il désirait seulement le salut.
Interrogé sur les raisons de sa pénitence, Farid répondit qu’il désirait sauver tous les disciples de Mahomet qu’il pouvait enlacer. Son interlocuteur répondit : « Tu ne peux enlacer que deux. » Farid étendit alors les mains, l’une sembla alors se diriger vers l’est et l’autre vers l’ouest, et il dit : « Tous ceux qui se trouvent dans mon périmètre accepteront l’islam et seront sauvés. » Son interlocuteur resta stupéfait en entendant cela et devint son disciple.
Il est rapporté dans le Gulshan-i-Auliya que Dieu avait convenu avec Farid de lui accorder trois périodes de vie de quarante ans chacune. Après les quarante premières années, Dieu dit : « Tu m’as cherché. » Après les quarante années suivantes, Dieu dit : « Tu as obéi à mes ordres. » Après les quarante années suivantes, Dieu dit de nouveau : « Tu as obéi à mes ordres ; maintenant, je vais exécuter les tiens. » Il semble donc qu’après une sainte carrière, Farid soit mort à l’âge de cent vingt ans. D’autres auteurs, cependant, comme nous le verrons, attribuent au saint une durée de vie plus courte.
La renommée des miracles de Farid se répandit largement, et certains hommes, par envie, lui devinrent extrêmement hostiles. Deux darweshes, mécontents de sa haute réputation de sainteté et de thaumaturgie, vinrent de loin pour le tuer. Farid s’adressa avec douceur à ses meurtriers, si bien qu’ils partirent pleinement convaincus qu’il était un grand saint, qu’il méritait louanges plutôt que blâme, longue vie plutôt que mort.
[ p. 370 ]
Après cela, deux saints arrivèrent du Mont Liban pour trancher la question de savoir qui était le souverain spirituel de l’Inde. En faisant la connaissance de Farid, ils furent si séduits par la beauté et la sainteté de son caractère qu’ils décidèrent de passer le reste de leur vie à son service. D’autres arrivèrent avec la même mission et de la même localité, si bien que l’on dit que le Liban était dénué de sa population masculine. Farid, en temps voulu, les congédia tous, affirmant que le Liban était la patrie des saints et qu’ils ne devaient pas l’abandonner.
Parmi les autres saints hommes venus de Ghazni, de Kaboul et des villes à l’ouest pour s’engager dans l’œuvre missionnaire en Inde, se trouvait Ahmad Danyal de Boukhara [11], père de Nizam-ul-Din Auliya. Après un séjour à Lahore, Ahmad Danyal se rendit en 1234 à Badaun, alors une ville réputée pour son érudition musulmane. C’est là que, trois ans après son arrivée, naît Nizam-ul-Din, initialement appelé Muhammad. Orphelin à l’âge de cinq ans, il fut instruit avec soin et piété par sa mère Zulaikha et, dès son plus jeune âge, fit preuve de capacités si extraordinaires qu’il fut surnommé Nizam-ul-Din Bahhas, ou le Controversialiste, et Mahfil-Shikan, le Controversialiste. À son apogée, l’empereur lui offrit le poste convoité de cadi à Dihli. Mais, étant principalement profane, il préféra embrasser la vie religieuse et devenir disciple de Farid. Selon Abul Fazal, auteur de l’Ain-i-Akbari, il obtint de lui la clé du trésor de l’illumination intérieure.
Nizam-ul-Din avait beaucoup entendu parler de Farid et désirait ardemment le rencontrer et recevoir son enseignement spirituel. Farid, lui aussi, était impatient de rencontrer un homme aussi saint. Il raconta avoir eu l’inspiration de conférer la souveraineté spirituelle de l’Hindoustan à un homme [ p. 371 ] appelé Nizam-ul-Din. Ainsi, lorsque les deux saints hommes se rencontrèrent, Farid remit à Nizam-ul-Din son manteau rapiécé et ses sabots, et le nomma chef de la foi musulmane en Inde. Il lui recommanda de prendre courage et lui promit de toujours l’assister. À cette occasion, Farid composa le couplet suivant :
Le feu de la séparation d’avec toi rôtit nos cœurs ;
Le torrent de ton amour détruit nos vies.
Ces lignes avaient pour but de complimenter Nizamul-Din sur sa popularité personnelle et l’amour avec lequel il inspirait ses associés.
À l’époque de l’empereur Nasir-ul-Din, vivait à Dihli un célèbre prédicateur nommé Afsah-ul-Din. Il rendit visite à Farid à Ajodhan pour une controverse religieuse avec lui, et rencontra Nizamul-Din, que Farid avait délégué à cet effet. Nizamul-Din répondit à Afsah-ul-Din avec une intelligence et une habileté inattendues à tous ses arguments. Ce dernier, profondément étonné, s’en alla en disant : « Si le disciple est tel, quel doit être le maître ? » Farid finit par faire d’Afsah-ul-Din son disciple.
Farid avait pour habitude de rejeter les offrandes d’argent. Un jour, l’empereur lui offrit deux plateaux de pièces d’or. Farid n’accepta que deux muhars des offrandes impériales. Ceux qu’il accepta furent consacrés à l’achat de provisions pour sa cuisine publique ; il ordonna que le reste soit distribué aux faqirs. Lors de la distribution, deux des pièces tombèrent et furent ramassées par un disciple de Farid. Farid, ne s’en rendant pas compte, se mit à prier, mais ne parvenait pas à fixer ses pensées sur Dieu. Il comprit alors que quelqu’un dans l’assemblée devait être imprégné de scories matérielles. Après de longues recherches, il comprit l’acte de son disciple et lui ordonna de jeter les pièces immédiatement. Ce n’est qu’alors que Farid put se concentrer sur ses dévotions.
À titre d’exemple des habitudes frugales de Farid, l’anecdote [ p. 372 ] suivante est rapportée. Un jour, Nizam-ul-Din Auliya cuisina des lentilles grossières qu’il assaisonna avec du sel emprunté. Farid lui ordonna de distribuer les lentilles puis de lui donner sa part. Lorsqu’on l’apporta à Farid, il dit que cela sentait la dépense excessive. Nizam-ul-Din admit l’avoir assaisonnée avec du sel emprunté, sur quoi Farid déclara qu’il avait mal agi. La nourriture obtenue de cette manière ne devait pas être consommée. Sur ce, Farid renvoya la nourriture.
