Livre VIII : Phien Mâu, ou « Orteils palmés ». | Page de titre | Livre X : Khü Khieh, ou « Ouvrir les sacs » |
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LIVRE IX.
PARTIE II. SECTION II.
Mâ Thî, ou « sabots de chevaux [^358] ».
1. Les chevaux peuvent, avec leurs sabots, fouler le givre et la neige, et avec leurs poils, résister au vent et au froid ; ils se nourrissent d’herbe et boivent de l’eau ; ils se cabrent et sautent : telle est la véritable nature des chevaux. Bien qu’on leur ait construit de grandes tours [^359] et de vastes dortoirs, ils auraient préféré ne pas les utiliser. Mais lorsque Po-lâo [^360] (se leva et) dit : « Je sais bien diriger les chevaux », (les hommes se mirent) [^361] à les brûler et à les marquer, à leur couper les cheveux, à leur parer les sabots, à leur mettre un licou, à les brider et à les entraver, et à les enfermer dans des écuries et des corrals. (Soumis à ce traitement, deux ou trois sur dix mouraient. (Les hommes allèrent plus loin) à les soumettre à la faim et à la soif, à les faire galoper et courir, [ p. 277 ] et de les faire aller ensemble dans un ordre régulier. Devant, il y avait les méfaits du mors et des pectoraux ornés, et derrière, les terreurs du fouet et de la hampe. (Lorsqu’ils étaient traités ainsi), plus de la moitié d’entre eux mouraient.
Le potier dit : « Je sais bien travailler l’argile. » Et on se mit à la modeler en cercles aussi précis qu’au compas, et en carrés aussi précis qu’à l’équerre. Le charpentier dit : « Je sais bien travailler le bois. » Et on le fit courber comme au crochet, et droit comme au fil à plomb. Mais est-il dans la nature de l’argile et du bois d’exiger l’emploi du compas et de l’équerre, du crochet et du cordeau ? Et pourtant, de siècle en siècle, les hommes ont loué Po-lâo, disant : « Il savait bien manier les chevaux », et aussi le potier et le charpentier, disant : « Ils savaient bien travailler l’argile et le bois. » C’est précisément l’erreur commise par les dirigeants du monde.
2. Selon moi, ceux qui savaient bien gouverner l’humanité n’agiraient pas ainsi. Les gens avaient leur nature régulière et constante [^362] : ils tissaient et se faisaient des vêtements ; ils cultivaient la terre et se nourrissaient [^363]. C’était leur faculté commune. Ils étaient tous un en cela, et ne se formaient pas en classes séparées ; ainsi étaient-ils constitués et laissés à leurs tendances naturelles [^364]. C’est pourquoi, à l’âge de la vertu parfaite, les hommes marchaient d’un pas lent et grave, le regard fixé vers l’avant. À cette époque, sur les collines, il n’y avait ni sentiers ni passages creusés ; sur les lacs, il n’y avait ni bateaux ni barrages ; tous les êtres vivaient en groupes ; et leurs lieux d’habitation étaient rapprochés les uns des autres. Oiseaux et bêtes se multipliaient en troupeaux et en troupeaux ; l’herbe et les arbres poussaient luxuriants et longs. Dans ces conditions, on pouvait promener les oiseaux et les bêtes sans se sentir gêné ; on pouvait grimper jusqu’au nid de la pie et y jeter un coup d’œil. Oui, à l’époque de la vertu parfaite, les hommes vivaient en communauté avec les oiseaux et les bêtes, et étaient sur un pied d’égalité avec toutes les créatures, formant une seule famille. Comment pouvaient-ils distinguer les hommes supérieurs des hommes inférieurs ? Également dépourvus de connaissance, ils ne quittaient pas leur vertu naturelle ; également libres de désirs, ils étaient dans un état de pure simplicité. Dans cet état de pure simplicité, la nature des gens était ce qu’elle devait être. Mais lorsque les hommes sages apparurent, boitant et tournant en rond dans l’exercice de la bienveillance, se pressant et se dressant sur la pointe des pieds dans l’accomplissement de la justice, alors les hommes commencèrent tous à être perplexes. (Ces sages aussi) se livrèrent à des excès dans leurs interprétations musicales et dans leurs gesticulations lors des cérémonies, et alors les hommes commencèrent à se séparer les uns des autres. Si les matières premières [ p. 279 ] n’avaient pas été coupées et tailladées, qui aurait pu en faire un vase sacrificiel ? Si le jade naturel n’avait pas été brisé et abîmé, qui aurait pu en faire les anses des coupes à libation ? Si les attributs du Tâo n’avaient pas été rejetés, comment auraient-ils préféré la bienveillance et la droiture ? Si les instincts de la nature n’avaient pas été délaissés, comment les cérémonies et la musique auraient-elles pu entrer en usage ? Si les cinq couleurs n’avaient pas été confondues, comment les figures ornementales auraient-elles pu être formées ? Si les cinq notes n’avaient pas été confondues, comment auraient-elles pu les compléter par les accords musicaux ? La coupe et le tailladage des matières premières pour former des vases étaient le crime de l’ouvrier habile ; l’atteinte portée aux caractéristiques du Tâo au profit de la pratique de la bienveillance et de la droiture était l’erreur des hommes sages.
3. Les chevaux, lorsqu’ils vivent en rase campagne, mangent de l’herbe et boivent de l’eau ; lorsqu’ils sont contents, ils entrelacent leurs cous et se frottent ; lorsqu’ils sont enragés, ils se retournent dos à dos et se donnent des coups de pied ; c’est tout ce qu’ils savent faire. Mais si nous mettons le joug sur leurs cous, avec le fronton lunaire déployé sur tous leurs fronts, alors ils savent regarder sournoisement de travers, courber leur cou, se précipiter vicieusement, essayant de retirer le mors de leur bouche et de voler les rênes (à leur conducteur) ; cette connaissance du cheval et sa capacité à jouer ainsi le rôle d’un voleur est le crime de Po-lâo. À l’époque des (Tî) Ho-hsü [^365], les gens occupaient [ p. 280 ] leurs habitations sans savoir ce qu’ils faisaient, et sortaient sans savoir où ils allaient. Ils se remplirent la bouche de nourriture et furent heureux ; ils se frappèrent le ventre pour exprimer leur satisfaction. C’était là tout leur talent. Mais lorsque les sages apparurent, avec leurs courbettes et leurs arrêts dans les cérémonies et la musique pour harmoniser les personnes de chacun, et déployant leur bienveillance et leur droiture pour inciter chacun à les atteindre afin de réconforter leurs esprits, alors les gens commencèrent à trébucher et à boiter dans leur amour du savoir, et à lutter les uns contre les autres dans leur poursuite du gain, si bien que rien ne pouvait les arrêter : telle fut l’erreur de ces sages.
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[^398] : 276:1 Voir pp. 140, 141.