Un bref récit de Ramanuj semble nécessaire pour expliquer les doctrines de Ramanand et les progrès de la réforme religieuse hindoue en Inde. Swami Ramanuj [1] prospéra au XIe siècle de l’ère chrétienne. Il naquit dans le village de Bhutnagan, également appelé Perumbhudur, au sud-est de Kanchipur, l’actuelle Kanjeveram, dans la [ p. 94 ] présidence de Madras, en 1017 après J.-C., sous le règne de Betawardhan, roi de Dwar Samudra dans l’État de Maisur (Mysore). La date de sa naissance est attestée par le chronogramme sanskrit dhirlabdha, mot qui donne la date de 939 de l’ère Saka et signifie que les hommes reçurent patience ou consolation à sa naissance. Le père de Ramanuj était Keshav Jajjwa, un brahmane que l’on disait issu de l’illustre lignée de Harit, le roi spirituel et littéraire des Rikhis. Sa mère s’appelait Kantimati. Longtemps stérile, son mari pria le ciel pour lui donner un fils lorsqu’un dieu lui apparut, lui annonçant que son souhait serait exaucé. À cette fin, on raconte que Sheshnag, le serpent sage qui, selon les hindous, soutient la terre, s’incarna en Ramanuj.
Du côté maternel, Ramanuj appartenait également à une famille intellectuelle, car c’est son frère maternel, Yadav Acharya [2], qui fut son premier précepteur et lui enseigna les principes de la religion hindoue exposés dans les Simritis. Ramanuj devint un élève doué et, très jeune, maîtrisa les Veds et les Shastars. Tout en poursuivant ses études, il aimait s’asseoir sous un tamarinier près de Perumbhudur, arbre toujours vénéré par ses disciples.
Ramanuj proposa de nouvelles opinions sur la relation entre le Créateur et ses créatures. Il réfuta les théories du célèbre Shankar Acharya, védantiste, et commença à inculquer la supériorité du culte de Vishnu sur celui de Shiva, principal objet de culte dans le sud de l’Inde.
Ramanuj exorcisa un esprit maléfique dont la fille du roi de Kanchipur était possédée. Le roi, ravi, lui offrit [ p. 95 ] une généreuse récompense. Trouvant le roi disposé à écouter son enseignement, il lui prêcha les bienfaits des doctrines vaishnav. Ses hautes capacités intellectuelles et son succès dans tous les domaines où il s’intéressait éveillèrent la jalousie de son précepteur, qui complota pour l’emmener en pèlerinage à Bénarès et le noyer secrètement dans le Gange. Ramanuj fut sauvé de ce sort grâce à une information opportune du fils de sa tante. [3]
Ramanuj vénéra pendant longtemps une idole appelée Bar draj, divinité tutélaire de Kanchipur. Désireux d’approfondir ses études théologiques et profondément méfiant envers son oncle, il se rendit à Sri Rang Nath, l’actuel Srirangam, au confluent des rivières Kavari et Kolarun, près de Trichinoply, pour rendre visite à Yamun Acharya, le grand représentant de la secte Sri, et obtenir de lui l’initiation et l’adoption comme son disciple. Malheureusement, Yamun Acharya était décédé avant l’arrivée de Ramanuj. Ce dernier se plaça alors sous la tutelle de Mahapuran, disciple et successeur de Yamun Acharya. Il devint ensuite le disciple de Goshtipuran, qui le renvoya dix-huit fois avant qu’il ne soit convaincu de son aptitude à l’initiation.
Nabhaji, s’exprimant d’un point de vue vaishnave, énumère quatre grandes sectes hindoues : les Sri, les Shiv, les Brahma et les Sankadik. Les membres de la secte Sri vénèrent Vishnu sous la forme de son énergie ou épouse Lakshmi. On dit d’ailleurs que Vishnu lui-même enseigna la forme appropriée de son culte à Lakshmi, et qu’elle la transmit en ligne directe à Ramanuj.