Farid accompagna Baha-ul-Din Zakaria, à sa demande, lors d’un autre voyage, à savoir vers la montagne de Qaf, dans le Caucase. En descendant, ils auraient aperçu un homme vêtu d’une robe flamboyante chevauchant un tigre flamboyant, allégorie destinée à représenter le zèle ardent des premiers propagateurs de l’islam. L’homme laissa Farid derrière lui et partit avec lui pour la conversion du monde.
De retour à Ajodhan après son voyage missionnaire, Farid fut accueilli avec hospitalité et bienveillance par la mère de Shaikh Nasir Uha, une veuve nommée Bibi Um-i-Qulsum, qu’il épousa plus tard. Elle lui apporta un précieux terrain à bâtir à l’ouest de la ville. Farid chérissait Nasir Ulla et l’éduqua comme son propre fils.
Durant l’absence de Farid dans le Caucase, un Jogi acquit une grande influence spirituelle sur le peuple d’Ajodhan et fit de nombreux adeptes parmi eux. Au moment voulu, ils retournèrent tous auprès de Farid, qui répara promptement le mal causé et rétablit son troupeau dans son ancienne allégeance spirituelle.
L’empereur Nasir-ul-Din chargea le nabab Alif Khan de remettre à Farid une importante somme d’or et une subvention perpétuelle sur les revenus de quatre villages. Farid refusa l’argent et la subvention, et demanda à Alif Khan de les apporter à ceux qui en avaient besoin. S’il les acceptait lui-même, il ne serait plus considéré comme un darwesh. On lui reprocherait son ignorance et, au jour du jugement, [ p. 373 ] il ne serait pas autorisé à prendre sa place parmi les élus. À cette occasion, Farid cita les préceptes et l’exemple de son prêtre Qutub-ul-Din Bakhtiyar Ushi. Un jour, l’empereur Shams-ul-Din Altmish lui envoya un plat de pièces d’or et d’argent et un bail de six villages. Qutub-ul-Din rejeta les offrandes royales, disant qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait jamais accepté de telles choses, et que s’il le faisait, il ne serait pas un véritable partisan de leurs disciples.
Alors que Nawab Alif Khan retournait à Dihli, il réalisa que l’empereur Nasirul-Din n’avait pas d’héritier. Il songea alors que, s’il obtenait l’intercession de Farid, il pourrait devenir empereur. Il retourna donc voir Farid, qui lui donna les vers suivants :
Le grand Faridun n’était pas un ange ;
Il n’a pas été construit à partir d’eau de rose et d’ambre gris ;
Il a obtenu la grandeur par sa justice et sa générosité.
Distribue la justice et la générosité, et tu seras comme Faridun.
Alif Khan, recevant ces lignes, retourna avec joie à Dihli et, finalement, à la mort de Nasir-ul-Din, fut salué empereur sous le titre de Ghiyas-ul-Din Balban. [12]
Farid se rendit à Dihli du vivant de Nasirul-Din et reçut un accueil des plus hospitaliers. L’empereur le présenta à ses reines et en fit ses disciples. Alors qu’il se trouvait dans les appartements féminins, le regard de Farid se posa sur Hazabra, la fille de l’empereur. Farid la regarda d’abord, puis leva les yeux au ciel. Il demanda de qui elle était la fille et, après avoir été dûment informé, prit congé. L’empereur comprit le désir de Farid et envoya son premier ministre lui offrir Hazabra en mariage. Farid, qui avait déjà pris sa décision à ce sujet, dit que Dieu, le Prophète et les anciens des Ghishtis lui avaient tous donné l’ordre de [ p. 374 ] s’allier à la fille de l’empereur. Il affirma avoir vu un signe sur le front d’Hazabra indiquant qu’elle lui était destinée. À cette occasion, Farid s’adressa à Dieu : « Tu as détourné mon cœur de Ton amour et l’as incliné dans une autre direction », Dieu aurait répondu : « Célèbre ce mariage pour l’amour de mon ami le Prophète. » Farid pria Dieu de lui pardonner. Dieu répondit de nouveau : « J’ai un but en cela. Quand des fils te naîtront, ce sera pour le bien de ton peuple, et ils seront pardonnés. » Farid, toujours inquiet à ce sujet, insista : « Si l’un de mes descendants pèche, j’en rendrai compte devant Ton tribunal. » Dieu répondit : « Garde les bons enfants toi-même et confie-Moi les mauvais. »
Farid et la fille de l’Empereur furent dûment mariés. L’Empereur envoya trois cents serviteurs pour la servir. Farid ne lui permit de garder que deux hommes et deux femmes. La première nuit, la dame, richement vêtue, gisait sur un canapé somptueux. Farid sortit son tapis de prière et dormit dessus, à même le sol, près d’elle. Le lendemain, elle dit à sa nourrice que Farid ne l’avait pas abordée. La nourrice le râpa à ce sujet. Il répondit qu’il désapprouvait le style royal adopté par la dame. Elle devait vendre ses bijoux et ses riches robes, en consacrer le prix au service de Dieu et porter l’habit de darwesh. Lorsque la dame reçut ce message, elle promit d’obéir aux ordres de son mari. Elle consacra donc le produit de la vente de ses bijoux et de ses robes au secours des pauvres. Farid lui procura alors une veste grossière d’un brun sale, un pyjama noir, des bracelets de verre vert et un anneau de nez en étain. L’Empereur, mécontent de voir sa fille apparaître dans des vêtements aussi sordides, lui fournit de nouveaux vêtements et bijoux à la place de ceux qu’elle avait refusés à la demande de son mari. Elle donna de nouveau les nouveaux articles aux [ p. 375 ] pauvres. Une troisième fois, l’Empereur lui envoya des vêtements et des ornements qu’il jugeait convenables, mais elle et son mari s’en séparèrent comme auparavant. L’Empereur continua de lui envoyer des cadeaux, mais ils ne furent qu’une source de désaccord entre son mari et elle. Finalement, la dame proposa qu’ils quittent Dihli et se rendent à Pak Pattan. Cet accord fut conclu. Farid laissa son frère Najibul-Din accomplir son devoir spirituel à Dihli. Il convient de préciser ici que les femmes du sanctuaire se marient encore dans des robes similaires à celles que Farid avait procurée à sa femme. Après les lunes de miel, des vêtements plus adaptés à leur situation sociale sont adoptés.
