Livre VII : Ying Tî Wang, ou « Le cours normal des souverains et des rois » | Page de titre | Livre IX : Mâ Thî, ou « Les sabots des chevaux » |
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LIVRE VIII.
PARTIE II. SECTION I.
Phien Mâu, ou « Orteils palmés [^339] ».
1. Un ligament reliant le gros orteil aux autres orteils et un doigt supplémentaire peuvent être des excroissances naturelles [^340], mais elles sont excessives. Les excroissances sur la personne et les tumeurs pendantes sont des excroissances du corps, mais ce sont des ajouts contre nature. Il existe de nombreux arts de la bienveillance et de la droiture, et leur exercice est réparti entre les cinq viscères [^341] ; mais ce n’est pas la méthode correcte selon les caractéristiques du Tâo. Ainsi, l’ajout au pied n’est que l’attachement à lui d’une quantité de chair inutile, et l’ajout à la main n’est que la plantation d’un doigt inutile. (Ainsi) l’association (des vertus) aux cinq viscères rend, par excès ou par restriction, l’action de la bienveillance et de la droiture mauvaise, et conduit à de nombreux arts comme l’utilisation des (grands) pouvoirs de l’ouïe ou de la vue.
2. C’est pourquoi un extraordinaire pouvoir de vision [ p. 269 ] conduit à la confusion des cinq couleurs [^342] et à un usage excessif de l’ornement. (Son possesseur), dans la splendeur de son vert et de son jaune, de son blanc et de son noir, de son noir et de son vert, ne s’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas devenu un Lî Kû [^343]. Un extraordinaire pouvoir d’ouïe conduit à une confusion des cinq notes [^344] et à un usage excessif des six accords musicaux [^345]. (Son possesseur), en faisant ressortir les tons des instruments de métal, de pierre, de soie et de bambou, aidé par le Hwang-kung [^345] et le Tâ-lü [^345] (tubes), ne s’arrêtera pas tant qu’il ne sera pas devenu un Shih Khwang [^346]. (Ainsi), la bienveillance excessive fait ressortir avec empressement les vertus et restreint sa nature (propre), afin que (son possesseur) puisse acquérir une réputation célèbre, et faire que tous les orgues et tambours du monde célèbrent une condition inaccessible ; et il ne s’arrêtera pas avant d’être devenu un Zäng (Shän) [^347] ou un Shih (Zhiû) [^348]. Une extraordinaire [ p. 270 ] faculté de débattre conduit à l’accumulation d’arguments comme un maçon avec ses briques, ou un fabricant de filets avec sa ficelle. (Son possesseur) invente astucieusement ses phrases et s’amuse à discuter de ce qu’est la dureté et de ce qu’est la blancheur, là où les points de vue concordent et là où ils diffèrent, et à avancer, bien que fatigué, à petits pas, avec (une multitude de) mots inutiles pour défendre son opinion ; et il ne s’arrêtera pas avant d’être devenu un Yang (Kû) [^349] ou un Mo (Tî) [^349]. Mais dans tous ces cas, les parties, avec leurs méthodes redondantes et divergentes, ne procèdent pas par ce qui est le chemin correct pour tous sous le ciel. Ce qui est le chemin parfaitement correct est de ne pas perdre le caractère réel de la nature dont nous sommes dotés. Par conséquent, l’union (des parties) ne doit pas être considérée comme une redondance, ni leur divergence comme une superfluité ; ce qui est long ne doit pas être considéré comme trop long, ni ce qui est court comme trop court. Les pattes d’un canard, par exemple, sont courtes, mais si nous essayons de les allonger, cela provoque de la douleur ; et les pattes d’une grue sont longues, mais si nous essayons d’en couper une partie, cela produit du chagrin. Lorsqu’une partie est par nature longue, nous ne devons pas l’amputer, ou lorsqu’elle est par nature courte, nous ne devons pas l’allonger. Il n’y a aucune raison d’essayer de supprimer un quelconque problème qu’elle pourrait causer.
3. On présume que la bienveillance et la droiture ne sont pas des éléments constitutifs de l’humanité ; car à quelle anxiété leur exercice donne-t-il lieu ! De plus, lorsqu’un autre orteil est uni au gros orteil, la division de la membrane fait pleurer ; et lorsqu’il y a un doigt supplémentaire, le ronger fait crier. Dans un cas, il y a un membre de trop, dans l’autre un membre de trop peu ; mais l’anxiété et la douleur qu’ils causent sont les mêmes. Les hommes bienveillants de notre époque regardent les maux du monde avec des yeux pleins de poussière et en sont remplis de tristesse, tandis que ceux qui ne sont pas bienveillants, ayant violemment altéré le caractère de leur nature propre, recherchent avidement richesses et honneurs. On présume donc que la bienveillance et la justice sont contraires à la nature de l’homme : combien le monde a-t-il été rempli de troubles et de conflits depuis le début des trois dynasties [^350] !