Ramanuj poursuivit ses études avec ardeur à Sri Rang Nath et y composa ses commentaires sur les Sutras de Vyas et d’autres ouvrages védiques. [ p. 96 ] À cinquante ans passés, il quitta sa famille et se consacra au salut de ses semblables. Mahapuran lui avait communiqué le sortilège permettant d’obtenir la protection divine et lui avait dit que quiconque l’entendrait serait sauvé de la douleur de la transmigration. Il informa également Ramanuj qu’il ne devait jamais divulguer ce secret. Ramanuj médita sur cette interdiction et en conclut qu’il était parfaitement légitime de divulguer aux hommes le secret du salut, même s’il devait subir un châtiment éternel pour cette révélation. Il alla donc de lieu en lieu, répétant à haute voix le sortilège de délivrance humaine. Il fit des pèlerinages à Triputi, Jagannath et Bénarès, et après avoir prêché avec succès les doctrines vaishnav dans ces lieux saints, il y érigea des édifices de culte. De Bénarès, il se rendit à Badrinath, dans l’Himalaya, où il rendit hommage à Vishnu sous sa double forme, Nar Narayan. On dit qu’il convertit des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes.
Dans le Prapann Amrit, un ouvrage sanskrit consacré à Ramanuj et à ses doctrines, il est indiqué qu’au mois de Poh de l’année 1012 de l’ère Salavahana, correspondant à 1090 de l’ère chrétienne, il dédia une idole à Dieu sous le nom de Narayan à un endroit appelé Yadavachala. [4]
Les chroniqueurs révèlent à quel point le zèle religieux et ses alliés, le fanatisme et la persécution, prévalaient déjà en Inde à cette époque. Le roi Chola Karikala, surnommé Krimi Kantha en raison d’une affection de la gorge dont il souffrait, était un fervent adorateur de Shiv et détestait les doctrines de la secte Sri. Il engagea une controverse avec Mahapuran, le guide religieux de Ramanuj, et Kruresh, un disciple de Ramanuj. Le monarque, vaincu lors de cette dispute, [ p. 97 ] recourut à la force physique pour se venger et creva les yeux de ses adversaires. Mahapuran mourut quelques jours plus tard, mais Kruresh survécut et rendit par la suite à Ramanuj un service inestimable dans la diffusion de ses doctrines.
Ramanuj lui-même, afin d’échapper à la fureur de Krimi Kantha, se réfugia à la cour de Bitta ou Vitala Deva, le monarque jaïn de Dwar Samudra dans l’État de Maisur, qui régna de 1104 à 1141 après J.-C. [5]. Après une controverse avec Ramanuj, le roi changea de foi et rechercha la protection de Dieu dans ses enseignements. Rempli d’un zèle nouveau, il changea également son nom en Vishnu Vardhana et entreprit de convertir ses nombreux sujets, qui seraient tous de religion jaïne. La plupart d’entre eux se convertirent, mais certains s’enfuirent, et le monarque passa pieusement les autres par l’épée. En 1117 après J.-C., le roi érigea le temple de Belur en commémoration de sa conversion au vaishnavisme par Ramanuj.
Ramanuj craignant pour sa propre sécurité dans son pays natal et satisfait du zèle sacré, de l’amitié et de la protection du roi Maisur, résida dans sa capitale pendant douze ans, période pendant laquelle il le poussa à ériger un temple à Krishan à Mailkot. Ici, Ramanuj continua à prêcher ses doctrines et fit de nombreux convertis parmi les brahmanes, qu’il retira de leur allégeance à Shiv.
Les enseignements religieux de Ramanuf commencèrent à être adoptés à Purushotampuri, le Jagannath moderne, alors comme aujourd’hui l’un des plus grands bastions de la religion hindoue. Ses règles de vie quotidienne, cependant, étaient très exclusives, et on aurait difficilement [ p. 98 ] pu s’y attendre de la part d’un homme qui révélait au monde sans crainte les secrets du salut. Il prescrivait la plus grande attention à la propreté dans la cuisine et les repas, une injonction qui doit être saluée pour des raisons d’hygiène, mais il édictait des règles concernant la tenue vestimentaire, les salutations et les marques sacrificielles trop strictes pour être généralement observées. Par exemple, ses disciples cuisinaient eux-mêmes et mangeaient dans la plus grande intimité après le bain. Il insistait particulièrement sur un point : si la vue ou l’ombre d’une personne tombait sur la nourriture d’un de ses disciples, celle-ci devait être immédiatement rejetée. Il croyait que la pureté de la pensée ne pouvait être atteinte qu’en mangeant des aliments invisibles. Nabhaji déclare que les règles culinaires strictes du Ramanuj n’ont pas été établies à des fins de caste, mais pour la gloire de Dieu et la pureté du culte.