La fille de l’empereur donna à Farid cinq fils : Badr-ul-Din, Shahab-ul-Din, Nizam-ul-Din, Yaqub et Abdulla Shah ; et trois filles : Fatima, Mastura et Sharif a. Dans l’Itrat-i-Faridi, il est mentionné que Farid avait une troisième épouse nommée Najib-ul-Nissa, sœur de Cheikh Zakaria, et nous verrons plus loin qu’il se procurait une quatrième épouse dans les montagnes du Pendjab.
Farid, gravement malade, envoya Nizam-ul-Din et d’autres darweshes au cimetière pour prier pour lui. L’idée était, et est toujours, que les prières offertes en présence d’hommes qui se sont tournés vers Dieu sont acceptables et couronnées de succès. Cependant, la prière se révéla vaine. L’un des darweshes fit alors remarquer que les prières des indignes n’étaient d’aucun secours aux parfaits, c’est-à-dire que les prières des darweshes ordinaires ne pouvaient profiter à Farid. Nizam-ul-Din répéta ensuite cette phrase à Farid. Farid fut ravi du compliment et, dit-on, accorda à Nizam-ul-Din un pouvoir surnaturel. Nizam-ul-Din retourna alors au cimetière, pria pour le rétablissement de Farid et, à son retour, le trouva en parfaite santé.
Français Pour montrer la position spirituelle et sociale occupée par la famille, il est rapporté que Farid s’adressait à son cousin comme « Hazrat Ghaus Shaikh Baha-ul-Din Zakaria ». [ p. 376 ] Son cousin lui répondit : « Mashuq-i-Khuda wa ashik-i-zat-i-Kibria Farid, fard-i-alam, Shah Shakar Ganj Ajodhani Chishti » — Bien-aimé de Dieu et aimant l’Être Tout-Puissant, Farid, unique au monde, roi, trésor de sucre, Chishti d’Ajodhan.
Cheikh Badr-ul-Din, issu d’une famille noble de Ghazni, était un disciple de Qutub-ul-Din de Dihli. Farid, très impressionné par la réputation de sainteté de Badr-ul-Din, alla un jour lui rendre visite. Badr-ul-Din n’avait rien à lui donner à manger ; il envoya donc sa couverture grossière au marché pour qu’elle soit vendue au prix fort, afin d’offrir un repas à son distingué invité. Malik Nizam-ul-Din, différent du Nizam-ul-Din Auliya dont nous avons parlé, construisit un monastère pour Cheikh Badr-ul-Din, qui accepta d’y résider et de distribuer aux pauvres les provisions que Nizam-ul-Din leur avait fournies en abondance. Ce Nizam-ul-Din offensa par la suite l’empereur et fut emprisonné. Badr-ul-Din écrivit à Farid pour prier Dieu de le libérer. Farid a refusé au motif que Nizamul-Din avait construit un monastère pour son propre avancement, une démarche qui n’était pas conforme à la pratique humble de ses prédécesseurs qui recherchaient la retraite et l’effacement de soi.
Il y avait un religieux nommé Shams Dabir qui vivait dans une grande indigence à Sunam, dans l’actuel État de Patiala. Il écrivit quelques vers à la gloire de Farid et alla le trouver pour les réciter. Farid, entendant l’éloge, demanda au poète ce qu’il désirait. Shams Dabir répondit qu’il était très pauvre et n’avait pas de quoi subvenir aux besoins de sa mère âgée. Farid répondit qu’il ne donnait pas d’argent, mais qu’il prierait avec ferveur pour lui. Shams Dabir devint finalement secrétaire du Premier ministre de l’empereur.
L’empereur Ala-ul-Din Masaud fit d’Hamid, un érudit, son vice-roi du Bengale. Un jour, alors qu’Hamid se tenait les mains jointes devant [ p. 377 ] l’empereur, une forme de lumière lui apparut et lui demanda pourquoi il se tenait ainsi suppliant devant un imbécile. La même question fut posée à Hamid le lendemain, puis de nouveau le surlendemain. Sur ce, il démissionna de son poste et se rendit à Ajodhan, où il fut attiré par le pouvoir spirituel de Farid. Arrivé chez Farid, il tomba à genoux et baisa son seuil. Lorsque Farid eut entendu son histoire, il en fit son disciple et lui remit le manteau rapiécé d’un calife. Hamid resta quelque temps auprès de Farid et devint un prédicateur très éloquent. Farid le qualifiait souvent d’étoile brillante, mais il remarquait aussi qu’une étoile ne brille pas en présence du soleil – un compliment subtil à son égard. Farid lui suggéra de retourner vivre à Andina, près de Dihli, et de prêcher au peuple de Dieu. Hamid, cependant, déclara que son intention était plutôt d’effectuer un pèlerinage à La Mecque et à Médine, villes consacrées par la résidence de son Prophète. Sur ce, Farid l’autorisa à partir.
Maulana Badr-ul-Din, fils de Saiyid Minhaj-ul-Din Najjari, [13] était professeur d’arabe au collège musulman de Dihli. Au cours de ses études théologiques, il rencontra plusieurs difficultés auxquelles il ne put trouver de solution satisfaisante auprès des saints de sa connaissance. Il résolut donc de se rendre à Boukhara, alors siège de certains des plus grands érudits musulmans de l’époque. Il passa par Multan, dont il souhaitait également consulter les érudits. En chemin, il rencontra des ermites pieux, dont l’un était un disciple de Farid, dont le nom résonnait constamment. Badr-ul-Din, après une brève entrevue avec lui, lui dit qu’il perdait son temps à s’occuper de cela. Le disciple répondit qu’il ne pouvait s’en empêcher, car le nom de Farid sortait spontanément de ses lèvres. Le disciple et ses amis se mirent alors à [ p. 378 ] suggéra à Badr-ul-Din de rendre visite à Shaikh Farid, et peut-être résoudrait-il certaines de ses difficultés. Badr-ul-Din répondit qu’il avait rencontré plusieurs Shaikhs, qu’ils n’étaient que des imposteurs et que les hommes perdaient leur temps à converser avec eux. Le disciple et ses amis discutèrent de la question avec Badr-ul-Din et lui représentèrent qu’il ne pourrait apprécier les mérites de Shaikh Farid qu’une fois qu’il aurait fait sa connaissance. Badr-ul-Din finit par céder et fut conduit par ses amis de passage jusqu’à Farid. Farid résout ses difficultés théologiques de manière satisfaisante, puis en fit son disciple. Sur ce, Badr-ul-Din décida de ne pas se rendre à Boukhara, mais de rester à Ajodhan avec Farid. Il devint si humble qu’il servait les saints hommes, coupait du bois de chauffage dans la forêt et cuisinait leurs repas. Il était en même temps très attentif à ses dévotions et avait l’habitude de mortifier son corps par le jeûne.
