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LIVRE XXV.
PARTIE III. SECTION III.
Zeh-yang [^242].
1. Zeh-yang ayant voyagé jusqu’à Khû, Î Kieh [^243] parla de lui au roi, puis, avant que le roi ne lui accorde une entrevue, (le quitta et) retourna chez lui. Zeh-yang alla voir Wang Kwo [^244] et lui dit : « Maître, pourquoi ne parlez-vous pas de moi au roi ? » Wang Kwo répondit : « Je ne suis pas aussi doué pour cela que Kung-yüeh Hsiû [^245]. » « Quel genre d’homme est-il ? » demanda l’autre, et la réponse fut : « En hiver, il harponne les tortues dans le Kiang, et en été, il se repose à l’ombre sur la montagne. Lorsque les passants lui demandent (ce qu’il fait là), il répond : « C’est ma demeure. » » Puisque Î Kieh n’a pas pu convaincre le roi de vous voir, combien moins le pourrais-je, moi qui ne suis pas son égal ! Voici le caractère d’Î Kieh : il n’a pas de vertu (réelle), mais il possède la connaissance. Si vous ne vous soumettez pas librement à lui, mais l’employez à exercer son influence spirituelle (sur vous), vous serez certainement bouleversé et obscurci dans le domaine des richesses et des honneurs. Son aide ne sera pas vertueuse, mais contribuera à affaiblir votre vertu ; ce sera comme accumuler des vêtements au printemps pour se protéger du froid, ou ramener les vents froids de l’hiver pour se protéger de la chaleur (en été). Or, le roi de Khû est d’une présence autoritaire et sévère. Il ne pardonne pas les offenseurs, mais est impitoyable comme un tigre. Seul un homme au langage subtil, ou à la vertu correcte, peut le détourner de son but [^246].
Mais l’homme sage [^247], lorsqu’il est laissé dans l’obscurité, fait oublier leur pauvreté aux membres de sa famille ; et, lorsqu’il accède à une position influente, il fait oublier aux rois et aux ducs leur rang et leurs émoluments, et les transforme en humbles. Avec les créatures inférieures, il partage leurs plaisirs, et elles en profitent davantage ; avec les autres hommes, il se réjouit de la communion du Tâo, et la préserve en lui-même. Aussi, bien qu’il ne puisse parler, il leur donne à boire de l’harmonie (de son esprit). En leur compagnie, il les transforme jusqu’à ce qu’ils deviennent, dans leurs sentiments à son égard, comme des fils avec un père. Son désir est de retourner à la solitude de son propre esprit, et c’est l’effet de ses échanges occasionnels avec eux. Son influence sur l’esprit des hommes est si profonde ; c’est pourquoi je vous ai dit : « Attendez Kung-yüeh Hsiû. »
2. Le sage comprend les liens entre lui-même et les autres, et comment ils contribuent tous à le constituer en un seul corps avec eux, et il ignore comment il en est ainsi ; il le fait naturellement. En accomplissant sa constitution, telle qu’elle est mise en pratique et agissante, il suit simplement la direction du Ciel ; et c’est en conséquence de cela que les hommes le qualifient de sage. S’il était troublé par son insuffisance de connaissance, ses actions seraient toujours minimes, et parfois même complètement arrêtées ; comment serait-il alors sage ? Lorsqu’il naît avec toute son excellence, ce sont les autres qui la voient à sa place. S’ils ne le lui disaient pas, il ne saurait pas qu’il est supérieur aux autres. Et lorsqu’il le sait, il est comme s’il ne le savait pas ; lorsqu’il l’entend, il est comme s’il ne l’entendait pas. Sa source de joie est sans fin, et l’admiration des hommes pour lui est sans fin ; tout cela se produit naturellement [^248]. L’amour du sage pour les autres tire son nom d’eux. S’ils ne le lui disaient pas, il ne saurait pas qu’il les aime ; et lorsqu’il le sait, il est comme s’il ne le savait pas ; lorsqu’il l’entend, il est comme s’il ne l’entendait pas. Son amour pour les autres n’a jamais de fin, et leur repos en lui est également sans fin : tout cela se produit naturellement [^248].