Un tel enseignement rencontra naturellement de l’opposition. On peut aisément en déduire que Jagannath devint un lieu trop dangereux pour que Ramanuj puisse y résider en permanence, et qu’il s’échappa de nuit pour poursuivre sa carrière missionnaire à l’étranger. On dit qu’il comptait dix mille disciples, dont soixante-quatorze étaient particulièrement dévoués à leur maître. Cependant, chacun de ces soixante-quatorze interpréta ses doctrines différemment et fonda ainsi autant de sectes. Ramanuj mourut à Sriranganath à l’âge de cent vingt ans. Le chronogramme dharmonashta, ou destruction de la religion, situe sa mort en 1059 de l’ère Shaka, soit 1137 apr.
Le mantra ou les mots d’initiation de la secte se composent de huit lettres et sont communiqués dans un murmure secret par l’enseignant à son disciple.
La récupération du mantra a été faite par Ramanuj sur le plus haut gopura, connu sous le nom de gopura blanc, ou porte ornementale du temple de Srirangam. La devise des membres de leur ordre est « Ramanuj [ p. 99 ] assya daso asmi » Je suis un esclave de Ramanuj. La tête est légèrement inclinée et les mains sont jointes et appliquées sur le front en guise de salutation. Les marques sacrificielles de la secte sont nombreuses. Sur le front, il y a deux stries verticales faites d’une argile calcaire appelée gopichandan. À l’intérieur se trouve une strie rouge verticale faite de curcuma et de chaux. Les stries blanches sont reliées au-dessus du nez par une strie transversale qui admet plusieurs variétés. Les marques habituelles sur le front sont les suivantes : — | | |, pour indiquer que le corps, la langue et l’esprit doivent être tenus en sujétion. Sur la poitrine et le haut des bras, Ramanuj fait des marques blanches entourées de stries rouges. Ces différentes marques représentent la coquille, le palet, la massue et le lotus portés dans les quatre mains de Vishnu, et la strie rouge centrale représente son épouse, ou énergie, Lakshmi. On croit pieusement que les personnes, quelle que soit leur caste, qui appliquent ces marques sur leur front ne sont pas importunées par les ministres de la Mort après leur départ. La secte vénère également la pierre de salagram et la fleur de basilic, indispensables à son culte.
Les disciples de Ramanuj croient que Vishnu est l’Être suprême, qu’il existait avant tous les mondes et qu’il était le Créateur de toutes choses. La création trouve son origine dans son désir de se multiplier et fut formée à partir de son essence matérielle. Cette essence, quelle que soit sa manifestation, est imprégnée d’une part de sa vitalité, distincte de son essence spirituelle, car Dieu, l’esprit et la matière sont distincts. Comme les tenants d’autres systèmes religieux, Ramanuj se trouvait tiraillé entre le panthéisme et l’anthropomorphisme. Vishnu imprègne toute la création. Vishnu et l’univers ne font qu’un, mais en même temps, Vishnu n’est pas dépourvu de forme et est doté de toutes les qualités. Vishnu s’est manifesté aux hommes sous plusieurs incarnations, humaines et autres. Il est présent dans [ p. 100 ] objets de culte, et peut être adoré par la purification des temples et des idoles, par la présentation de fleurs et de parfums, par le comptage des rosaires et la répétition de son nom et de celui de son énergie ou épouse Lakshmi, et enfin par la pratique du Jog. La récompense d’une telle dévotion est la libération de toute transmigration pour l’éternité.
Plusieurs temples furent érigés en l’honneur de Ramanuj, les principaux se trouvant à Jadari, Galata, Ahobal et Rewasa. Dans le célèbre fort de Srirangapatam, un temple dédié à Ramanuj est également indiqué aux visiteurs :
Ramanuj a écrit plusieurs ouvrages, dont les principaux sont le Sri Ramanuj Bhashya, le Gita Bhashya, le Vedaratha Sangraha, le Vedanta dipa, le Vedanta Sar et le Dharm Sanhita. [6]
Ramanand, un brahmane gaur, naquit à Mailkot, où Ramanuj avait érigé une idole de Vishnu et incité les brahmanes à renoncer à leur dévotion à Shiv. On sait très peu de choses sur la vie de Ramanand. Seule une page et demie lui est consacrée dans le Bhagat Mal de Nabhaji, où il est comparé à Ram et fait descendre du ciel une incarnation de Dieu pour sauver le monde.