Un jour, lors d’un mariage à Pak Pattan, Badr-ul-Din, voyant les parents de la mariée puiser de l’eau pour baigner les mariés selon l’ancienne coutume, pensa que s’il était dans son propre pays et parmi son peuple, son propre mariage pourrait également être dûment célébré.
Quelque temps après, Badr-ul-Din entreprit un pèlerinage à La Mecque et à Médine. À son retour, Farid lui fit part des pensées qui lui avaient traversé l’esprit en voyant l’eau puisée pour baigner les mariés, et lui dit qu’il pouvait choisir entre un mariage temporaire ou permanent, selon ce qu’il jugeait le plus avantageux. Par mariage permanent, Farid entendait la mort, comme chez les Grecs de l’Antiquité ; et si Badr-ul-Din le désirait, non seulement de l’eau, mais aussi du lait et du sucre seraient toujours offerts à son sanctuaire, et la renommée d’un tel mariage résonnerait sur terre comme au ciel.
Il semblerait, d’après le Jawahir-i-Faridi, que Badr-ul-Din acceptait les deux formes de mariage. Farid lui donna sa fille Fatima en mariage. Il en fit également [ p. 379 ] son chambellan avec le titre de Badrul-Diwan. Chaque fois que Farid lui parlait de le nommer à un poste correspondant à celui d’évêque in partibus infidelium, il répondait qu’il désirait vivre à jamais sous son ombre. Farid lui construisit une maison près de la grande mosquée de la ville, et il y vécut au service de Dieu. Après sa mort, un mausolée fut érigé sur sa dépouille. Comme promis par Cheikh Farid, ses cérémonies de mariage sont célébrées une fois par an par une foire tenue le sixième jour du mois de Jamadi ul Sani, où de copieuses libations de charbat sont offertes à son sanctuaire.
Un jour, alors que Farid se réveillait d’une transe, il dit : « L’œil qui ne regarde pas Dieu ferait mieux d’être aveugle ; la langue qui ne prononce pas Son nom ferait mieux d’être muette ; l’oreille qui n’entend pas Ses louanges ferait mieux d’être sourde ; et le corps qui n’accomplit pas Son service ferait mieux d’être mort. » Après cette parole, Farid retomba dans sa transe.
Un jour, sept cents saints hommes étaient assis ensemble. Un interrogateur leur posa quatre questions auxquelles ils donnèrent exactement les mêmes réponses :
Q. 1. Qui est le plus sage des hommes ? R. Celui qui s’abstient du péché.
Q. 2. Qui est le plus intelligent ? R. Celui qui ne se laisse troubler par rien.
Q. 3. Qui est le plus indépendant ? R. Celui qui pratique le contentement.
Q. 4. Qui est le plus nécessiteux ? R. Celui qui ne le pratique pas.
Les phrases suivantes sont tirées des sermons de Farid : —
Dieu hésite à étendre sa main sur ses créatures.
Ne vous réjouissez pas des richesses du monde et, si vous n’en avez pas du tout, ne soyez pas déprimé.
Le jour où nous n’obtiendrons pas ce que nous désirons devrait être pour nous comme [ p. 380 ] un moment de réjouissance comme la nuit de l’ascension du Prophète au ciel.
L’homme ne doit pas permettre que son ambition soit refroidie par les remarques décourageantes du monde.
Lorsqu’un faqir porte des vêtements riches, ils deviennent son linceul.
De toutes les attractions, l’attraction vers la dévotion est la meilleure.
Il réussit bien à celui qui pense à ses propres défauts et non à ceux des autres.
Pour ceux qui sont purs, toutes choses sont pures ; rien ne peut les souiller.
Si vous aspirez à atteindre la dignité des saints défunts, ne vous inclinez pas devant les monarques.
L’homme savant est le plus noble parmi les hommes, et le saint homme le plus noble parmi les nobles.
L’homme saint parmi les savants est comme la pleine lune parmi les étoiles.
Le plus méprisable des hommes est celui qui s’occupe de manger et de s’habiller.
La répétition des lignes suivantes a donné un grand réconfort spirituel à Farid :
La nuit dernière, des pensées tristes m’ont possédé,
Mais ensuite j’ai réfléchi à mon bel Amant,
J’ai dit que je ferais tout pour aller à sa porte.
Mes larmes coulèrent et mon amant attrapa alors ma manche.
Un étudiant a demandé à Farid si chanter était légal et convenable. Il a répondu que, selon la religion musulmane, c’était certainement illégal, mais que sa convenance restait sujette à discussion.
Nizam-ul-Din Auliya a raconté à Nasir-ul-Din, un de ses disciples, qu’un jour, alors qu’il était allé rendre visite à Farid, il s’est tenu à sa porte et l’a vu danser en chantant ce qui suit :
Je souhaite vivre toujours dans ton amour, ô Dieu.
Si je deviens la poussière sous tes pieds, je vivrai.
Moi, ton esclave, je ne désire que toi dans les deux mondes ;
Pour toi je vivrai et pour toi je mourrai.
[ p. 381 ]
Ce qui suit était un couplet favori de Farid : —
Tous les cœurs ne sont pas capables de trouver le secret de l’amour de Dieu.
Il n’y a pas de perles dans toutes les mers ; il n’y a pas d’or dans toutes les mines.
L’un des amis proches de Farid était le cheikh Jamal-ul-Din de Hansi, qu’il considérait comme son calife principal. Hazrat Cheikh Baha-ul-Din Zakaria de Multan, apprenant la renommée de cet homme, supplia Farid de le lui prêter pour prêcher aux fidèles. Farid refusa, mais, pressé par Jamal-ul-Din, attiré par Baha-ul-Din par une influence surnaturelle, il répondit : « Va te noircir le visage. » On raconte qu’à ce moment-là, le visage de Jamal-ul-Din devint noir et qu’il s’enfuit dans la forêt pour se cacher des regards humains. Farid interdisait à quiconque d’intercéder en sa faveur ou de l’aider de quelque manière que ce soit. Or, alors qu’un homme nommé Alim se rendait de Multan à Ajodhan, il rencontra Jamal-ul-Din en chemin. Jamal-ul-Din le supplia d’intercéder auprès de Farid, ce qu’il fit. Le temps passant et l’importunité amenèrent Farid à céder. Il écrivit à Jamal-ul-Din les quatre lignes suivantes, puis
lui rendit sa faveur : —
Fais le tour du monde, et en errant, tu te fais des ampoules aux pieds ;
Si tu trouves quelqu’un comme moi, alors abandonne-moi.