3. Quand on voit de loin son ancien pays et sa vieille ville, on éprouve une joyeuse satisfaction [^249]. Même s’ils sont couverts de monticules, d’une végétation luxuriante d’arbres et d’herbe, et qu’en y entrant on n’en trouve qu’un dixième, on éprouve néanmoins cette satisfaction. Combien plus encore lorsqu’on voit ce qu’il a vu et entend ce qu’il a entendu auparavant ! Tout cela est pour lui comme une tour de quatre-vingts coudées de haut exposée aux yeux de tous.
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(Le souverain) Zän-hsiang [^250] possédait ce principe central autour duquel gravitent toutes choses [^251], et par lui il pouvait les suivre jusqu’à leur achèvement. Son accompagnement n’avait ni commencement ni fin, et était indépendant des impulsions et du temps. Il était quotidiennement témoin de leurs changements, et lui-même ne subissait aucun changement ; et pourquoi ne se serait-il pas reposé là-dessus ? Si nous (tentons d’) adopter le Ciel comme Maître, nous nous en empêchons. Un tel effort nous soumet à la puissance des choses. Si quelqu’un agit ainsi, que dire de lui ? Le sage ne pense jamais au Ciel ni aux hommes. Il ne pense pas à prendre l’initiative, ni à quoi que ce soit d’extérieur à lui-même. Il évolue avec son âge, et ne varie ni ne faillit. Au milieu de toute la plénitude de ses actions, il ne s’épuise jamais. Pour ceux qui souhaitent être en accord avec lui, quelle autre voie peut-il suivre ?
Lorsque Thang obtint quelqu’un pour tenir les rênes du gouvernement, à savoir Män-yin Täng-häng [^252], il l’employa comme maître. Il suivit son maître, mais ne se laissa pas entraver par lui, et réussit ainsi à mener les choses à leur terme. Le maître avait le nom ; mais ce nom était un ajout superflu à ses lois, et le double caractère de son gouvernement apparut clairement [^253]. La phrase de Kung-nî « Travaillez vos pensées au maximum » était son expression des devoirs d’un maître [ p. 118 ]. Yung-khäng dit : « Enlevez les jours et il n’y aura plus d’année ; sans ce qui est intérieur, il n’y aura rien d’extérieur [^254]. »
4. (Le roi) Yung [^255] de Wei conclut un traité avec le marquis Thien Mâu [^256] (de Khî), que ce dernier viola. Le roi, furieux, projeta d’envoyer un homme pour l’assassiner. Lorsque le ministre de la Guerre [^257] l’apprit, il fut honteux et dit (au roi) : « Vous êtes le chef de 10 000 chars, et au moyen d’un homme du commun, vous voulez vous venger de votre ennemi. Je vous prie, Yen, de me donner le commandement de 200 000 soldats pour l’attaquer pour vous. Je ferai prisonniers son peuple et ses officiers, je ligoterai (et mènerai) ses bœufs et ses chevaux, allumant en lui un feu qui le brûlera jusqu’à l’échine. Je prendrai alors d’assaut sa capitale ; et lorsqu’il s’enfuira, terrifié, je lui botterai le dos et lui briserai la colonne vertébrale. » Kî-dze [^258] entendit ce conseil et en eut honte. Il dit (au roi) : « Nous avons élevé le mur (de notre capitale) à une hauteur de quatre-vingts coudées, et le travail est terminé. Si nous le faisons maintenant démolir, ce sera un travail pénible pour les forçats constructeurs. Cela fait maintenant sept ans [ p. 119 ] que nos troupes ont été appelées, et c’est le fondement de l’empire royal. Yen introduirait le désordre ; il ne faut pas l’écouter. » Hwâ-dze [^259] entendit ce conseil et, le désapprouvant fortement, dit (au roi) : « Celui qui montre son habileté à dire « Attaquez Khî » produira le désordre ; et celui qui montre son habileté à dire « Ne l’attaquez pas » produira également le désordre. Et celui qui dirait simplement : « Les conseillers qui attaquent Khî et ne l’attaquent pas produiraient tous deux du désordre », conduirait lui-même au même résultat. Le roi dit : « Oui, mais que dois-je faire ? » La réponse fut : « Vous n’avez qu’à rechercher (la règle du) Tâo (sur le sujet). »