Les Ramanandis mettent un point d’honneur à garder secrets tous les détails concernant leur secte et son fondateur. Tous les ouvrages que nous avons pu obtenir concernant Ramanand sont pour la plupart consacrés à sa louange. Nous présentons ici les détails de sa vie tels que nous les avons recueillis auprès de sources accessibles.
Nabhaji place Ramanand au quatrième rang [ p. 101 ] spirituel de Ramanuj. En considérant un tiers de siècle comme durée moyenne de règne de chaque maître religieux, Ramanand a dû prospérer à la fin du XIVe siècle et dans la première moitié du XVe siècle. Cela correspond également à une autre estimation qui peut servir de critère chronologique. Le grand réformateur religieux Kabir, dont nous aurons bientôt beaucoup à dire, était, selon tous les documents et les traditions, un disciple de Ramanand. Or, les disciples de Kabir affirment que l’année 1908 correspond à la 510e année de son ère. Sa naissance aurait donc eu lieu, selon eux, en 1398, une date qui peut être acceptée sans hésitation. Nous pouvons ainsi fixer l’époque approximative de Ramanand.
Comme Ramanuj, Ramanand s’imprégna initialement des doctrines hindoues énoncées dans les Simritis, qu’un ermite lui avait enseignées. Il adopta ensuite les principes réformés de Ramanuj et devint un membre éminent de la secte Sri. On raconte que Ramanand, encore fidèle selon les Simritis, cueillait un jour des fleurs dans un jardin lorsqu’il aperçut Swami Raghwanand, un disciple de Ramanuj. Raghwanand lui demanda s’il savait quelque chose de son état, mais, avant qu’il ait eu le temps de répondre, il lui dit qu’il avait atteint la fin de sa vie et l’exhorta à rechercher la protection de Dieu à la dernière heure. Ramanand alla informer son tuteur ermite du message qu’il avait reçu. L’ermite et son élève se rendirent auprès de Raghwanand et implorèrent son intercession divine. Le grand Swami eut compassion de Ramanand et, grâce à son habileté dans la pratique ardue du Jog, suspendit au moment critique le souffle vital de Ramanand dans la dixième porte de son corps. Le temps fixé par le destin pour la mort de Ramanand étant ainsi passé, Raghwanand lui accorda le bienfait tant convoité d’une vie prolongée.
Ramanand servit le Swami pendant un certain temps, puis [ p. 102 ] se rendit en pèlerinage à Badrikashram, l’actuel Badri Narain dans l’Himalaya, et ailleurs. Au cours de ses pérégrinations, il visita Bénarès et vécut au ghat de Panch Ganga, où ses sandales furent conservées lors de la composition du Bhagat Mal de Nabhaji.
Il est certain que Ramanand entra en contact à Bénarès avec des musulmans érudits, car à cette époque, l’Inde avait été conquise sous le drapeau du Prophète de La Mecque. Il est naturel de supposer que de vives controverses eurent lieu dans l’ancienne cité sacrée des hindous entre mollahs et brahmanes, et que les classes hindoues les plus informées, qui avaient déjà manifesté une prédilection pour le monothéisme, se formèrent une juste conception de l’unité divine. Nous verrons plus loin comment certains disciples de Ramanand à Bénarès devinrent de fervents monothéistes, tout en ridiculisant les pratiques sacerdotales des mollahs et des brahmanes. Loin de ses convictions religieuses, Ramanand était désormais libre de se forger ses propres idées et spéculations sur la religion, et il abandonna, entre autres articles de croyance antérieurs, plusieurs des pratiques sociales et de caste encombrantes de la secte Sri. À son retour à Raghwanand après une longue absence, ses coreligionnaires et ceux qui avaient vécu avec lui l’interrogeèrent sur son respect des règles de caste depuis son départ. Il fut constaté que ses convictions théologiques avaient évolué à certains égards et qu’il avait assoupli les règles culinaires strictes du Ramanuj.
Il est courant chez les prêtres hindous, lorsqu’ils déposent de la nourriture devant une idole, de tendre un voile sur l’idole et la nourriture. Lorsque l’idole dispose d’un temps suffisant, selon les conceptions humaines, pour sa consommation, le voile est retiré. Les adeptes de Ramanuj observent la même pratique, mais y ont ajouté une injonction stricte : si une personne [ p. 103 ] autre que celle qui cuisine voit la nourriture de l’idole, elle doit la rejeter immédiatement. Les adeptes de Ramanuj considèrent que prêter attention à ces questions est l’un des éléments les plus importants du culte divin.