Viens un matin avec un cœur pur à ma porte ;
Si tu n’atteins pas ton objectif, alors porte plainte.
Jamal-ul-Din retourna auprès de Farid, et l’amour de ce dernier pour lui s’accrut après la rupture. Jamal-ul-Din était un descendant d’Abou Hanifa de Kusa.
Farid visita Mokalhar, aujourd’hui appelée Faridkot en l’honneur du saint. Le pays était alors gouverné par Mokal. Lors de la visite de Farid, Mokal construisait sa capitale et avait pour habitude d’impressionner tous les visiteurs pour ses travaux. Bien que Farid portait le manteau rapiécé d’un [ p. 382 ] religieux, il fut lui aussi contraint de servir le Raja. Les maçons et les ouvriers, faisant la connaissance de Farid, s’inclinèrent à ses pieds et le prièrent de leur accorder le pardon de leurs péchés. Le Raja suivit leur exemple et le servit personnellement pendant quelques jours. Farid demanda quel nom le roi allait donner à sa ville. Le roi répondit Mokalhar. Alors Farid dit : « Benin khair wa andarun darr » – elle est belle à l’extérieur, mais en ruine [14] à l’intérieur – ce par quoi le saint voulait dire qu’elle ne serait jamais complètement habitée. Le roi fit part à Farid de son sort tragique. Malgré des milliers de roupies dépensées pour sa capitale, personne ne venait l’habiter. Si sa sainteté Farid l’ordonnait, elle serait bientôt habitée. Farid lui dit alors de changer de nom et d’y résider lui-même. Mokal consentit et nomma la ville Faridkot en hommage à son saint hôte. Farid dit alors : « Va, Dieu le Très-Haut te fera résider, toi et ta descendance, dans ce fort. »
La légende raconte que Farid visita un jour une ville des montagnes du Panjab. Un jour, alors qu’il prenait son bain, une belle jeune femme vit par hasard une scène et conçut le désir de l’approcher, car un fils né d’un tel homme deviendrait roi du royaume de la beauté. On raconte que Jamila Khatun, la belle dame, en réfléchissant à cette histoire, tomba enceinte. Après le départ de Farid, une grande agitation résonna dans la tribu à l’annonce de l’état de la jeune femme. Elle affirma n’avoir commis aucun acte répréhensible, mais personne ne la crut. Tous affirmèrent que c’était bien sûr l’œuvre de Farid, l’étranger. Farid retourna par hasard dans cette région du pays six mois plus tard. Il fut accusé d’avoir séduit la jeune femme, ce qui, outre un péché, constituait une grave offense à la tribu. Il nia solennellement, mais personne ne voulut accepter sa déclaration. Il demanda à ses accusateurs de demander à la dame si elle avait jamais conçu le désir d’avoir un enfant [ p. 383 ] de lui. Elle admit alors qu’un tel désir lui était venu à l’esprit. Sur ce, Farid, pour se défendre, cita le cas bien connu de Jésus né sans père humain, ainsi que celui d’Adam, né sans père ni mère, et affirma que rien n’était impossible à la toute-puissance de Dieu, et qu’il aurait pu, dans sa miséricorde, donner un fils à la vierge. La tribu ne prêta aucune attention aux paroles de Farid et déclara qu’elle ne le croirait que s’il accomplissait un miracle en leur présence. Ils n’eurent aucune difficulté à suggérer un sujet. Ils lui dirent qu’il ne poussait pas de canne à sucre dans leur pays. S’il les accompagnait dans la forêt et faisait pleuvoir du sucre, ils accepteraient son récit de la grossesse immaculée de la jeune femme, mais pas autrement. Farid dit alors dans la langue persane qu’il parlait habituellement : « Chi ajab az Afridgare ki zan-i-bikr ra az qudrat-i-kamila-i-khud hamila be wasta shohar sakht, az asman shakar nisar farmayad ? » Quelle merveille serait-il que le Créateur, qui de par sa puissance parfaite rend une vierge enceinte sans intervention humaine, fasse pleuvoir du sucre ? On dit que le sucre se mit immédiatement à pleuvoir, et dès lors Farid obtint le nom de Shakar Ganj, le trésor du sucre. [15] Après ce miracle, tous les gens de la tribu devinrent ses disciples, et il épousa officiellement Jamila Khatun, qui donna naissance peu après à un fils. Farid resta là pendant six mois, durant lesquels il jeûna quarante jours. Il ferma la maison dans laquelle il avait habité, disant que son successeur l’ouvrirait, puis retourna à Ajodhan.
Alors que son successeur, Diwan Taj-ul-Din, revenait d’un pèlerinage à La Mecque et à Médine, il se rendit par hasard dans cette région du pays. Il demanda aux habitants à quelle tribu ils appartenaient. Ils répondirent qu’ils descendaient de Qutub-ul-Alam Baba [ p. 384 ] Farid Shakar Ganj. Il demanda de quel fils de Farid ils descendaient. Ils répondirent qu’ils n’étaient pas venus ainsi, mais qu’ils étaient nés miraculeusement. Lorsque Taj-ul-Din eut entendu toute l’histoire, il ouvrit la porte de la hutte de Farid. Les gens furent ravis de voir Taj-ul-Din et devinrent ses disciples en grand nombre.
Farid mourut d’une pneumonie le cinquième jour du mois de Muharrim, en 664 de l’Hégire (1266 apr. J.-C.). La date de sa mort est commémorée par les chronogrammes (a) « Farid asari », (b) « auliyae Khudai » — Il était unique, un saint de Dieu. [16] Les derniers mots de Farid furent en arabe : « Ya hayyo, ya qayyum » — Ô vivant à jamais, ô Dieu éternel ! Au dernier mot « qayyum », Farid expira.