Hui-dze, ayant entendu ce conseil, le présenta au roi Tâi Zin-zän [^260], qui dit : « Il y a une créature appelée escargot ; votre majesté la connaît-elle ? » « Je la connais. » « Sur la corne gauche de l’escargot se trouve un royaume appelé Provocation, et sur la corne droite un autre appelé Stupidité. Ces deux royaumes se disputent continuellement leurs territoires et se battent. Les cadavres qui gisent sur le sol s’élèvent à plusieurs myriades. L’armée de l’un peut être vaincue et mise en fuite, mais dans quinze jours elle reviendra. » Le roi dit : « Bah ! ce sont des paroles en l’air ! » L’autre répliqua : « Votre serviteur prie de montrer à votre majesté sa véritable signification. Lorsque votre majesté pense à l’espace – est, ouest, nord et sud, au-dessus et au-dessous – pouvez-vous lui fixer une limite ? » « Il est illimité », dit le roi ; et son visiteur continua : « Votre majesté sait [ p. 120 ] comment laisser son esprit voyager ainsi à travers l’illimité, et pourtant (en comparaison de cela) ne semble-t-il pas insignifiant que les royaumes qui communiquent les uns avec les autres existent ou non ? » Le roi répond : « C’est le cas » ; et Tâi Zin-zän dit, finalement : « Parmi ces royaumes, qui s’étendent l’un après l’autre, il y a ce Wei ; dans le Wei il y a cette (ville de) Liang [^261] ; et dans le Liang il y a votre majesté. Pouvez-vous faire une distinction entre vous-même et (le roi de ce royaume de) Stupidité ? » À cela le roi répondit : « Il n’y a pas de distinction », et son visiteur sortit, tandis que le roi restait déconcerté et semblait s’être perdu.
Lorsque le visiteur fut parti, Hui-dze entra et vit le roi, qui dit : « Cet étranger est un grand homme. Un sage (ordinaire) ne lui est pas égal. » Hui-dze répondit : « Si vous soufflez dans une flûte, vous entendrez des notes agréables ; si vous soufflez dans la poignée d’une épée, vous n’entendrez qu’un sifflement. Yâo et Shun sont l’objet de louanges, mais si vous en parlez devant Tai Zin-zän, vous n’entendrez qu’un sifflement. »
5. Confucius, parti pour Khû, logeait chez un marchand de congee à la Fourmilière. Sur le toit d’une maison voisine apparurent le mari et sa femme, avec leurs serviteurs, hommes et femmes [^262]. Dze-lû dit : « Que font ces gens, rassemblés là comme nous les voyons ? » Kung-nî répondit : « Cet homme est un disciple des sages. Il s’enterre parmi les gens et se cache dans les champs. La réputation est devenue faible à ses yeux, mais il n’y a aucune limite à ses projets chéris. Bien qu’il puisse parler de sa bouche, il ne dit jamais ce qu’il a dans la tête. De plus, il est en désaccord avec son époque, et son esprit dédaigne de s’y associer ; on peut dire qu’il est caché au fond de l’eau, sur la terre ferme. » N’est-il pas une sorte d’Î Liâo de Shih-nan ? Dze-lû demanda la permission d’aller le chercher, mais Confucius dit : « Arrête. Il sait que je le comprends bien. Il sait que je suis venu à Khû et pense que je vais certainement essayer de convaincre le roi de l’inviter (à la cour). Il pense aussi que je suis un homme prompt à parler. Étant un tel homme, il aurait honte d’écouter les paroles d’un homme à la langue volubile et flatteuse, et combien plus encore de venir lui-même le voir ! Et pourquoi penserions-nous qu’il restera ici ? » Dze-lû, cependant, alla voir comment les choses se passaient, mais trouva la maison vide.