Ramanand n’adopta pas ce point de vue. Comme tout autre grand Maître, il ne comprenait pas l’importance des règles culinaires dans le culte de Dieu ; [7] et il dut exprimer librement ses sentiments, bien que ses expressions n’aient pas été conservées. Sa secte l’expulsa promptement, mais son guide religieux, Raghwanand, semble avoir éprouvé une certaine sympathie pour lui, car il l’autorisa à fonder sa propre secte, ce qu’il fit en conséquence. Les principes théologiques de la nouvelle foi correspondaient dans une certaine mesure à ceux de Ramanuj, si ce n’est que Sita et Ram, au lieu de Lakshmi et Narayan, devinrent des objets de culte particuliers pour Ramanand, et que les règles culinaires et apparentées des Ramanuj furent généreusement assouplies.
Ramanand s’appliqua alors à prouver auprès des Shastars que l’observance des règles de caste était inutile pour quiconque recherchait la protection de Dieu et acceptait son service. Il établit comme règle que tous les individus, quelle que soit leur caste, acceptant les préceptes et les principes de sa secte, pouvaient manger et boire ensemble, sans distinction de naissance. Tous les hommes qui servent Dieu de la même manière sont frères et appartiennent au même rang social. Contrairement à la pratique de Ramanuj, qui avait imposé une discipline trop stricte pour le commun des mortels, Ramanand ouvrit grand sa porte spirituelle, accepta des disciples de toutes les castes et annonça avec audace que le gyan, ou connaissance de Dieu, émancipait l’homme de tout lien social.
Il est écrit dans le Bhagat Mal de Nabhaji que même un homme de basse caste qui aime Dieu est supérieur à un Brahmane qui, bien qu’irréprochable dans ses actes, ne possède aucun amour pour le Créateur. Un exemple de ceci [ p. 104 ] est cité. Lors du grand festin donné par Yudhishtar pour commémorer la victoire des Pandavs sur les Kauravs, la cloche de la fête ne sonna pas spontanément à l’heure prévue. Krishan, qui assistait au banquet, demanda si quelqu’un avait manqué sa part de nourriture. On lui répondit que Valmik n’avait pas reçu de nourriture parce qu’il était un Chandal et, en tant que chasseur, destructeur de vie. Krishan ordonna alors que Valmik soit assis au milieu de l’assemblée, et que Draupadi, l’épouse fractionnaire [8] de Yudhishtar, le nourrisse de ses propres mains. Elle s’exécuta, et la cloche de la fête sonna, frappée par des mains étrangères.
Ramanand se distinguait par sa bonté envers autrui et son amour de Dieu. Il indiquait la voie du Seigneur aux hommes des quatre castes et des quatre conditions de vie. [9] Il jugeait les formes d’adoration superflues et soutenait que la récompense suprême de la dévotion s’obtenait en prononçant sans cesse le nom de Dieu. Il appelait ses disciples les Libérés, lorsqu’il le leur permettait et qu’ils acceptaient une interprétation libérale des règles sociales hindoues consacrées par la religion. Parallèlement, il s’opposait avec véhémence aux athées et à ceux qui se vantaient d’exister indépendamment de Dieu. Il triomphait par ses arguments des jaïns, des bouddhistes et des adeptes de la voie de gauche, [10] dont les dévotions ne s’adressaient pas au Seigneur suprême du monde.
[ p. 105 ]
Ramanand, ayant abandonné les soucis du monde, s’abandonna au vairag, ou renoncement à tout ce qui est terrestre, et devint ainsi le premier Bairagi. Il eut quatre disciples, dont chacun donna naissance à quatre sectes composées de Nagas, purement ascétiques et pratiquant la réclusion, et de Samayogis, qui se marient et mènent une vie domestique. Les deux ordres peuvent manger ensemble. Ils appartiennent principalement à la classe des Sudars, mais certains portent le triple cordon des Hindous deux fois nés et se qualifient de Brahmanes Gaur, originaires du nord de l’Inde.
On raconte que Ramanand aurait découvert à Ganga Sagar, à l’embouchure du bras Hughli du Gange, un temple consacré à Kapila, incarnation de Vishnu et auteur des Sankhya Shastars. Une foire s’y tient chaque année au solstice d’hiver.