Farid devait être enterré près de la ville de Pak Pattan, dans un lieu appelé les Tombes des Martyrs, où il avait d’abord posé le pied à son arrivée. Mais son fils Makhdum Khwaja Nizam-ul-Din arriva à temps pour modifier les arrangements. Ce fils, ancien général de l’armée de l’empereur, vivait alors en retraite à Patali. Alors qu’il dormait, la nuit précédant la mort de son père, il crut entendre son père l’appeler. Il se leva et se rendit à Ajodhan, mais, les portes de la ville étant toutes fermées à clé, il ne put accéder à la demeure de Farid. Farid savait que son fils était arrivé, mais il était trop tard pour le voir. « Son conseil, cependant », dit Farid, « devrait être suivi pour tout ce qui concerne mes funérailles et mon enterrement. » Le fils a conseillé à la famille d’attendre Nizam-ul-Din Auliya de Dihli, et a exprimé son intention d’enterrer temporairement son père dans la maison où il avait vécu, et où par la suite son fils aîné Khwaja Shahab-ul-Din a été enterré.
À l’arrivée de Nizam-ml-Din Auliya de Dihli, il fit ériger un mausolée pour Farid. Il [ p. 385 ] ordonna que le Coran soit lu sur des briques propres, que le lecteur souffle ensuite dessus et les utilise pour la construction de la tombe de Farid. Cet ordre fut respecté. Les Hafizes et les Califes lurent le Coran sur des briques consacrées selon les instructions, et construisirent la tombe de Farid avec elles. Un sanctuaire fut construit avec des fenêtres en pierre à l’est et au nord pour que les femmes puissent voir à travers, et une porte au sud, appelée bihishti darwaza, ou porte du paradis, pour que les hommes puissent y entrer. Le corps fut ensuite exhumé de sa tombe temporaire et, après avoir été bien parfumé, placé dans le mausolée ainsi construit. On dit que les âmes de Mahomet et de tous les saints musulmans apparurent à cette occasion. Sur les conseils de Nizam-ul-Din Auliya, la fenêtre en pierre à l’est fut brisée lors de la réinhumation de Farid afin de permettre la sortie des âmes du Prophète et de ses saints. À l’endroit où l’âme de Mahomet avait pris place dans le mausolée, une hujra, ou petite chapelle, fut construite, appelée Qadam Rasul, ou les pas du Prophète. Nizam-ul-Din déclara alors avoir reçu un message du défunt Farid : Dieu pardonnerait et sauverait de l’enfer tous ceux qui franchiraient la porte paradisiaque. Cette promesse était proclamée partout, du lever au coucher du soleil. Cependant, certaines personnes, dépourvues de vision intérieure, refusaient de croire à une telle efficacité de la porte. Sur ce, Nizam-ul-Din dit au Prophète : « Si le peuple est autorisé à te contempler, ses ténèbres spirituelles seront dissipées. » On dit que le Prophète apparut alors à toute la multitude, et qu’il ne resta plus dans l’esprit de personne l’ombre d’un doute sur les avantages qu’on pouvait tirer du passage par le temple sacré.
Il fut ensuite ordonné que les femmes prient à la fenêtre de pierre du côté nord, et qu’un mur soit construit à l’extérieur pour garantir leur [ p. 386 ] intimité. La porte ouvrant à l’est était alors appelée la porte de la lumière. C’est par elle que les hommes entrent et sortent généralement du sanctuaire.
Après la mort de Farid, son fils Badr-ul-Din Sulaiman lui succéda dans ses fonctions spirituelles, et Saiyid Maulvi Badr-ul-Din Ishaq dans ses fonctions temporelles. Des envieux mirent les deux Badr-ul-Din en conflit, ce qui poussa Nizam-ul-Din Auliya, venu de Dihli, à les réconcilier.
Nous avons mentionné le Rahat-ul-Qulub comme l’une de nos sources sur la vie de Farid. La première mention y fut faite le 11 du mois de Rajab, 655 de l’Hégire (1254 apr. J.-C.) ; et la dernière le 25 de Safar, 656 de l’Hégire. Le journal relate ainsi les faits et gestes de Farid pendant onze mois. Nous en donnons ici quelques extraits.
Farid considérait que le faqiri ou la sainteté consistait en quatre choses, à savoir, être aveugle aux défauts des musulmans, être sourd à la calomnie, être muet lorsque l’on suggère de médire, et être boiteux lorsqu’on désire visiter des endroits maléfiques.
Un jour, Cheikh Badr-ul-Din de Ghazni, Jamal-ul-Din de Hansi, Sharaf-ul-Din de Nabha [17] et Qazi Hamid-ul-Din de Nagaur se réunirent chez Farid. Farid leur parla longuement des vertus de l’hospitalité et expliqua qu’il était convenable pour un hôte de donner quelque chose à chaque invité, qu’il en reçoive un équivalent ou non.
Lors d’une conférence religieuse chez Farid, où étaient réunis Maulvi Hamid-ul-Din de Nagaur, Shaikh Shams-ul-Din, Shaikh Burhan-ul-Din et d’autres, Shaikh Farid mentionna une expression des Hadis, ou paroles traditionnelles du Prophète, selon laquelle l’amour du monde était la source de tous les maux. Un homme appelé Shaikh AMulla Suhel de Tastar déclara que Dieu et l’homme ne faisaient qu’un. Il n’y avait aucune différence entre eux, si ce n’est que, dans la mesure [ p. 387 ] où l’homme aimait le monde, il s’éloignait de Dieu. Farid exprima son accord avec cette affirmation et ajouta que le cœur était comme un miroir, et l’amour de Mammon comme de la rouille, qui devait être éliminée par la lime de l’amour divin. Une terre couverte d’ivraie et de chardons ne produisait aucune bonne récolte tant qu’elle n’était pas éradiquée. Les faqirs doivent rester à l’écart du monde et ne pas rendre visite même aux rois et aux nobles.
Un jour, alors que le roi d’Irak était malade, il fit venir Abdullah Suhel pour le soigner. Suhel le guérit, mais jugea nécessaire d’expier l’offense d’avoir rendu visite à un roi en menant une vie de retraite absolue pendant sept ans. L’amitié des hommes riches était, selon lui, un poison pour les saints. Lorsqu’un saint homme fréquente de tels hommes, son influence sur les autres leur est néfaste. Abdullah définissait le mot tariqat – un stade spirituel des musulmans – comme signifiant le mépris absolu des choses de ce monde.
Farid raconta qu’il avait vécu dix ans avec le saint Abu Yusuf Chishti et qu’au cours de cette période, il n’avait jamais mis le pied en direction d’un roi ou d’un noble, sauf le vendredi, lorsqu’il allait prier, car les prières doivent être dites en commun le jour du sabbat. Il pensait que chaque fois qu’un faqir rendait visite à un monarque, son manteau rapiécé et son chapeau devaient ensuite être brûlés afin d’écarter la contagion de la richesse et de l’orgueil.