6. Le garde-frontière de Khang-wû [^263], interrogeant Dze-lâo [^264], dit : « Qu’un dirigeant, dans l’exercice de son gouvernement, ne soit pas (comme le fermier) qui laisse les mottes de terre intactes, ni, dans la gestion de son peuple, (comme quelqu’un) qui arrache imprudemment les pousses. Autrefois, en labourant mes champs de blé, je laissais les mottes intactes, et ma récompense se résumait à des récoltes insatisfaisantes ; et en sarclant, je détruisais et arrachais (de nombreuses bonnes plantes), et ma récompense se résumait à la rareté de mes récoltes. Au cours des années suivantes, j’ai changé mes méthodes, labourant profondément et recouvrant soigneusement les graines ; et mes récoltes étaient riches et abondantes, de sorte que toute l’année j’en avais plus que je ne pouvais manger. » Lorsque Kwang-dze entendit ses remarques, il dit : « De nos jours, la plupart des hommes, en prenant soin de leur corps et en maîtrisant leur esprit, correspondent à la description du garde-frontière. Ils se cachent leur être céleste ; ils abandonnent leur nature ; ils éteignent leurs sentiments ; et ils laissent leur esprit mourir, s’abandonnant à la pratique courante. Ainsi, traitant leur nature comme le fermier négligeant les mottes de terre, les conséquences illégitimes de leurs goûts et de leurs aversions deviennent leur nature. Les carex, les roseaux et les joncs touffus, qui semblent d’abord surgir pour soutenir notre corps, éradiquent progressivement notre nature, et celle-ci devient comme une masse de plaies suintantes, toujours sujettes à s’écouler, avec croûtes et ulcères, s’écoulant en matières fluides issues de la chaleur interne. C’est bien ainsi ! »
7. Po Kü [^265] étudiait avec Lâo Tan et lui demanda la permission d’aller voyager partout. Lao Tan dit : « Non ; ailleurs, c’est comme ici. » Il répéta sa demande, puis Lâo Tan dit : « Où iriez-vous en premier ? » « Je commencerais par Khî », répondit le disciple. Arrivé là-bas, j’irais voir les criminels (qui avaient été exécutés). Avec mes bras, j’en soulèverais un et le remettrais debout, et, ôtant mes vêtements de cour, je l’en couvrirais, en faisant appel à [ p. 123 ] en même temps au Ciel et déplorant son sort, tandis que je disais [^266] : « Mon fils, mon fils, tu as été l’un des premiers à souffrir des grandes calamités qui affligent le monde [^267]. » (Lâo Tan) dit [^266] : « (Il est dit) : — Ne vole pas. Ne tue pas. » (Mais) dans l’établissement (des idées de) gloire et de disgrâce, nous voyons la cause de ces maux ; dans l’accumulation de biens et de richesses, nous voyons les causes de conflits et de disputes. Si maintenant vous établissez les choses contre lesquelles les hommes s’irritent ; si vous accumulez ce qui produit conflits et disputes parmi eux ; si vous mettez leurs personnes dans un tel état de détresse, qu’elles n’ont ni repos ni tranquillité, bien que vous souhaitiez qu’elles n’en finissent pas avec ces (criminels), votre souhait peut-il être réalisé ?