Les disciples de Ramanand étaient, selon Nabhaji, Anantanand, Sureshwaranand, Sukhanand, Bhawanand, Pipa, Sain, Dhanna, Ravdas, Kabir et d’autres. Ramanand est mort à Bénarès à un âge avancé.
La plupart des disciples actuels de Ramanand semblent avoir complètement abandonné son enseignement et observent les règles de caste avec la plus grande rigueur. Leurs doctrines semblent s’être irrémédiablement confondues avec celles des Ramanujis, ne différant que par leurs appartenances sectaires et leur préférence pour Sita et Rama plutôt que pour Lakshmi et Narayan comme objets de culte.
Voici l’hymne de Ramanand, extrait du Granth Sahib. Il avait été invité à assister à un office religieux dédié à Vishnu, et il répondit :
BASANT
Où irai-je, monsieur ? Je suis heureux chez moi.
Mon cœur ne veut pas m’accompagner ; il est devenu infirme. [11] [ p. 106 ]
Un jour, j’ai eu envie d’y aller ;
J’ai moulu du santal, pris du bois d’aloès distillé et de nombreux parfums,
Et il allait adorer Dieu dans un temple,
Quand mon guide spirituel m’a montré Dieu dans mon cœur.
Partout où je vais, je ne trouve que de l’eau ou des pierres. [12]
Mais toi, ô Dieu, tu es également contenu en toutes choses.
J’ai tous vu et recherché les Veds et les Purans.
Va-y toi-même, si Dieu n’est pas ici.
Ô vrai gourou, je suis un sacrifice pour toi
Qui as dissipé toutes mes perplexités et tous mes doutes.
Le Seigneur de Ramanand est le Dieu omniprésent ;
La parole du gourou élimine des millions de péchés.
L’auteur est redevable à M. L. Rice de Bangalore pour quelques notes précieuses sur la vie de Ramanuj. ↩︎
Certains disciples de Ramanuj nient que Yadav Acharya était son oncle. ↩︎
Bhagat Mal de Nabhaji et aussi Bhagat Mal de Maharaja Raghuraj Sinh Certains croient que la dame que Ramanuj a guérie était la fille de Dwarsamudar. ↩︎
Prapann Amrit, édition Bombay. ↩︎
Bitta Deva était le roi des Hoysalas qui vivaient à l’ouest de l’actuel État de Maisur. La dynastie de Bitta Deva régna sur Maisur du XIe au XIVe siècle. Leur capitale était Dwarsamudajr, aujourd’hui Halebid, dans le district de Belur. Les Cholas et leur roi vivaient à l’est des Hoysalas. Les rois Hoysala étaient jaïns jusqu’à l’époque de Bitta Deva. — Rice’s Mysore. ↩︎
Outre le Prapann Amrz’t, les principales autorités pour la vie de Ramanuj sont le Bhagat Mal (hindi), le Divya Charitar (kanarais), le Bharat Khanda cha aravachm kosh (marathi) et le Kabi Charitar (Gujrati).
Pour un compte rendu plus détaillé des doctrines et des disciples de Ramanuj, voir Brahmanism and Hinduism de Sir Monier Williams. ↩︎
« Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de la bouche, c’est ce qui souille l’homme ». ↩︎
À cette époque, la polyandrie était en vigueur. Draupadi était l’épouse des cinq frères Pandav, dont l’un était Yudhishtar. ↩︎
Les Brahmanes, les Kshatris et les Vaisyas devraient, selon les anciens écrits hindous, être, premièrement, des Brahmacharis, pratiquant le célibat et consacrant leur vie à l’étude et aux exercices religieux ; deuxièmement, des grihastkis, ou hommes mariés menant une vie laïque ; troisièmement, des banparasthis, ou anachorètes, lorsque leurs femmes pourraient les accompagner et qu’ils pourraient vivre de fruits des bois, de tubercules et de racines ; et quatrièmement, des sanyasis, renonçant complètement au monde et subsistant entièrement d’aumônes. ↩︎
Vamis ou Vamacharis. Pour une description de ces derniers, voir les Essais sur la religion des hindous du professeur H.H. Wilson, vol. I. ↩︎
Comparez l’utilisation du mot mancus par Horace. ↩︎
Rivières de pèlerinage ou idoles. ↩︎