Il n’est pas surprenant d’apprendre qu’un homme aussi saint et aussi fort que Farid ait converti de nombreux hindous à sa portée. Les Bahlis, les Sirhangs, les Jhakars et les Adankans figurent parmi les tribus qu’il a convaincues d’embrasser l’islam.
Lorsque Badr-ul-Din Sulaiman, le fils de Farid, lui succéda, il fut revêtu du turban que Farid lui-même avait reçu de Shaikh Abdul Qadir Jilani (Hazrat Ghaus). Le turban était de trois couleurs : safran à une extrémité, brun à l’autre et blanc au centre. Nizam-ul-Din [ p. 388 ] acheta plusieurs turbans blancs et les trempa dans celui d’Abdul Qadir Jilani dans le même pot. L’objectif était que le turban d’Abdul Qadir Jilani puisse communiquer certaines de ses vertus aux turbans blancs, et que ces derniers, après un tel contact, puissent conférer des bénédictions aux disciples et amis de Farid, lorsqu’ils les noueraient sur leurs têtes. Lorsque Badr-ul-Din eut revêtu le turban d’Abdul Qadir Jilani et les disciples et amis de Farid les turbans blancs, toute la compagnie sortit de la porte du paradis et s’assit. Des friandises furent apportées, et un prêtre lut des versets du Coran dessus. Elles furent ensuite distribuées pour le repos des âmes des Chishti Khwajas auxquels Farid appartenait spirituellement.
Cette coutume est encore observée par les disciples de Farid. À l’approche du Muharrim, le Coran est lu sur une cruche de charbat pour les âmes des ancêtres, puis le charbat est distribué aux fidèles. Lorsque le Muharrim commence, des chants sont chantés après le petit-déjeuner, que le grand prêtre écoute sur son tapis de prière. L’assistance entière entre alors en exaltation. Le prêtre revêt un turban comme celui de Farid et attache des turbans blancs sur la tête de ses frères et disciples. Le cinquième jour du Muharrim, il ouvre la « Porte du paradis », et la foule entre en rafale, espérant, en franchissant la barrière, obtenir la véritable félicité des élus.
La porte du paradis est une petite porte du sanctuaire, ouverte seulement deux fois par an, la nuit à chaque fois. De nos jours, la foule qui la franchit en criant « Haji Qutub Farid », ou simplement « Farid », pour entretenir sa ferveur, est parfois estimée à trente mille âmes. Pour atteindre la porte du paradis, il faut franchir trois portails extérieurs. Au sein de cette immense foule, une rivalité règne pour atteindre le paradis dans les plus brefs délais, non par de bonnes actions, mais par la force physique ; et dans [ p. 389 ] cette lutte, de nombreux blessés sont continuellement constatés, et des personnes âgées et infirmes sont parfois tuées. Si une importante force de police, généralement renforcée par les districts voisins, n’était pas déployée jusqu’au sanctuaire pour maintenir l’ordre, les pertes en vies humaines lors de cette cérémonie religieuse seraient considérables. Les hommes ne se contentent pas de franchir la porte pour eux-mêmes, ils reviennent encore et encore pour conduire par procuration leurs parentes à la demeure du bonheur, et ce service réitéré augmente la foule, la confusion et le danger pour la vie humaine.
Le septième jour de Muharrim, on chante à nouveau, la lecture du Coran est terminée et la porte du paradis est ouverte. Le dixième jour du mois, le mausolée de Farid est lavé et parfumé à l’intérieur comme à l’extérieur.
Au mois de Ramadan, les bannières qu’Abdul Qadir Jilani a reçues de Médine et données à Farid sont sorties et habillées de tissu neuf. Les fidèles du grand prêtre lui offrent un manteau ordinaire et un manteau rapiécé, qui constituent par là même un vêtement temporel et spirituel. Lorsqu’il les revêt, les prières prévues pour l’Aïd, à la fin du Ramadan, sont récitées. La coupe, le bâton et le rosaire de Farid sont ensuite présentés et des prières sont offertes. Le grand prêtre, un rosaire dans une main et le bâton de Farid dans l’autre, demande l’aumône, après quoi ses fidèles lui offrent des gâteaux de sucre, d’amandes et de noix de coco. Ces offrandes sont ensuite distribuées aux pauvres.
Il reste à ajouter quelques mots concernant Nizamul-Din Auliya, l’auteur du Rakat-ul-Qulub et fidèle ami et disciple de Farid. Il affirme avoir visité Ajodhan à trois reprises durant la vie de Farid, qui l’avait chargé de l’éducation de ses enfants.*
Par la suite, Nizam-ul-Din fut envoyé par Farid comme Khalifa ou dirigeant spirituel de l’Hindoustan, et à ce titre, il amassa de grandes richesses et devint connu [ p. 390 ] sous le nom de Zar-i-zar Baft - tissé, ou entièrement, en or, un nom qui lui fut donné par Bu Ali Shah, un homme religieux de Panipat.
Il est probable que l’immense fortune de Nizam-ul-Din suscita la jalousie de Moubarak Khilji, qui monta sur le trône de Dihli en 1317. Il convoqua Cheikh Rukn-ul-Din de Multan dans l’espoir de contrecarrer l’influence incontestable de Nizam-ul-Din auprès du peuple. Nizam-ul-Din partit à la rencontre de celui qui avait été choisi comme adversaire et lui fit une très bonne impression. Lorsque l’empereur demanda ensuite à Rukn-ul-Din qui avait été la principale personne à l’accueillir à Dihli, Rukn-ul-Din répondit : « L’homme le plus important de l’époque », ce qui signifiait Nizam-ul-Din. Après ce témoignage de la grandeur de Nizam-ul-Din, l’empereur retira son opposition et le laissa vivre en paix. [18]
L’hostilité impériale envers Nizam-ul-Din se répercuta sur Ghiyas-ul-Din Tughlak, l’un des successeurs de Moubarak Khilji. De retour de son expédition au Bengale, Ghiyas-ul-Din ne souhaita plus le voir et lui ordonna de quitter la ville. Nizam-ul-Din n’eut d’autre choix que d’obéir, mais décida de le faire à loisir. Il dit à ses amis : « Hanoz Dihli dur ast » (Dihli est encore loin), signifiant ainsi que l’empereur n’atteindrait jamais Dihli. Sur le chemin du retour, l’empereur logea à Afghanpur dans une maison construite à la hâte par son fils Alaf Khan pour l’accueillir. La maison s’écroula sur le monarque et le tua en 1325. La mort de l’empereur fut communément attribuée à son hostilité envers le saint. L’expression de Nizam-ul-Din : « Dihli est loin » est devenue un proverbe. [19] Cela correspond au dicton anglais [ p. 391 ] : « Il y a bien des erreurs entre la coupe et les lèvres. » Nizam-ul-Din lui-même mourut la même année que l’empereur.