De plus, en employant le crochet et la ligne, le compas et l’équerre pour donner aux choses leur forme correcte, vous devez retrancher des parties de ce qui leur appartient naturellement ; en employant des ficelles et des attaches, de la colle et du vernis pour rendre les choses solides, vous devez violemment altérer leurs qualités. Les courbures et les arrêts dans les cérémonies et la musique, et l’expression factice de bienveillance et de droiture sur le visage, afin de réconforter l’esprit des hommes : tout cela dénote un manquement à l’observation des principes réguliers (de la constitution humaine). Tous les hommes sont dotés de tels principes réguliers ; et selon eux, ce qui est courbé ne l’est pas par le crochet, ni ce qui est droit par la ligne, ni ce qui est rond par le compas, ni ce qui est carré par l’équerre de charpentier. L’adhérence n’est pas non plus obtenue par l’emploi de colle et de vernis, et les choses ne sont pas liées entre elles au moyen de ficelles et de bandes. Ainsi, tous les êtres du monde sont produits tels qu’ils sont par une certaine direction, sans savoir comment ils sont produits ainsi ; et ils atteignent également leurs fins respectives sans savoir comment ils y parviennent. Il en était ainsi autrefois, et il en est ainsi aujourd’hui ; et cette constitution des choses ne doit pas être rendue vaine. Pourquoi alors la bienveillance et la droiture seraient-elles employées comme liens, comme colle et vernis, comme cordes et liens, et la jouissance découlant du Tao et de ses caractéristiques leur serait-elle attribuée ? C’est une tromperie pratiquée sur le monde. Là où la tromperie est minime, il y aura un changement dans la direction (des objectifs poursuivis) ; là où elle est grande, il y aura un changement de nature elle-même. Comment puis-je savoir qu’il en est ainsi ? Depuis que celui de la lignée de Yü a fait appel à sa bienveillance et à sa justice pour déformer et vexer le monde, le monde n’a cessé de se hâter d’exécuter leurs ordres ; n’est-ce pas au moyen de la bienveillance et de la justice qu’il a changé (les vues des hommes) sur leur nature ?
4. Je vais donc tenter d’aborder ce sujet. Depuis le début des trois dynasties jusqu’à nos jours, nul homme n’a jamais été insensible à des influences extérieures, et sa nature n’a été altérée. De petits hommes ont sacrifié leur personne pour le gain ; des érudits pour la gloire ; de grands officiers pour leurs familles ; et des sages pour le royaume. Ces différentes classes, aux occupations et aux réputations diverses, [ p. 273 ] se sont entendues pour porter atteinte à leur nature et sacrifier leur personne. Prenons le cas d’un esclave et d’une esclave [^351] ; ils doivent nourrir les moutons ensemble, mais ils perdent tous deux leurs moutons. Demandez à l’un ce qu’il faisait, et vous constaterez qu’il tenait ses tablettes de bambou et lisait. Demandez à l’autre, et vous constaterez qu’elle s’amusait à un jeu [^352]. Ils avaient des occupations différentes, mais ils perdent tous leurs moutons. Ainsi, Po-î [^353] mourut au pied du Shâu-yang [^354] pour maintenir sa renommée, et le brigand Kih [^355] mourut au sommet du Tung-ling [^356], avide de gain. Leurs morts furent causées par des causes différentes, mais ils abrègent également leur vie et violentent leur nature. Pourquoi devrions-nous approuver Po-î et condamner le brigand Kih ? Dans de tels cas, partout dans le monde, lorsqu’un sacrifice est fait par bienveillance et droiture, le commun des mortels le qualifie d’« homme supérieur », mais lorsqu’un autre le fait pour s’enrichir, il le qualifie de « petit homme ». L’acte de sacrifier est le même, et pourtant nous avons « l’homme supérieur » et « l’homme petit » ! Français En ce qui concerne la destruction de sa vie et le fait de porter atteinte à sa nature, le voleur Kih a simplement fait la même chose que Po-î; - pourquoi devons-nous faire la distinction entre « homme supérieur » et « petit homme » ? [ p. 274 ] 5. De plus, ceux qui consacrent leur nature à (la poursuite de) la bienveillance et de la droiture, même s’ils devaient parvenir à être comme Zäng (Shän) et Shih (Zhiû), je ne les déclare pas bons ; ceux qui la consacrent à (l’étude des) cinq saveurs, même s’ils parviennent à être comme Shû-r [^357], je ne les déclare pas bons ; ceux qui la consacrent à (la discrimination des) cinq notes, même s’ils parviennent à être comme Shih Khwang, je ne les déclare pas rapides d’oreille ; Ceux qui se consacrent à l’appréciation des cinq couleurs, même s’ils parviennent à ressembler à Lî Kû, je ne les déclare pas clairvoyants. Quand je déclare que les hommes sont bons, je ne parle pas de leur bienveillance et de leur droiture ; la bonté réside simplement dans la possession des qualités du Tao. Quand je les déclare bons,Je ne parle pas de ce qu’on appelle la bienveillance et la droiture, mais simplement de leur capacité à laisser libre cours à la nature dont ils sont dotés. Quand je déclare que les hommes sont prompts à entendre, je ne veux pas dire qu’ils écoutent autre chose, mais qu’ils s’écoutent eux-mêmes ; quand je les déclare clairvoyants, je ne veux pas dire qu’ils regardent autre chose, mais qu’ils se regardent eux-mêmes. Or, ceux qui ne se voient pas eux-mêmes, mais voient autre chose, qui ne s’emparent pas d’eux-mêmes, mais s’emparent d’autre chose, s’emparent de ce qui appartient aux autres, et non de ce qui leur appartient ; et ils s’attachent à ce qui attire les autres, et non à ce qui, en eux-mêmes, devrait les attirer. Mais [ p. 275 ] s’attachant ainsi à ce qui attire les autres et non à ce qui devrait les attirer en eux-mêmes, qu’ils soient comme le brigand Kih ou comme Po-î, ils s’égarent également dans l’excès ou la perversité. Ce dont j’ai honte, c’est de me tromper dans les caractéristiques du Tâo, et c’est pourquoi, dans la sphère supérieure, je n’ose pas insister sur la pratique de la bienveillance et de la droiture, et, dans la sphère inférieure, je n’ose pas me permettre non plus l’exercice de l’excès ou de la perversité.
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[^376] : 268:1 Voir pp. 138, 139.
[^394] : 273:4 Une montagne dans l’actuel Shan-hsî, probablement dans le département de Phû-kâu.