Les hommes supérieurs (et les dirigeants) d’autrefois considéraient que le succès (de leur gouvernement) résidait dans (l’état du) peuple, et son échec en eux-mêmes ; que le bien pouvait être du côté du peuple, et le tort en eux-mêmes. Ainsi, si une seule personne perdait la vie, ils se retiraient et s’en voulaient. Aujourd’hui, cependant, il n’en est plus ainsi. (Les dirigeants) cachent ce qu’ils veulent faire et tiennent pour stupides ceux qui l’ignorent ; ils exigent ce qui est très difficile et condamnent ceux qui n’osent pas l’entreprendre ; ils imposent de lourds fardeaux et punissent ceux qui ne leur sont pas à la hauteur ; ils exigent des hommes qu’ils aillent loin et les mettent à mort lorsqu’ils ne peuvent accomplir la distance. Lorsque le peuple sait que toutes ses forces seront insuffisantes, il les poursuit par la tromperie. Si les dirigeants font preuve quotidiennement d’une grande hypocrisie, comment les officiers et le peuple pourraient-ils ne pas être hypocrites ? L’insuffisance de force engendre l’hypocrisie ; l’insuffisance de connaissance engendre la tromperie ; l’insuffisance de moyens engendre le vol. Mais dans ce cas, à qui imputer le vol ?
8. Alors que Kü Po-yü avait soixante ans, ses opinions changèrent au cours de celle-ci [^268]. Il n’avait jamais fait auparavant que considérer les opinions qu’il tenait pour justes, mais il en vint maintenant à les condamner comme fausses ; il ignorait que ce qu’il appelait alors juste n’était pas ce qu’il avait qualifié de faux pendant cinquante-neuf ans. Toutes choses ont une vie (que nous connaissons), mais nous n’en voyons pas la racine ; elles ont leur origine, mais nous ignorons la porte par laquelle elles s’en vont. Les hommes honorent tous ce qui se trouve dans la sphère de leur connaissance, mais ils ignorent leur dépendance à ce qui se trouve hors de cette sphère qui serait leur (vraie) connaissance : ne pouvons-nous pas qualifier leur cas de grande perplexité ? Ah ! Ah ! il n’y a pas d’échappatoire à ce dilemme. C’est ainsi ! C’est ainsi !
9. Kung-nî demanda au Grand Historiographe [^269] Tâ Thâo, (avec) Po Khang-khien et Khih-wei, en disant : « Le duc Ling de Wei était si adonné à la boisson et si adonné à la sensualité qu’il ne s’occupait pas du gouvernement de son État. Occupé par la chasse avec ses filets et ses arcs, il se tenait à l’écart des réunions des princes. En quoi montrait-il son droit à l’épithète de Ling [^270] ? » Tâ Thâo dit : « C’était précisément à cause de ces choses. » Po Khang-khien dit : « Le duc Ling avait trois maîtresses avec lesquelles il avait l’habitude de se baigner dans le même baquet. (Un jour, cependant), lorsque Shih-zhiû vint à lui avec des présents de la cour impériale, il demanda à ses serviteurs de l’aider à porter les présents [^271]. Il était si dissolu dans le premier cas, et lorsqu’il voyait un homme de valeur, il lui témoignait autant de respect. C’est pour cette raison qu’on le surnommait « Duc Ling ». Khih-wei dit : « Lorsque le duc Ling mourut, et qu’on pensa à l’enterrer dans le vieux tombeau de sa maison, la réponse fut défavorable ; lorsqu’on pensa à l’enterrer à Shâ-khiû, la réponse fut favorable. » Ils creusèrent donc là jusqu’à une profondeur de plusieurs brasses et trouvèrent un cercueil de pierre. Après l’avoir lavé et inspecté, ils découvrirent une inscription qui disait :
« Cette tombe ne sera pas disponible pour votre postérité ;
Le duc Ling se l’appropriera.
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Ainsi, l’épithète de Ling avait été depuis longtemps attribuée au duc [^272]. Mais comment ces deux-là auraient-ils pu savoir cela ?