Nizam-ul-Din, malgré sa réussite mondaine, éleva de nombreux hommes à Dihli, au Bengale, à Chanderi, au Malwa, au Bihar, à Ujjain, au Gujarat et au Dakhan aux sommets de la sainteté spirituelle. Après avoir conféré son califat à Khwaja Hazrat Nasir-ul-Din Chiragh, il mourut à Dihli le mercredi 18e jour de Rabi ul Sani, 725 H, 1325 apr. J.-C., soit soixante ans après la mort de son prêtre bien-aimé. [20] Il fut enterré dans un quartier alors connu sous le nom de Ghyaspur. Il écrivit les vers persans suivants à la gloire de Farid :
Pir-i-man pirest maulana Farid ;
Hamchu O dar sihar Maula na-farid.
Mon prêtre est le saint Farid ;
Dieu n’a créé personne au monde comme lui.
L’ouvrage d’Ali Asghar, le Jawahir-i-Faridi, fut achevé sous le règne de Jahangtr, le 4e jour du mois de Rajab 1033 de l’Hégire (1623 apr. J.-C.). Ali Asghar le présenta au Maulvi Shaikh Muhammad pour examen et correction. Ce dernier était le petit-fils du Shaikh Taj-ul-Din Mahmud, qui était, comme nous l’avons vu, un fils du Shaikh Brahm, dit Farid II. Les détails contenus dans le Jawahir-i-Faridi auraient été tirés de plusieurs volumes déposés à la bibliothèque sacrée de Bagdad.
Dans les noms arabes, le / est généralement muet dans de telles combinaisons. ↩︎
Les documents relatifs à la vie de Farid, conservés au sanctuaire de Pak Pattan, sont les Jawahir-i-Faridi (les Joyaux de Farid) d’Ali Asghar de Bahadal, une ville près de Sarhind ; le Rahat-ul-Qulub (Le Repos des Cœurs), un journal des actes et instructions de Farid compilé par Nizam-ul-Dm Auliya ; le Makhazan-i-Chishti et l’Asrar-i-Itrat-i-Faridi (La vie privée des descendants de Farid), de Pir Muhammad de Pak Pattan. Les trois premiers sont en persan, le quatrième en ourdou. ↩︎
Nommé ainsi car originaire d’Ush, dans le Farghana. Voir Ain-i-Akbari. ↩︎
Dans l’original, il est indiqué que lorsque Halaku, le petit-fils de Changez Khan, envahit Ghazni et Kaboul, il tua plusieurs princes et érudits, dont l’arrière-grand-père de Cheikh Farid. Ceci est inexact. L’ère de Halaku fut bien postérieure. C’est en 1258 après J.-C. qu’il s’empara de Bagdad et mit fin au Khalafat arabe. ↩︎
Dans le récit conservé à Pak Pattan, il est indiqué que le Qazi de Kasur, par l’intermédiaire du sous-adaire de Lahore, informa l’empereur de l’arrivée de Shaikh ShaTb au Panjab. Il s’agit sans doute d’une erreur. L’empereur d’Hindoustan était alors Prithwi Raj. La carrière victorieuse de Shahab-ul-Dum en Inde ne débuta qu’une cinquantaine d’années plus tard. ↩︎
Israr-i-Itrat-i-Faridi. Dans le Jawahir-i-Faridi, l’épouse de Jamal-ul-Din, mère de Farld, est appelée Quresham. ↩︎
Nous suivons ici les annales du sanctuaire de Pak Pattan. Selon l’Am-i-Akbari, Abdul Kadir est mort avant la naissance de Farid. ↩︎
Surnommé Makhdum-i-Alam. Son tombeau se trouve dans le fort de Multan. On trouvera un récit de ce saint dans le Khulasat-ul-Tawarikh. ↩︎
Khwaja Qutub-ul-Dln Bakhtiyar Kaki était un Saiyid de la tribu Jafiri Husaini. Il est né vers le milieu du XIIe siècle après J.-C. Après avoir étudié auprès d’Abu Hifz, un célèbre docteur musulman d’Ush, il se rendit à Ajmer et devint disciple de Muayan-ul-Dm Hasan Chishti. En temps voulu, il se rendit à Dihli où non seulement Fand, mais l’empereur Sultan Shams-ul-Dfn Altmish devinrent son disciple. On dit qu’il était un faiseur de miracles, et qu’il a obtenu son nom de famille Kaki de sa capacité à produire des gâteaux chauds (kak) à volonté sous ses aisselles. Il mourut en 1235 après J.-C. et fut enterré à Dihli, où sa tombe est vénérée par de pieux musulmans. Ses descendants sont appelés Chishtis de la tribu de son pikst — Makhazan-ul-Tawarikh.
Le tombeau de Qutub-ul-Din, près de la source naturelle appelée Jhalra à Ajmer, était un lieu de pèlerinage favori de l’empereur Akbar, Badauni. ↩︎
Le Rahat-ul-Qulub donne ici une légende différente. ↩︎
Le Khulasat-ul-Tawarikh donne Ghazni comme lieu de naissance d’Ahmad Danyal. ↩︎
Jawahir-i-Faridi. ↩︎
Dans la traduction anglaise de l’Ain-i-Akbari on trouve Bukhzvi pour Najjari. ↩︎
Darr est ainsi compris dans Faridkot. ↩︎
Farishta, l’historien persan, a donné d’autres raisons pour cette appellation. Voir vol. II, p. 288. Édition Lakhnau. ↩︎
Farishta et l’auteur du Khulasat-ul-Tawarikh donnent des dates différentes, mais elles sont prouvées fausses par les chronogrammes. ↩︎
Nabha, donc dans l’original. ↩︎
Ain-i-Akbari. ↩︎
Farishta donne de nombreux détails sur Nizam-ul-Dm qu’il n’est pas nécessaire de reproduire ici. ↩︎
Le Khulasat-ul-Tawarikh donne la date de sa mort comme étant 710 AH. Nous acceptons de préférence la date donnée dans l’Ain-i-Akbari. ↩︎