10. Shâo Kih [^273] demanda à Thâi-kung Thiâo [^273] : « Que voulons-nous dire par « Le Parler des Hameaux et des Villages ? » » La réponse fut : « Les Hameaux et les Villages sont formés par l’union, disons, de dix noms de famille et de cent prénoms, et sont considérés comme (la source des) mœurs et coutumes. Les différences entre eux s’unissent pour former leur caractère commun, et ce qui leur est commun est séparément réparti pour former les différences. Si vous montrez les différentes parties qui composent le corps d’un cheval, vous n’avez pas le cheval ; mais lorsque le cheval est devant vous, et que toutes ses différentes parties se détachent (comme formant l’animal), vous parlez de « cheval ». » C’est ainsi que les monticules et les collines sont faits pour être les élévations qu’ils sont par des accumulations de terre qui, individuellement, ne sont que basses. (De même, des rivières comme) le Kiang et le Ho obtiennent leur grandeur par l’union d’autres eaux (plus petites) avec elles. De même, le Grand homme manifeste le sentiment commun de l’humanité par l’union en lui de toutes ses individualités. Ainsi, lorsque des idées lui viennent de l’extérieur, bien qu’il ait sa propre opinion, il ne la soutient pas avec bigoterie ; et lorsqu’il émet ses propres décisions, qui sont justes, les opinions des autres ne s’y opposent pas. Les quatre saisons ont leurs caractères élémentaires différents, mais elles ne sont pas des dons partiels du Ciel, et ainsi l’année complète son cours. Les cinq départements officiels ont leurs différentes fonctions, mais le dirigeant n’en utilise partiellement aucun, et ainsi le royaume est gouverné. Les dons de la paix et de la guerre sont différents, mais le Grand homme n’emploie pas l’un au détriment de l’autre, et ainsi le caractère (de son administration) est parfait. Toutes choses ont leurs constitutions et leurs modes d’action différents, mais le Tao (qui les dirige) est libre de toute partialité, et donc sans nom. N’ayant pas de nom, il ne fait donc rien. Ne faisant rien, il n’est rien qu’il ne fasse.
Chaque saison a sa fin et son commencement ; chaque époque connaît ses changements et ses transformations ; malheur et bonheur alternent régulièrement. Ici, nos vues sont contrariées, et pourtant le résultat peut ensuite avoir notre approbation ; là, nous persistons dans nos propres opinions et, considérant les choses différemment des autres, nous essayons de les corriger, alors que nous sommes nous-mêmes dans l’erreur. On peut comparer ce cas à celui d’un grand marais, où toute sa végétation variée trouve sa place, ou à celui d’une grande colline, où arbres et rochers se trouvent sur la même terrasse. Telle pourrait être la description de ce que signifie « Le Conversation des Hameaux et des Villages ».
Shâo Kih dit : « Eh bien, est-il suffisant de l’appeler (une expression du) Tâo ? » Thâi-kung Thiâo répondit : « Ce n’est pas le cas. Si nous comptons le nombre de choses, [ p. 128 ] elles ne sont pas simplement 10 000. Lorsque nous les appelons « la Myriade de Choses », nous utilisons simplement ce grand nombre par commodité pour les nommer. Ainsi, le Ciel et la Terre sont les plus grandes de toutes les choses qui ont une forme ; le Yin et le Yang sont les plus grandes de toutes les forces élémentaires. Mais le Tâo leur est commun. En raison de leur grandeur, utiliser le Tâo ou (Cours) comme titre et l’appeler « le Grand Tâo » est permis. Mais quelle comparaison peut-on établir entre lui et « le Discours des Hameaux et des Villages » ? Prétendre que c’est une expression suffisante du Tâo, c’est comme appeler un chien et un cheval par le même nom, alors que la différence entre eux est si grande.
11. Shâo Kih dit : « Dans les limites des quatre points cardinaux et des six frontières de l’espace, comment se fait-il que la production de toutes choses ait commencé ? » Thâi-kung Thiâo répondit : « Le Yin et le Yang se reflétaient mutuellement la lumière, se couvraient mutuellement et se régulaient ; les quatre saisons se succédaient, se produisaient mutuellement et se terminaient mutuellement. Les goûts et les dégoûts, les évitements de ceci et les mouvements vers cela, surgirent alors (dans les choses ainsi produites), dans leur nette distinction ; et de là naquirent la séparation et l’union du mâle et de la femelle. Alors apparurent tantôt la sécurité, tantôt l’insécurité, dans un changement mutuel ; la misère et le bonheur se produisirent mutuellement ; la douceur et l’urgence se pressèrent l’une l’autre ; les mouvements de rassemblement et de dispersion s’établirent : ces noms et ces processus peuvent être examinés et, si infimes soient-ils, enregistrés. » Les règles qui déterminent l’ordre dans lequel elles se succèdent, leur influence mutuelle [ p. 129 ] agissant tantôt directement, tantôt tournant, comment, lorsqu’elles sont épuisées, elles renaissent, et comment elles finissent et recommencent ; telles sont les propriétés propres aux choses. Les mots peuvent les décrire et la connaissance peut les atteindre ; mais c’est là que s’arrête tout ce qui peut être dit des choses. Les hommes qui étudient le Tâo ne poursuivent pas ces opérations lorsque celles-ci se terminent, ni ne cherchent à savoir comment elles ont commencé : là s’arrête toute discussion à leur sujet.
Shâo Kih dit : « Kî Kän [^274] soutient que (le Tâo) interdit toute action, et Kieh-dze [^274] soutient qu’il peut peut-être permettre une influence. Lequel des deux a raison dans ses affirmations, et lequel est partial dans sa décision ? » Thâi-kung Thiâo répondit : « Le coq chante et le chien aboie ; c’est ce que tous les hommes savent. Mais les hommes les plus sages ne peuvent décrire avec des mots d’où ils sont formés (avec des voix si différentes), ni découvrir par la pensée ce qu’ils souhaitent faire. Nous pouvons affiner ce petit point ; jusqu’à ce qu’il soit si infime qu’il n’y ait plus de point sur lequel agir, ou qu’il devienne si important qu’il soit impossible de l’embrasser. « Quelqu’un l’a causé » ; « Personne ne l’a fait » ; mais nous discutons ainsi des choses ; et la fin est que nous nous retrouverons dans l’erreur. « Quelqu’un l’a causé » ; alors il y avait un Être réel. « Personne ne l’a fait » ; il n’y avait alors que vide. Avoir un nom et une existence réelle, telle est la condition d’une chose. Ne pas avoir de nom, et ne pas avoir d’être réel, tel est vide et non une chose. Nous pouvons en parler et y penser, mais plus nous en parlerons, plus nous serons dans le vrai. La naissance, avant qu’elle ne survienne, ne peut être empêchée ; la mort, une fois survenue, ne peut être retracée plus loin. La mort et la vie ne sont pas très éloignées ; mais pourquoi elles ont eu lieu ne peut être vu. Que quelqu’un les ait provoquées, ou qu’il n’y ait eu aucune action dans ce cas, ne sont que spéculations douteuses. Quand je cherche leur origine, elle remonte à l’infini ; quand je cherche leur fin, elle se poursuit sans fin. Infini, incessant, il n’y a pas de place pour les mots à propos du Tâo. Le considérer comme appartenant à la catégorie des choses est à l’origine du langage selon lequel il est causé ou qu’il est le résultat de l’inaction ; mais il finirait comme il a commencé avec les choses. Le Tâo ne peut avoir d’existence (réelle) ; s’il en a une, on ne peut le faire apparaître comme s’il n’en avait pas. Le nom Tâo est une métaphore, utilisée à des fins de description [^275]. Dire qu’il ne cause ou ne fait rien, c’est simplement parler d’une phase des choses, et n’a rien à voir avec le Grand Sujet. Si les mots suffisaient à ce propos, en un jour nous pourrions l’épuiser ; puisqu’ils ne suffisent pas, nous pourrions parler toute la journée, et n’épuiser que (le sujet des) choses. Le Tâo est l’extrême vers lequel les choses nous conduisent. Ni la parole ni le silence ne suffisent à en transmettre la notion. Ni la parole ni le silence ne peuvent exprimer nos pensées à son sujet dans leur plus haute expression.
[^284] : 114 : 3 Un officier de Khû, « un homme digne ».
[^287] : 115:2 Kung-yüeh Hsiû.